Forêt Argentée – 11 Belphe 1445 CN
La forêt était complètement incendiée, causant une épaisse fumée qui rendait presque impossible de distinguer les environs. Les flammes étaient si fortes et propagées qu’à moins d’un miracle, qu’à moins d’une puissante averse, elles risquaient d’engloutir une bonne part de la forêt, si ce n’est son intégralité.
« Votre Majesté, l’interpella un de ses gardes, des mercenaires ont attaqués la Forêt Argentée. Ils seraient à l’origine de ces flammes !
-Des mercenaires ? se surprit le souverain de Meisa. De quelle troupe ?
-Je ne reconnais pas leur emblème, Sire !
-Pressons le pas. Essayons de trouver des survivants !
-Oui, sire ! »
La malchance semblait lui coller à la peau ; lors de sa dernière correspondance avec le souverain des elfes de la Forêt Argentée, il ne lui avait fait part d’aucun souci d’envergure. Il avait même offert une invitation pour une délégation Meisaenne sur leurs terres, une rencontre qui pouvait apporter de grands bénéfices à leurs contrées respectives. A la vue des flammes, cela ne pouvait que rappeler que de grands changements pouvaient se produire au cours d’une seule nuit.
Quoiqu’il en soit, il ne laissera pas impuni l’embrasement d’une forêt qui faisait part entière du commerce de Meisa ainsi que la perte d’un allié potentiel. Des années, des décennies de conversation pour amadouer ces seigneurs des bois, pour les convaincre d’ouvrir leurs portes au commerce et à la collaboration, et voilà toutes ces opportunités futures qui venaient de partir en cendres et en fumée.
Le Roi s’enfonça dans le cœur de la cité des forêts, qui n’était maintenant qu’un réseau de cabanes brûlées et de charpentes en pièce. Des corps, elfes et hommes, juchaient un peu partout, décriant la sanglante bataille et la soudaineté de celle-ci ; le nombre de corps elfiques était nettement supérieur à celui des humains. Dans un combat loyal, cela n’aurait pas été qu’improbable, simplement impossible ; les elfes des forêts n’avaient aucun intérêt à combattre au sol plutôt que dans leurs hauts arbres.
Les membres de la délégation Meisaennes se déployèrent dans toutes les directions, avec les trois mages ayant accompagné le groupe faisant office de lieutenant, car leur magie faciliterait les recherches, car capable de ressentir la présence d’êtres vivants.
Serenos prit le commandement d’un groupe de quatre hommes et se dirigea vers la sortie du village. Ses sens magiques réagirent immédiatement à une présence familière, une aura qu’il avait ressentie auparavant tant elle imprégnait les lettres diplomatiques ; le Seigneur des Elfes vivait toujours. À peine, mais il était indéniable que son âme n’avait pas encore quitté sa chair. Il accéléra le pas en direction du corps empalé par la hampe d’une lance de fer.
Le Roi de Meisa posa une main sur le dos de l’Elfe et déversa en lui sa propre énergie magique pour l’arracher aux griffes de la mort. Pour lui épargner une douloureuse agonie, la magie du Roi de Meisa bloqua toute sensation du Roi en deçà du cou. Le souverain elfique toussa bruyamment, à la limite de recracher ses poumons perforés, et cligna des yeux. Il tourna lentement la tête et son regard rencontra celui de l’humain qui l’avait ainsi réanimé.
« S-Serenos…
-C’est bien moi. Je ne pourrai pas vous maintenir en vie longtemps, seigneur.
Il était inutile de cajoler le vieil elfe à ce stade.
-Y a-t-il des survivants ?
-G…Galadriel… »
Sentant l’énergie du Roi des Elfes chuter drastiquement, Serenos dût redoubler d’effort et déchargea une nouvelle vague de puissance dans le corps du mourant, ce qui eut l’effet de le faire sursauter brutalement, comme si foudroyé. L’elfe gémit de douleur, cette fois, mais Serenos dût l’ignorer.
« Vers où ? le pressa Serenos en haussant le ton. Vite, seigneur, votre vie m’échappe !
-À l’ouest… à l’ouest… »
L’elfe s’immobilisa complètement alors que sa vie s’éteint aussi soudainement qu’une chandelle sous une bourrasque. Serenos dût immédiatement mettre fin à l’échange d’énergie, de crainte que l’elfe ne l’entraine avec lui.
