Voilà quelques temps que les services secrets du monde entier convergeaient vers Tokyo. Overwatch avait été alerté par cette concentration d'agents de l'ombre de tous bords, et considérait que cette situation était une réelle menace pour la sécurité des Japonais et du monde. Apparemment, ils poursuivaient tous une entité extraterrestre dont on savait peu de choses. Difficile à traquer, identifier et observer, elle pouvait se révéler inoffensive comme capable de destructions réelles. Les responsables d'Overwatch avaient ainsi dépouillé des décennies d'observations concernant cette entité, ou des entités similaires, dont certaines avaient carrément mené des attaques sur des sites sensibles ; comme la Zone 51, dans les années 1970.
La créature, quelle qu'elle soit, était un sujet de crainte et de fascination pour les gouvernements du monde, et Overwatch devait veiller à ce que leurs appétits ne débouchent pas sur une guerre urbaine au milieu d'une des mégalopoles les plus peuplées de la planète.
C'est ainsi qu'Ana Amari avait débarqué à Tokyo, chargée de la task force Nomad, une unité temporaire chargée de trouver et neutraliser l'extraterrestre, par la capture ou par la fuite, avant que toute cette histoire ne commence à sentir le soufre ; ou pire, qu'elle fasse la une des journaux ! L'Egyptienne avait passé une semaine à établir un PC avancé, à accueillir et briefer les opérateurs et agents, et à reconnaître le terrain. Seikusu, où la créature semblait s'être fixée pour une raison indéterminée, était une commune importante de la métropole tokyoïte, et repérer un individu indiscernable des autres dans une telle botte d'humains était presque impossible ; mais Ana était exceptionnelle, elle pensait pouvoir y arriver.
Mais elle devait aussi penser à garder l'esprit clair pour ne pas délirer et aller s'imaginer des choses là où il n'y avait rien. Ses sorties en ville étaient autant une opportunité de se familiariser avec les lieux que de prendre l'air et s'oxygéner.
Ce soir-là, Ufo était également de sortie. Il avait repéré l'arrivée de ce nouveau groupe atypique d'humains, et il avait cherché à les comprendre. A toutes les époques, il avait rencontré ce genre de groupe plus ou moins officiel, menant des opérations plus ou moins légales pour des raisons plus ou moins éthiques. Mais ceux-là semblaient vraiment s'engager pour le bien de la population japonaise et mondiale. C'était surprenant ; vraiment. Il voulait en savoir plus pour comprendre leurs motivations, mais suivre cette brunette athlétique et déterminée qu'était leur chef lors de ses excursions ne répondait guère à ses questions. Qui était-elle et qu'est-ce qui la motivait ? Il devait s'en approcher davantage. C'était dangereux, mais la curiosité de Ufo n'égalait que sa capacité à se sortir des ennuis. Après tout, d'un claquement de doigts il pourrait se retrouver n'importe où, n'importe quand.
Il avait donc sondé l'agent d'Overwatch à plusieurs reprises, apprenant ses goûts et préférences au gré des errances de son subconscient et de ses rêveries. Il passa deux nuits entières perché au plafond de sa chambre, écoutant ses rêves tumultueux à la recherche de quelque chose de concret. Il n'était pas sûr de lui à 100%, mais, une fois devant le miroir dans la peau de Narue, Saito Narue, 28 ans, ingénieure en robotique expérimentale originaire de Sapporo, intelligente et sensible, mais aussi timide et solitaire, petit brin de femme à la peau pâle, aux yeux bruns gourmands, au sourire intimidé et aux formes généreuses, il ... ou plutôt elle ... elle se sentit dans sa peau et décida de tenter son approche ainsi.
Elle ne savait pas vraiment comment s'y prendre. Elle pouvait toujours s'y reprendre plusieurs fois, sous d'autres formes, mais Ufo prenait ses incarnations très au sérieux. Elle avait créé pour Narue un passé, un numéro de sécurité sociale, une adresse et une psyché propre, qui la rendait aussi vivante en elle que n'importe quelle incarnation passée. Elle comptait autant qu'Akihito, sinon plus à ce moment précis, tandis qu'elle évoluait dans sa chair, dans sa vie.
Elle savait qu'Ana ne passait jamais deux fois au même endroit. Ses sorties n'étaient pas que destinées à se détendre, elle apprenait aussi le terrain. Narue marcha donc dans un secteur du centre où elle avait de bonnes chances de croiser la route de la jolie brune. Mais comment l'aborder ? Maintenant qu'elle était dans la peau d'une fille ronde et timide, ses pensées étaient altérées par le manque de confiance de Narue elle-même. L'incarnation était un processus complexe et à double-tranchant. Elle savait bien qu'elle n'avait pas créé un corps si rond et laid. A plus d'un titre, on pouvait même la trouver jolie, avec un ventre ferme, des hanches larges, et une poitrine ronde tirant sur ses hauts made in Asia. Mais elle était d'un naturel mal assuré, et elle n'arrivait à voir que ses défauts quand elle apercevait son reflet dans un miroir.
Ca ne l'empêchait pas de s'être habillée de façon féminine. Sous un long imperméable chaud au col à fausse fourure, idéal pour chasser la brise fraîche et humide de la mi-avril, elle portait un débardeur noir pailleté dont la légère transparence laissait deviner un petit bustier bleu bien rempli. Une jupe droite mettait ses hanches en valeur et couvrait des bas noirs, se terminant dans des baskets montantes blanches et bleu. Ses cheveux mi-longs étaient remontés en un chignon négligé qui laissait échapper des mèches sur son visage et dans sa nuque, et elle remontait sans arrêt ses lunettes sur son petit nez mutin.
C'est peut-être ce qui lui attira des ennuis. Alors qu'elle passait par une ruelle animée en début de soirée, la veste ouverte en passant entre des étals offrant bols de nouilles et saké aux nombreux employés, largement masculins, s'y arrêtant en rentrant du travail, elle fut l'objet de moult regards et de quelques sifflets. La peur prit le pas sur la mission, tandis qu'elle fermait des mains sa veste et rentrait la tête entre ses épaules, accélérant le pas pour quitter les lieux au plus vite. Une paire de mâles plus ivres que les autres l'intercepta, cependant, au beau milieu de la ruelle, lui coupant toute retraite.
" Regarde, Takato ! Le Destin t'envoie une jolie fille pour fêter ta promotion ! "
" Ouais ! J'aime les rondelettes comme elle, pour sûr ! Hé, poupée, où tu vas comme ça ? Tu veux pas rester prendre un verre ? "
Le dénommé Takato s'approcha d'elle, la forçant à reculer jusqu'à ce qu'elle bute sur son compagnon. Ses bras furent saisis, la tenant sur place, l'empêchant de bouger, tandis que le prédateur sexuel, l'haleine puant l'alcool et le tabac, se penchait sur elle pour sentir son parfum délicat d'agrumes et de fleurs.
" Vous me ... Vous me faites mal ... Je ... Non, s'il vous plait ... "