Le Descendum est un pouvoir très redouté par les sorcières elles-mêmes. Beaucoup le craignent et s'y refusent. Car une fois que l'on descend aux Enfers, le risque de disparaître pour l'éternité est trop grand. Cependant, Salomée est rompue à l'exercice qu'elle pratique depuis sa tendre enfance.
Le rituel s'avère très simple.
Dans une grande salle, au sein des appartements du dieu Vivec chez qui elle loge désormais une majeure partie du temps, la belle a disposé plusieurs cierges obscurs. Elle avait fait quérir préalablement une chèvre à sacrifier au milieu d'un pentagramme complexe tracé avec de la cendre. Ensuite, deux préposés avaient apporté son lit au-dessus du cadavre de l'animal immolé.
Lorsqu'elle s'étend au milieu des drapés de soie, la sorcière ferme les yeux et ses lèvres sensuelles articulent sombrement :
« Spiritu duce, in me est. Deduc me in tenebris vita ad extremum, ut salutaret inferi »
Son corps est soudainement soulevé, en suspension au-dessus de la couche.
La transe a débuté, et sa descente également.
Ici, dans la plus haute tour de Vivec, elle n'est plus qu'un corps inanimé. En réalité, le sortilège vient de la transmuter aux Enfers, où elle apparaîtra corps et âme. S'il se révèle qu'elle y soit blessée, elle en ressentira la douleur sur l'autre plan, mais sans la plaie.
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Pour sa nouvelle visite en Enfer, la demoiselle opte pour une tenue gracieuse : une robe (http://33.media.tumblr.com/42c1fd27a7a3d64b8b18012621493584/tumblr_n2tp97ux6F1t1n8g8o1_500.jpg) fourreau aux manches longues dont la partie supérieure est façonné d'un taffetas transparent. Le décolleté en V plongeant est recouvert de ce tissu indocile, et puisqu'elle ne porte aucun corsage, la liberté de ses courbes se réaffirme sous le satin léger.
« Oh, la Louve est de retour, la louuuve ! » répand une voix difforme dans les ténèbres. « Sauras-tu repartir cette fois-ci. Beaucoup ici te veulent....vengeance... »
Elle continue sa route, peu touchée par la tirade troublante. Mais le plaisantin la suit, quelques griffes se perdent dans l'immense chevelure de la sorcière : un nez crochu hume la senteur de sa crinière noire.
« Tu pues l'humaine ! La chair fraîche ! » halète le démon, ne retenant plus l'excitation générée par ses nombreuses faims. « Dis, dis signe un contrat avec moi....laisse-moi posséder ton joli corps....dans tous les sens du terme, dis ! »
Elle s'arrête, furieuse. Et d'une pensée, structurée par son pouvoir de télékinésie, elle envoie le malandrin cogner contre une paroi. Il grogne de douleur.
« Garde ta place, imbécile. Apporte-moi une lanterne et dis-moi dans quelle partie de l'Enfer sommes-nous ? » Sa voix est impérieuse bien que sensuelle. Sans doute bénie par une fée à sa naissance, elle ne saurait déformer sa voix ou bien la hausser plus que de raison. C'est à la fois une malédiction et un bienfait car son autorité en pâtit mais ses charmes n'en sont que plus renforcés.
La créature démoniaque revient de son choc en trottant. C'est un démon très mineur, un vagabond, qui se nourrit des restes laissés par les aînés. Toutefois, il a un nez que les autres n'ont pas. Ainsi, il aura repéré l'arrivée de l'intruse avant tous. Son corps est frêle, squelettique, nain et disproportionné comparé aux deux larges ailes plantées dans son dos. Somme toute, il est très laid mais très utile. Conciliant, il lui tend une lanterne en fer forgée au centre de laquelle reluit une orbe verdâtre qui illumine les alentours.
« Je sais que tu allais revenir, je sais ! Mon nez il a senti ! Le nez de Svur ne ment jamais ! Et je vais te dire où tu es.....tu es dans...LA MERDE ! »
Il éclate de rire, un ricanement sinistre qui secoue son petit gabarit entier.