Le Sombrechant n’avait jamais rencontré la princesse de la Forêt d’Argent. Tout au plus, il savait qu’elle existait, il savait son nom, et il savait maintenant qu’elle avait survécu. Vu le manque de corps d’elfes féminins, il ne pouvait en déduire qu’une chose ; les mercenaires qui avaient pris d’assaut ce campement n’avaient pas d’yeux que pour l’or, mais aussi pour le commerce. Aussi abject soit l’acte d’asservir autrui à sa volonté, il était commun pour nombre de commerçants et même de groupes indépendants de s’intéresser au rapt de jeunes femmes et hommes dans le but de les revendre comme esclaves, car de nombreux pays jouissaient d’une culture de hiérarchie où la valeur d’un individu se résumait à son rang social, et un esclave n’était rien sinon une autre classe à exploiter, ce que nombres de seigneurs n’hésitaient pas à faire.
Le Roi de Meisa retira la main du dos du seigneur elfe et transmit un message à ses hommes ;
« Cherchez des survivants et guidez-les vers le port d’Aurgonat. Achetez un navire et attendez mon arrivée. »
Il n’attendit même pas leur réponse avant de signaler à ses hommes de le suivre et il s’élança dans la forêt, se laissant guider par l’aura du seigneur elfe, qui perdurait sur sa fille.
Aux abords de la Forêt Argentée – 15 Belphe 1445 CN
Il devait l’admettre, mettre la main sur une princesse elfe habituée à la survie en pleine nature n’était pas une mince tâche, surtout lorsqu’elle était pourchassée par une troupe de mercenaires. À pieds ou à cheval, ces hommes avaient indubitablement fait affaire avec un mage, car pendant plus de quatre jours le Roi et ses soldats avaient pourchassés les traces laissées sur le sentier, et ils n’avaient rencontré qu’un seule personne ; un elfe laissé pour mort que le Roi avait dû achever pour lui épargner davantage de souffrance.
Ce n’est que grâce à la magie du Roi que les quatre gardes s’étaient rendu jusqu’ici, mais Serenos ne pouvait pas continuer beaucoup plus longtemps ; ses réserves d’énergie, bien que considérables, n’étaient pas infinies, et tôt ou tard, il devrait se reposer, mais cela ne l’empêcha pas de continuer à pourchasser ses proies ; il y avait certes une chance qu’il échoue, mais peut-être que sa persévérance serait récompensée s’il ne s’arrêtait pas.
Et récompensé, il le fut, en quelque sorte, lorsqu’il tomba enfin sur la troupe de mercenaires et leur proie. Quatre jours de chasse. Quatre. Comment osaient-ils le faire courir aussi longtemps ? N’était-il point le Roi de Meisa ? Ses côtes, ses poumons et sa gorge lui faisaient un mal de chien, et malgré tout, il n’avait pas fini.
Il ne savait pas ce que les mercenaires disaient, et il n’en avait que faire ; il ne parlait pas leur langue, et il n’avait pas envie de leur demander une traduction ; non, il voulait juste les empêcher de fuir.
Sans crier gare, le Roi s’élança et bondit. Son ombre attira l’attention d’un mercenaire, mais il n’eut pas le temps de dégainer son arme pour se défendre quand la lame du Roi s’enfonça dans sa gorge. Les quatre gardes royaux ne tardèrent pas à flanquer le groupe de vingt hommes, et la panique s’ensuivit.
La confusion était telle que les mercenaires ne savaient même plus qui les attaquait ainsi ; le Roi ? Un garde ? Un elfe ? Le commandant de la troupe ne savait que beugler des ordres à la limite de l’incohérence, tâchant de contrôler ses hommes qui voyaient leurs compagnons tomber un à un sous les assauts d’un petit quintette, mais la réaction appropriée, qui aurait été d’encercler ce petit groupe, lui échappa complètement, et au bout de trois courtes minutes de combat, tous les mercenaires avaient été éliminés.
Serenos prit le temps de respirer quelques minutes, avant de tourner son regard doré vers l’elfe qu’il venait d’assister. Elle semblait fatiguée, affamée et surtout en colère.
Lentement, il essuya sa lame sur le cadavre d’une de ses victimes et la rengaina.
