Le Grand Jeu

Plan de Terra => Les contrées du Chaos => Discussion démarrée par: Ozvello Di Luccio le lundi 08 juillet 2013, 03:11:59

Titre: Le Torrent [Laura]
Posté par: Ozvello Di Luccio le lundi 08 juillet 2013, 03:11:59
« Ça n'est pas tout de te passer de tout préavis pour me faire quitter les terres de mes ancêtres…
–Tu as dit tout à l'heure qu'ils ne t'inspiraient que du désintérêt. Peut-on respecter des diables dont la fortune ne repose que sur la spéculation des biens ?
–… il faudrait aussi songer à guider mes pas. Dans quelle direction se dresse la grande ville de Nexus ? Je n'ai fais le chemin que deux ou trois fois dans ma vie, et je n'étais pas parti du même point.
–Et moi alors ? La dernière fois que j'ai mis le nez en dehors du lieu dont tu m'as tirée, la ville que tu évoques n'était encore qu'un pitoyable petit hameau, et sur ces terres vierges n'était tracé aucun sentier. Penses-tu que tes souvenirs remontent aussi loin que les miens ?
–Je te l'accorde, épée magique. J'espère reconnaître une route qui me sera familière… »


Cela faisait presque douze heures que le jeune homme randonnait à bonne vitesse. C'était le petit matin, le temps était couvert, il ne pleuvait pas, et la température fraîche était assez agréable pour les marcheurs. Malgré tout, le poids du chemin qu'il avait arpentée toute la nuit commençait à se faire sentir. Ses jambes s’alourdissaient, la fatigue s'installait. Les conditions devenaient de moins en moins idéales pour se quereller gentiment avec la rapière qui était devenue en peu de temps un ami déjà cher. Cela permettait de rompre la monotonie d'un voyage qui autrement, lui aurait paru bien long et bien morne… toutefois, le pas d'Ozvello faiblissait aussi sûrement que la qualité de sa discussion. Sa partenaire, elle, ne ressentait pas l'épuisement, et était toujours aussi vive à répondre par des piques.

« La perspective d'une auberge est trop lointaine à présent. Je ne vais plus pouvoir supporter un tel rythme. Mes membres sont lourds. Chère amie, il faut que je me repose…
–Un peu de pugnacité ! Tiens encore jusqu'au prochain pas de sept lieux, et sans doute nous apercevront la hutte d'un paysan qui nous fera une place près de son âtre. Ce sera autrement plus agréable que de dormir à la belle étoile, par ce temps. »


Ne pas paraître faible, voilà la seule volonté qui forçait le jeune homme à aller de l'avant, à faire fi de ses douleurs. Il souffrait de plus en plus, sa vitesse décroissait. Dans le quart d'heure qui suivit, il fit à peine un kilomètre. Enfin, à bout de souffle, il s'arrêta. Il ne se décourageait pas facilement, mais l'effort était trop important pour lui.

« Si je continue, je m'effondre. Je suis vraiment désolé…
–Les bottes sont prêtes pour un nouveau voyage ! Je sens leur aura revenir. Plus qu'un pas, et nous aurons fait un bon chemin.
–C'est d'accord… J'espère que nous n'allons pas dans une mauvaise direction. »


Comme l'avait prédit Caracole, le pas qu'ils firent les transporta sept lieux, soit quarante kilomètres, plus loin, et ce en une fraction de seconde. C'était une distance importante, toujours parcourue en stricte ligne droite et ils ne pouvaient prédire à l'avance dans quel environnement ils allaient apparaître. La perspective n'effrayait cependant ni le garçon ni l'épée, aussi inconscients l'un que l'autre. Au moment de la téléportation, l'horizon devint flou, comme soudainement étiré par la très grande vitesse instantanée qu'ils avaient. Enfin, le nouveau paysage se découvrit, et il n'y eut plus d'horizon du tout. Celui-ci était caché par des arbres, une végétation un peu dense qui évoquait un petit bois à défaut d'une forêt.

« À l'abri d'un feuillage, je pourrais faire halte. J'entends même le bruit d'un ruisseau proche. Est-ce que tu le vois ? »

Le bretteur voulut avancer un peu, et seul un craquement lui répondit. Sous ses pieds, un tronc couché, en mauvais état, surmontait à une altitude d'un mètre au moins un cours d'eau vif et profond d'encore un mètre cinquante environ. Le bois mort, mangé par les insectes et les vers, ne mit pas plus d'une seconde à se briser en deux sous le poids de l'adolescent, qui très surpris, tomba sans parvenir à se retenir. Si sa chute fut amortie par l'illustre poussée d'Archimède, sa jambe au niveau de la cheville heurta une des nombreuses pierres autour desquelles la rivière serpentait avec allégresse. La douleur fulgurante fut sans appel, et brouilla un instant la vue du malheureux. Un instant qui aurait pu encore lui servir à s'accrocher rapidement à quelque-chose. Au lieu de cela, il fut emporté par le courant rapide, et sa tête frappa à son tour contre une roche, l'étourdissant. Ses poumons se remplirent aussitôt de liquide.

« À moi ! » arriva-t-il seulement à cracher, très indistinctement.

Ses habits amples se gorgèrent, l'entraînant vers le fond, alors qu'il n'aurait eu dans des circonstances normales que tout juste pied. En plus de sa blessure au front, c'était surtout la puissance du flot qui l'empêchait de se rétablir… et ses forces avaient été épuisées par le voyage ininterrompu, étaient incapables de le sortir du piège aquatique. Le désespoir autant que la panique s'emparèrent de lui. Ainsi je meurs déjà, pensa tristement Ozvello entre deux efforts désespérés pour se sortir du torrent. Caracole, qui, elle, n'avait aucun besoin d'oxygène, préféra ne rien ajouter : l'eau, dans ses souvenirs, n'endommageait pas beaucoup l'argent.
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Laura le lundi 08 juillet 2013, 22:35:59
La mer. Laura voulait y retourner plus que tout. Ces dernières semaines avaient été maillées de mésaventures et de déceptions, et le mal du pays était soudain devenu insupportable. Elle n'en pouvait plus de ces villes faites de boîtes où on était constamment enfermé, qu'on ça soit à l’intérieur des boîtes ou entre elles, dans les "rues". Elle n'en pouvait plus non plus de marcher, que ça soit pieds nus comme maintenant, en pestant contre chaque cailloux lui agressant la plante du pied, ou dans des chaussures qui étouffaient atrocement les petons et donnaient à sa démarche une allure grossière. C'était d'ailleurs bien la différence majeur entre les humains et les Sirènes, au delà de leur habitat naturel respectif : les humain étaient grossiers. Qu'ils soient sales ou laids passerait encore ( elle le savait déjà avant de partir explorer le continent ), mais ces gens n'avaient aucun sens de l'esthétique ni de la poésie ! C'était navrant.

Où étaient donc les bâtisseurs conquérants qu'on lui avait décrits ? Quels architectes avaient donc dressé ces tours majestueuses autour et dans lesquelles des paysans crasseux s'abrutissaient d'alcool ? Même leurs femmes étaient le plus souvent de vulgaires pondeuses dénuées de toute grâce. Les jeunes filles semblaient pour une partie d'entre elle, et pour un temps, échapper à ce sort. Et puis quels que soit leurs effort, leurs âmes et leurs corps rentraient lentement dans le moule difforme de leurs ancêtres. Laura en était venue à penser que peut être il existait en réalité plusieurs races d'hommes. D'abord celle des marins grossiers mais aventureux, ensuite celle des paysans, dégénérée, et enfin celle des seigneurs, poètes, architectes, guerriers. Soit cette race avait disparue, soit elle était minoritaire et régnait sur les deux autres.

Ces spéculations la distrayaient tandis qu'elle marchait au bord de la rivière dans le sens du courant. Bientôt celle ci devrait être suffisamment profonde pour que Laura puisse s'y laisser porter sans crainte - car les Sirènes ne sont pas des truites, et le risque de se blesser sur un rocher était bien réel. Notre héroïne avait passé un léger manteau autour de ses épaules, dans le simple but de masquer sa nudité aux humains qu'elle pourrait éventuellement croiser. Un aspect bénéfique inattendu de cette toile était de permettre à sa porteuse de stocker ses aiguilles dans une poche, et ainsi pouvoir marcher les cheveux détachés, ce qu'elle trouvait plus agréable que porter un chignon serré.

Il lui sembla soudain entendre une voix à travers le brouhaha du torrent ; elle se retourna donc et balaya les environ du regard, avant d’apercevoir un jeune homme se débattant pitoyablement contre les flots qui l'emportaient. Elle pouvait le sauver aisément, à condition de plonger maintenant... bah ! Ç'aurait été cruel de regarder ce garçon périr sans bouger. Décision prise : elle laissa choir son vêtement et plongea. En quelques secondes elle avait coupé la route du maladroit et l'avait saisi à la taille pour lui maintenir la tête hors de l'eau, tandis qu'elle même pouvait se permettre de rester immergée. L'étape la plus délicate du sauvetage commençait maintenant ; elle utilisa le battement de ses jambes pour atteindre la berge opposée - la plus proche. Elle réussit à se stabiliser tant bien que mal, ses pieds raclant les galets, et à pousser son protégé à demi sur la terre ferme : celui-ci n'avait plus qu'à s'agripper à ce qu'il pourrait pour que ses jambes ne l'entrainent pas à nouveau dans l'eau. Et s'il n'y parvenait pas... tant pis pour lui. Laura quant à elle fut emportée quelques mètres plus loin, jusqu'à ce qu'elle arrive à prendre appui sur un rocher qui lui permit de s'extraire au courant et se regagner la terre ferme. Elle se redressa et essora calmement ses cheveux, tandis que l'humain, à quatre pattes, toussait comme s'il était à l'article de la mort. C'était peut être le cas, cela dit. Laura attendit quelques secondes que le rescapé reprenne ses esprit, droite comme un I, nue et pourtant dénuée de toute gêne, souriante même.

