«
J’ai failli la tuer. »
Ce fut la seule explication, sibylline, que Ronald donna à Serenos pour expliquer la relation entre lui et Alessa. Ronald n’avait pas spécialement envie d’en parler, ne tenant pas à ce qu’on sache que, au moment où la Reine était attaquée par un Sans-Visage, lui-même batifolait avec la Meisaenne. C’était un comportement indigne d’un Chevalier Royal, et c’était bien pour ça que Ronald acceptait pleinement le dilemme. S’il échouait, c’est qu’il ne méritait pas d’être le Chambellan de Sa Majesté. Auquel cas, il admettait volontiers sa punition, et en profiterait pour faire pénitence. Ronald, aussi pieux et fier soit-il, n’ignorait pas toute la difficulté de sa tâche. Nexus était une ville immense, abritant des millions d’âmes. C’était l’une des plus grandes villes du monde, l’épicentre du commerce mondial. Les autorités traquaient la Confrérie depuis des décennies, sans aucune réussite. Ronald allait devoir faire jouer ses relations et ses contacts. Il était impossible, après tout ce temps, que
personne ne connaisse le repaire de la Confrérie. Cette secte d’assassins était bien implantée. Tout ce qu’il fallait, c’était arriver à délier les langues.
En sortant du Palais d’Ivoire, les deux hommes avaient grimpé sur des destriers, et s’en étaient servis pour rejoindre les bas-fonds, filant le long des grandes rues de la cité-État, relativement désertes à cette heure avancée de la nuit. Ronald menait le duo, et ils se rapprochèrent d’une entrée menant aux «
bas-fonds ». Ce n’était techniquement pas un terme officiel, et on n’en trouverait aucune trace dans les documents et les actes officiels. C’était un terme offensant, mais, dans la pratique, tout le monde désignait ainsi ces quartiers désoeuvrés. Ils s’arrêtèrent devant le portique menant à l’ancien quartier des Poètes, un agréable quartier constitué d’un ensemble de ruelles, de petites fontaines, et où, jadis, avant la crise économique, des artistes de rue chantaient et dansaient, faisant jouer de la lyre, vantant la beauté des étrangères venant ici. Des troubadours faisaient des spectacles comiques, des danseurs jonglaient, des équilibristes s’amusaient, des cracheurs de feu soufflaient de longues gerbes se terminant en cœur enflammé… C’était un quartier rural très vivant, constitué de marginaux, de bohèmes, d’hommes aimant la vie. Maintenant, ce quartier était triste, sinistre, fui par les touristes. Il était hanté de bordels sinistres, et les artistes de rues qui n’étaient pas partis, ou n’avaient pas été tués pour leurs dettes, étaient devenus des toxicomanes habitant dans des squats sinistres.
Ronald avait senti des individus approcher, et vit alors des espions meisaens débarquer. Pour être honnête, Ronald n’aimait pas trop ça… Les espions n’étaient jamais bien vus, a fortiori entre deux États se prétendant alliés. Néanmoins, il ne dit rien. Pour l’heure, leurs intérêts coïncidaient. Ronald resta en retrait, tandis que Serenos donnait ordre à ses hommes de retrouver les caches de la Confrérie. Un léger sourire goguenard traversa les lèvres de l’homme. Est-ce que cet homme espérait supprimer la Confrérie en une soirée ? Finalement, Serenos finit par le regarder, en lui demandant s’il n’avait pas un lieu où séjourner le temps de leur enquête.
«
Oui… Je connais un endroit. »
Il se déplaça rapidement, remontant l’avenue, évitant de s’enfoncer dans les ruelles du Quartier des Poètes.
«
Il fut un temps où Nexus était un royaume. Avec le temps, les différentes cités se sont rapprochées pour n’en former plus qu’une, mais il subsiste encore des héritages de cette ancienne époque. »
La cité-État était une énorme ville, et, d’un point de vue administratif, elle comprenait plusieurs mairies, chaque mairie ayant un district, toutes les mairies fonctionnant sous l’autorité centrale du Palais d’Ivoire. Les mairies se trouvaient dans les forts de la ville, chaque fort correspondant à l’une de ces anciennes villes dont Ronald parlait. Ils se dirigeaient justement vers l’un de ces forts, au cœur de la ville. Il était entouré par des douves, et donnait sur un agréable lac, le Lac-Rose, avec des cygnes, des canards, et des tortues. Un endroit assez agréable, proche des remparts du fort. Le nom du fort était donné en référence au lac : Fort-Rose… Pourtant, il n’y avait rien de rose dans ce dernier.
Ronald se rapprocha du corps de garde, et tomba sur les gardes à l’entrée.
