Ashnard... La ville rêvée des hommes de pouvoir. Pour un Dieu du Chaos connu aussi bien sur Terre et Terra qu'aux Enfers, c'était un patelin plutôt sympa. Tout le monde obéit à une seule personne, et comme cette personne n'est jamais qu'un Mortel, elle se doit de la boucler et de faire profil bas quand un Dieu est dans la place. C'était comme ça que Kyô voyait les choses et c'était comme ça que ça devait marcher. En principe...
Le truc, c'est que Kyô n'était pas le plus célèbre des Dieux, même les léporidés ne lui vouaient un culte qu'inconsciemment. Et que les humains haut placés ont tendance à se croire l'égal des divinités. C'était pour ça qu'il était là, l'enfant rebelle d'Artémis, le Sanctus Tenebris, lui, Black Heart Kyô. Il valait mieux rappeler que le meilleur des Mortels ne pouvait rien face à la puissance d'un Dieu de l'Olympe.
Comme à son habitude il voyageait en volant, parce que c'était plus rapide, que ça ne faisait pas mal aux pieds, et qu'on ne perdait pas son temps avec les bestioles pas comestibles des contrées du Chaos. Il arrivait vers l'Ouest de la ville, et le spectacle qu'il aperçut en-dessous de lui le surprit. L'utilisation d'explosifs, c'était courant, mais les armes à feu, c'était aux tekhans et aux terriens. Depuis quand Ashnard possédait un tel arsenal? Il restait debout, à environ 300m du sol et cheveux au vent, observant le grabuge qui se déroulait sous ses pieds. Des soldats contre des civils armés. Il serrait les dents sous son masque, sourcils froncés. C'était quoi ce bordel? Une chose était sûre, c'était le Chaos. Et le Chaos, c'était son truc. Son rictus contrarié se changea en sourire prédateur. Il posa sa main gauche sur le dos de son poing droit, et glissa le long de son bras enflammé jusque son épaule. Le mana noir doubla de volume, il était temps de se prêter au jeu.
Il plaça son poing en retrait et descendit à la verticale, laissant une trainée de flammes noire et rouge derrière lui, comme la queue d'une comète. Alors qu'il allait atteindre le sol, un marchand se mit sur sa trajectoire. Tant pis pour lui.
Le Dieu abattit son poing sur la tête de l'homme armé, tête qui s'écrasa par terre. De la poussière s'éleva, on entendit le bruit d'un grand fracas. Tous les hommes aux alentours furent projetés, surpris, certains se cognèrent d'autres tombèrent les uns sur les autres. La fumée se dissipa rapidement, laissant apparaître un cratère de plusieurs mètres de diamètre. Au milieu de ce cratère reposait le cadavre d'un homme dont la tête avait été réduite en bouillie. Son arme avait été brisée comme un cure-dent par l'homme qui sortait de la zone où le sol s'était affaissé. Cet homme portait un vêtement noir et déchiré avec des bandages qui parcouraient son corps et lassaient apparaître ses yeux étincelants et rougeoyants comme ceux d'un Démon. Ses longs cheveux noirs corbeaux s'agitaient au gré du vent, alors que la flamme sombre qui semblait demeurer sur son bras sans s'en nourrir elle dansait beaucoup plus vivement. L'homme frappa du poing au creux de sa main, parcourut les alentours et frappa son poing au creux de sa main. Il s'exprima haut et fort:
"Alors les débiles, on fait la fête sans Moi? J'apporte... Le feu d'artifice final!"
Il tendit les bras vers le bas, mais à demi fermées. Une épée courte dotée de quatre dents aussi pointues que tranchantes, avec une lame noire et blanche se matérialisa soudain dans sa main droite, alors que de la gauche semblait jaillir comme un jet d'eau une chaîne sombre de la même consistance que sa flamme, mais plus solide. Il releva son épée:
"Allez, venez! Je ne crains personne!"
Personne...
