« Vous semblez tendue Nariko, est-ce la colère qui vous rend si nerveuse ? »
L’homme avait une voix très douce, et pouvait visiblement modifier celle-ci pour qu’elle soit féminine. La différence entre sa voix normale et sa voix modifiée restait très minime, et la présence de cet homme très efféminé, a fortiori avec cette armure rose pimpante, perturba légèrement Nariko. Son regard oscilla entre le chevalier, Kaï, et le noble.
« Courage, mes petits... Tout se passera bien...
- Maman, elle...
- Chuuut… N’y pense pas… La garde sera bientôt là, et… Nous serons vengés… »
Nariko cessa de les observer, puis regarda Mora. Kaï, de son côté, regardait les cadavres, cherchant des traces, des indices, quelque chose...
« Je n’ai aucune raison d’être calme, s’expliqua-t-elle simplement. Quiconque s’en prend à Kaï encoure mon courroux. »
L’homme que Nariko avait assommé n’avait pas attaqué Kaï. Autrement, même les ordres du noble n’auraient pas permis de le sauver de la vengeance de Nariko. Elle marcha un peu, ne sachant pas quoi dire. La famille était brisée, dévastée. Le fils pleurait, le père maintenait ses enfants contre lui en fermant lentement les yeux, et la fille... La fille était celle qui avait le plus souffert. En effet, elle était la seule à ne pas pleurer. Il existe des douleurs profondes, des douleurs insidieuses, si profondes et dures qu’aucune larme ne peut les exprimer. Nariko le savait bien, c’était ce qu’elle avait ressenti en voyant le cadavre de Kaï, pendu par Acerodon dans la volière. Elle n’avait jamais ressenti une telle rage auparavant, une telle fureur... Savoir Kaï en vie était un grand soulagement pour la guerrière.
Elle marchait un peu, quand elle entendit des bruits de sabots et des cris. Quelques secondes après, la cavalerie arriva. De nombreux soldats en armure sur des chevaux, portant les blasons et les étendards de leur seigneur. Ils s’avancèrent rapidement, et des archers visèrent Nariko et Mora.
« Halte ! Halte !
- Qui êtes-vous ?!
- C’est Messire Grey ! »
Lord Grey entreprit alors de se redresser, continuant à tenir ses enfants, tandis que les soldats approchaient. Ils étaient nerveux, et la vue du carnage ne semblait guère leur convenir. Levant la main, Sire Grey leur expliqua que ces trois individus l’avaient sauvé, et qu’ils avaient été attaqués par les bandits du Taureau.
« Mes enfants sont grièvement blessés... Nous devons rentrer à Fort-Sauveur. Tâchez de prévenir Messire William et nos vassaux. Nous avons été trahis. Ces bandits savaient exactement quand nous attaquer, et où.
- Trahis ? Mais... ?!
- Il suffit ! McCloud paiera pour ce qu’il a fait, mais, pour l’heure, j’ai besoin de repos !
- Oui, Monseigneur ! »
Les gardes s’avancèrent vers les enfants, qui se laissèrent faire sans protester, le fils continuant à pleurer à chaudes larmes. On embaumait le cadavre de la mère, et, pendant ce temps, Nariko et Kaï observaient la scène. Sire Grey peinait à marcher, boitait lentement, et se tourna alors vers ceux qui l’avaient sauvé.
« Suivez-nous, je vous prie. J’ai... Nous avons besoin de vous pour mettre fin à... A tout ce cauchemar. »
Nariko fronça les sourcils, guère tentée. Elle avait d’autres soucis que cette histoire qui s’annonçait assez complexe.
« Vous serez rémunérés, bien entendu... »
Elle croisa les bras, et regarda Kaï. Cette dernière hocha lentement la tête. Plus que la promesse d’avoir de l’or, c’était surtout Kaï qui l’avait décidé.
« Très bien. On vous suit. »
La petite troupe se mit ainsi en route, rejoignant la ville de Saint-Sauveur. Ce n’était pas le fief de Lord Grey, mais de Sire William, qui était l’un des plus puissants seigneurs de la région, et le fils du duc. Vieux et malade, le duc était impuissant à diriger sa seigneurie, et un tournoi allait bientôt s’organiser pour déterminer qui serait le successeur du duc. Fort-Sauveur était une belle ville près de la mer, en hauteur. On voyait de loin l’imposant château qui se dressait au-dessus de la ville. On avait offert à Nariko un cheval, Kaï étant assis dessus, entre les bras de la guerrière. La jeune femme était bouleversée, mais, (mal)heureusement, ce n’était pas la première fois qu’elle assistait à un tel carnage.
