"Tu dois admettre qu'il est possible que dieu ne t'aime pas du tout. Cette nuit, on peut changer les règles."
Quartier de la Toussaint, samedi, minuit et demi. Les rues sont depuis bien longtemps désertées par les gens de bonne fréquentation, les familles, les vieillards et toute personne qui est au fait de la réputation de cette partie de la ville. Tout ici transpire le glauque. Des sombres ruelles aux vieux bâtiments désaffectés, des bars délabrés aux échoppes branlantes. Pourquoi, la Toussaint reste plutôt du genre très fréquentée les soirs de weekend. Plusieurs boîtes de nuit se font la part belle dans cet environnement plus que spécial. Mais elles ne sont pas simples à trouver, loin de là. Aucun grand panneau lumineux indiquant leur présence, aucune publicité en ville, aucun tract distribué par de jeunes filles payées une misère. Seuls les habitués du monde de la nuit savent où se rendre pour passer des soirées aux limites du cadre juridique légal.
Ce soir-là, une fine brise souffle sur la ville. Un lampadaire grille dans une rue de la Toussaint, un cri féminin résonne dans le lointain. Un silence pesant règne sur ce dédale de rues mal éclairées. Un groupe de jeunes japonais progresse à vive allure dans une rue. Ils sont près d'une dizaine, avancent d'un pas décidé. Après avoir tourné à plusieurs reprises, l'un d'eux stoppe net, et c'est tout le groupe avec lui qui s'immobilise. Le jeune homme -il ne doit pas avoir plus de 25 ans- tape quatre coups secs contre une porte noire, puis recule. C'est un homme imposant et vêtu de noir qui leur ouvre. Qui les observe une minute au moins avant de s'exprimer.
"Bienvenu à la Villa Noire."
Le groupe s'infiltre rapidement dans le bâtiment qui, d'apparence, n'a rien d'une villa. Noir, il l'est. Mais il vous fait penser à une usine abandonnée. Une vieille usine abandonnée. Aucun bruit n'en sors. Dedans, pourtant, c'est le choc. Une musique assourdissante retentit. La boîte de nuit est immense, regroupant plusieurs salles aux ambiances variées, mais toutes portées sur la musique electro. Les jeux de lumière sont impressionnants, si bien que les flash des écrans géants disposés sur les murs empêchent parfois de voir à trois mètres. L'endroit est un véritable aquarium, inondée de fumée de cigarette. Des corps semblant désarticulés se déhanchent, serrés les uns contre les autres, parfois à moitié nus. Contre un mur, deux jeunes femmes s'embrassent torridement, sans se soucier le moins du monde de ce que pourraient penser les autres. Car les autres font la même chose. Homme avec homme, femme avec femme, homme avec femme.
La minimal diffusée dans la Villa Noire ne laisse pas places à de cordiales discussions entre amis. L'alcool et la drogue coulent à flot. Sur une table en hauteur, un jeune homme, torse nu, relève la tête, le nez enfariné. Ses yeux se révulsent un court instant tandis sur deux de ses amies s'embrassent entre elles. Quelques mètres plus loin, une serveuse blonde peroxydée fait s'envoler dans les airs un shaker, qu'elle rattrape au vol avant d'en verser le breuvage dans deux verres posés sur le comptoir. Pour un connaisseur, l'ambiance rappellerait presque une certaine scène d'un célèbre film d'Andy et Lana Wachowski.*
Toutes les ethnies se mélangent ici, et les japonais ne sont pas forcément en majorité. Au fond de la salle principale, un couple semble même en pleine action sur un canapé noir. Tout ici fleure bon la décadence et la vulgarité. Mais ils sont tous là pour ça. C'est au milieu de la foule transpirante que se trémousse, comme les autres, Jonathan Storm. Le jeune américain fortuné qui fréquente habituellement les clubs les plus chics de la ville est bien loin de l'image qu'il donne de lui. Fortement alcoolisé, et surement même drogué, il n'échappe pas à la règle de la soirée, et de nombreuses jeunes femmes saoules viennent se frotter contre lui.
* Le film en question est Matrix Reloaded. Et voilà la fameuse scène.
https://www.youtube.com/watch?v=n0rccPdNJ9A