« HAHAHAHAHA ! »
Alors qu'il remarque Salomée poursuivre son chemin, il se hâte de la rattraper, penaud :
« Mais...mais...c'est vrai. Tu n'es pas tombée sur le bon numéro cette fois-ci, la Louve. Tu es....dans le domaine Oriental....oh oui, oui ! Dans le pan oriental....ah ouais ! Ca rigole plus. »
Ce démon l'emmerde sérieusement, mais elle doit le supporter. C'est son seul guide pour le moment. Pan oriental ? Jamais entendu parler. Pour Salomée, l'Enfer est encore un lieu abstrait où le Diable partage en réalité son règne avec tant d'autres créatures. On ne sait plus vraiment qui fait quoi, qui dirige qui. Aussi, elle joue de ce flou permanent pour passer au nez et à la barbe des démons. Ses pouvoirs fonctionnent ici, et elle n'a jamais hésité à s'en servir malgré un ou deux échecs qui avaient, un jour, failli la réduire en poussière.
« Je vais te mener au Donjon, tu seras en sécurité là-bas, niark niark. Ici, dans les allées infernales....il n'est pas bon de traîner. » souffle-t-il, impatient, en se léchant les babines.
« Très bien, mène-moi. Si je suis satisfaite, tu seras récompensé. »
Et lanterne brandie, seule véritable arme face à la perdition dans les ténèbres, Salomée presse le pas et suit l'étrange énergumène.
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Un temps plus tard, après avoir traversé les dédales infernaux, échappés à la méfiance de plusieurs démons, le couple arrive au Donjon. Aucun démon-soldat ne veille les portes immenses, gravées de symboles occultes. Salomée présume que ce n'est pas une si bonne nouvelle que ça. Elle préfère ce qui est visible à ce qui est caché, mais devra composer avec cette tension de l'invisible. Même Svur garde le silence. En sentant son aura démoniaque, l'entrée s'ouvre et ils pénètrent dans la salle du trône. Le trône de qui ?
« Du Grand Duc... » répond son guide comme s'il lisait ses pensées.
Une longue allée bardée de colonnes historiées, sans doute de la roche brute – matériau solide que les rixtes de démons ne risquent pas d'endommager. Leurs pieds foulent un tapis pourpre, souillé de poussière et de décombres. Tout au bout de ce chemin, un trône érigé sur une estrade de....Salomée ne distingue pas bien, elle s'approche avant de découvrir : de cadavres frais. Svur ricanne ;
« Dès qu'ils pourrissent, hop, on change ! T'es en Enfer ici, chérie. Y'a que des démons ET des morts, arf arf ! »
Les marches pour atteindre le siège ducale sont façonnées d'os et elle grimpe, retenant élégamment une partie de sa robe pour ne pas s'empêtrer dedans.
« HEY ! Tu fais quoi l'humaine ? » s'indigne Svur, la queue caudale entre les jambes, horrifié.
« Vois-tu d'autres sièges ici ? Je suis une dame, la galanterie voudrait que je ne patiente pas debout. » raille-t-elle en prenant place sur le trône de roche, beaucoup trop grand pour elle. Bien droite, l'allure toujours impérieuse, elle darde de ses yeux clairs le démon plus bas, amusée.
« Aurais-tu peur Svur ? Pourtant, la seule chose que tu dois craindre est ma colère. Tiens, rends-toi utile et trouve-moi une couronne. »
« Que...QUOI ?! » s'étouffe-t-il.
« Et une belle. Un diadème de Grande Duchesse ferait l'affaire » se moque-t-elle à nouveau en dressant ses grandes mirettes azurées pour admirer le plafond ombré. La salle possède de belles proportions. Il serait possible d'y accueillir une armée – réduite certes, mais une armée tout de même. Elle remarque à sa droite un escalier sinistre qui doit mener aux étages supérieurs de ce « charmant » bâtiment.
« Déconne pas, l'humaine...si le Grand Duc voit ça.... »
« Mais le Grand Duc n'est pas là, par conséquent, il ne peut pas voir et même s'il l'était, je compte sur toi pour lui arracher les yeux. Aveugle non plus, il ne verrait pas. »
Elle se mord la lèvre inférieure, complaisante. Désormais, ses iris s'éclaircissent davantage et brillent d'un éclat surnaturel, prouvant sans doute son origine métissée. Svur glapit, terrifié.
