« Toutes les sorcières possèdent-elles une telle demeure ? questionne l’ingénue.
- La désires-tu ? »
L’embarras monte aux joues innocentes de l’apprentie, revêtu d’un manteau écarlate. Sa question est-elle si stupide ? Non. Sigrid, la matriarche, répète toujours qu’aucune interrogation ne l’est. Seulement, certaines paroles ignares méritent une claque.
Or, ma très douce Freya, tes méthodes d’enseignement diffèrent de ton aînée : aucune violence n’est tolérée ; pour peu que tu t’intéresses à ta pupille, tes mots sont empreints de hasard, assemblés, lancés sans gage de qualité ou d’intérêt pour ce rôle imposé.
« Entre. »
La poussière se soulève avec l’ouverture soudaine de la porte. Première, Astrid la sent la saisir à la gorge et provoquer une quinte de toux inarrêtable. La douleur se prolonge. Du coin de l'œil, elle observe ton perfide sourire, hausser la commissure de tes lèvres.
« Me laisserez-vous faire un peu de ménage ?
- Ne vole pas le travail des serviteurs. »
Du travail ? Comment peux-tu qualifier ainsi la négligence de tes- ton serviteur ? La rousse s’indigne à tes paroles mais n’ose venir apporter aucune contradiction.
D’ailleurs, où es ton chaton ?
Tu es bien capable de lui pardonner l’absence de ménage – peut-être car il est bien incapable de l’exécuter avec ses adorables coussinets, mais son absence en ta glorieuse apparition ? Impossible !
Ne connais-tu pas l’indulgence ?
L’âge te l’a fait perdre.
Vous quittez l’entrée, ton balai s’anime et Astrid pousse un vivat d’admiration.
Jusqu’où son innocence peut-elle bien s’étendre ? Ta patience s’amenuise.
A travers l’immense baie vitrée du salon, ton adorable chaton est visible, prélassé au bord de la fontaine.
« Qui est-il ?
- Mon prince, mon chaton : Prince Chaton.
- Un nom absurde.
- A l’image de son existence.
- L’affectionnez-vous ? Puis-je le caresser ?
- Touche-le et je te briserai les doigts un à un. »
La rousse déglutit et s’éloigne d’un pas effrayé.
« Tu peux au moins l’appeler. »
Un serviteur incapable d’apercevoir l’arrivée de sa maîtresse ne mérite son attention.
Maladroite, Astrid ouvre la porte et sort dans le jardin, baignée de lumière.
« Monsieur… Monsieur le Prince ! »
A l’intérieur, tu ne les quittes du regard… Et transmutes le chaton en sa forme humanoïde. Bien trop grand pour tenir allongé sur la maigre bordure du bassin, la moitié de son corps nu baigne dans l’eau.
Cette vue surprend l’ingénue dont le clameur brise la silencieuse quiétude des extérieurs.