Plus la lumière est forte...
Damien Thorn | Ethys Inoru
Damien se pliait parfois aux rituels de son groupe du moment dans la société mortelle. Chez les étudiants japonais, il y avait une hâte toute particulière à profiter de la vie à tous les niveaux entre les années rigides du secondaire et le reste de leurs vies, et il appréciait cette fuite désespérée vers l'inconnu et le petit vice. Il les trouvait touchants.
Il y a peu, il sortait ainsi avec une bande d'étudiants de son groupe, en partance pour la gare et pour Tokyo, quand une fille avait absolument voulu faire escale dans une petite boutique de pierres aux propriétés vraiment magiques. Il avait suivi, sans trop d'illusions, pour se retrouver au milieu d'un local rempli de cristaux vibrant d'une énergie que Damien, avec ses connaissances limitées de semi-mortel, ne pouvait que qualifier de miraculeuse, sans en ressentir les effets néfastes caractéristiques au fond de lui. Il avait examiné, écouté et finalement acheté un des objets, censé accorder une grande vitalité.
La soirée avait avancé, la nuit de fiesta était passée et l'after orgiaque avait fini par s'arrêter au profit du retour à Seikusu. Damien n'avait pas arrêté de penser à ce qu'il avait acheté, et il l'avait testé sur un de ses disciples. C'était extraordinaire ! Il connaissait, bien sûr, l'existence des démons, des anges et d'autres créatures, mais une telle magie... Seikusu était, décidément, bien riche en surprises ! Il était retourné discrètement à la boutique, une autre fois, avec des amis, et avait cette fois prêté attention à la propriétaire. Quelle surprise de se rendre enfin compte qu'elle n'était pas humaine ! Il émanait d'elle une aura de pouvoir lumineuse qui, malgré tout, ne le repoussait pas plus que ses produits, d'où le fait qu'il n'ait pas accordé d'importance à la kitsune en premier lieu.
Bien sûr, qui disait lumière chatoyante et bonheur disait aussi ombre profonde et malheur en vue. Le fils du Diable passa le reste du jour à songer à ce dont il avait été témoin et à réfléchir à ce qu'il devait faire de tout cela. Clairement, son Père lui aurait intimé de faire ce pour quoi il était sur Terre : ruiner l'espoir et la beauté. Mais comment ? Il y songea pendant la semaine suivante, mettant peu à peu un plan en marche.
Enfin, Ethys reçut une commande importante à faire livrer et, comme elle se mettait en chemin en début de soirée, une camionnette blanche la suivit à bonne distance. Elle approchait de sa destination, une maison solitaire dans un lotissement très isolé, quand la camionnette avait subitement accéléré, fermant la distance, et s'arrêtant brutalement. Des hommes cagoulés étaient sortis par la porte latérale et s'étaient saisis d'elle. Un large bâillon de latex s'était refermé sur sa bouche comme elle avait essayé de crier, et un sac opaque l'avait privée de la vue. Elle avait été soulevée, disposée comme un sac de patates à bord du véhicule qui avait redémarré aussi sec. Elle avait sûrement tenté de se débattre, en vain : les hommes ne lui avaient pas donné d'autre choix, sans la frapper, que de se retrouver attachée et entravée pour le reste du chemin.
Sans pouvoir voir, elle put quand même sentir qu'on la sortit en la soulevant par ses liens une fois le véhicule arrêté. Ils avaient marché un moment, mais, privée de certains sens, paniquée, le temps devenait certainement relatif.
Trois hommes entrèrent dans la chambre sombre, à la literie noir et acier brossé et à la fenêtre aveugle et barrée, où Damien attendait, assis, en fumant un narguilé d'allure industrielle. Il avait choisi cette piaule particulièrement froide et austère pour ne pas laisser à Ethys l'occasion de songer même que les circonstances puissent être moins terribles qu'elle puisse le penser. Ils posèrent le corps cagoulé et saucissonné à ses pieds, entre son fauteuil et le lit, avant de s'éclipser sans un mot ni un regard, fermant la lourde porte, capitonnée comme le reste des surfaces et d'allure carcérale, les séparant du monde extérieur.
L'Antéchrist sourit. Il était enfin dans son petit monde avec sa petite victime. D'abord, il n'émit aucun bruit, ne fit aucun son ; puis il tira doucement sur la pipe et souffla tranquillement de la fumée, faisant savoir aux oreilles de la renarde qu'elle n'était pas seule.
" J'ai beaucoup pensé à toi, " dit-il finalement avec calme. " Je me demandais comment répondre à ta seule existence. Et puis, j'ai compris ! Mais... Tu veux peut-être voir ? Ne bouge pas. "
Délaissant le fumoir, il se baissa près d'elle et desserra la cordelette serrant la cagoule noire. Il l'en débarrassa sans précipitation, mais sans ménagement particulier.
" Je vais t'enlever le bâillon, aussi. Crier ne sert à rien, personne ne t'entendra. Je te fais confiance pour m'appeler Maître et être sage. D'accord ? "
Il feignait la magnanimité mais n'avait aucune intention délicate envers elle. Il défit la ceinture du bâillon et le tira à lui avant de se réinstaller sur le fauteuil.
" Est-ce que tu sais qui je suis ? "