La stratégie du Dieu était on ne peut plus simple: la bonne vieille méthode bourrin. Alors que certains semblaient former une trêve inavouée pour s'en prendre à lui, les moins cons continuaient de faire ce pourquoi ils étaient là. La plupart des hommes qui venaient à sa rencontre utilisaient des armes blanches ou contondantes, les autres n’ayant juste pas la bonne ligne de vue pour réaliser un tir satisfaisant. Alors Kyô s'y donnait à cœur joie, les plus malchanceux étaient balayés par de puissants coups de chaînes, alors que ceux qui arrivaient à lui étaient en grande majorité dépecés avant d'avoir pu frapper. Les autres frappaient dans le vent, ne sachant prévoir les habiles acrobaties et pirouettes ahurissantes que Kyô exécutait pour éviter chaque coup. Il arrivait parfois qu'une chaine sorte du sol à proximité de la divinité pour bloquer les coups et expulser les gêneurs. On entendait le Dieu démon rire et pousser des petits cris de joie en déchiquetant la chair et en faisant s'écouler le sang. Ils arrivaient de plus en plus découragés, jusqu'à ce que tout s'arrête. On entendit un grondement, la terre s'affaissa par endroits et beaucoup se firent ensevelir. Tous les combattants autour de Kyô s'interrompirent en même temps que lui pour voir ce qui se passait, partageant la même pensée: c'est quoi ce bordel?
Plus aucun bruit, à part les quelques marchands qui se battaient avec les soldats plus loin, et un type qui hurlait en se tenant le pied. Silence. Et un coup de feu.
On l'entendit résonner un petit moment. à une vingtaine de mètres derrière Kyô un homme tenait sa carabine en tremblant. La balle s'était logée dans le cœur de Black Heart Kyô, perçant son dos. L'attention revint à lui et les hommes souriaient. C'était fini. Fini? Le Dieu avait la tête baissée, il expira un long moment. Était-ce son dernier souffle? On aurait dit qu'il allait tomber.
Cette fois-ci la terre gronda plus fort, elle commençait à trembler. La flamme de son bras était plus dense et plus dangereuse, on aurait dit qu'elle était née du plus profond des Enfers. Tous furent emplis d'une sensation extrême de danger, comme si la simple présence du fils d'Artémis était présage d'une mort terrifiante, comme si croiser le regard rouge de cet homme était souffrir de mille morts atroce. Ce pressentiment n'était pas totalement faux. Les bandages dans son dos se teintaient rapidement de rouge, on pouvait clairement voir le trou dans son dos. Mais il n'était pas mort, non. Il recommença à respirer, même si ça lui était superflu, et commença à parler...
"Sais-tu..."
L'homme à la carabine laissa tomber son arme à ses pieds. La voix de Kyô lui avait comme transpercé l'âme. C'était à lui qu'il venait de s'adresser, ce monstre, cette entité effrayante! Il en avait si peur qu'il en mouilla ses chausses, si peur que son dos et ses tempes en étaient trempés de sueur. Il croyait étouffer. Et ce fut pire lorsque deux chaînes apparurent sur ses côtés, s'enroulèrent autour de ses poignets et le soulevèrent du sol. Deux autres chaînes venaient en faire de même avec ses chevilles. Il criait, tous les autres le regardaient. Il demandait à ses compagnons, "Tuez-moi, tuez moi, vite!", mais aucun n'osait bouger. Les chaînes commençaient à tirer sur ses membres. Kyô s'exprima sans même se retourner vers lui.
"Sais-tu à quel point une balle en plein cœur est douloureuse?... Non, tu ne sais pas. Vous les Mortels n'y survivez pas assez longtemps pour savoir. Et tu veux savoir ce que ça signifie quand un Mortel verse le sang d'un Dieu? C'est un blasphème. Et cela t'oblige à te repentir. Souffre au nom de ma vertu divine!"
Les chaînes l'écartelaient. Il hurlait, il sentait ses os craquer, ses tendons lâcher, ses muscles se déchirer. Et les autres étaient trop lâches ou trop apeurés pour supplier Kyô d'arrêter. L'homme s'égosillait tellement qu'on aurait dit qu'il allait en vomir ses entrailles. Et à son grand soulagement, sa chair céda enfin, ses bras et ses jambes qu'il haïssait depuis une longue minute se détachèrent de son tronc, et il tombait en se vidant de son sang. Il se sentait partir, enfin, il en souriait presque. Mais les liens noirs qui le maintenaient s'empressaient de le flageller pour l'aider à crever plus vite. Un vrai massacre.