"Bonne nouvelle jeune homme : tu n'es pas un poisson."
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Ozvello Di Luccio le jeudi 19 décembre 2013, 15:47:11
Être en train de se noyer ne constitue pas une situation très agréable, comme Ozvello en faisait alors l'expérience. Le bretteur réussi dans un premier temps à rester en apnée... Pendant une dizaine de secondes environ, il tint bon. Il ne voulait pas lâcher maintenant. Il avait beau se sentir lourd, piégé dans le fond du torrent par la masse de ses habits trempés, il lui restait un infime espoir d'accrocher une pierre, un rebord de terre... Du reste, il n'était pas vraiment en état de réfléchir aux chances qu'il avait de s'en sortir. Il essayait, dans la confusion, de se souvenir des quelques cours de natation qu'il avait eu, et usa des dernière forces qu'il lui restait en tentant de battre des bras, hélas dans le désordre le plus absolu, ne parvenant qu'à se heurter à quelques roches encore.

La tête lui tournait, mais il ne pouvait plus à présent dire si cela était du au choc qu'il avait reçu, où aux brusques rotations auxquelles étaient soumis son corps par le courant vif du ruisseau. Puis, son organisme, en grand manque d'oxygène, eut un ultime réflexe de survie auquel l'adolescent ne put résister... Il ouvrit la bouche, tentant désespérément d'absorber un peu d'air. Malheureusement, il ne fit que boire la tasse, une première fois, et une seconde. L'eau glacée, infiltrant ses poumons par courtes gorgées, lui causa une douleur bien plus puissante et bien plus vive que celle qui tiraillaient sa jambe et son crâne. Il ne pouvait régurgiter la moindre goutte, et la poitrine en feu, ses dernières résistances face aux tourbillons s'éteignirent en même temps que ses dernières espérances.

L'eau qui le brûlait de l'intérieur. C'était la seule chose qu'il ressentait à présent. Sa vision se troublait. Il lui sembla qu'il était sur le point de se calmer définitivement, et de perdre connaissance. Mourir, c'était un passage difficile, terriblement désagréable. Il ne retenterait certainement pas l'expérience. Mais maintenant qu'il en était là, il avait le sentiment que le plus dur était fait. Qu'il lui suifferait de lâcher prise, et que bientôt, il n'aurait plus aucun problème, plus aucun déplaisir de ce genre. Ozvello ne parvenait même plus à être effrayé par l'abîme qui s'ouvrait devant lui. Hélas, la providence aime les héros, ou les déteste, c'est selon ; le repos éternel, si doux et si tranquille, lui fut refusé. Voilà qu'il était heurté par une masse, qui n'avait rien de la dureté d'une pierre : il cligna des yeux, il sentit la terre sous son ventre. Voilà qu'il était hors de l'eau.

De l'oxygène, par pitié ! se serait-il écrié, si, justement, il lui était resté dans les poumons la moindre molécule du moindre gaz. En lieu et place de cette demande, il ne fit que tousser. Il toussa, assez longtemps, expulsant tout le liquide de sa poitrine, la respiration agitée et irrégulière, reprenant ici et là un peu de cet air dont il avait été privé. Les convulsions dont il était secoué le rendaient totalement inconscient de son environnement, aveugle, presque sourd. Il était trempé des pieds à la tête, ses cheveux retombant sur ses yeux, ses paupières et ses lèvres ayant pris une couleur légèrement violacée.

Enfin, le jeune homme parvint à stabiliser son diaphragme, et, si ce n'était le léger hoquet dont son buste tressautait toutes les quelques secondes, il retrouva une respiration haletante, mais efficace. Qui sait combien de temps serait-il resté, immobile, sur le ventre, si une voix suave ne l'avait pas tiré de l'état post-traumatique où il se trouvait encore ? Pour sûr, c'était une voix attrayante, qui donnait envie de lever les yeux, et même de se lever tout court.

Le bretteur commença par lever les yeux. Ce qu'il vit le fit tressaillir : tableau singulier qu'une femme sculpturale et dévêtue, qui le contemplait de toute sa hauteur. À peine eut-il eu cette vision qu'il eut un nouveau hoquet, ce qui était en réalité un très mauvais moment pour défaillir... mais qui n'était sans doute pas tout-à-fait le fruit du hasard. Sentant une chaleur sanguine envahir ses joues alors qu'il frissonnait encore, il abaissa aussitôt son regard. Maladroitement, crachant toujours un peu d'eau et hoquetant, Ozvello trouva cependant assez d'inspiration pour deviser.

« Vous dites... quelque-chose de juste... les poissons n'ont pas cette chance... que d'entrevoir les beautés célestes... malgré leur réticence à les rejoindre... »

Le compliment, car c'en était bien un, n'était pas très habile, mais, à décharge, l'on pût dire qu'il avait été composé dans la précipitation et la gêne. L'adolescent en eut presque immédiatement honte, toutefois, il ne le laissa pas voir. Ses jambes étaient engourdies, ce qui ne l'empêcha pas de tenter de se remettre debout. Alors que le premier pied fut posé au sol, il constata vite que le second, dont la cheville avait été abîmée, ne pouvait soutenir son poids, ce qui manqua de le faire chuter. Il préféra alors poser un genou à terre... ce qui n'était pas une si mauvaise position pour dire ce qu'il avait à dire... et pour éviter les incommodités d'un regard qui se serait porté seulement quelques centimètres plus haut. Le bretteur essuya d'un revers de main quelques gouttes d'eau qui menaçaient ses yeux, et enfin, retrouva son souffle :

« Ce n'est pas trop s'avancer que de déclarer que vous m'avez sauvé, madame... il n'y a nulle doute que sans votre intervention, je serais mort... noyé par les flots de cette rivière prédatrice. Aussi, je vous dois la vie... Aussi, celle-ci vous appartient désormais, jusqu'à ce que j'ai pu vous rendre un service d'une importance égale à ce que vous avez fait pour moi... ou bien que j'expie en m’amendant. »

Le garçon était encore hésitant. Il paraissait petit, et assez ridicule, les habits gonflés par l'eau, et prosterné devant une femme nue. C'était, à vrai dire, la première fois qu'il faisait une déclaration de ce genre là. Il n'avait pas imaginé contracter aussi vite une dette envers quelqu'un. Néanmoins, il savait quelles étaient les règles que prescrivaient l'honneur en la matière.

« Il me faut porter serment, madame... »

De sa main droite, il chercha sa rapière, instrument valable d'engagement. L'angoisse s'empara de lui lorsqu'il ne trouva à son flanc qu'un espace vide. La surprise, et une certaine peur se manifestèrent alors sur son visage.

« Je.. j'ai égaré mon arme. Non. Quand ? Dans le torrent. Ça n'est pas possible. Il faut que je la retrouve. L'avez-vous retrouvée ? C'est une amie, comprenez-vous ? Je ne suis rien sans elle. Il faut que je la retrouve. »

Ozvello se détourna et s'aidant d'un bras pour se relever, se hissa sur une seule jambe. Son attention maintenant fixée sur le rivage, il sautillait, à la recherche de l'artefact.
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Laura le jeudi 19 décembre 2013, 22:21:16
Tous ces caprices pour un peu d'eau. Laura attendit patiemment que le petit humain ait fini de tousser, prenant machinalement ses chevaux dans ses mains de manière à les essorer par dessus son épaule. La torsion fit jaillir de sa crinière une petite cascade qui coula sur sa peau. Contournant la rondeur de son sein droit de part et d'autre, il s'élargit et se dispersa sur le ventre pâle de la sirène, formant une multitude de ruisselets, ceux-ci épousant la forme de son aine pour caresser l'intérieur de ses cuisses ou s'échouant dans sa toison. La brune laissa la natte improvisée reposer sur son épaule, et celle-ci pendit docilement, épaisse et soyeuse, son extrémité chatouillant la poitrine qui était juste à sa portée.

Finalement, le jeune homme se redressa partiellement ; un coup d’œil à Laura, et il se détourna aussitôt, comme s'il venait de regarder le soleil en face. Sans doute était-ce la nudité ; les hommes pouvaient avoir des réactions très variées en apercevant un corps de femme dénudé. Pourtant, la Sirène ne manquait pas d'être toujours un peu surprise lorsqu'elle semblait, en quelque sorte, effrayer un mâle par la seule exhibition de sa féminité. Bah !... il ne fallait sans doute pas trop chercher à comprendre ces animaux.

« Vous dites... quelque-chose de juste... les poissons n'ont pas cette chance... que d'entrevoir les beautés célestes... malgré leur réticence à les rejoindre... »

Laura fut surprise d'entendre une prose si riche sortir de la bouche du jeune homme. Les sirènes étant friandes de poésies et autres fioritures du langage, Laura avait par conséquent un certain goût pour les vocabulaires fleuris et les répliques bien rythmées... bien qu'elle n'ait jamais été elle-même très douée pour improviser des tirades agréables à l'oreille. Il faut dire que son comportement introverti et asocial la poussait rarement à participer aux jeux de verbe auxquels ses congénères s'adonnaient régulièrement avec entrain. Enfin, il était certain qu'elle appréciait que la mâle se soit donné la peine de formuler des compliments d'une telle qualité, même si le sens en restait pour elle assez obscur. Céleste devait avoir un sens particulier dans ce contexte, ou bien peut être qu'elle n'était pas cette "beauté", comme elle l'avait supposé. Mais ce deuxième cas de figure aurait été plutôt vexant, en plus d'être étrange.

Toujours est-il qu'un sourire amusé se dessina sur son visage. Elle n'avait guère fréquenté que des rustres, durant son périple, et la sophistication avec laquelle l'inconnu lui parlait était à la fois cocassement décalée et agréablement stimulante.

Son interlocuteur tenta de se redresser sur ses pieds, sans succès. Visiblement, le maladroit s'était blessé à la patte. Prise d'un élan de compassion, elle approcha de quelques pas de l'adolescent dont les vêtements gouttaient sur l'herbe, tandis qu'il déployait son art de la formulation dans des déblatérations étrange. Elle leva la paume de la main pour lui faire signe de se calmer. Les filles de l'océan n'ayant jamais eu un sens aiguë de la propriété privée, ni même la connaissance du concept de salaire ou de dette, Laura trouvait ce raisonnement bien abscons, voir grotesque. Cette manie que pouvaient avoir les humains de projeter leurs petites conceptions abstraites sur toutes les choses du monde... l'ondine s'en étira le coin de la bouche de déplaisir.

