• SAUL LOGGIA (http://nsa33.casimages.com/img/2014/07/17/14071710163838688.jpg) •
La sirène, cette putain de sirène. Ses oreilles avaient d'abord peiné à la capter, comme si elle avait été émise d'un point très éloigné de lui. Pour un peu, elle serait passée pour un élément de son rêve mais le sommeil artificiel, comme chacun sait, ne permettait pas de rêver. Les drogues qui étaient injectées dans le corps et le cortex cérébral avant que les caissons cryogéniques ne se referment pour que les voyageurs puissent accomplir leur trajet de plusieurs milliers d'années d'une seule traite empêchait le cerveau de trop penser et donc d'agencer des images et des sensations pour en faire des songes. Les médecins de l'Alliance Solaire disaient que rêver pourrissait la matière grise, quand c'était sur de si longs trajets et dans de pareilles conditions.
Alors la sirène, quand elle avait percé le voile opaque de l'inconscience pour lui déchirer les tympans et lui vriller les oreilles, n'avait heureusement pas tiré Saul d'un beau rêve. Sinon, sa journée aurait été vraiment foutue en l'air... Mais il ne doutait pas que d'ici quelques secondes, ça allait lui paraître un moindre mal. La tête lourde, il grogna en s'extirpant de son caisson et insulta copieusement le son d'alerte. Sa vue lui revenait doucement -elle vous revenait toujours en décalé et Saul ne pouvait pas s'empêcher de trouver ça affreusement flippant à chaque fois- et donnait de plus en plus sur un univers chaotique qui n'aurait jamais dû exister. Quand les informations s'agençèrent enfin de façon vive et cohérente dans son esprit, il fut comme frappé par la foudre et il se dressa d'un bond pour filer vers la console de contrôle la plus proche.
Autour de lui, la pièce de sommeil ressemblait à une scène de film apocalyptique. Des câbles dénudés pendaient mollement, perclus de petites étincelles qui explosaient parfois vivement quand elles entraient en collision avec les parois les plus proches. Des panneaux entiers du revêtement qui courait sur les murs avaient été éventrés et laissaient apparents les systèmes informatiques qui zébraient l'espace, souvent assassinés par un éclat quelconque ou une déflagration noirâtres laissée par une surcharge des circuits électriques qui couraient tout contre les circuits imprimés. L'éclairage de la pièce -chancelant comme seuls savent l'être les néons fatigués- donnait mal au crâne et projettait depuis les carcasses des ordinateurs et autres machines jetées violemment à terre d'inquiétants ombres dansantes, qui donnèrent un petit frisson à Saul.
La console qu'il avait trouvé n'avait pas été épargnée et un grand éclat de métal (sûrement issu du caisson cryogénique 3) s'était fiché dans ses flancs, mais son écran numérique indiquait tout ce qu'il fallait pour l'heure que le gosse sache : sur ses trois camarades de voyage, un était encore en vie. Les autres... Et bien, les autres l'étaient beaucoup moins, apparemment.
Il ne savait pas trop ce qui s'était passé et ne s'en souciait pour le moment pas. Saul avait les deux informations les plus importantes dans ce genre de cas : le nombre de personnes survivantes et l'état de la merde dans laquelle il se trouvait, grâce à la fréquence des hurlements de la sirène. Trois tons longs pour deux courts, suivis d'un silence équivalent à un ton, avant que le rythme ne reprenne. Le code sonore de l'Alliance Solaire pour signaler que vos chances de survies étaient aussi minces qu'un emballage de capote. Peu réjouissant certes, toutefois une excellente raison de se bouger le cul et de commencer fissa à croire en Dieu.
Saul ne pensait pas que Dieu existait mais il lui adressa une petite prière quand même tout en se rendant vers le caisson de sommeil numéro 2, dont les signes vitaux de l'occupant étaient au moins aussi bon que les siens. Rapidement et en évitant de regarder la bouillie épaisse et rouge qui tenait lieu de dormeur dans le reste du caisson 3, il se dirigea vers les commandes manuelles de l'as et entreprit de les dévérrouiller. Elles ne cédèrent pas tout de suite et il dut s'y reprendre à deux fois, mais la caisse cryogénique de sa commandante se purgea enfin tandis que le système ramenait sa conscience par un habile jeu de décharges électriques.
L'opération dura bien trente longues secondes. Bien assez pour lorgner sur le corps qu'il voyait à travers le verre, en vérité. La commandante était une belle femme de plus du double de son âge (il en avait 15 lui-même, bien fait de sa personne pour un cadet issu d'une promotion obscure de l'académie spatiale) et avait plus d'une fois fantasmé sur elle. Comme les deux autres hommes de l'équipage, tous deux morts violemment dans ce qui devait être un crash. Saul Loggia n'attendait rien de sa supérieure, même dans ses rêves les plus fous : elle avait déjà accepté de le prendre sur son navire alors qu'il n'avait aucune expérience réelle en astro-pilotage et estimait que c'était là un cadeau plus précieux que n'importe quoi d'autres, même si il aurait voulu qu'elle s'octroie sa virginité en guise de remerciement. Saul secoua la tête vivement pour chasser ces idées mal venues alors que le Salomea était probablement entrain d'agoniser dans un coin de l'espace mais s'aperçut au moment où il vint aider sa supérieure à sortir de son caisson qu'il bandait. Et furieusement. Les tenues du sommeil cryo étaient fait en une matière très moulante et évoquaient de très simples sous-vetêments blancs, sans manquer toutefois de mouler à la perfection chaque volume, chaque détail.
