La fête des Moissons.
Serenos détestait les fêtes. Des moissons, des célébrations, les jours fériés du calendrier. Il détestait tout. Il n'avait pas le cœur à la fête. Il n'avait jamais le cœur à la fête. Mais il était obligé, à l'occasion, de faire effort d'apparition, simplement pour remettre un coup de fouet à la noblesse et leur rappeler qui était le patron. Son absence prolongée semblait donner l'impression à ces porcs de nobles que le Roi n'existait pas, et donc qu'ils pouvaient agir en toute impunité. Le voir, sur son trône, en surplomb, en train de les regarder et de les reconnaître suffisait normalement à rappeler que ce n'était pas le cas.
Le Roi avait même pris la peine de s'habiller. Plutôt que sa tunique décontractée et un pantalon sobre, il arborait une chemise blanche doublée d'un veston brodé d'argent et d'or qui traçaient le nouveau symbole de la famille royale, le Sombrechant. Son pantalon, fait de velours plutôt que de cuir, flottait sous la caresse du vent qui passait entre les colonnes du grand pavillon. Ses cheveux avaient été peignés, coiffés et huilés pour leur donner une allure reluisante. Sa barbe avait été soigneusement taillée. Des bracelets d'argent serties de joyaux noirs avaient été passé à ses bras, et une chaine d'argent auquel pendait un médaillon du sombrechant reposait sur son torse. Pour couronner le tout, Serenos était tout simplement royal dans son apparence.
À sa droite, Grymauch avait son énorme sourire habituel, flanqué de son frère. Les frères ne pouvaient pas être plus différemment vêtus. Le premier, princier dans son choix de tenue, était à la hauteur de son titre, avec une longue cape d'apparat noire sur les épaules. Sa tenue reflétait les traditions de sa nation maternelle, avec des peaux d'animaux sauvages, couvrant presque l'intégralité de sa musculeuse carrure. Aldericht, pour sa part, portait une robe traditionnelle. Le vêtement, léger, couvrait son corps en entier, à l'exception de son torse musculeux, que le vent semblait presque chercher à dévoiler davantage.
Meredith, à la gauche du Roi, était sans ses maris. Ils étaient de la famille royale, certes, mais par alliance seulement, donc ils ne pouvaient pas se trouver aux côtés du Roi. Comme toujours, elle était vêtue d'une robe chatoyantes, rouge comme une rose, des guirlandes et des bijous dorés brodés à même la robe. Elle portait un bandeau, passé autour de sa poitrine, ainsi qu'un grand voile diaphane rouge qui flottait doucement derrière elle. Avec une main autour de sa taille, Aurora avait même retiré son armure pour une tenue plus confortable. Un pantalon noire et une chemise aux manches bouffantes, ses cheveux attachés dans une queue de cheval.
Finalement, Laurelian.
Elle non plus n'était pas là par plaisir. Par responsabilité. L'ancienne esclave Ashnardienne devenue princesse aurait bien préféré rester dans sa chambre à inhaler les fumées enivrantes et dans les bras d'un compagnon. Ou de deux. Honnêtement, n'importe quoi pour oublier où elle était. Mais elle était une princesse, et dans ses quelques responsabilités, au terme d'une énorme séance de négociations, elle avait accepté de s'engager dans les responsabilités d'apparat. Les fêtes en faisaient partie.
Nadeau, l'assistant du Roi, s'éclaircit la gorge, arrachant le Roi à son apathie habituelle en lui tendant une coupe de vin.
Celui-ci soupira, puis se releva lentement du trône, avant de saisir la coupe de vin offerte, et la leva bien haut. Rapidement, il fut imité par tous les nobles dans l'assemblée.
"Aujourd'hui, nous célébrons les moissons. Nous célébrons que chaque Meisaen rentrera chez lui et chez elle avec un estomac plein. Nous célébrons la génération qui nous suit, et les générations qui nous précèdent. Je salue mon peuple, et le célèbre avec vous. Aha'tale."
Les nobles répétèrent le souhait du Roi en levant leur coupe plus haut, et Serenos jeta la sienne aux pieds du promontoire. La coupe de verre éclata à l'impact, répandant son contenu au sol, et Serenos retourna s'asseoir alors que les nobles commençaient à boire, et que la musique se lançait.
Les princes et princesses de Meisa dégravirent les marches qui les séparaient des nobles et se mêlèrent à eux.
Serenos posa sa tempe contre son poing, assis sur le trône, dans une démonstration visuel de son désintérêt pour les activités du bal.
"Vous devriez danser, Sire," l'encouragea Nadeau.
"Volontiers, tu veux être mon partenaire?" rétorqua le Roi d'un ton froid.
"Non. Je crains que vous ne cherchiez à me briser les pieds."
"Je vois que tu apprends de tes erreurs."
“Le monde est un grand bal où chacun est masqué.”