« Tu supposes donc que ta vie t'appartient ? C'est assez risible. Si cela peut t'aider, considère qu'elle m'appartenait quand tu te débattais dans la rivière. J'avais sans doute le choix entre la jeter et te la rendre, alors je te l'ai rendue. Et voilà, n'en parlons plus. »

Mais voilà que déjà il ne l'écoutait plus... occupé à chercher on ne sait quoi autour de lui, appuyé sur une seule jambe. Il s'agitait tout en parlant, si près du bord que Laura eut peur de le voir glisser et tomber à nouveau dans la rivière. Elle s'approcha de lui par deux pas vifs et lui saisit fermement le bras pour l'entrainer un bon mètre en arrière profitant qu'il était estropié pour le guider bon gré mal gré. Ses propos étaient un peu incohérents - le pauvre n'avait visiblement plus toute sa tête, tout étant arrivé trop vite pour lui, sans doute... mais il avait parlé d'une amie ; "je ne suis rien sans elle". Laura ressentit un léger pincement au cœur. Si éloigné d'elle que ce jeune humain pouvait être, ses paroles faisaient douloureusement écho en elle. Elle pouvait aisément comprendre le désarroi qui commençait à le saisir à l'idée d'avoir perdue celle dont il semblait si proche.

« Tu étais avec quelqu'un ? Elle est tombée, elle aussi ? »

Elle avait légèrement approché son visage, comme si réduire la distance entre leurs deux têtes allait rendre son interrogatoire plus percutant. Si l'amie du jeune mâle pouvait être sauvée ou retrouvée, elle l'aiderait sûrement dans cette tâche. Cependant, si l'infortunée était tombée en même temps que son compagnon... les chances de la repêcher en vie étaient bien minces. Et puis Laura n'avait pas vu la moindre jeune fille lorsqu'elle avait plongé.

Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Ozvello Di Luccio le vendredi 20 décembre 2013, 03:02:05
« Non, vous ne comprenez pas. Il ne s'agit pas de. Oui. Elle était avec moi ! Je cr... crois qu'elle a dû se détacher de ma ceinture, à la faveur d'un tourbillon, ou d'un autre... Elle mérite mieux que cela... vous comprenez ? V... vous comprenez ? »

Le discours peu cohérent était dans sa forme porteur de vérité, et rejoignait l'impression qu'on pouvait en avoir : Ozvello n'avait plus vraiment les idées en place. Lui-même sentait qu'il perdait de nouveau pied, même s'il ne risquait cette fois que de se noyer dans les méandres de sa propre psyché contrariée. Le bretteur, se sachant incapable de se modérer seul, réagit assez bien à l'entrave que la jeune femme fit peser sur lui. L’apparence de sa sauveuse ne faisait en réalité qu'augmenter son émoi et sa confusion. Fermant les yeux, il convint de s’asseoir sur le sol, la position étant pour lui à la fois moins douloureuse et plus prompte à la tempérance. Une fois accroupi, il prit une grande inspiration.

Une nouvelle fois, ses mains virent évacuer l'eau qui lui coulait sur le visage, et qui aplatissait sa chevelure brune. Ce ne fut qu'à se moment qu'il se rendit compte qu'il avait réellement froid, et que les frissons qui parcouraient son corps n'étaient pas causés seulement par sa grande tension nerveuse. Des vêtements imbibés jusqu'à la lie ne constituaient en effet pas le meilleur isolant thermique qui soit. L'adolescent enfouit finalement sa tête dans ses bras, combattant une difficilement explicable envie qu'il avait alors de fondre en larme. Il n'était pas question que quelqu'un soit témoin de la tristesse et du désespoir que l'on aurait pu alors lire sur son visage.

Il n'était plus un enfant : il voulait le croire. Il avait choisi librement de s'enfuir de Castelquisianni. Il n'avait jamais espéré qu'une vie plus palpitante, comme le lui avait promis Caracole. Pas qu'il avait été manipulé, non... mais à présent, il n'avait plus de guide. Ozvello se sentait égaré, abandonné. Sans sa rapière, ses aspirations devenaient soudain plus floues, et lui paraissaient inaccessibles. Avec les conseils de l'artefact millénaire, sans aucun doute, il aurait pu devenir un grand héros. Même cet objectif, qui avait motivé sa marche lui semblait à présent vide de sens. Est-ce que sa famille lui pardonnerait jamais s'il revenait ? Rien n'était moins sûr. Il n'aurait jamais la force de faire demi-tour, de toute façon. Il aurait eu trop honte. Il eut peut-être un sanglot ou deux ; pas plus, persuadé qu'il était d'être un homme fort.

Le bretteur avait les yeux encore un peu rouges lorsqu'il se décida enfin à émerger. Sa voix n'avait cependant plus d'accent pleurnichard, et avait retrouvé toute son assurance.

« Je regrette. Si vous pouviez pardonner mon insignifiante personne de s'être ainsi emportée... Le destin m'a furtivement paru cynique et barbare. Cette expérience faite et ma raison retrouvée, je vous promets de ne plus me laisser submerger, et de ne plus vous importuner avec mes égarements... »

Le plus difficile pour le jeune homme était de placer son regard à des endroits qui n'étaient pas trop importuns. Malheureusement, ceux-ci se trouvaient être rares, car la dame était d'une volupté qu'il n'avait même pas besoin d'imaginer ; seulement de faire semblant de ne pas la voir. Garder son sang froid, se prémunir de tout mouvement qui pouvait être mal interprété, alors qu'elle s'était rapproché de lui, constituaient aussi des défis de taille. Penser à autre chose, aborder un autre sujet, et vite, cela était indispensable. Ozvello, pas vraiment vexé du refus dont il venait d’écoper, insista, corrigeant avec politesse son interlocutrice.

« Ce n'est pas ainsi que j'envisage les choses... J'ignore si ma vie est entre les mains de quiconque, en cet instant, mais cela n'est pas le fondement des choses. Vous m'avez rendu un service, et en conséquence, madame... ce serait pour moi un déshonneur que de ne pouvoir m’acquitter de ma dette ! Si ma stupide âme puis [sic] vous être d'un quelconque secours, je vous en conjure, dites-moi de quelle façon ! »

D'une certaine façon, et même s'il ne se l'avouait pas, la manœuvre était habile. Privé du fil directeur que constituait Caracole, le jeune homme n'avait pas tardé à se construire de nouveaux repères. S'il ne serait pas héros, alors au moins aurait-il un but juste assez vaguement défini pour le maintenir à flots. C'était un moyen comme un autre de s'accrocher à un idéal... ou simplement à quelque-chose. Aussi se forçait-il à mettre la perte de son arme au second plan, à la manière d'un naufragé qui aurait tenté de rejoindre une île, fusse-t-elle déserte, plutôt qu'un continent hypothétique et trop éloigné.

« Cependant, je crains d'être faible, plus encore que d'habitude, et d'avoir des difficultés à marcher. Mon dernier désir est d'être un boulet pour vous ; ce serait une faute impardonnable que d’enchaîner au terrestre une telle fleur du divin... Puis-je vous demander votre nom ? »

L'adolescent secoua la tête, et eut une mimique contrarié.

« Je manque à tous mes devoirs ! Le mien est Ozvello Di Luccio, de Castelquisianni. Je suis votre humble et dévoué serviteur. »

À défaut de révérence possible, l'infortuné garçon se contenta de placer sa main au cœur, et d'incliner le chef, faisant encore voler un peu d'eau.
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Laura le samedi 21 décembre 2013, 01:24:24
La réponse du garçon lui fit pincer les lèvres. Les images du drame ne lui venaient que trop facilement. Une fillette chutant, s'accrochant désespérément à la première chose susceptible de la sauver et entrainant le jeune homme avec elle. Bien sûr, ballotée par le courant, elle n'avait pas eu la force de garder sa prise, et les deux enfants avaient été séparés. Laura jeta un regard dépité sur les remous du torrent : aucun signe de la moindre petite fille.

Le jeune homme s'était assis. Sans doute lui aussi avait-il fini par réaliser qu'il était trop tard. Son visage caché entre les bras, il restait immobile, et la Sirène l'observait, intriguée. Elle s'accroupit à côtés et approcha timidement la main, prête à saisir doucement son épaule dans une tentative hasardeuse pour le réconforter, puis se ravisa. Les humains étaient des créatures étranges, et celui-ci plus encore... elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'il convenait de faire pour alléger la peine de ce malchanceux, et l'audace lui manquait. Elle resta immobile devant lui pendant plusieurs secondes, le cœur battant... pour finalement laisser son bras retomber le long de son flan. Y'avait-il seulement quelque chose à faire ? Elle soupira tout bas et se laissa tomber sur son derrière pour attendre que les sanglots - supposés - de l'adolescent se soient calmés.

Elle aurait pu chanter, bien sûr, mais elle répugnait instinctivement à anesthésier ainsi les sentiments du jeune mâle par des artifices surnaturels. Et puis elle risquait de se compromettre. Ça n'était pas parce qu'il n'était pas directement dangereux qu'il ne pourrait pas répéter ce qu'il avait vécu. Laura avait d'ailleurs tout intérêt à tenter de paraitre la plus humaine possible. Elle replia ses cuisses devant elle et les entoura de ses bras afin de se trouver dans une position plus pudique. Elle attendit ensuite que le garçon lève à nouveau sur elle ses yeux rougis par les larmes. Son regard restait quelque peu fuyant, et c'était une chance, car elle n'aurait sans doute pas pu le soutenir si ça n'avait pas été le cas. Confrontée directement à ce jeune éploré, elle sentait une étrange panique fourmiller discrètement en elle.