Elle le verrait bander, si ça continuait.
Il s'efforca de penser à autre chose, comme il déposa son regard sur un coin de la pièce pour éviter de lorgner sur ses seins.
"- Je crois que nous nous sommes écrasés, Commandant", confia t'il. "Il faut aller jusqu'au poste de pilotage."
C'était la première chose à faire, effectivement. Son supérieur le saurait d'autant mieux que lui, mais Saul envoyait envoyait sa peur au diable grâce à ces évidences bêtes. Si sa trique était tendue, ses nerfs l'étaient en fait bien davantage. L'entraînement psychologique de l'académie l'aidait à ne pas courir partout en hurlant, lui. Le cadet espérait que sa commandante se remette vite. Qu'elle redevienne la femme sûre et assurée qui menait trois hommes à la baguette. Qu'elle donne ses ordres pour qu'il s'en acquitte avec la régularité appliquée du nouveau diplômé qui veut prouver qu'il a bien retenu les leçons insipides de ses professeurs. Il fit son possible pour l'aider à émerger plus agréablement qu'il ne l'avait fait lui-même (tout restait relatif, pourtant, dans le vacarme de la sirène) et s'assura de lui sourire un peu quand il estima qu'elle avait presque entièrement récouvré la vue.
Elle allait parler, voire beugler, mais ça le rassurerait sur son état physique et son aptitude à diriger, à le diriger. Obéir était une bonne chose quand on avait peur, d'après Loggia. Et c'était ce dont il avait besoin, en ce moment.
Et aussi qu'on coupe cette saloperie d'alarme.
"- Content de vous voir en vie, Commandant."
Il manqua de lui demander de ne pas se rhabiller tout de suite et se ravisa. Elle ne le ferait sûrement pas : l'impératif, pour l'heure, étaient qu'ils se rendent au cockpit pour en savoir plus sur leur situation.
Commandante Evora Reticulli (http://img4.hostingpics.net/pics/333140platinumandblackbygraphicdreamd6lc27l.jpg)
Au cours de ses douze années de carrière au sein de l'Alliance Solaire, Evora avait été conditionnée pour endurer l'état de stase que requérait systématiquement les longs voyages interstellaires. Les drogues utilisées afin de paralyser le cerveau avaient bien évolué au cours de cette dernière décennie et si lors de ses premiers trajets, sa psyché avait été bouleversée par d'étranges songes : aujourd'hui elle accomplissait le voyage d'une traite noire et silencieuse.
Peut-être était-ce à cause de cette osmose parfaite avec la machine lors de la cryogénisation que la belle commandante ne fut guère éveillée grâce au système d'urgence. Toujours branchée à la machinerie centrale, ses systèmes vitaux demeuraient constant et son cœur battait à un rythme régulier. Depuis ce coma profond, elle était loin de s'imaginer les dégâts infligés à sa frégate. Avant d'embarquer, elle avait fait part des dernières consignes de sécurité, agaçant au passage les deux soldats expérimentés. Toutefois, la jeune présence de Saul l'avait contrainte à répéter ce B.A.B.A, assez lasse. Le vaisseau-mère lui avait bien signifié dans le cadre de cette périlleuse mission de s'armer d'un androïde capable de gérer les étapes de cryogénisation. Elle avait refusé tout net. Le système automatique suffirait. Alors on lui avait amèrement souhaité bonne chance – conscient de l'entêtement dont elle savait faire preuve à l'égard de certains sujets.
Elle avait été la dernière à entrer en sommeil prolongé, s'assurant au préalable que la nouvelle recrue Loggia était correctement plongée en inertie. Elle avait effectué plusieurs vérifications, admirant le visage perdu entre la juvénilité et la virilité, incertaine. N'était-il pas trop jeune pour ce projet ? Pensait-elle, inquiète – profitant d'une rare solitude pour dévoiler son côté le plus doux. Bien qu'elle fut mariée un jour, il aurait pu être son fils. Chassant ses pensées troublantes, elle s'était empressée d'entrer dans son caisson gravé du chiffre 3 et le vaisseau avait franchi l'hyper-espace.
L'alarme éveilla son ouïe avant tout le reste.
Sa vue brouillée fatiguait son cerveau. Elle tentait de comprendre, stimulée par de nombreuses informations. Reprendre son souffle fut une opération assez douloureuse et elle haleta de longues secondes, étendue au fond du caisson. Ses cheveux platinés rampaient sur son visage humide, désordonnés.