Vauvenargues
Le Manoir du Duché de Saffran était en ébullition. Depuis de longues semaines les servantes s’activaient plus que de raison pour un simple bal. Tout du moins était-il simple pour Myrella. Mais bon ces filles de la campagne qui lui avait été assignées, c’était la première fois de la décennie qu’elle ne refusait pas sèchement une invitation. Tout avait été soigneusement ignoré. Les demandes des nobles, de la nouvelle famille royale. Les invitations aux bals, aux mariages, aux célébrations diverses et variées. Myrella s’était occupée de son duché avec une dévotion que personne n’aurait pu lui retirer.
Mais cette année serait différente. Myrella n’était plus une simple princesse, jeune et ingénue. Il y avait des choses qui devaient changer. Son plan paraissait enfantin mais simple. Maintenant qu’elle s’était bien éclipser pour remonter le Duché qu’on lui avait imposé, maintenant qu’elle s’était éloignée du Palais et de la vie de noble, il était temps qu’elle revienne. Après tout, qu’elle soit Duchesse ou Princesse, Myrella avait toujours aimé l’inattendu. Si elle allait à la fête, cela pouvait être drôle non?
Alors elle avait débauché divers artisans, de la couturière au bijoutier, de la maquilleuse au cordonnier. Elle était partie avec sa Dame de Compagnie, son lion et son tigre blanc en direction du Palais. Elle s’était changée sur le trajet et s’était couverte d’une longue cape bleu nuit opaque afin de cacher sa tenue. Elle avait une longue jupe noire ornés de papillons qui semblait presque s’envoler quand le tissu remuait. Sa poitrine était couverte d’un soutien-gorge satiné, ses épaules d’épaulettes en or, façonnées comme des écailles qui maintenait une cape en tulle.
Mais l’oeil aguerri le verrait à son visage que la jeune femme n’est pas apprêtée pour une vie quotidienne de gens du peuple. Sur son crâne un bijou tombait, orné ci et là d’émeraudes que l’on retrouvait aussi sur le voile qui couvrait son nez, sur ses boucles d’oreille, l’une de ses bagues et même sur un léger bracelet de chevilles majoritairement recouvert par la jupe longue qu’elle avait choisi. Myrella laissa Cassie coiffer sa crinière ébène en une longue natte. La Dame de Compagnie ne comprenait pas. Il lui semblait illogique que sa Maîtresse veuille à ce point finir dans une de ses soirées qu’elle a tant pu dénigrer. Dame Myrella avait forcément une idée derrière la tête. Dame Myrella avait toujours une idée derrière la tête.
Comme lorsqu’elles arrivèrent. Si Cassie n’était pas rassurée, force était de constater que Myrella, elle, sembla parfaitement à l’aise lorsque sa drogue fut consommée et sa cape retirée. Peut-être que la pipe de tabac l’avait aidé à rester calme, la fumée de cette drogue étant connue pour favoriser cet état d’esprit. Alors que pour la Duchesse, elle était accompagnée de son tigre blanc, une rareté, un danger, un allié de poids dans cet endroit qu’elle redoutait. Des années sans complots rouillaient même la meilleure des têtes couronnées… Alors pour elle, entrer dans la salle de bal avec un allié (deux si on comptait le lion qui accompagnait Cassie), masquée, c’était une certitude d’être visible mais de ne pas trop détonner. Tout du moins l’espérait-elle.
Revoir la famille royale lui fit quelque chose. Elle avait de vieux souvenirs qui ressortirent quand elle croisa le regard de Serenos. Elle en sourit. Elle devait faire face à cela. En tant que Duchesse et plus en tant que Princesse. Elle s’inclina respectueusement, la révérence étant plus adressée à Grym qu’au Roi. Le tigre venait de lui et, quelque part, Myrella était ravie de pouvoir lui montrer comment il avait raison de lui faire confiance en lui offrant ces animaux.
Après le petit monologue du conseiller du Roi, Myrella leva sa coupe. “Aha'tale”. Elle n’eut pas le temps de vraiment boire que Grymauch passa à ses côtés pour la saluer. Il était le seul à l’avoir vu grandir et à connaître ses formes. Elle discuta quelques instants avec lui avant qu’ils ne se mettent à parler animaux. Le temps de leur discussion et les danses débutèrent.
- J’imagine que vous ne nous faites pas grâce de votre présence par nostalgie, puis-je espérer comprendre ce qui nous vaut cette vision?
- Par amusement Grym. Il n’y a que ça qui puisse importer. Dis-moi, tu as déjà vu ton père danser?
L’homme sembla surprit de la question et la laissa filer entre ses doigts. Le tigre suivit sa maîtresse du regard, se décalant pour ne jamais la laisser trop loin de lui. Il se rapprocha un peu plus du Roi en observant sa Maîtresse s’abaisser devant lui en souriant.
- Mon Roi, depuis des générations nous autres Mesaiens célébrons par la danse. Le peuple vous remercie de votre générosité pour leur panse et vous honore de la vie en Meisa. Pour vos invités et que leur souvenirs de cette fête soit impérissable, mon Roi, me feriez-vous l’honneur de m’accorder une danse?