« Je regrette. Si vous pouviez pardonner mon insignifiante personne de s'être ainsi emportée... Le destin m'a furtivement paru cynique et barbare. Cette expérience faite et ma raison retrouvée, je vous promets de ne plus me laisser submerger, et de ne plus vous importuner avec mes égarements...
- Allons allons... »


Elle sourit d'un air faussement désinvolte en agitant la main devant elle, comme si elle voulait chasser un insecte. "Ça n'est qu'un homme, reprend toi voyons...". Pourquoi se sentait-elle mal à l'aise ? Elle n'avait à rougir de rien, bien au contraire... Le garçon, lui, semblait déterminé à rendre service à sa sauveuse. Il lui parlait maintenant d'une dette, alors évidemment... la sirène n'accorda pas plus de sérieux à ses dires. Il s'agissait bien, comme elle le pensait, d'élucubrations d'humain. Encore une fois, elle balaya ces paroles d'un revers de main. Elle allait répliquer mais cherchait encore ses mots, réticente à l'idée de contrarier encore cette faible créature. Le pauvre humain venait déjà de perdre un être cher et n'était pas au meilleur de sa forme, il était inutile d'être cruelle avec lui. Par peur de le blesser d'avantage elle garda donc le silence jusqu'à ce qu'il se présente et qu'elle soit certaine que sa tirade était finie.

« Je m'appelle Laura. »

Elle marqua une pause et tripota ses cheveux pendant deux secondes avant de reprendre ;

« En effet, je ne vois pas bien à quoi tu pourrais m'être utile. J'ai même le pressentiment que c'est toi qui va avoir besoin d'aide. »

Elle désigna la jambe blessée de son interlocuteur d'un petit coup de menton.

« Est-ce que les tiens vivent loin d'ici ? Castel...Quisia...nni... c'est ça ? C'est là bas que tu as appris à parler ainsi ? »

Un idée venait soudain de germer dans son esprit ; sans doute cet humain n'avait-il pas appris à manier les mots avec une telle aisance en vivant parmi les paysans que Laura avait pu croiser jusqu'à présent. Il venait donc certainement d'un endroit où les humains étaient plus raffinés... et la curiosité de la Sirène était piquée.
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Ozvello Di Luccio le samedi 21 décembre 2013, 02:51:49
Où vivaient les siens ? La question manqua de raviver chez lui une nostalgie qu'il était parvenu à enfouir une minute avant. Encore convaincu de la nouvelle quête qu'il s'était donné, le bretteur fit un effort et n'y céda pas. Pourtant, la réflexion, et le calcul qui lui furent nécessaires lui firent prendre conscience d'une chose supplémentaire. Il se trouvait en ce moment plus loin de Castelquisianni qu'il ne l'avait jamais été. Il était en territoire inconnu, et de plus... l'adolescent jeta un regard à ses bottes : il serait incapable de contrôler la magie de la paire de chausses enchantées sans l'assistance de Caracole. Dès lors que leur magie serait revenue, le moindre pas le mènerait aussitôt à sept lieux de là où il se trouverait. Allait-il devoir faire de l'équitation ? Pour lui qui était un cavalier si piètre, incapable de communiquer convenablement avec ces stupides bêtes hippoïdes, ce n'était pas une bonne nouvelle. Il faudrait de toute façon qu'il songe à les enlever... Cependant, marcher pieds-nus ne lui disait rien, et il ne considérait pas cela comme une priorité.

Répondre aux interrogations de sa sauveuse, voilà qui était plus important à ses yeux, qui d'ailleurs avaient finalement trouvé une position où regarder à peu près chaste et plus naturelle, un peu au-dessus du front.

« Castelquisianni, en effet. C'est la cité qui m'a vu naître ; elle est à des dizaines d'horizons au moins. Il s'agit d'une ville posée sur un grand fleuve, où les gens sont souvent riches et quelques fois bons. Je fuis cet endroit, car je n'y suis hélas plus le bienvenu... et cette rivière, sans doute complice de son vieux parent, m'a pris le dernier bénéfice de ma disgrâce... »

Le jeune homme en aurait soupiré, mais il avait juré de ne plus s’apitoyer sur son sort. S'il fallait à son interlocutrice plus d'informations sur le faste de ce paradis perdu, elle pouvait toujours prêter attention au pourpoint splendide et à la cape de tissu précieux qu'il portait, encore qu'ils ne soient plus dans un si bon état... sans compter les nombreux bijoux qu'il avait toujours, et que le cours d'eau n'avait su lui arracher.

« Ai-je un accent qui sonne étrange à vos oreilles ? Je ne suis pas certain de comprendre ce que vous entendez par ''parler ainsi''... Est-ce que cela revêt pour vous de l'importance ? J'espère que mon expression, tout aussi grossière qu'elle soit, n'achaut pas à vos oreilles, qui mériteraient de n'entendre seulement que les chants les plus raffinés... je m'en excuse, bien sûr, si c'est le cas, et vous demande humblement de me le faire savoir pour que je puisse y apporter correction... »

Disant cela, l'adolescent fit une nouvelle tentative pour se lever. Que l'on devise sur sa faiblesse n'était vraiment pas pour lui plaire... Toutefois, il ne pouvait pas la contredire. Il ne tenait pas debout. Même si l'on exceptait sa cheville, tous ses membres étaient alourdis par sa longue marche, sa rapière l'ayant poussé à prendre dans ses dernières forces, il était épuisé, et il mourrait de froid au point d'en trembler. Le bilan était désastreux. Le garçon avait pourtant trop d'orgueil pour se laisser abattre. Tant que la fatigue ne l'aurait pas fait défaillir, alors, songea-t-il, il aurait toujours à combattre la honte de sa fébrilité. Il ne pouvait se montrer fragile : pas devant elle. Surtout pas devant elle.

« Il est hors de question que je vous sois encore redevable de quelque-chose de plus... L'honneur immense que vous me feriez en m'acceptant à vos côtés, et en tolérant ma triste présence serait une faveur bien assez grande, en vérité. »

Pourtant, toujours impossible de s'établir en position bipède. Le bretteur rampa alors dans l'herbe humide, vers les buissons, d'une manière qu'il tenta, vainement, de rendre digne. Une branche, s'il parvenait à en trouver, et à en arracher, une assez longue, ferait une canne de fortune. Hélas, de minute en minute, il se sentait toujours plus faible, et Ozvello en vint même à douter pouvoir réaliser cette tâche élémentaire.
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Laura le samedi 21 décembre 2013, 13:03:02
Une dizaine d'horizons... ça n'était pas la plus précise des informations, mais cela suffisait pour que Laura pousse un soupir las ; ses mollets protestaient par anticipation à l'idée de parcourir une telle distance à pieds. Peut être cela n'en valait-il pas la peine... mais, au fond, elle n'avait aucune envie de se résigner et de rentrer chez elle. Elle avait battu en retraite sous le coup du découragement, persuadée qu'elle avait pris la mauvaise direction, qu'elle s'était fourvoyée, que la terre ferme ne contenait rien qui puisse encore l'émerveiller ou la contenter. Et maintenant qu'une nouvelle possibilité s'ouvrait à elle, elle ressentait cet abandon comme un véritable gâchis. Lentement, elle commençait à envisager un changement de cap en direction de la cité que venait de lui décrire le dénommé Ozvello. Là bas... c'était certainement différent de Nexus. C'était à cet endroit qu'elle trouverait... elle ne savait trop quoi. De grands hommes, surement. Et des femmes à leur mesure, elle l'espérait.

« Une dizaine d'horizon... combien de temps cela fait-il, à pieds ? » murmura-t-elle, autant pour elle que pour lui.

Pendant un instant, elle se mordilla le coin de la lèvre inférieur en réfléchissant, puis, semblant émerger de ses pensées, se pencha avec intérêt vers le jeune homme.

« Tu causes merveilleusement bien, c'est ce que j'entends par "parler ainsi"... j'apprécie grandement ton vocabulaire et ton sens du rythme. J'irais même jusqu'à dire... que les accents de ta diction frappent mes oreilles d'une façon des plus charmantes, et je suis navrée que ma langue ne puisse suivre qu'ardûment la tienne dans ce jeu là. »

Un rictus joueurs s'était formé sur son visage au fur et à mesure qu'elle parlait. Complètement oublieuse de la pudeur qu'elle voulait simuler, elle avait lâché ses jambes et avait porté son buste en avant, pour finir dans une position de tailleur approximative, découvrant sans y prendre garde ses seins et tous les reliefs de peau qui se dessinaient en dessous d'eux.

« Il est hors de question que je vous sois encore redevable de quelque-chose de plus... L'honneur immense que vous me feriez en m'acceptant à vos côtés, et en tolérant ma triste présence serait une faveur bien assez grande, en vérité. »

Laura leva le yeux au ciel, agacée. Ces histoires commençaient à devenir pénibles. Elle se dressa sur ses jambes pour suivre calmement Ozvello qui se trainait à quatre pattes, tout en réfléchissant à la manière dont elle pourrait formuler sa demande. Elle voulait pousser ce garçon à faire une chose qui était certainement à l'opposé de ses intérêts, à savoir retourner parmi les siens avec lesquels il était visiblement brouillé. Mais ne répétait-il pas sans cesse qu'il avait une dette envers elle ? S'il voulait absolument se mettre à son service... eh bien elle en profiterait. Il lui servirait de guide.

Bien sûr, cela ne résoudrait pas tous les problèmes. Il faudrait certainement l'aider à marcher. Il faudrait aussi trouver à manger : pour cela, elle espérait qu'il sache lui indiquer où trouver de la nourriture sur la terre ferme. Et enfin il lui faudrait des hommes. Elle pouvait supposer sans grand risque qu'elle aurait besoin de s'accoupler avec un mâle d'ici une poignée de jours, et elle ne tenait pas à consommer son jeune compagnon. Il n'était pas le genre de proie qu'elle attirait habituellement dans ses filets. Ses choix se portait toujours sur des mâle et à l'age un peu plus avancé à la virilité beaucoup plus marquée. Et puis, elle avait déjà pris cet Ozvello en pitié, peut être même en sympathie. Elle ne le tuerait que si elle n'avait pas d'autre choix.