« L...Loggia ? » murmura-t-elle en reconnaissant vaguement les traits penchés au-dessus d'elle.
Puis le mot « écraser » arriva à ses oreilles, la sirène qui l'assourdissait explosa dans son esprit.
« Quoi ?! » répéta-t-elle plus fort tandis qu'elle s'extirpait, arrachant les fils vitaux lors de la cryogénisation. « Comment ça écraser?! »
Enfin : sa vision s'était complètement rétablie. La blonde plantureuse effectua plusieurs pas, le liquide de cryogénisation dégoulinant le long de ses courbes. Elle ne prenait pas conscience de sa tenue . A vrai dire, c'était le cadet de ses soucis et avoir percé jusqu'au poste de commandant lui avait plusieurs fois réclamé de sacrifier sa pudeur féminine. Et si elle avait remarqué l'érection de son subordonné : elle n'en montrait rien. Ses jambes la portaient jusqu'aux autres caissons où elle découvrit l'ampleur du désastre. Rien ne lui était plus insupportable que la perte inutile d'hommes. Mourir au combat était une chose, mais dans un foutu crash...
Au moins, il lui restait Saul Loggia. 15 ans. Inexpérimenté. Dépendant de la hiérarchie.
Non, la situation se présentait sous de bonnes augures, ironisait-elle en levant les yeux au ciel.
«Nous devons tenter d'activer les systèmes de communication au poste de pilotage. Mais cette sirène est là pour nous dire qu'on va rester seuls un bon moment. Tu connais la procédure, on a dû te l'apprendre à l'Académie. »
Elle parlait d'un ton froid, comme à son habitude. Ce caractère glacial avait contribué à alimenter de nombreuses rumeurs à son propos. Des soldats s'étaient mis à répandre la possibilité qu'Evora Reticulli ne soit pas la célèbre fille du Général de l'Alliance Solaire, mais plutôt un droïde évolué. En témoignait son absence d'émois. D'autres, au contraire, la prétendaient chaude comme la braise et se vantaient de l'avoir déjà tringlée dans les vestiaires de maintes bases spatiales.
« Au travail, cadet. » ordonna-t-elle en frappant les commandes d'ouverture de la salle de cryogénisation.
Désormais, ils arpentaient les couloirs. Par-dessus tout, la militaire craignait l'hypoxie. Elle ne connaissait pas l'ampleur des dommages, l'état des réserves d'oxygènes, s'ils s'étaient échoués sur une planète à l'atmosphère vivable ou au contraire sur une ceinture de météorites qui condamnerait toute probabilité de sortie. En bonne commandante, elle avait pris les devants et laissait Saul suivre derrière elle avec, en prime, une vue imprenable sur sa croupe mise en valeur par les sous-vêtements. A intervalle régulier, au rythme des néons qui grésillaient, se dévoilait une courbe pâle, à la chute indécente, puis le noir surgissait deux secondes à peine. Tout avait foutu le camp visiblement : l'éclairage, les câbles d'alimentations électriques, les conduits d'eau. Ils devaient bien progressé dans un centimètre de flotte, rendant l'excursion périlleuse.
« Putain de mission aux confins du bras d'Orion. » jurait-elle par moment, énervée. « J'ai perdu deux hommes...merde ! Comment je vais expliquer ça....à la base. »
Comment allait-elle expliquer ce fiasco monumental à son père, surtout ? Enfin, la question soulignait un optimisme déplacé : pour rendre compte à la base, il fallait supposer qu'ils s'en sortent. Elle ne semblait pas en douter un seul instant.
Arrivés devant les portes du cockpit, elle actionna sèchement l'ouverture : sans résultat. Sa paume s'acharna sur l'écran tactile qui reconnaissait l'identité digitale, mais refusait l'accès- sous alimenté en énergie. Elle avait une formation d'ingénieur spatial, intrinsèquement lié à son passif de pilote chevronné et présuma qu'il n'y aurait aucun moyen conventionnel d'accéder à la salle de pilotage.
Soudainement, elle fit face à Saul. Elle était un petit bout de femme, et l'adolescent en pleine croissance menaçait déjà de la dépasser en taille.
« Nous allons devoir regagner l'armurerie. Trouver des explosifs et forcer l'entrée. Ensuite....aouch.... » Elle s'interrompit dans une grimace de douleur et lança sa main derrière son épaule, sans réussir à atteindre la zone concernée. « Qu'est-ce que.... »
Elle fronçait les sourcils et dut se retourner face aux portes, s'y appuyant de ses deux mains pour ordonner à Saul :
« C'est...dans mon dos, jette un oeil. »
Sa respiration était courte non seulement à cause de la souffrance, mais aussi à la simple idée qu'une auscultation exigerait qu'il la touche. Il fallait d'abord qu'il écarte sa crinière cendrée puis qu'il effleure sa peau nue à cet endroit où était figé un petit éclat de métal.