« Je vais me faire tuer.... » gémit-il avant de prendre la fuite on ne sait où, ce qui contrarie énormément la belle. Quelle lâche vermine, pense-t-elle, en s'accoudant d'un côté du trône. L'absence de démons l'enchante et la contrarie à la fois. Sont-ils tous à leur pause déjeuner ? L'Enfer est si vaste qu'il est tout à fait probable que de temps à autre des endroits soient délaissés un moment. Et Salomée comprend que si aucun garde ne veille les portes, c'est que ce soi-disant Grand Duc ne doit pas passer beaucoup de temps dans son Donjon.
« Tant pis, j'en profiterai seule. » soupire-t-elle.
« Rectification. » corrige-t-elle plus sèchement qu'elle ne l'aurait souhaité « Les ennuis me courent après. »
Et affalée au creux de l'imposant trône, Salomée fait courir ses mirettes sur l'étrange oeuf. Elle n'est pas férue d'artefact mais il faut bien avouer que dans le domaine des arts occultes, ils sont parfois indispensables. Plein de surprises également car ils disposent d'une volonté propre et peuvent nuire tout autant que bénir. Aussi se méfie-t-elle de ces objets enchantés sur lesquels aucun contrôle ne peut réellement être assuré.
La tirade concernant Lucifer lui arrache un soupir exaspéré et une petite moue contrite. Ce faux-Père, que la majorité des démons se sont mis à vénérer pour....on ne sait trop quelle raison, songe-t-elle avec une pointe d'amertume. Une entité qui pue encore l'angélisme, ne serait-ce que par le nom de Lumière qu'on lui attribue.
« Sans blague... » marmonne-t-elle en levant les yeux au ciel, impertinente.
Néanmoins, le questionnement qui semble tirailler le beau diable le rendrait presque attachant. Au final, malgré son statut émérite et sa qualité de « noble », il quête toujours le pouvoir suprême. Elle écoute poliment et attentivement, cela dit : en profitant pour admirer les traits virils de son interlocuteur si sérieux.
Son émerveillement serait interrompu par l'arrivée impromptue de Svur dont Stephen prononce le nom. Immédiatement, elle se redresse et quitte son siège fétiche, sourcils froncés.
« Svur.. ? Mais... » Elle est soudainement coupée par l'ordre que Helel donne et se retourne brusquement vers lui. « Pardon ?! » fait-elle, choquée, en reculant jusqu'à heurter le trône qui la supportait quelques secondes plus tôt. Ses grands yeux lumineux cherchent soudainement une issue.
« Ou..oui...Monseigneur, Grandeur des Grandeurs, premier fils de Lucifier.... » s'incline hypocritement le charognard, plusieurs fois même devant son maître.
Et les goules se précipitent vers elle, la bouche emplie de grognements hâtifs. Elle fixe le Grand Duc, l'implore en silence de ne pas faire ça et secoue lentement la tête : sans résultats. Alors elle tente d'échapper à la poigne de ses anciens serviteurs, feule de rage et se décoiffe dans ses mouvements désordonnés et inutiles. La détresse noue sa gorge.
« Lâchez-moi ! » s'écrie-t-elle avant de déclarer forfait, épuisée.
Ce qu'elle ignore c'est l'insignifiance de Svur qui, dans leur sillage, a ramassé les différentes armes délogées par les sbires de Stephen. Les bras chargés de ces trouvailles, il fait le chemin avec eux, battant faiblement des ailes pour suivre leur rythme ; chemin ponctué de gémissements feutrés qu'occasionnent les palpations rudes des deux revenants. Ils l'accablent de tant de brusquerie qu'il arrive à la bougresse d'être ralentie dans sa démarche. Et sitôt qu'elle a le malheur de baisser le visage, réclamant un temps de répit, les striges s'avisent de lui remémorer sa place. L'un saisit salement sa crinière charbonneuse, le second tire sur son bras et ils la font avancer en direction des quartiers d'hôtes.