« Si j'accepte ton aide, cela sera-t-il suffisant pour te faire arrêter de jouer les idiots ? » laissa-t-elle tomber d'un ton amusé mais néanmoins condescendant. « Je veux aller à Castelquisianni... alors si tu tiens absolument à m'aider, voilà. Emmène moi là bas. »

Elle avait achevé sa phrase d'une voix légèrement vibrante. Elle avait beau se sentir en position de force devant ce jeune homme, sa demande était réellement contraignante. Il allait certainement refuser. Il allait refuser mais elle avait besoin de lui... est-ce qu'elle parviendrait à le forcer, le cas échéant ? Elle n'avait pas envie de le maltraiter, mais si elle devait en arriver là...
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Ozvello Di Luccio le samedi 21 décembre 2013, 17:17:51
Rien que se déplacer au ras du sol, des trois membres valides qui lui restaient, prenait en réalité beaucoup de la vivacité d'esprit que le bretteur possédait encore. Toutefois, le compliment, inattendu, lui donna quelques forces insoupçonnées. Il réalisait que ce n'était pas tout-à-fait la même chose, d'être félicité par un vieux professeur de rhétorique que d'être flatté par une personnes aux attraits beaucoup plus certains. L'adolescent, dont le visage fatigué avait retrouvé quelques couleurs, dont la jolie teinte rosée qu'arboraient ses joues, osa se retourner et avancer, avec un sourire timide :

« Il y a des beautés qu'il est inutile de sublimer par la langue... »

Peut-être n'aurait-il pas du porter son regard à cet endroit là, et à celui-ci... Il constatait l'absence totale de pudeur dont faisait preuve la jeune femme... mais surtout les grandes étendues de peau nue, les courbes, et ces détails qu'il n'avait jusqu'ici pu qu'imaginer, dans l'obscurité et la solitude. Il constatait les impacts, aussi bien émotionnels que physiologiques, que ces vues indécentes, malgré leur furtivité, avaient sur lui. Le garçon était à présent tendu, et cela n'avait en vérité plus grand-chose à voir avec le traumatisme subi quelques minutes plus tôt. Ce n'était décidément pas un état idéal pour travailler. Cela n'était d'ailleurs pas un état idéal pour grand-chose, excepté peut-être une, pour laquelle, du reste, il n'était pas non-plus en capacité.

Il fallait trouver autre chose à quoi penser ; marcher, par exemple, serait un objectif de choix. Le bois de cet arbre ferait l'affaire, songea l'adolescent en choisissant une branche tombante. C'était celle d'un arbre de petite taille, d'une variété sans doute proche du cerisier, bien qu'il ne portait, en cette saison, ni fleur ni fruit, mais seulement quelques feuilles elliptiques et crénelées, se terminant en pointes. L'excroissance était presque à la base de la plante, aussi faisait-elle tout de même environ cinq centimètres de diamètre. Elle ne devait pas risquer, s'il parvenait à la détacher, de céder sous son poids. Concentré sur un travail qui lui aurait, quelques heures avant, paru encore enfantin, Ozvello entendit à peine les paroles de son interlocutrice, et n'y réagit d'abord que mollement.

« La distance entre ce lieu et de Castelquisianni, je l'ai parcourue en une douzaine d'heures seulement. C'est à la nuit noire que je suis parti, et me voilà à présent ! Cependant, je ne suis parvenu à cet exploit que par des artifices dangereux, et que seule l'amie que j'ai perdue là savait maîtriser avec assez de sûreté... et encore les risques étaient-ils trop grands encore, puisque c'est la raison pour laquelle j'ai failli trépasser dans ce ruisseau... Il faudrait en son absence au moins trois ou quatre jours de marche sans beaucoup d'interruptions pour rallier ma ville natale, je le crains. »

La requête de Laura, néanmoins, avec difficulté, tournait dans l'esprit épuisé du bretteur. Pendant un instant, il ne dit rien, se contentant de sortir de sa ceinture la dague, richement sertie mais non-moins tranchante, qu'il avait prise avec lui. Il resta ainsi, muet, à tailler à la base la branche qui allait lui servir de canne, entamant le bois, heureusement assez tendre. Ce ne fut qu'au bout d'une vingtaine de secondes de silence qu'il consentit à donner une réponse.

« Je le ferais... Je le ferais, puisque je l'ai promis... en avertissant votre conscience que l'aboutissant m'en sera sans doute fatal, et que ne m'attend, au bout du chemin que vous demandez, seulement un sort funeste ou peut-être pire... »

Sa voix était devenue un peu faible, et elle ne transportait plus la moindre note d'enthousiasme ni même de vigueur. C'est tout juste si son ton naturel, gentil et sincère, était parvenue à la garder de la froideur. Lassé par son labeur de découpe, l'adolescent commença à tirer sur la branche du cerisier, et vint à bout, en faisant un peu jouer le bois, des derniers filaments qui la reliaient au tronc. Maintenant qu'il l'avait, cependant, il n'était pas du tout certain d'avoir la force de marcher avec.

« Non, toutes mes excuses, j'ai eu tort de vous faire part de cela. L'insipide personnage que je suis, et toutes ses péripéties n'ont pas à vous préoccuper, je vous en conjure encore. Nous irons ! Mais, toutefois... mes forces sont en cet instant à un niveau terriblement bas. M'accorderez vous la patience de quelques heures de repos ? »
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Laura le dimanche 22 décembre 2013, 22:48:58
Tout en réfléchissant, l'ondine tripotait et maltraitait entre ses doigts la fine branche d'un arbre qui avait eu la malchance de pendouiller imprudemment devant son nez, tandis que le jeune homme tardait à donner sa réponse. Celui-ci peinait dans son labeur, et Laura lui aurait bien prêté main forte s'il n'avait pas précisé à plusieurs reprises - et avec une grande conviction - que toute aide supplémentaire aurait été malvenue. Et puis elle était focalisée sur son objectif, prise par ses pensées. Pendant qu'Ozvello tergiversait, elle calculait. De gré ou de force, il la guiderait, ce point était acquis. Elle n'avait pas une idée très précise de la mesure dans laquelle la blessure du garçon serait handicapante, mais elle supposait qu'il leur faudrait au moins cinq jours pour arriver à destination, si l'on prenait ce point en compte. Peut être six, sept... elle n'en avait pas la moindre idée, en fait. Elle espérait simplement qu'ils ne mourraient pas de faim pendant le trajet... et qu'elle saurait retenir son appétit. Son autre appétit. Une idée saugrenue concernant son futur guide jaillit soudain dans son esprit et la fit sourire : "Le manger, le tuer, le remanger". Amusant. Elle n'avait jamais goûté à la chair humaine, mais il n'tait jamais trop tard pour essayer.

Elle était occupée à se chatouiller la joue avec un bout de feuille lorsqu'Ozvello se décida enfin à répondre - par l'affirmative.

« Très bien ! J'avoue que je ne comprend pas vraiment ce qui te pousse à te jeter ainsi dans la gueule du grand blanc... mais enfin, nous feront tout pour que tu t'en sortes vivant, n'est-ce pas ? »

Si ses mots auraient pu passer pour de l'ironie, le ton lui était enjoué et énergique. Ce garçon était une aubaine ! Aurait-elle pu rêver mieux ? L'humain le plus raffiné qu'elle ait jamais rencontré s'avérait être également le plus serviable. Décidément, elle ferait un effort pour lui éviter la mort... Même si, à vrai dire, qu'il y reste ou pas était pour elle un détail. Sa quête personnelle primait largement sur la survie d'un humain, aussi jeune et agréable fut-il.

Enfin, voilà, c'était déjà un bon début ! Comme pour appuyer son enthousiasme, le garçon parvint enfin à détacher la branche qu'il convoitait. Extraordinaire ! Cependant, lui ne semblait pas partager l'entrain de sa bienfaitrice. Cette dernière se pinça les lèvres en écoutant ses excuses et plaintes.

« Non, toutes mes excuses, j'ai eu tort de vous faire part de cela. L'insipide personnage que je suis, et toutes ses péripéties n'ont pas à vous préoccuper, je vous en conjure encore. Nous irons ! Mais, toutefois... mes forces sont en cet instant à un niveau terriblement bas. M'accorderez vous la patience de quelques heures de repos ? »

Oui. Evidemmment. Ils ne pouvaient pas partir tout de suite, dans son état. Même si la sirène était impatiente. Elle arracha la brindille avec laquelle elle tapota distraitement sa paume gauche.

« Oui. Oui oui oui... Il n'y a rien à faire pour ta cheville ? »

S'il lui avait été aisé de remarquer quelle partie de son anatomie faisait souffrir le jeune homme, elle n'avait pas la moindre idée du genre de blessure qu'il s'était infligée. Cette question, cependant, ne retint pas longtemps son attention. Une sensation furtive venait de lui rappeler que des saletés étaient restées collées sur son derrière. Elle les balaya de quelques mouvements rapides de la main, puis jeta un coup d’œil par dessus son épaule : l'herbe avait laissé des marques sur le dessus de sa croupe, striant de rouge la blancheur de ses fesses. Elle se contorsionna pour en voir plus et se sourit à elle même. Le phénomène, qui ne se produisait que sur la terre ferme, la captivait chaque fois d'une manière étrange. Tout en passant le bout des doigts sur les reliefs imprimés dans son épiderme, elle se tourna à nouveau vers son interlocuteur, prête à partager avec lui son émerveillement ; elle se retint cependant, réalisant juste à temps que le terrien devait être habitué à ce genre de phénomènes depuis longtemps. Il avait certainement déjà eu l'occasion d'expérimenter avec ses propres fesses.

Ah oui !Il était également en deuil. Et exténué. Laura avait bien du mal à se mettre à sa place, toute revigorée qu'elle était...