« Vous devez être Galadriel, dit-il sur un ton calme. Je suis Serenos, une connaissance de votre père. »
Les rumeurs entourant la princesse elfique ainsi que les vantardises du seigneur des elfes de la Forêt d’Argent ne semblaient pas être exagérées ; Serenos n’avait que rarement vu une femme aussi jolie, elfe ou autrement. L’insistance des mercenaires à sa capture faisait beaucoup plus de sens maintenant qu’il posait les yeux sur elle ; une telle beauté valait un prix fort, assez pour acheter des terres et un titre de noblesse dans la plupart des domaines Ashnardiens, peut-être même en Nexus.
Cependant, bien qu’il ne crût pas possible pour lui-même de penser ainsi, il n’était guère le moment d’admirer la beauté de l’elfe. Ils avaient peut-être tué ses poursuivants, mais cela ne voulait pas dire qu’il n’y en aurait pas d’autres. Qui dit mercenaire dit employeur, qui dit employeur de mercenaires dit personnage fortuné, et un personnage fortuné ayant l’arrogance de mener un assaut surprise sur un peuple relativement pacifique signifiait un personnage puissant avec les ressources pour garantir le succès de son opération.
« Êtes-vous blessée ? Pouvez-vous marcher ? »
Il n’était pas surprenant pur le roi d’apprendre que la princesse n’était pas exposée aux affaires du pouvoir. Il était très difficile, après tout, pour des peuples capable de vivre sur des siècles et millénaires, de progresser en faveur de nouveaux mouvements de pensées. Parfois, un elfe rencontrait un humain et parlait d’idéologies et de philosophie, juste pour en rencontrer un autre, quelques siècles plus tard, qui était tout simplement outré d’apprendre que les elfes voyaient les humains de la même façon qu’ils l’étaient par-delà une dizaine de générations, alors que pour l’elfe en question, ce n’était qu’une équivalence de quelques semaines entre les deux événements. Pour cette raison, bien que les femmes étaient autrement mieux traitées dans la communauté elfique que dans d’autres, certaines mœurs, comme la position de la femme dans la société, prenaient un temps absolument inquiétant à changer.
Serenos savait qu’il ne pouvait pas parler des affaires étrangères, ou de leurs politiques. Ce n’était pas sa place de critiquer. Il se voyait, pour sa part, incapable de considérer priver ses enfants d’un savoir essentiel à leur survie, car étant Roi, tout ceux qui portaient son sang partageaient non seulement ses devoirs, mais également ses ennemis, et les garder dans l’ombre aurait semblé contreproductif.
Cependant, cela expliquait pourquoi son nom ne disait rien à la princesse elfique. Il ne put s’empêcher d’avoir une certaine tristesse pour elle ; des millénaires de vie qu’elle aurait pu consacrer à devenir l’une des figures les plus importantes du monde moderne, gâchées pour des raisons de réclusion. Pour les Meisaens, qui avaient une relative longue vie d’environ deux à trois cent ans, c’était une opportunité perdue. Mais, encore une fois, les cultures différentes avaient des priorités différentes.
Il la rassura, bien sûr, qu’il n’était pas bien grave qu’elle ne sache rien de lui.
Plus tard, dans les bains, elle l’aborda de nouveau, cette fois sur le sujet de la magie.
« Vous êtes très fort avec votre magie, c’est impressionnant pour quelqu’un qui n’en n’avait jamais vue. »
« Un des avantages d’être un sorcier comparativement à être un magicien, j’ai envie de dire. Mais j’ai toujours cru que les elfes étaient naturellement doués pour la magie. Peut-être qu’un jour, je pourrai vous présenter un tuteur. »
Serenos attrapa sa chemise au vol avec un bref ‘merci’, avant de la plonger dans la source chaude et la secouer vivement. Fort heureusement, elle n’était pas si sale. De fait, hormis le sang qui la tachait, le reste n’était que sueur et sable. Rien de particulièrement nuisible, finalement.
« La température est parfaite ! s’exclama l’elfe.
- Heureux de l’entendre, très chère ! » répondit le Roi, soulagé qu’elle eut un peu de plaisir malgré toute la tragédie.
