Suite à la question de Louane, le baron haussa les épaules, croquant dans sa cuisse, avant de tremper ses doigts dans un récipient d’eau. Il lâcha ensuite, après un long silence :
« Je vous retourne la question. Qu’est-ce qu’un Ashnardien peut bien faire ici avec son animal de compagnie ?
- Louane n’est pas mon... Animal, tint à préciser Cahir.
- Vous niez ce point, mais vous ne semblez pas nier l’autre…
- Je ne suis plus un... »
Le baron frappa du poing sur la table, et lâcha alors, sur un ton fort et bourru :
« Silence ! Un vulgaire paysan ne porterait pas une armure en ébonite, ni une lame en verredragon ! Et, à ce que je sache, il n’existe qu’une seule espèce d’individus qui puissent détenir un tel équipement !
- Un Corbeau Noir... » siffla Sheana en observant Cahir avec ses yeux envoûtants.
Un frisson parcourut Cahir, qui sentit derrière lui les quinzaines de flèches des archers et les dizaines de carreaux des arbalétriers viser sa nuque.
« Je sais qui vous êtes, Cahir. L’héritier des Ceallach, une prestigieuse lignée de guerriers ashnardiens. L’un de vos ancêtres siégea au Conseil impérial, et certains spécialistes en généalogie affirment que le sang du Premier Empereur coule dans vos veines... Même si j’en doute. L’héritier unique des Ceallach et des Mawr, famille connue dans l’Empire pour être la mécène des artisans et des artistes. »
Cahir ne répondit rien. Son visage était fermé, neutre, glacé.
« Vous étiez un Corbeau Noir, un guerrier d’élite, et vous avez tout perdu. Vous avez été accusé de haute trahison. Un procès très médiatique, vu l’accusé. Le Procureur impérial réclamait votre mise à mort, mais la cour impériale a préféré muer votre punition en déchéance.
- Ashnard est à nos portes lâcha le baron. Les troupes impériales sont encore loin, mais ces chiens galeux ont appliqué la même méthode qu’en Heldanie. Ils pourrissent le royaume de l’intérieur, en semant les graines de la révolte, en instaurant des blocus maritimes, en finançant des rébellions, et, quand leur armée débarque, nous devons capituler. »
Le baron énonçait là la stratégie classique de l’Empire. Une stratégie qu’on étudiait dans les académies impériales. L’époque où l’Empire se contentait d’attaquer tous les royaumes proches était de plus en plus révolue. La stratégie évoluait, car l’Empire ne pouvait plus se permettre de longues et coûteuses campagnes militaires, dans la mesure où l’essentiel de l’armée impériale était réquisitionné pour affronter Nexus. Partant de là, les généraux et les maréchaux déployaient de nouvelles stratégies pour affaiblir les cibles de l’Empire, et obtenir ensuite leur reddition. Cahir avait fait les frais d’une telle stratégie.
« Les Écureuils, poursuivit le baron, sont financés et entraînés par des Ashnardiens. Ce n’est pas une rumeur ! Les Ashnardiens ont relâché leurs prisonniers, un forban heldanien, un elfe cruel et impitoyable, borgne. Iorveth... La peste soit de cet elfe ! »
Le baron frappa sur la table à nouveau, comme si ce simple nom lui hérissait le poil. Le regard du baron se porta alors sur Cahir.
« Vous ne pouvez revendiquer aucune protection, de quelque nature qu’elle soit. L’Empire vous a retiré sa nationalité, et vous n’en avez plus. Je pourrais vous tuer d’un seul claquement de doigts, et personne n’y trouverait à redire. A peine arrivez-vous chez moi que vous vous empressez de libérer mes prisonniers. »
Cahir ne dit à nouveau rien, comprenant.
« Nous sommes venus pour les mille pièces d’ors... »
Le baron ricana alors, balayant l’idée d’un revers de la main.
« La prime a été annulée. Si vous ressortez de la ville sans être raccourci, vous pourrez vous estimer chanceux ! Vous m’appartenez, guerrier. Vous avez remis en cause ma justice, ce qui n’est pas acceptable !
- Votre justice est critiquable à bien des égards...
- Aucune justice n’est parfaite, mon cher. Mais cela n’a pas d’importance. Vous voulez mille pièces d’ors ? Vous voulez de l’or, c’est ça ? »
Le baron hocha la tête, et claqua des doigts. Un garde amena alors une autre affiche, et Cahir la regarda. Ses yeux s’écarquillèrent de stupeur, si tant est qu’il dut relire à plusieurs reprises l’affiche.
« AVIS DE RECHERCHE »
Sous ce titre, on pouvait voir l’image d’un elfe. Un elfe assez beau, mais qui avait un bandana regroupant une partie de sa tête. Son seul œil valide émettait une arrogance et une inébranlable fierté. Cahir lut la description :
« IORVETH, né en un jour inconnu, au visage défiguré par les interrogatoires que les autorités heldaniennes lui ont fait subir, est recherché mort ou vif pour la somme de 10 000 pièces d’ors. »
« Dix mille pièces d’ors... » souffla Cahir.
Il tendit l’avis de recherche de Louane, n’en revenant toujours pas.
« Je veux que vous trouviez Iorveth, et que vous me rapportiez sa tête. »