« Enfin, si je peux t'être d'une aide quelconque... je te promet que cela ne générera aucune dette. Et si tu veux dormir un peu, eh bien... je patienterais. »

Elle était assez curieuse de la manière dont Ozvello allait réussir à trouver le sommeil. Peut être les humains connaissaient-ils une méthode pour dormir confortablement sur le sol ? Les rares fois où elle avait dormi hors de l'eau, n'avait presque pas pu fermer l’œil. Durant son trajet de la mer à Nexus, dormir par terre avait été un vrai supplice, lui causant des douleurs épouvantables dans tout le corps. Ensuite, dormir dans un lit lui fut bien moins désagréable mais tout aussi ardu... jusqu'à ce qu'elle découvre cette boisson merveilleuse qu'était l'alcool. En quantité suffisante mais non exagérée, la substance lui donnait une sensation de roulis ; alors elle glissait entre les draps, et s'imaginait bercée par les courants marins. Et le sommeil venait à elle avec une facilité déroutante, plus vite même que lorsqu'elle se reposait sous le niveau de la mer. Pour couronner le tout, il se trouvait que , par une heureuse coïncidence, les humains cherchant à s'accoupler n'hésitaient pas à offrir des portions de ce breuvage à celles qu'ils convoitaient. Quelle folie que le continent ! Quel endroit merveilleux, en fait !
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Ozvello Di Luccio le lundi 23 décembre 2013, 19:32:42
L'adolescent fit non de la tête. Il s'y connaissait bien un peu en médecine : on lui avait appris, de manière très académique, comment suturer une plaie, retirer une flèche, ou apaiser une blessure au crâne. Il espérait même que cela lui servirait. Cependant, pour sa cheville, il ne voyait pas grand-chose à faire, à part peut-être poser une attelle. Il n'était pas certain que cela soit nécessaire, ou plutôt voulait-il farouchement se convaincre que ça ne l'était pas.

« À moins qu'en plus de tous les autres, vous ne disposiez d'un charme de guérison, je crois que seul le temps la rétablira. »

On ne pouvait pas dire que Laura faisait beaucoup de cas de sa position fâcheuse. Ozvello ne l'aurait jamais évoqué à qui que ce soit, mais en un tel moment, il n'aurait pas été contre un peu d'assistance. Chaque geste était un supplice, ou peu s'en fallait, et il devait déployer un certain génie de comédien pour ne pas que sa faiblesse soit trop manifeste. C'était tout le paradoxe, ou plutôt l'hypocrisie de la situation : quand bien même il en avait besoin d'aide, il ne pouvait en demander, et cette absence de sollicitude rendait son besoin d'aide plus difficile encore la dissimulation de sa détresse. La seule sortie agréable de ce cercle vicieux aurait été la présence d'un individu suffisamment psychologue pour s'en rendre compte, malgré son jeu. En réalité, cela aurait probablement sauté aux yeux d'une personne normale. Mais la jeune femme ne paraissait pas vraiment douée d'empathie, et le bretteur n'avait pas le droit de lui reprocher.

Enfin, du bout des lèvres, elle lui proposa un peu de soutien. Le garçon fut soulagé. Il ne serait jamais parvenu à s'aménager seul un endroit vaguement confortable pour quelques heures de sommeil. Restait à lui préciser ce qu'elle devait accomplir... Les actions qui demandaient un déplacement, bien sûr. Il devait pour cela être précis, mais le moins autoritaire possible dans la forme. Il ne s'agissait pas de lui donner des ordres.

« Je présume que mes frissons ne vous ont pas trompée... je suis transis, et peut-être vous aussi ? Je suis profondément désolé d'être contraint à formuler une pareille requête, mais... pensez-vous que vous pourriez trouver quelques fagots secs pour alimenter un foyer ? Je dispose d'un moyen aisé de l'allumer. »

Ozvello fouilla fébrilement dans sa veste, et en sorti une petite écrin qui avait la taille de deux doigts environ, qui semblait fait d'argent, et qui s'ouvrait et se fermait sans mal avec un mécanisme à ressort. L'étui avait été fabriqué pour être étanche, et pour cause : il contenait un curieux ustensile ne supportant pas l'humidité. Ce dernier était constitué d'une perche courbée et souple de deux centimètres, reliée à l'une de ses extrémité, par un anneau de fer, à une partie plus sombre recouverte d'un enduit de soufre. Dans la direction opposée partait un petit morceau de poussière d'amadou compactée pour former un triangle. Le fond de la boîte elle-même était tapissée d'une minuscule toile que l'on avait cirée. L'ensemble était très élégant, très soigné.

« Il s'agit d'un cadeau que m'a fait un incantatoro (des mages d'un grand pouvoir qui ont demeure à Castelquisianni). À l'évidence, ce n'est pas vraiment conçu pour être utilisé, son rôle est en premier lieu symbolique. Mais la conception est fine et probablement fonctionnelle. Le principe du dispositif est au fond assez semblable à celui d'une torche. »

D'une main tremblante, il se saisit de l'allume-feu, et le retira de son étui. Le bretteur choisit ensuite  une petite zone, distante d'à peine un mètre, et où des galets clairs, aux abords du ruisseau, remplaçaient l'herbe. Il y disposa la toile cirée. Le garçon n'eut plus qu'à frotter la branche soufrée contre celle contenant le combustible. Il y eut une petite étincelle, et la perche prit feu. Sans attendre, il laissa tomber le bois incandescent sur la toile, qui s'enflamma à son tour.

« La cire s'embrase et brûle assez longtemps. Toutefois, je crains que cette durée n'excède pas une dizaine de minutes. »

C'était, bien sûr, le temps dont on disposait pour ramener de quoi nourrir les flammes, sans quoi celles-ci s'étendraient. L'adolescent jeta un regard un peu implorant à la jeune femme, prenant soin de la regarder dans les yeux, et pas ailleurs. Il n'aurait jamais la force de rassembler lui-même assez de matière inflammable ; son sort était à présent dépendant de la bonne volonté de la dame.
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Laura le jeudi 26 décembre 2013, 16:08:55
« Oh... je supporte très bien le froid. Ne t'inquiète pas pour moi, nous allons commencer par te réchauffer. »

Il aurait été ridicule de se mettre à simuler des frissons et autres symptômes du froid, qu'elle connaissait de toute façon très mal. Elle n'était pas assez bonne actrice pour réaliser une imitation de manière convaincante. Autant se montrer immédiatement honnête sur ce point, puisqu'elle ne pouvait mentir convenablement. Tenter de maquiller maladroitement la vérité ne ferait qu'attirer les soupçons de l'humain.

Lorsque Ozvello sortit son ustensile, la Sirène s'approcha et s'accroupit à ses côtés, puis observa ses gestes avec curiosité, plissant les yeux devant l'objet qu'il manipulait. Il s'agissait donc d'une sorte de bijou enchanté ? Des flammes jaillirent, et la Sirène recula dans un sursaut de peur. Du feu. Un frisson remonta son dos et lui fit frémir les épaules. Elle n'aimait pas le feu. Aucune de ses sœurs n'aimait le feu. Entre elles, elles le surnommaient "langues de méduses" ; une appellation qui trahissait ce que les ondines redoutaient en cet élément. Laura elle-même s'était déjà brûlée, et la morsure avait été si violente qu'elle avait laissé des cloques sur sa main. Elle se souvenait très clairement de ce tiraillement persistant qui avait torturé sa chair des heures durant. Pendant des jours, sa peau se décollait à l'endroit de la brûlure, laissant une chair rose et sensible à vif. La cicatrice était restée plusieurs années avant de s'effacer progressivement, mais l'expérience était restée gravée dans la mémoire de l'imprudente.

« La cire s'embrase et brûle assez longtemps. Toutefois, je crains que cette durée n'excède pas une dizaine de minutes.
- D'accord, je vais faire vite. » répondit-elle d'un ton décidé en se remettant rapidement sur pieds. »


Puis elle tourna les talons et se fraya une chemins entre les arbres à la recherche des fameux fagots secs. "Secs"... tout avait l'air également sec dans les environs. Elle fit quelques mètres dans les broussailles en scrutant le plancher du bosquet : tout était recouvert d'une légère humidité, mais il semblait impossible d'y échapper où que les yeux se posassent. Cela devait déjà faire deux minutes qu'elle tergiversait ( elle s'était, à dessein, enfoncé suffisamment dans la végétation pour cacher sa totale inexpérience à son jeune compagnon ) : il fallait maintenant qu'elle se décide, ou les flammes que le garçon avait allumées allaient mourir. Et elle soupçonnait le petit humain d'être capable de mourir de froid...

Elle se pencha et ramassa donc toutes les branches qu'elle pouvait trouver, courant presque, le dos voûté, tout en entassant les morceaux de bois entre son bras et sa taille. Son fardeau lui piquait et griffait l'épiderme, et elle pestait sans cesse contre les branches qui se mettaient en travers de son chemin en lui sautant au visage par surprise.

C'est donc passablement exaspérée qu'elle surgit devant Ozvello, quelque cinq minutes après son départ, un fagot de branches mortes sur les bras. Elle se courba pour le laisser tomber devant le jeune homme puis se redressa en époussetant ses bras et son buste. Quel idiot, aussi ! Utiliser son allume-feu avant d'avoir le combustible à portée ! Même elle se rendait compte du manque de sens pratique dont il venait de faire preuve.

Pour sa part, elle espérait avoir bien interprété ce dont le garçon avait besoin. L'idée de passer pour une idiote l'angoissait un peu, aussi elle dut se racler un peu la gorge pour que sa voix reste assurée lorsqu'elle demanda :

« C'est bien ça qu'il te faut ? Combien veux-tu que j'aille en chercher ? »

Elle ponctua sa question en se tournant de profil, comme si elle s'apprêtait à repartir sur le champs en recherche de combustible. Ce faisait elle s'était dressée de toute sa hauteur, la poitrine bombée et les mains sur les hanches, et elle toisait maintenant le garçon en attendant sa réponse. L'idée venait de germer dans son esprit que, peut être, Ozvello avait voulu lui forcer la main en la mettant en situation d'urgence. Au lieu d'une simple étourderie, il se serait agi d'une petite stratégie pour que Laura soit forcée de partir seule à la chasse aux brindilles.