«
Le fort est fermé la nuit, étrangers ! lâcha la bougonne voix d’un garde.
-
Je pense que vous ferez une exception pour moi, hallebardier. »
Le soldat sortit de sa petite casemate, à l’entrée du corps de garde, et écarquilla les yeux en reconnaissant la cicatrice de «
Scar », un élément distinctif difficile à copier.
«
Oh… Me… Messire Langley, je… Hum… C’est un immense honneur ! -
Ce vieux sac à vin de sénéchal est-il réveillé ? -
Me… Messire Beauregard s’est endormi, Messire Langley… -
Alors, ouvrez-nous la porte, et mandez quelqu’un pour le réveiller. Nous avons à discuter. »
Troublé, l’hallebardier obtempéra. Ronald Langley était un homme très respecté au sein des garnisons, que ce soit par son haut rang, par le fait qu’il était un camarade de guerre du Lion de Nexus, parce qu’il était un paladin d’Haven, ou parce qu’il arborait sur son visage les cicatrices dues aux batailles. Langley appartenait à l’ancienne noblesse, cette noblesse faite de capes et d’épées, ceux qui, dans la répartition tripartite classique d’une société féodale, étaient appelées «
bellatores »… Ceux qui se battent. Le corps de garde s’ouvrit, et le duo pénétra dans la cour du fort, une agréable cour avec plusieurs dépendances abritant des réserves. Un puits se trouvait au centre, et il y avait un mur d’enceinte, séparant la basse cour de la haute.
Autrement dit, Fort-Rose suivait la structure classique de tous les forts médiévaux :
(http://img92.xooimage.com/files/5/1/6/chateau_fort-3bbe3b4.jpg)
Ronald et Serenos larguèrent leurs chevaux à une écurie, puis passèrent par le corps de garde intérieur, afin de rejoindre les lourdes portes du donjon.
«
La Confrérie se cache sous la ville, Serenos. Elle a un repaire souterrain, mais les souterrains de Nexus sont immenses. Entre les égouts, les catacombes, les grottes naturelles, les caveaux, il y a tout un réseau souterrain. Sans des informations précises pour les trouver, nous n’y arriverons jamais. »
Ils entrèrent dans le salon principal du fort, où des bougies étaient allumées dans les angles. Des armures luisantes faisaient office de décor, à droite et à gauche du vestibule, et, dans la salle principale, des blasons et des tableaux ornaient les murs.
«
Le Sénéchal Beauregard est le responsable de ce fort. C’est un vieil ami. Nous avons combattu les Ashnardiens ensemble, à l’époque de Liam. Il y a quelques années, Liam l’avait chargé de mettre un terme à l’existence de cette confrérie. »
Ronald donna les informations essentielles, tandis qu’un page les conduisit dans un salon un peu plus intimiste, avec des bibliothèques, des candélabres. Les murs étaient en pierre, et Ronald entendit, au bout de quelques minutes, un peu de bruits.
«
Par les Saints-Nichons de la foutue Sainte-Vierge, Langley ! Ah, mon ami ! Es-tu fonc à ce point insomniaque pour venir me voir ?! »
Une voix chaleureuse annonça l’arrivée du
Sénéchal Joachim de Beauregard (http://fc05.deviantart.net/fs70/i/2014/318/6/2/war_general_by_allnamesinuse-d7xe6t5.jpg), un homme âgé, mais avec un regard clair, et un franc sourire.
«
Paix sur toi, Joachim. Je suis en compagnie de Son Excellence le Roi de Meisa Serenos Sombrechant. Nous sollicitons ton hospitalité le temps d’une enquête capitale demandée par Sa Majesté à l’instant même. »
Beauregard hocha lentement la tête. Sur un ton un peu plus bas, Ronald lui en dévoila un peu plus :
«
Un Sans-Visage a attenté à la vie de Sa Majesté… »
Les yeux de Beauregard s’écarquillèrent de surprise.
«
Ah les jean-foutre, ah les fils de pute ! s’exclama l’homme en secouant la tête.
Je comprends mieux la raison de ta venue, Ronald… Et il va de soi que vous pourrez séjourner dans ce fort. -
Nous aurons besoin de ton assistance… -
Cela va sans dire, acquiesça l’homme.
J’ai enquêté sur cette secte remplie de rats et de serpents visqueux, mais il me faut le temps de retrouver mes notes. Le mieux que vous ayez à faire est de dormir ici, et nous aurons le temps d’en parler demain matin. De toute manière, il n’est pas recommandé de traquer les Sans-Visages de nuit. »
Ronald acquiesça. Il avait presque oublié à quel point le Sénéchal avait tendance à s’exprimer très naturellement, à force dans le monde très policé du Palais