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Une fois les imposantes portes de la chambre ouvertes, elle est jetée sur le lit spacieux. Svur referme subtilement derrière lui et ricane sinistrement en tournant autour de la couche où les morts se sont déjà attelés à déshabiller leur maîtresse. Sa prunelle diabolique reluit de convoitise et il se délecte du spectacle. Son intelligence de rat lui permet rapidement de comprendre que tout se joue à son avantage. Si la sorcière perd ce combat, il pourrait toujours demander un récompense au Duc pour lui avoir amené une si jolie proie. Au contraire, une victoire de Salomée lui offrirait la possibilité de faire évoluer la mutinerie à laquelle il s'est jointe. Gagnant sur tous les tableaux, le petit démon s'octroie un moment de paresse devant le spectacle débauché.
La belle leur résiste, évidemment, ce qui ne la rend que plus désirable. L'affliction accentue son charme d'humaine et son chien révèle ses atouts de diablesse. Quand les goules l'auront bien amochée, pense-t-il lâchement, il en jouirait également.
«Svur ! » s'exclame-t-elle en tendant une main crispée vers lui, « Fais....han... » l'une des créatures vient de la retourner sèchement sur le ventre. « Quelque chose... » achève-t-elle.
« Oui...oui, je vais faire quelque chose... » réplique-t-il, les babines dévoilées, déjà prêt à se régaler.
Les mains nécrosées contrastent avec le derme pâle qu'elles malmènent à travers des caresses concupiscentes. Plusieurs fois sa chevelure sera saisie et les bêtes lui râleront l'ordre d'admirer leur laideur durant le coït. Ce dernier débute lorsque l'érection glaciale du premier défunt s'approprie l'intimité moite de sa victime dans une série de pénétrations pénibles pour la jeune sorcière. Installée à quatre pattes au milieu des draps, elle serre les dents.
« On ne t'a pas appris....qu'il y a des règles quand on veut jouer avec les morts, l'humaine ? » raille Svur, la sachant incapable de répondre car pour la maintenir en respect, l'autre goule a dégainé de son fourreau un glaive rouillé pour le pointer sous la gorge délicate de l'intruse. Au moindre faux mouvement, elle irait les rejoindre au royaume des damnés.
Quand elle desserre la mâchoire, c'est pour tenter de prendre la parole mais ses geignements plaintifs se succèdent, hachant ses mots à peine formés. Tandis que la créature continue de percuter sa croupe, increvable, elle aperçoit du coin de l'oeil ses dagues que Svur transporte.
Laborieusement, elle étire son bras et d'une simple pensée contrôle les lames. A la première tentative, elles frémissent à peine. Elle devra réitérer trois fois avant d'avoir un résultat concluant et diriger d'une onde télé-kinésique la pointe acérée des différents poignards en pleine poitrine de ses assaillants. Leur coeur, affreusement rappelé à la vie, est transpercé : fin du retour. Trop lentement à son goût, ils s'émiettent en poussière sanglante dans un long cri rauque et abyssal.
Pour le coup, Svur n'en revient pas.
« S..Svur... » susurre-t-elle d'une voix suave et enchanteresse. Désormais agenouillée sur le lit, le minois de la belle est occulté par ses cheveux sombres. « Viens...mon beau...»
Et le charognard s'exécute, contre sa volonté. Les charmes de Salomée étouffent chez lui toute velléité. Charmé par cette voix de sirène qu'il suit aveuglément, le petit démon grimpe sur le lit pour être accueilli par un baiser sulfureux. Distrait, il ne distingue pas l'humaine saisir le glaive rouillé, pas plus qu'il ne voit arriver le premier coup et ne verra les suivants qui lacèrent sa chair, expulsant des jets sanglants dont la sorcière sera bientôt recouverte.
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Le calme règne dans la suite dédiée aux invités.
Le cadavre du charognard gît au pied du lit ; son sang tâche la moquette et les meubles alentours.
Dans la pièce d'eau marbrée, la belle brune repose dans un bain mérité. A son arrivée, l'eau s'est teintée de pourpre, récoltant les gouttelettes d'hémoglobine qui souillaient sa peau délicate. Assoupie, lèvres entrouvertes, elle savoure un répit dont les songes sont hantés par l'image du Grand Duc.
"J'espère qu'il....reviendra..." murmure-t-elle doucement en souriant, la joue appuyée contre le rebord de la baignoire.