Elle ne pouvait pas se laisser mener par le bout du nez. Il devait être clair qu'elle était celle qui prenait les décisions et qu'elle n'était pas sotte. Si elle l'aidait, c'était uniquement parce qu'elle en avait envie et que cela coïncidait avec ses intérêts. Il était hors de question qu'un humain ( à peine pubère, de surcroît ) lui donne des ordres ou tente de lui jouer des tours. Maintenant qu'elle avait été roulée, elle se contentait de lever le menton d'un air défiant, mais elle ne se laisserait pas prendre à nouveau, ça non.
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Ozvello Di Luccio le vendredi 27 décembre 2013, 06:42:55
Le feu était un élément particulièrement agréable à Ozvello, surtout en des moments comme ceux-là. C'était, à n'en point douter, le meilleur ami du voyageur de Terra, qui n'avait avec lui à craindre aucun froid, aucune obscurité, et, pour peu qu'il trouve conjointement de quoi l'abriter, aucune pluie. Toutefois, il fallait le reconnaître, son affection pour les flammes était essentiellement liée à la situation : bien rares étaient les occasions, où, jusqu'ici, il avait eu à bénir la présence d'un feu. Dans le grand manoir de sa famille, à Castequisianni, l'âtre était allumé dès lors que le besoin s'en faisait sentir ; et on ne louait pas quelque-chose dont on pouvait bénéficier aussi communément, car il aurait fallu sinon se ravir tous les jours de pouvoir marcher ou de voir. Mais aussi vrai qu'un sourd aurait trouvé la moindre note arrivant à ses oreilles miraculeuse, la chaleur du foyer était érigée par l'adolescent au statut de merveille.

Malheureusement, une brève jubilation passée, il réalisa que le combustible dont il disposait ne lui permettait pas d'alimenter un feu très grand et très vif. Ce n'était rien qu'une petite flamme, une dizaine de bougies, un chandelier, une torche en vérité, n'auraient pas été beaucoup moins salvateurs. Le garçon grelottait toujours, et surtout, il ne séchait pas. Il devait se contenter, à proximité de la maigre serviette dont la cire s'était à présent embrasée, d'une température de quelques degrés seulement supérieure. Cela l’aiderait à attendre Laura. Il avait beau ne pas assumer parfaitement sa décision, il se félicitait chaque seconde d'avoir un peu renoncé à son orgueil pour faire la demande. Il n'aurait de toute façon pas pu attendre plus longtemps. Plus que tout autre, c'était le réconfort qu'il lui avait fallu en urgence, et il en trouvait un peu à regarder les flammèches dévorer l'invisible pellicule recouvrant la toile brune.

Le castelquisian restait ainsi seul, à genou devant son foyer. Son esprit fatigué, laissé à lui-même, se mit à penser autant qu'il lui était possible. Échafauder quelques théories, faire des constats, si cela lui coûtait encore, lui permettrait au moins de ne pas céder à l'endormissement. Que fallait-il penser de cette femme, à la beauté homérique, qui, sortie de nulle part, l'avait secouru, puis se présentait à lui nue, comme si elle venait d'un monde où la pudeur n'avait aucune réalité ? Il fallait ajouter à cela qu'elle avait manifestement des qualités de nageuse incroyables, et une aptitude supérieure à résister au froid... Comment fallait-il, aussi, interpréter l'apparent flou qui entouraient ses intentions, et qui donnait l'impression qu'elle-même ignorait son but ? S'il ne lui avait pas parlé de l'endroit dont il venait, alors qu'aurait-t-elle souhaité ? Pourquoi déciderait-on de se rendre soudain dans une ville dont, l'instant d'avant, on ne connaissait même pas l'existence ?

Au fait, lui avait-elle demandé de l'accompagner avant ou après qu'il ait mentionné sa fuite ? Ozvello était incapable de s'en souvenir. Mais si elle l'avait formulé après, alors était-ce possible qu'elle lui ait demandé cela uniquement parce qu'elle souhaitait que lui retourne sur ses traces ? Le menait-elle dans une sorte de quête, expiatoire ou initiatique, pendant laquelle il devrait affronter les conséquences de ses actes ? L'adolescent repensa à tous ces contes qu'il avait lus : entre deux romans de cape et d'épées, qui étaient de loin ses ouvrages préférés, et surtout plus jeune. Toute ça était trop soudain, trop miraculeux, trop beau, trop exotique et trop plein de sens moral à la fois. La piste féerique lui parut convaincante. Dans sa meilleure interprétation, elle avait l'avantage de coller à la perfection à l'idée qu'il se faisait de son destin. Dans la pire, si la rencontre était punitive (mais alors, pourquoi ne pas simplement l'avoir laissé mourir ?), alors au moins aurait-il vécu quelque-chose d'exceptionnel.

Et ses pensées vagabondaient, si bien qu'il en oublia presque le froid. Seul le bruit des pas de Laura le ramena à la réalité. À toute la réalité. La femme déposa les branches, et se penchant, donna aux agréments de son buste une inclinaison qui, par les artifices de la gravitation, les rendit assez ostensibles. Décidément, il ne s'y ferait pas de si tôt. Il avait l'impression d'avoir passé tout son temps en si charmante compagnie à décrire des arabesques avec les yeux. C'était un peu frustrant, au bout du compte. Heureusement, il n'y avait pas que des nouvelles frustrantes, et l'adolescent fut ravi d'annoncer à sa sauveuse que ce qu'elle avait rapporté était parfait. Il y avait une poignée de bâtons qui étaient trop verts pour faire une fumée respirable, et qu'il écarterait discrètement... mais la quantité, si maigre était son expérience en matière de survie, lui paraissait suffisante.

« Ça conviendra parfaitement pour maintenir le brasier quelques heures ! Je vous épargne l'expression de ma gratitude, j'ai peur qu'elle ne devienne redondante ! Toutefois, je crois que vous savez quel est mon sentiment ! Je n'ai pas souvenir d'avoir jamais contracté autant de dettes envers une personne. Une chance qu'il s'agisse d'un être tel que vous... »

Ozvello plaça quelques branches, souffla pour élargir le foyer, et laissa les autres fagots de côté. Il aurait tout le loisir de se réveiller de temps en temps pour l'entretenir par la suite. À l'endroit où il l'avait mis, il n'y avait pas de chance qu'il s'étende à quelque-chose d'inflammable. Les flammes étaient plus hautes maintenant, et dégageaient une vraie aura de chaleur. Néanmoins, le bretteur était toujours trempé, et ça ne risquait pas de changer s'il continuait ainsi. Il n'y avait guère qu'une solution au problème. Il allait dire un mot à ce propos, avertir Laura, mais la raison le retint. Il était à parier qu'elle n'en aurait rien à faire.

Sans attendre, il dégrafa donc sa cape, et l'étendit à côté de lui. Il fit de même pour sa tunique, enleva les bottes de sept lieux, puis sa chemise. Seuls quelques colliers demeuraient sur la poitrine de l’adolescent, qui n'avait rien de la brutalité qu'on pouvait retrouver dans le corps de la plupart des soldats. Il n'y avait là qu'une légère maigreur, un torse plat avec quelques muscles qui se formaient, et l'absence presque totale de cicatrices et de pilosité. Après avoir hésité, il fit également glisser le pantalon. Le dernier habit qui lui restait était aussi imbibé que les autres, mais au Diable s'il s'en séparait. Celui-ci lui réservait cependant une surprise dérangeant. Très largement alourdi par l'eau, le tissu blanc était devenu assez moulant... et son opacité était plus que relative lorsqu'il s'agissait de couvrir les formes les plus appuyées. Aussi y avait-il en son centre une colonne très droite, le long de laquelle, soumis à une pression certaine, le sous-vêtement perdait-il un peu de son immaculé pour des teintes chairs.

Paniqué, Ozvello tenta de croiser les jambes, et constata que cela ne faisait qu'accentuer l'apparente saillie de ce qui faisait de lui un mâle. Il se tourna alors brusquement sur le côté, priant pour que l'événement soit passé inaperçu. Le ton faible était plus que de rigueur lorsqu'il déclara :

« Je vais pouvoir prendre un peu de repos à présent, et ne pas vous faire tarder plus ! Je conjecture que la région est assez sûre ? Assurément, il est inutile de me veiller. Si vous avez quelques activités, comme celles que vous faisiez avant de me croiser, ou de menus préparatifs à faire en prévision de notre périple à venir... »

Le garçon avait encore beaucoup d'interrogations, et aurait aimé lui parler de sa théorie sur les fées... ça attendrait. Il n'était plus disposé à grand-chose, et n'en aspirait qu'à une : dormir, et surtout oublier la honte qu'il venait d'avoir.
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Laura le samedi 28 décembre 2013, 15:47:18
« Ça conviendra parfaitement pour maintenir le brasier quelques heures ! Je vous épargne l'expression de ma gratitude, j'ai peur qu'elle ne devienne redondante ! Toutefois, je crois que vous savez quel est mon sentiment ! Je n'ai pas souvenir d'avoir jamais contracté autant de dettes envers une personne. Une chance qu'il s'agisse d'un être tel que vous... »

Laura retint soudain sa respiration. "Un être tel que vous" ? Qu'est-ce que cela signifiait ? Il ne pouvait pas l'avoir déjà percée à jour ! Il n'avait pas changé de ton, et avait utilisé cette appellation d'une manière apparemment désinvolte. Déstabilisée, elle préféra ne pas relever. Bien assez tôt, elle saurait ce qu'il avait en tête, et alors elle pourrait inventer un mensonge, le plus plausible et convenable possible. Inutile de s'avancer dangereusement. Elle répondit, en soupirant avec une nonchalance simulée :

« Très bien... » un léger sourire aguicheur naquit sur ses lèvres « Tes flatteries me plaisent, tu sais. Mais n'imagine pas me manipuler ainsi. »

Que les choses soient bien claires. Là ! Ceci dit, Laura n'avait plus grand chose à faire ou à raconter : elle se mit donc assise, à une distance respectable du feu de camp, et observa d'un œil distrait Ozvello qui se dénudait. Il était beau, d'une certaine manière. Il n'avait pas cette charpente virile qui aurait fait briller le regard de la Sirène, mais son corps était délicat et harmonieux. Quelque chose, dans le buste frêle d'Ozvello, donnait l'envie d'y poser les mains, de le serrer contre soi. Elle n'en ferait rien, bien sûr. Puis le garçon abaissa son pantalon et dévoila son sexe, dressé contre vents et marées, étreint par la lourdeur d'un tissu froid et translucide. Laura sourit de toutes ses dents, un peu surprise, comme si l'absence de son propre désir lui avait fait oublier que ce petit éphèbe était avant tout un homme. Il n'y avait, après tout, aucune raison pour que lui n'ait pas envie d'elle. Cette idée plaisait à la séductrice : elle la confortait dans l'idée qu'elle se faisait de sa supériorité. Visiblement gêné, le jeune mâle tenta maladroitement de cacher son érection, et Laura dut plaquer sa main à sa bouche pour étouffer un rire. Elle supposait instinctivement qu'une moquerie aurait blessé l'égo de son guide, c'est pourquoi elle garda le silence en se remettant sur pieds.

