Ahurissant. Complètement ahurissant. En ouvrant les yeux, la jeune détective n’avait vu autour d’elle rien d’autres que des paysages, certes magnifiques, à perte de vue, perdue au beau milieu de nulle part. La faune et la flore sauvages s’étaient développées sans mal, comme immaculées de l’empreinte de l’Homme. Aucune trace de l’humanité à l’horizon, et son téléphone ne semblait même plus vouloir d’allumer. La belle aubaine. Récemment la technologie était plus contre elle qu’autre chose. Son plus gros souci à cet instant n’était pas le lieu mais plutôt comment était-elle arrivée ici ?
Réfléchis Aeliana, réfléchis.
Se motiver à voix haute en faisant les cent pas n’était pas anodin pour la jeune femme qui arrivait à mieux se concentrer de cette manière. Elle ôta d’ailleurs ses sandalettes qui lui faisaient terriblement mal, les posant plus loin, pour sentir l’humidité de l’herbe et de la terre caresser la voute de ses pieds. Un ancrage avec la réalité. De ce qu’elle se souvient, elle était en jour off à se balader dans le parc de Seikusu. Elle se souvenait avoir croisé un jeune couple avec leur poussette près du point d’eau, un akita qui courrait dans l’étendu verdoyant en ramenant sa balle à son maître et même des jeunes qui se faisaient une bataille d’eau. Ensuite, elle a continué de marcher jusqu’à se poser au pied d’un conifère dont elle ignorait complétement le nom pour y lire un livre sur la langue japonaise, jusqu’à s’endormir. Livre qu’elle n’avait d’ailleurs plus… Pas plus que son sac à main. Puis le trou noir.
Machinalement, elle mordillait l’ongle de son pouce. L’avait-on kidnappé ? Dans quel but ? Peut-être qu’à force de fouiner un peu partout, elle se serait attiré les foudres d’un individu mal intentionné. Aeliana savait qu’un jour cela pourrait arriver… Mais pas comme ça. Pourquoi l’avoir emmenée dans un autre lieu ? Normalement, il y aurait dû avoir des traces de violences ou de la torture ou au moins être attachée. A sa connaissance, elle était indemne à en juger par l’impeccable robe ivoire à volants, si ce n’est déboussolée et un peu groggy. Face à l’incompréhension, elle se sentait perdre pied face à la situation préférant avancer que de rester statique. Un criminel retourne parfois sur la scène du crime. Elle prit le peu d’affaires qu’elle avait, à savoir ses chaussures et son téléphone, avant d’avancer à l’aveugle dans une direction.
Les rayons lumineux du soleil commençaient à battre leur plein sur sa peau de porcelaine qui commençait à réagir en rosissant. Ah il était clair qu’en Angleterre le temps était bien plus doux qu’ici. Les minutes, peut-être même les heures défilaient, et toujours aucune trace de civilisation ni d’une quelconque personne. Pas même l’apparition de liens de la destinée. Pire encore, sa gorge commençait à se déshydrater, peinant à déglutir, il lui fallait rapidement trouver un point d’eau avant que cela ne dégénère. Enlevez-lui son portable et son confort, une citadine perdue dans la nature n’a visiblement aucune chance de survivre. Cette phrase qui lui passait en tête eut pour effet de la faire sourire amèrement. Allons bon, Aeliana Rozenthal était-elle du genre à se laisser abattre par si peu ? Absolument pas, le destin ne pouvait pas lui être si cruel, pas envers elle en tout cas. En revanche, il était indéniable que cette étoile ardente à son paroxysme aurait raison d’elle à tout moment, et c’est sous l’ombre d’un arbre qu’elle vint se réfugier pour se reposer quelques instants. Elle était assise sur ses genoux, dans une forme de torpeur méditative à se concentrer sur la douceur de l’air qui semblait apaiser légèrement son corps et son cœur meurtris. Tout semblait si calme et si paisible ici, les sifflements des oiseaux, les êtres les plus infimes de cet univers qui vivaient leur vie tranquillement, déplaçant des feuilles mortes. Peut-être était-elle tout simplement en train de rêver et qu’elle finirait par se réveiller.
Réveiller, tel était le mot lorsque son cœur rata un battement à la vue d’un simple fil qui finit par s’évanouir dans la nature, bondissant alors sur ses deux jambes avec une spontanéité qu’elle ne soupçonnait pas. Les oiseaux qui s’envolèrent ensuite et l’angoisse impression d’être observée par une personne tapie dans l’ombre, ne firent que confirmer ses pensées. La demoiselle n’était pas seule, il y avait quelqu’un dans les parages. Restait à savoir si c’était un allié… ou un ennemi. Cette dernière pensée l’obnubilait, cherchant désespérément du regard n’importe quel objet ou morceau de Dame Nature qui pourrait l’aider. Son pouvoir, aussi sympa soit-il, n’était pas vraiment fait pour l’offensive ou la défense directe mais plus pour la manipulation. Clairement, elle n’était pas sereine mais se refusait de le montrer, attrapant une pierre qu’elle maintenait cachée derrière son dos. A l’affut du moindre mouvement, du moindre bruit et du moindre mouvement qu’elle verrait. C’est d’une voix qui se voulait assurée et froide qu’elle s’exprima, les mains moites et le pouls tambourinant dans les artères de sa gorge et de ses tempes.
Qui est là ? Montrez-vous ! Ce n’est pas la peine de vous cacher, je sais que vous êtes là.
Si c’était son ravisseur, comment allait-elle pouvoir s’en sortir ? Peut-être était-il venu finir le travail. A cette pensée, son poing resserra le caillou qu’il contenait, plus déterminée que jamais à s’en sortir. Jamais elle ne se laisserait faire.