Le Grand Jeu

Havre de Repos des Pervers(e)s [HRP] => L'Art => Discussion démarrée par: Lyan Rose le mardi 03 décembre 2013, 23:23:15

Titre: Devant ces mains.
Posté par: Lyan Rose le mardi 03 décembre 2013, 23:23:15
"Tu n'es pas un immortel, tu es une immortalité."

L'immortelle est étendue sous terre, et lui n'est que les restes de cette immortelle. Son immortalité à elle. Lui ne fait que se souvenir de ces journées passées, ces nuits à se tourmenter, il regarde ce qui lui reste en tout et pour tout. Un bracelet, qu'il garde sur lui jour et nuit. Devant ces mains se trouvent autre chose. Des souvenirs, surtout. Une promesse, avant toute chose. Une autre promesse, ensuite. Une dernière promesse, enfin. Tout est une promesse. Il avait fini par en briser une, n'avait pas réussi à en tenir une autre mais n'oubliera jamais et respectera toujours la dernière.

On va faire une promesse, avait-elle dit d'une voix calme mais tremblante. Elle forçait un sourire devant un homme réputé pour être un monstre. Il l'avait écoutée, couvert du sang de ses ennemis. Elle n'avait pas essuyé le sang sur ses mains lorsqu'elle l'a pris par la manche. On va faire une promesse, avait-elle dit. Il avait répondu, comme un écho. Une promesse ? Oui, une promesse, avait-elle répondu. Tu continues à te battre sans raison, et je sais que ça te blesse. Alors promets que tu vas me protéger. Tu auras une raison pour te battre.

Il n'avait pas réfléchi lorsqu'il avait répondu. Il avait donné son accord, en signifiant bien la galère dans laquelle il s'embarquait. Il avait alors demandé jusqu'où cette promesse tiendrait. Elle avait alors répondu, jusqu'à notre mort. Devant sa demeure de grès, il s'en souvient encore. Il a failli à cette promesse. Devant ces mains se tiennent un regret éternel. Elle serait encore ici s'il avait tenu sa promesse. Il se fait renvoyer dans le passé brutalement, encore une fois. Un soir d'été, lui et elle dans sa chambre à elle. Tous deux affairés sur une guitare. Il la regardait faire, mouvement par mouvement.

A ton avis, c'est quoi la paix ? Elle avait demandé. Il avait réfléchi, avant de répondre par réciprocité. Et pour toi, c'est quoi la paix ? Elle avait répondu, doucement : la paix, c'est toi et moi maintenant, tranquilles et assis ici. Ces moments où tu n'es pas dehors à te battre. Alors là, enfin oui, nous sommes en paix. Il riait de bon coeur, mais se souvenait gravement. Le premier combat qu'il avait livré pour elle. Il avait débarqué dans une salle de classe et avait tabassé deux types.

Elle était du genre à se faire emmerder par les petits caïds. Et tout le monde le savait. C'est en partie pour ça qu'il avait accepté. L'assurer sous sa protection, c'était comme si s'en prendre à elle revenait à s'en prendre au cauchemar de ces jeunes cons. Il avait donc fait irruption dans la classe, arraché la règle pour tableau du prof et tabassé ces deux garçons de tout son coeur. Il avait brisé la règle sur leurs bras, sur leurs jambes, piétiné leurs côtes et tant d'autres choses. Et il s'était arrêté que lorsqu'elle l'avait pris dans ses bras en pleurant, lui suppliant d'arrêter. Alors, il s'était arrêté.

Il avait quitté la salle de cours en laissant les débris de la règle sur le bureau.

"Son immortalité est celle des plus forts. Être un souvenir tellement marquant et puissant que tu vis à travers."

Il l'a aimée. Plus que tout être au monde, il l'a aimée, chérie, protégée, sans rien attendre en retour. C'est pour ça qu'il a été si fou de rage lorsqu'il l'a découverte au sol, sans blessures. Derrière deux types qu'il reconnaissait très bien. Il ne sait pas ce qui s'est passé après. En revenant à lui, il se tenait dans une flaque de sang près de deux gamins au visage recouvert du même liquide rouge. Ses mains étaient à lui aussi couvertes de sang. Son premier réflexe a été de la porter sur un banc, et d'attendre qu'elle se réveille.

Elle était fatiguée à son réveil, mais elle a quand même articulé quelque mots. La deuxième promesse, celle qu'il a brisé. D'un murmure, elle lui avait ordonné : C'est fini, n'en faisons pas un mélodrame, n'en parlons plus. Elle lui avait donné ce bracelet alors, dont elle disait qu'elle l'avait toujours apaisé. Elle était malade et avait parfois des angoisses que seules les personnes malades connaissent. Et ce bracelet, disait-elle, l'avait toujours calmée. Il l'avait pris doucement, comme on prend fébrilement ce qui reste d'un rêve. Devant ces mains se tenaient d'autres mains, les siennes et celles de cette fille.

Son lit, enfin. Elle avait fait la troisième promesse à ce moment-là. Elle regrettait de ne pas avoir la force de se lever, pouvoir le voir dessiner. Alors pour ça, elle avait demandé à ce qu'il continue à dessiner toute sa vie. Pour elle, pour lui, pour le monde entier. Qu'il continue à dessiner afin qu'elle regarde encore ses mains courir sur le papier. Il avait brisé la deuxième promesse, il en avait fait un sujet de discussion avec elle. Elle en avait parlé, lui avait expliqué. Endormie au chloroforme, sans doute tiré à l'infirmerie. Elle était de plus en plus faible.

Un an passa alors, un an où elle fut la belle au bois dormant. Puis une deuxième année, où son chemin se sépara de sa chère amie. Lui avait repris une vie calme, avait croisé des gens, avait même rencontré quelqu'un comme lui en tout point. Une troisième année passa. Et la quatrième année, enfin, se déroula toujours dans cette même chambre blanche, ses yeux clos. Ses magnifiques yeux verts, qui ne se rouvrirent jamais. C'est en début de cette année qu'elle a fermé les yeux à jamais.

Et je suis toujours là pour me souvenir. Moi qui l'ai tant aimée, chérie, protégée. Moi qui tiens tant que je peux cette dernière promesse, faute d'avoir réussi à la protéger ou à ne pas reparler de l'incident. Je veille sur la dernière promesse, moi, l'immortalité de cette immortelle.

Anna.