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Fort-Sauveur
« Ne t’en fais pas, Kaï, tout se passera bien. »
Nariko essayait de l’en assurer, mais Kaï n’avait pas besoin de plus. Avec Nariko à côté d’elle, elle ne craignait plus rien. La guerrière tourna la tête vers Mora, et lâcha, avec un léger sourire, comme pour essayer de détendre l’atmosphère :
« J’aime bien votre style. »
Grey divulguait ses ordres de mission, ce qui ne plaisait que moyennement à Nariko. Elle avait déjà suffisamment de problèmes comme ça sans devoir se rajouter ceux des ordres. Certes, ce qui se passait ici était regrettable, mais elle ne pouvait pas aider partout... Néanmoins, Nariko savait qu’elle allait devoir agir, car Kaï la forcerait dans ce sens. L’adolescente était encore bien plus sensible que Nariko à l’injustice de ce monde, à la violence, et elle avait vu de près des scènes particulièrement horribles. On pouvait admirer le tempérament de Grey. Après ce que sa famille avait vécu, il arrivait encore à avoir la tête sur les épaules, même si son cœur devait crier vengeance. Mora, le « chevalier de la Rose », qui exerçait sur Nariko un charme particulier, s’était penché sur la carte, et essayait de repérer l’emplacement du camp.
« Cette grande carte est-elle toujours à jours ? s’enquit Mora.
- Évidemment que ma carte est à jour ! » maugréa Grey.
Il expliqua que la forêt en soi n’était pas particulièrement dangereuse... Du moins, par rapport à d’autres.
« Il y a quelques rares meutes de loups près des montagnes, mais ces derniers sont surtout actifs lors de l’hiver. On trouve également des ours, et les marais regorgent parfois de noyeurs. Mis à part cela, il n’y a aucune menace sérieuse... Si on ne tient pas compte de McCloud, naturellement. »
La forêt s’étalait au centre du domaine, sur une bonne partie. Nariko regardait la carte de l’autre côté. Les montagnes étaient plutôt des espèces de collines, et le domaine d’Edwin était à l’opposé de la forêt Le marais, quant à lui, était planté dans la forêt. Les marais, les égouts, les endroits humides et puants de manière générale, attiraient généralement des noyeurs, des monstres peu dangereux, mais dont il fallait malgré tout se méfier, car ils n’hésitaient pas à attaquer les humains. Ils se déplaçaient souvent la nuit.
« Aucune autre créature dont il faudrait se méfier ? demanda Nariko en fixant Grey dans les yeux.
- Je ne vous ai cité que les animaux principaux, nuança Grey. Au nord, près d’un bosquet druidique, vous trouverez aussi des wyverns, mais les druides les apprivoisent généralement.
- Des druides ?! Ne sont-ils pas dangereux ? »
Contrairement à ce que la croyance populaire affirmait, il arrivait fréquemment que les druides soient xénophobes. Ils aimaient la nature au point d’en devenir, dans certaines communautés, des espèces de fanatiques qui attaquaient les étrangers. Grey secoua toutefois la tête. Il affirma que ces druides étaient pacifiques. Nariko commença à prendre une feuille qui traînait dans un coin, et dessina une reproduction simplifiée de la carte, y indiquant les informations essentielles. L’exercice ne lui prit que quelques minutes, et la carte simplifiée ressemblait à ceci :
(http://img88.xooimage.com/files/a/9/1/map_domaine-382a8bf.png)
Nariko la contempla brièvement, puis la rangea sur elle. Des noyeurs, des loups, et des ours... Rien de bien dangereux. Les wyverns, en revanche... Les paysans avaient généralement pour habitude de comparer la wyvern à un dragon, et certains chasseurs de monstres peu scrupuleux encourageaient cette erreur, afin de gonfler les prix, un dragon étant bien plus difficile à tuer qu’une simple wyvern. La wyvern avait l’apparence d’un grand reptile volant avec un cou serpentin, et une longue queue qui se terminait par un trident venimeux. Le poison des wyverns n’était pas mortel, mais engourdissait les muscles, en plus de provoquer une grande douleur. La wyvern pouvait également voler sur de courtes distances, mais pas de manière aussi longue qu’un dragon. Nariko espérait ne pas trop croiser de créatures de ce style lors de sa marche vers le camp.
« Très bien, je veux bien le faire, finit par dire Nariko. Si j’ai bien compris, il faut trouver un moyen de se rendre dans ce camp, et trouver des preuves ?
- Oui, résuma le seigneur. Si vous pouviez trouver une arme portant les armoiries d’Edwin, ce serait suffisant, mais, si vous avez la chance de mettre la main sur un parchemin, un registre, des choses de ce genre, nous trouverons suffisamment de preuves...
- Et comment on rentre là-dedans ? En tapant à la porte ?
- Les éclaireurs qui ont espionné le camp indiquent qu’il est possible de s’y infiltrer par une rivière qui passe à côté, et qui conduit dans une grotte. Notez que je vous indique que ce n’est qu’une possibilité, mais, d’après les rapports, le camp est près d’une montagne, et s’étale en partie dans des grottes. En vous aventurant dans les grottes, vous devriez pouvoir rejoindre le camp. Je vous conseille de vous y aventurer de nuit... »
Nariko siffla, et se retint de dire quelque chose d’insultant.
« Néanmoins, il faut plusieurs heures pour se rendre au camp... Et se déplacer la nuit n’est pas recommandé... »
Le soleil commençait en effet à se coucher.
« Je vous propose de vous reposer dans la ville ce soir, ce qui vous laissera accessoirement le temps de vous renseigner auprès d’autres individus sur ce voyage... »
Ce n’était pas bête. Nariko regarda Mora, le chevalier de la Rose, et haussa les épaules.
« Je ne suis pas à une nuit près. »
Grey hocha la tête, puis reporta son attention sur Mora :
« Et vous ? »