Après avoir enlevé les quelques taches de sang et d’avoir fait trempé le vêtement quelques fois, le Roi le tordit fortement, puis le posa sur une pierre, à défaut de pouvoir le suspendre quelque part. Serenos resta cependant sur ses gardes, se tenant debout en utilisant l’eau chaude pour se débarrasser des saletés du voyage, s’immergeant la tête et frottant férocement son crâne pour se débarrasser de la poussière, des insectes, du sang et autres substances. Il décida finalement de retirer également son pantalon de voyage et de lui accorder le même traitement que sa chemise. Tant qu’à se laver, autant le faire dans le confort, après tout, maintenant que Galadriel ne pouvait pas être choquée de sa nudité.
C’est alors que Galadriel lui demanda comment il avait su dans quelle situation elle se trouvait. Pourquoi était-il sur place ? Est-ce qu’il avait vu le Roi de la Forêt Argentée ? Était-il vivant ?
Il comptait déjà lui dire toute la vérité, mais franchement, il s’attendait à pouvoir lui en parler un peu plus tard, une fois qu’ils seraient loin de la Forêt Argentée, d’où elle serait tentée de retourner sur les lieux du massacre pour trouver des survivants, chose qu’il s’était déjà assuré de faire, mais alors qu’il s’apprêtait à donner sa réponse et accepter les conséquences de son honnêteté, quelque chose attira l’attention de la princesse.
Lorsqu’elle lui dit avoir vu quelque chose dans le noir, le Roi de Meisa étira ses sens magiques dans toutes les directions. À l’image d’une grande toile d’araignée, il chercha chaque signe de vie dans les environs. Il s’élança à la suite de Galadriel, qui semblait avoir pris la décision de se jeter au-devant du danger, et se posta devant elle, se mettant immédiatement en garde et en alerte.
Elle sembla voir quelque chose de familier, et l’aura de la princesse s’adoucit immédiatement. Serenos comprit alors qu’il n’y avait pas de danger. Il s’agissait, visiblement, d’une petite créature avec laquelle elle était familière. Contrairement aux créatures sauvages, la plupart des bêtes domestiques ne percevaient pas l’énergie du Roi de la même façon ; plutôt que d’y voir un prédateur aux aguets, ils y voyaient plutôt un humain bien normal avec un mauvais caractère.
Comme les Meisaens étaient fort habitués à se présenter à nu, en raison des bains publics très fréquentés et appréciés par la populace, Serenos n’était lui-même pas embarrassé de se montrer dans son plus simple appareil. Cela ne l’empêchait pas, cependant, d’apprécier la beauté d’une autre personne, surtout d’une créature qui, selon nombre de Continentaux, avait inspiré les très sévères critères de beauté au sein de la population Ashnardienne et Nexusienne.
C’est avec force de contrôle que le Roi ne poussa pas sa contemplation plus loin qu’un coup d’œil curieux sur les formes élégantes de la princesse. Tel un admirateur devant une œuvre d’art, sa propre fascination charnelle ne se démontra pas, car plutôt que de voir la jeune femme comme un objet de désir, il la voyait comme une œuvre de beauté, un travail qui ressemblait la beauté surnaturelle des premiers êtres à avoir été créé par les Anciens.
Serenos, dans sa nudité, n’était pas ce qu’on pourrait appeler comme quelqu’un façile à regarder. Certes, son visage semblait avoir été épargné du pire de ses traitements, ou du moins s’était-il assuré de mieux protéger sa tête que le reste de son anatomie, mais son corps trahissait une vie dure et peu choyée. Les signes de torture et de violence ne s’arrêtaient pas à son tronc ; il y avait d’autant plus de cicatrices et de traces d’abus sur le reste de son corps, comme si quelqu’un s’était fait un plaisir de gâcher ce qui aurait pu être une belle représentation de fonction et de virilité, telle qu’elle soit.
Évidemment, cela ne le privait que d’une part de son charme. Il restait un homme foncièrement élégant dans sa forme. Il était simplement un rappel que la guerre… bah ce n’est pas joli.
Il sourit doucement et caressa la tête de la petite créature, ses doigts frôlant les marques de brûlure et les effaçant soigneusement. Évidemment, cela pointait à un autre problème, à savoir si les poursuivants de la princesse avaient des chiens de chasse, mais il décida de ne pas en parler pour le moment, avant de regarder la princesse dans les yeux.
« Je suis ravi de vous voir sourire, Galadriel, et que vous ayez retrouvé un ami. »
Et il le pensait sincèrement, car il ne se départit pas de son sourire.