Lynn x Grayle
La Course éternelle
Il faisait frais ce matin-là.
Devant la ligne de départ, la brume avait emmené avec elle ses embruns de café tiède mélangés à la sueur et un soupçon d’excitation.
Lynn, un peu à l’écart, se faisait silencieuse.
La semaine précédant le départ, elle avait étudié les vidéos du parcours, consulté des blogs, suivi des conseils d’experts de la discipline à en perdre le sommeil.
Le moindre virage, le plus petit dénivelé avaient été assimilés, jusqu’à l’écœurement.
Cette capacité de concentration soudaine avait de quoi faire enrager ses professeurs et rougir de honte ses notes dépassant péniblement la moyenne.
Elle se sentait prête.
Du moins, autant qu’on puisse l’être pour une première fois.
Accroupie sur ses lacets qu’elle nouait fermement d’une main tremblante, ses yeux dérivèrent sur sa montre connectée.
BPM à 75. Correct mais un poil élevé.
Un désagrément.
Sa source, elle la ressentait tout autour d’elle, derrière son épaule et dans sa vision périphérique.
Ces regards dont elle ne maîtrisait pas la destination exerçaient comme un poids lancinant sur sa nuque.
Les pas sur le bitume s’arrêtaient derrière elle, certaines conversations animées entre amis cessaient, des murmures et des silences complices émergeaient. Par derrière, ces yeux étrangers glissaient sur ses épaules, s’accrochaient à son tour de taille dénudé et terminaient leur route sur ses fesses mises en valeur par sa tenue. Devant, par pudeur ou par lâcheté, on faisait semblant de ne pas voir le bijou qui plongeait dans le décolleté de sa brassière.
Même ici, dans ces montagnes loin de tout, sans aucun artifice et pour une course qui représentait le summum de la performance physique et mentale, elle n’était rien d’autre que la jolie fille.
L’ignorer était vain. Il fallait l’embrasser, en faire une force.
Alors, en paix avec ce constat, elle se décida à exaucer ces prières scabreuses.
Une fois ses chaussures bien nouées, elle se redressa en accentuant la cambrure de son fessier dans un geste fluide et clairement maîtrisé, une main accompagnant la lente remontée sur ses cuisses finit par se loger, poing fermé, sur une hanche.
La sa-lope ! hurlerait en silence son public médusé.
BPM à 69. Parfait.
Dans d’autres circonstances, ce nombre lui aurait arraché un sourire.
Les hauts parleurs grésillaient, signalant l’imminence du départ.
Lynn trottinait avec confiance à sa place, le plan de course bien en tête.
Avoir la tête haute, porter le regard au loin.
Aller à un rythme soutenu pendant les trois premiers kilomètres et, une fois en forêt, faire attention aux creux et aux glissades.
Et puis, il y avait aussi la pluie à prendre en com—
« …été débutants. »BPM à 117. Panique.
Le rouge des joues jusqu’aux tempes.
Son regard capta celui d’un visage étranger.
Un peu comme elle, mais européen. Un peu mieux, donc.
Ses cheveux en folie aux reflets blonds lui évoquaient un chérubin.
Oh, mais qu’avait-il dit ?
« So-sorry… I. Do… Not ? Speak Engri— »La peine à articuler qui faisait peine à voir.
Puis soudain, la réalisation, les yeux grands comme des soucoupes.
« Vous parlez japonais ? Vous. Parlez. Japonais. »PAN !Elle aurait aimé le connaître. Savoir pourquoi, comment, son vécu, ses peines et ses joies.
Mais ses réflexes de coureuse l’avaient devancée et elle disparaissait déjà dans le premier virage.