Ce matin, Nathan était de surveillance au parc central de Seikusu. Ce vaste parc avait été conçu sur le modèle new-yorkais de Central Park, visant à doter la ville d’un grand ensemble végétal. Il y avait donc plusieurs activités connexes : un lac pour la pêche, des promenades, des aires de jeux, des terrains de sport... Grand, le parc donnait aussi accès à un sous-bois menant en-dehors de la ville. C’était un parc très apprécié, mais aussi très mal famé sur certains points. Le long du sous-bois, la nuit, les prostituées étaient multiples, bénéficiant à ce titre d’une sorte de complicité policière. De quoi faire bondir Nathan, mais il n’était pas en odeur de sainteté. Honnêtement, c’était encore un miracle qu’il n’ait pas été viré des forces de l’ordre. Le simple fait qu’il soit un gaijin suffisait à hérisser ses supérieurs, outrés qu’un Long-Nez puisse être policier au Japon. Et, pour ne rien arranger, Nathan avait des problèmes avec l’alcool. Des problèmes qui étaient en grande partie liés au fait qu’il portait en lui « la Bête », le nom qu’il avait attribué à un symbiote extraterrestre anthropophage, violent et brutal, une créature qu’il peinait à contrôler... Si ce n’est quand il était bourré, où la Bête semblait être également anesthésiée.
Mais, au-delà de ça, Nathan était plutôt un bon flic, de sorte que les quelques affaires qu’il avait réussi à résoudre lui avaient permis d’éviter d’être radiés des forces de l’ordre. Il était au lieu de ça souvent mis à pied, ou rétrogradé... Comme ce matin, où il avait été affecté à la surveillance. Une tâche qui consistait, en gros, à trouver les poivrots et les drogués de la nuit, à leur demander de partir, ou à les emmener en cellule de dégrisement. Il s’avançait donc dans les allées, croisant quelques lycéens se rendant en cours, des hommes d’affaires partant travailler, de simples coureurs. Portant son uniforme avec une casquette vissée sur le crâne, Nathan était assez aisément reconnaissable, même s’il n’avait pas de collègue avec lui. C’était là sans doute une entorse au règlement, mais il ne risquait rien.
« ...Cette nana, putain, on aurait dit un cosplay...
- À poil, ou quasi... On pouvait voir son cul ! »
Nathan entendit à plusieurs reprises des gens parler d’une femme peu vêtue, et en arrêta un à un moment.
« Ce qui parlez-vous, Monsieur ? »
L’individu, en question, un étudiant, sursauta brièvement, avant de lui parler d’une « nana » qu’il avait croisé plus loin, vers le sentier menant au sous-bois.
*Une pute qui fait du tapin ?*
Toutefois, il faisait jour. Soit les Yakuzas qui l’embauchaient avaient décidé de les provoquer, soit il s’agissait d’une indépendante. Nathan hésita un peu, puis s’y dirigea, sentant la Bête gronder doucement en lui.
*Tu veux te la taper, Nattie-boy ?
La ferme, c’est peut-être une droguée...*
Nathan remonta le sentier, mais ne vit aucune trace de la jeune femme. Il regarda à droite et à gauche, en se demandant si elle n’avait pas filé entre les arbres.
« Madame ? Madame ? Vous allez bien ?! »
Après quelques secondes, il se massa l’arrière de la nuque, se demandant juste si la prostituée n’avait pas foutu le camp.
*Il y a quelqu’un qui se cache ici... Je le sens !* siffla la Bête.
Nathan avait déjà pu constater que la Bête était plus sensible que d’autres aux émanations magiques, et, sur ce point, il décida de lui faire confiance, et s’approcha d’un banc... Nathan fronça alors les sourcils, et porta nerveusement sa main à sa ceinture, là où il y avait son taser. Puis l’illusion magique se rompit, et il écarquilla les yeux sous la surprise, en voyant une superbe femme dont les yeux n’avaient pas l’air vitreux, mais dont la tenue était clairement indécente.
« Je... Qui êtes-vous, Madame ?! »
Nathan comprit rapidement que cette femme... N’était pas d’ici. Elle aurait pu être une ganguro, sauf qu’elle n’en avait pas le look... Et que sa peau ne sembla pas avoir bronzé suite à un bombardement massifs de rayons ultraviolets. Face à elle, Nathan la vit paniquer, tandis que, dans son corps, la Bête gronda, salivant sur place devant cette beauté fatale. Nathan loucha d’ailleurs brièvement sur sa poitrine, exagérément mise en avant, tandis que la jeune femme précisa être originaire d’Ashviria, où elle était une sorcière de feu s’appelant Cathari. Tout cela ressemblait à un délire de poivrots, mais, fort heureusement, Nathan avait beau être un Long-Nez, il savait que Seikusu était une ville particulière... Particulière, car située près d’un autre monde, un monde dimensionnel que Nathan connaissait.
Il resta face à la jeune femme, croisant quelques rares promeneurs, puis se racla la gorge :
« Calmez-vous, Madame, je sais ce qui vous arrive. Je m’appelle Nathan Joyce, je suis officier de police. »
Adoptant une voix douce, il se rapprocha encore elle, et sentit la femme se recroqueviller. Elle était visiblement en panique, et il lui semblait que ses mains s’illuminaient. Nathan laissa passer quelques secondes, prenant conscience qu’il risquait sans doute de recevoir une attaque magique. Il était fréquent que la police arrête des énergumènes avec des oreilles pointues sur la tête et une longue queue caudale dans la tête. Ils étaient transférés à un service spécialisé de la police, et donnaient lieu à l’émission d’un procès-verbal décrivant l’individu comme un forcené. Mais Nathan avait déjà arrêté des personnes de ce genre, et avait pu constater de lui-même qu’ils n’étaient pas des forcenés, que les queues n’étaient pas factices... Mais, à Seikusu, personne ne parlait de ce genre de choses. Le gouvernement y veillait, et notamment le SHIELD, qui centralisait tous les éléments concernant cet autre monde.
Autant dire que, si Nathan conduisait cette femme au poste, elle risquait vite de finir dans une salle d’interrogatoire du SHIELD. Et il n’avait guère confiance dans les organismes de contre-espionnage. Nathan se racla encore la gorge, et fléchit le genou, retirant sa casquette, découvrant ainsi sa tête.
« Je ne partirai pas, Madame, et vous n’allez rien faire de répréhensible. Je suis là pour vous aider, okay ? »
Sa main s’approcha lentement de son poignet, tandis qu’il la fixait du regard, comme pour qu’elle se calme en voyant l’assurance et la détermination dans ses yeux.
« Vous êtes au Japon, à Seikusu, loin de chez vous. Votre village se trouve loin d’ici, mais on va vous y reconduire, d’accord ? Faites-moi confiance. »
Il ne pouvait pas savoir que la femme avait vécu un drame avec son village, mais elle semblait être sur le point de craquer. Sa main se saisit alors de son poignet, et il attendit quelques secondes, sachant que, si la femme comptait l’attaquer, elle risquait de le faire maintenant...
...Ce qui présenterait le risque de réveiller la Bête.