Périphérie de Nexus, sur un chemin sylvestre.
Mouchetés de taches vertes, cheval et cavalière s’enfonçaient plus avant à travers bois d’un pas paisible. Une demi-journée de chevauchée les avait conduits à l’extérieur de la capitale nexusienne, loin de ses hauts-parages et du bourdonnement incessant de son effervescence. On ne distinguait plus que l’imposante ciselure de ses édifices sur le fond céruléen du ciel tout baigné de l’aurore mourant, émaillé de dorure par l’éclat flamboyant du soleil qui entamait l’ascension journalière, s’élevant vers son zénith tout en tiédissant le dos de Mélisandre. Ses rayons perçaient à travers les frondaisons, répandant sur le sentier une lumière enluminée par le filtre verdoyant des ramures. S’écartant des grandes routes au profit de chemins plus intimes, le couple avait louvoyé parmi les arbres et sous leurs couverts bruissants pour atteindre une région plus sauvage, délaissée par la convoitise des hommes, excepté par celui des chasseurs ou des vagabonds qui, à son exemple, aspiraient à la quiétude solitaire des bois. La belle et sa grisette empruntèrent un petit dénivelé descendant vers les berges d’un étang familier. Elles surgirent doucement des taillis, comme le font les biches au sortir d’une lisière, gracieuses et farouches.
Rênes longues pour laisser sa monture s’abreuver sur les rivages, les deux antérieurs fichés dans l’eau claire, la brunette contempla le lac, aussi lisse qu’un miroir et aussi chatoyant qu’un saphir aux abords mouvants. Sur la rive d’en face batifolait un groupe de jouvencelles dont les éclats de rire enjoués éclaboussaient toute la clairière. Elle le savait, les alentours abritaient un modeste prieuré, faisant également office de couvent, dont elles avaient probablement outrepassé le règlement pour venir se baigner. Les trois jeunes filles n’avaient pas à rougir de leur nudité ici, car d’ordinaire l’endroit était plutôt tranquille et n’attirait guère les mauvaises gens qui leur préféraient les chemins fréquentés par les victimes de leur brigandage. Toutes absorbées qu’elles étaient par leur récréation, elles n’avaient pas encore relevé la présence de la démone. Cette dernière ne leur paraîtrait néanmoins pas bien menaçante, de loin. En prévision de son excursion, elle avait revêtu des chausses en cuir fermées remontant jusqu’aux hanches, une tunique en chanvre maintenue par une petite ceinture pour marquer la taille et par-dessus une longue pèlerine à capuchon grise qui l’avait préservée des regards et des températures un peu plus basses à son départ de Nexus, de nuit. Rien qui puisse conférer à son allure quelque chose de franchement patibulaire. Sa jument s’ébroua tout en redressant l’encolure, yeux et oreilles rivés sur les ingénues et leur jeu bruyant. Ai-je déjà été comme ça un jour ? murmura sa conscience qui couvrait le tableau d’un œil sobre.
Sans même chercher à trouver une réponse, Mélisandre défit sa cape, l’enroula et la rangea sous le siège de la selle. Puis elle déchaussa les étriers et s’avança dans l’eau jusqu’aux chevilles pour remplir sa gourde, les bottes caressées par le léger clapotis du rivage. La vagabonde étancha d’abord sa soif puis sa main mouillée alla rafraîchir sa nuque avant de consteller son décolleté de perles humides, faisant scintiller son épiderme sous les rayons de miel du soleil. Une goutte séditieuse se glissa entre ses seins, lui soutirant un petit frisson frileux. La sensation n’était pas désagréable, après avoir longuement monté à cheval. Elle vida finalement le contenu de la gourde sur ses clavicules et dans un soupir d’aise l’eau fraîche ruissela sur son buste, jusqu’au nombril, imbibant l’étoffe de la tunique qui laissa dès lors deviner les auréoles sombres des mamelons et le relief insolent de leur extrémité. Fermant les yeux, la sauvageonne savoura l’instant. Des bruits d’eau, de rires et d’éclaboussures lui parvenaient toujours. Et, par-dessus cela… un léger tressaillement, dans les fourrés. Un sourire vint discrètement ourler ses lèvres.
« Etes-vous une vierge effarouchée, pour vous cacher dans l’ombre des taillis ? »
Mélisandre fit doucement volte-face pour sonder les bois et leur bordure. Sa monture, plus nerveuse, s’était éloignée de quelques foulées, et campée sur ses membres, restait dans l’expectative de ce qui allait en sortir. Au même moment, des cris retentirent de l’autre côté de l’étang. Des cris de détresse aigus, suivis de grognements rauques. Tournant la tête, l’Indocile put voir les jeunes filles subirent l’assaut d’un duo d’hommes armés, aux intentions clairement affichées. L’une d’entre elles se jeta à l’eau, tandis que les deux autres se débattaient, leur désespoir grandissant avec le désir pervers et lubrique de leurs agresseurs. La diablesse glissa lentement la langue contre ses lèvres, et, sans broncher davantage, en revînt à son mystérieux épieur, ne laissant rien paraître d’autre que son aplomb, inébranlable, et le charbon incandescent de son regard.