Putain, ça fait du bien !
Le souffle court, les mains sur les cuisses, Automne se sentait bien. En une heure, elle venait de courir une petite quinzaine de kilomètres, une moyenne plus que satisfaisante, surtout avec ses petites jambes. Évidemment, la douleur était bien présente, irradiant dans l'intégralité de ses jambes, débordant jusqu'à ses pieds ou encore son aîne. Mais quel plaisir. Elle qui galérait à trouver le temps de s'entraîner depuis quelques mois, voilà qui la rassurait sur ses capacités physiques.
Comme par hasard, voire même comme un signe du destin, son téléphone avait sonné la fin des hostilités au moment précis ou elle passait devant la plage, mais quel heureux hasard. Bon, pour être totalement honnête, la promenade longeant le bord de mer s'étendait sur plus d'un kilomètre, et elle avait sciemment calculé son parcours pour qu'il soit fort probable que le timer s'arrête pendant qu'elle était dessus, mais eh, c'est quand même un signe du destin !
A cette heure plutôt tardive, les lieux étaient plutôt déserts, seuls quelques promeneurs foulant le sable blanc de ce petit coin quasi paradisiaque. Il est vrai que la saison des feux de camps et des adolescents jouant Wonderwall sur leur guitare mal accordée, le tout rythmé par la douce mélopée des vagues s'écrasant sur les pylônes de la jetée, était terminée, laissant place à une arrière saison à l'atmosphère étonnamment douce. Rajoutez à cela les lumières dorées du ciel tirant par endroits vers le cuivre de l'heure dorée, et la joggeuse avait l'impression de se trouver dans une estampe.
Après avoir laissé le temps à l'acide lactique de quitter ses pauvres membres engourdis, non sans quelques étirements rapides dignes de son passé de gymnaste, elle se décida à descendre la volée de marche séparant la promenade de la plage. Ses chaussures a la main, ses pieds s'enfoncèrent dans le sable fin, encore tiède de cette journée ensoleillée. L'eau, comme attendu, était fraîche, presque froide, alors elle ne s'avança pas au dessus de mi-mollets. Dans cet instant, hors du temps, loin de son quotidien... Éreintant, elle revivait. Elle respirait. L'air iodé jouait sûrement un rôle important dans cette sensation, mais celle-ci était plus profonde qu'un bon bol d'air pur. Ce qu'elle ressentait, à ce moment précis, c'était la liberté. Toute relative, bien sûr. Mais pourtant nécessaire.
Après une dizaine de minutes à subir les affres d'une mer à treize degrés sur ses pauvres chevilles qui n'en avaient sans doute pas assez bavé avec l'heure de course qui avait précédé, Automne se décida à s'allonger quelques minutes, histoire de retarder artificiellement le moment fatidique du départ. Sa peau d'albâtre, si propice à prendre des teintes cramoisies à la moindre exposition prolongée (soit à peu près trente secondes dans son cas), ne craignait pas grand chose avec ce coucher de soleil. Heureusement, car sa tenue de sport, consistant en un short et un top s'arrêtant largement au dessus de son nombril, avait comme principale vertue de lui permettre de respirer plutôt que de la protéger des méchants rayons UV.
Ainsi, couchée sur le sable, les yeux clos, son esprit divaguait. Ca fait un bout de temps qu'il s'est rien passé de bizarre dans ma vie pense-t-elle, omettant le fait que son boulot d'escort lui réservait quand même pas mal de surprises. Je pourrais presque m'y habituer. C'était un mensonge. La polonaise savait pertinemment qu'elle était avant tout un aimant à emmerdes... Ce qui ne lui déplaisait pas, attention. Une vie mouvementée est une vie ou on a pas le temps de s'ennuyer, disait-elle souvent pour justifier sa capacité troublante à se foutre dans des situations improbables. Mais ce soir-là, c'était différent. Automne soupira. Elle était heureuse.