"That was a terrible idea, boy."
Un murmure exagérément sensuel vient de vibrer à son oreille gauche ; la voix d'une jeune femme, et son souffle tiède et discontinu, vibrant contre son pavillon. Un chuchotement tout ce qu'il y a de plus réel et, pourtant, s'il se retournait, même s'il scrutait les moindre recoins de la pièce, ou s'il parcourait les lieux en brassant l'air autour de lui, il ne trouverait rien d'autre que du vide et du silence : il n'y a personne d'autre que lui en ces lieux, il est bel et bien seul avec sa bière. S'il dispose d'un certain sang froid, il se peut qu'il réalise que la voix était porteuse d'un fort accent français.
La spectre, elle, l'observera en s'amusant de ses réactions, quelles qu'elles soient. Il faut dire que l’intrusion de Jalven l'a mise dans une humeur plutôt joueuse, même si cela n'était pas gagné d'avance.
Elle s'était d'abord sentie ronchonne, en étant réveillée par cet importun, le jour où celui-ci avait emménagé. Elle qui dormait depuis si longtemps qu'elle en avait perdu son unité, et que son essence commençait à flotter au hasards dans la maison. Assoupie depuis si longtemps qu'elle en était devenue soupe, tout simplement. Une masse d'ectoplasme sans masse, et sans rêves. Le retour à la conscience de soi avait d'abord été fortement déplaisante et l'avait rendue carrément ronchonne. Elle se serait jetée directement sur l'intrus pour le griffer et le mordre, si elle n'avait pas été si réticente à l'action durant ses premiers instants d'éveil.
Et puis elle l'avait observé s'installer, observant distraitement qu'il était français, lui aussi, sans lui porter grand intérêt, se demandant quel sort elle devrait lui faire subir. Jusqu'à ce qu'il ouvre son ordinateur portable, et que l'idée d'en apprendre plus la fasse approcher. La tête au dessus de l'épaule de Jalven, elle avait grappillé pas mal d'informations pour le moins croustillante.
Intéressé par les fantômes, donc !
Pas là par hasard, donc.
C'était bien la première fois que quelqu'un cherchait à la rencontrer volontairement. Elle avait "de la visite" en quelque sorte. Bien sûr le visiteur méritait une correction ; lorsqu'on rend visite à Narcisse, on ne range pas ses chaussettes dans le tiroir de la commode sans avoir demandé la permission. Elle avait donc décidé de le taquiner un peu, ce compatriote. Le fait qu'il soit là pour voir des fantômes était en quelque sorte une aubaine, car elle allait pouvoir s'amuser un peu avec lui sans pour autant craindre qu'il fuit à la première escarmouche.
Narcisse compte bien faire durer le jeu le plus longtemps possible, et c'est pourquoi, à moins d'un évènement imprévu, elle ne se manifestera plus de la soirée.