Elle ignora les commentaires du jeune homme - bien sûr qu'elle allait le veiller, ça n'était pas comme si elle avait mieux à faire - et, tandis qu'il reposait sur le sol, elle se dirigea vers le tas de ses vêtements, qu'elle prit entre ses bras, et s'éloigna de quelques mètres pour essorer consciencieusement chaque pièce de tissu. Après avoir extrait autant d'eau qu'elle le pouvait de la cape du bretteur, elle l'étendit devant elle pour jauger sa taille, puis l'enroula autour de son buste ; de sous les aisselles au milieu des cuisses, la pudeur était sauve.

« Je porterais ta cape pendant le voyage, ça m'évitera d'être totalement nue. »

Elle avait parlé sur un ton qui, sans être excessivement autoritaire, ne laissait pas penser qu'elle s'attendait à être contredite. Et c'était bien naturel. Elle ignorait même si son futur guide était encore éveiller pour pouvoir l'entendre, et ça n'avait pas tellement d'importance. Elle s'éloigna encore un peu pour faire pendre tout son linge aux branches d'un arbre. Si seulement elle avait pu amener le feu plus près de l'arbre sans craindre de propager un incendie... Son esprit se trouvait face à un dilemne agaçant : la chaleur du feu ou la circulation de l'air ? Comment conjuguer le deux ? Fichtre. Elle se tripota les cheveux et se mordilla la lèvre, tout en réfléchissant. Ses orteils fouillèrent la terre devant elle. Elle fit craquer des brindilles entre ses doigts, jeta les brindilles par dessus son épaule, recommença. Puis elle se mit à chantonner son air fétiche en tripotant l'écorce de l'arbre à étoffes. Bah ! Problème insoluble ! Elle jeta le casse-tête hors de ses pensées, et son esprit vagabond l'amena jusqu'aux côtés d'Ozvello.

Celui-ci dormait paisiblement sur son flanc, sa respiration soulevant sa cage thoracique. Son visage portait encore un peu de la candeur qu'on les enfants assoupis, et elle ne pouvait en détacher son regard, tandis qu'elle à pas de louve et se faufilait près de lui à quatre pattes. Dans le sous-vêtement humide, son pénis s'était visiblement détendu, ce qui contraria un peu la Sirène, elle qui aurait voulu y jeter un coup d’œil un peu plus inquisiteur. Tout en retenant ses cheveux pour leur éviter de chatouiller le dormeur, elle promena son nez le long de son corps, humant l'odeur qui s'en dégageait : il était agréablement propre. Peut-être y avait-t-il un lien avec son récent passage dans un cours d'eau, mais Laura avait déjà senti des marins aux odeurs bien plus fortes, même après qu'ils aient fait une rapide trempette. Ses cheveux bouclés, tout particulièrement, semblaient être entretenus avec régularité. Elle hésita à toucher directement sa peau, mais sa ravisa. Si elle jamais elle le réveillait... non seulement elle n'agissait pas d'une manière très polie, même selon les critères ondin, mais surtout elle risquait de rallumer le désir du jeune homme avec une intensité peu souhaitable.

Bon sang !

Une idée venait d’éclater dans son esprit. Persuadée d'être une créature géniale et supérieur par la pertinente fertilité de son esprit, elle bondit sur ses pieds et courut avec enthousiasme vers la forêt : lorsqu'Ozvello se réveillerait, sous le regard conquérant de Laura, une étrange construction instable à base de branches trônerait à côté du feu, recouverte par des vêtements - presque - parfaitement secs.

« Alors, joli blessé, prêt ? Oh, je me suis permise d'emprunter ta cape. Ça n'est pas très pratique, mais c'est plus décent ainsi. Tu peux marcher ? Encore une fois, mon aide est offerte, si tu veux. »
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Ozvello Di Luccio le lundi 30 décembre 2013, 07:45:33
Il y a de ces sommeils prolongés où, dans la semi-torpeur d'une narcose rigoureusement programmée, l'on jouit parfois du privilège de faire quelques rêves colorés. Puis il y aussi l'assoupissement nécessaire, celui qui, plus lourd et plus rapide à venir, emporte les corps et les esprits qui se sont épuisés, et les garde en repos plus sûrement encore les heures qui suivent. Sans aucun doute Ozvello faisait-il le second type de sieste, dormant paisiblement mais sans songes, dans l'inconscience la plus totale du monde autour de lui. Il ne sentit ni même ne devina les attentions de Laura à son égard, ou les mots qu'elle prononça. Il ne parvint même pas, contrairement à sa volonté, à émerger ponctuellement de sa léthargie pour s'assurer de l'état des flammes, qui, heureusement bien nourries, se portèrent sans lui à merveille et continuèrent à le réchauffer.

Lorsqu'il ouvrit les paupières, il n'y avait guère que la teinte du ciel, qui s'était fait plus bleu, pour lui indiquer que du temps était passé : six heures envolées en un éclair. Mais le bretteur était jeune, et son repos, sur le lit d'herbe verte qui recouvrait la terre meuble, avait été réparateur. Ses membres étaient encore un petit peu lourds, légèrement courbaturés des efforts excessifs qu'ils avaient du fournir. Il savait que cela lui passerait vite, et qu'un peu de mouvement lui ferait retrouver de l'aisance. Son corps avait arrêté de trembler. Il était sec, il n'avait même plus froid, au contraire, la température au coin du feu lui paraissait tiède. Ses yeux ne le piquaient plus non-plus, et n'étaient plus cernées comme quand il avait été sauvé par Laura. Laura, dont la voix mélodieuse arrivait à ses oreilles et acheva de le réveiller.

« Vous entendre est un rassurant délice. J'avais douté de ne vous avoir vu autrement qu'en rêve. Il faut pour ma défense remarquer que vous partagez nombre de traits avec les créatures qui peuplent les plus agréables songes. »

Le commentaire qu'avait fait son interlocutrice sur les flatteries ne lui revint que quelques secondes après, alors qu'il était déjà trop tard. Tant pis ; c'était une seconde nature chez-lui, et malgré tout, elle lui avait quand même dit qu'elle trouvait cela plaisant. Il n'aurait simplement pas fallu qu'elle finisse par prendre ces manifestations d'un certain tempérament romantique et élogieux pour des compliments intéressés. Rien n'aurait été plus faux. Lorsque Ozvello cajolait l'ego d'une personne, ce n'était jamais à dessein, et presque toujours d'une grande sincérité, encore que parfois exagéré par les nombreuses hyperboles. On pouvait remarquer avec quelle aisance la plupart des gens trouvaient des mots grossiers pour attaquer une personne... et comme le castelquisian avait une facilité égale à en trouver des raffinés pour louer son prochain.

Toutefois, tout à ses belles paroles, l'adolescent ne s'était même pas encore redressé, ce qu'il fit bien vite. Il tomba alors nez-à-nez avec ses affaires, sans même avoir eu besoin de les chercher. Elles étaient toutes intactes, à l'exception de la cape absente, disposées sur un séchoir artisanal. Il n'osa rien dire sur le travail de charpente, visiblement laborieux, qui avait été réalisé par la jeune femme, et préféra plutôt en constater l'efficacité. Dans le cas où il aurait fallu une preuve de sa reconnaissance, il fit, vers l'avant, un mouvement de la tête appréciateur. Puis il se hâta d'enfiler son pantalon d'abord, car les derniers événements de ce qui était pour lui la veille venaient de remonter à sa mémoire. Enfin, chemise et veste trouvèrent leur place sur le haut de son être. Tout était admirablement séché. Seule sa cape lui manqua, ainsi que Laura l'avait prévenu. Il releva :

« C'est volontiers que je vous la laisse ! Cependant, moi qui pensais avoir eu un... euh, privilège particulier... en vous trouvant... dans votre plus simple appareil... Puis-je m'inquiéter du sort de vos affaires ? Il m'a semblé que vous aviez l'élégance d'une princesse, et que vous deviez avoir des atours en accord. Si vous n'en possédez pas, alors nous vous en trouverons à la prochaine ville... ? »

Il venait d'aborder un sujet un peu difficile. Secoué comme il l'avait été, l'élément de détail ne lui avait pas traversé l'esprit : pour un guide, il avait une connaissance très piètre du terrain. Certes, il savait dans quelle direction partir, et avait une vague idée des paysages... mais c'était essentiellement tout. Il n'avait guère eu à faire plus que s'orienter, tant qu'il avait eu aux pieds les bottes de sept lieux. Il avait d'ailleurs oublié ces dernières. Prudent, il les souleva du sol et les sangla à sa ceinture.

« Je marcherai pieds nus. Elles nous feraient gagner du temps, mais ces chausses sont dangereuses. Plus encore depuis la perte de Caracole. »

Le garçon soupira. Marcher aussi se promettait d'être une chose difficile. Il attrapa le grand bâton de bois qu'il avait tranché avant de s'endormir. Il avait bien choisi la longueur, et parvint à se hisser sans trop de mal en position bipède. Il testa l'état de sa cheville, en portant une partie significative de son poids dessus. Un vif tiraillement lui fit serrer les dents : dès qu'elle était trop sollicitée, la blessure l'élançait. Toutefois, il pouvait encore poser la pointe du pied au sol, et son allure, quoique claudicante, ne devrait pas être trop lente. Il s'essaya ainsi à ce déplacement, faisant quelques pas en plaçant la majeure partie de son poids sur sa jambe valide et sur sa canne. C'était assez ridicule, et un peu pénible. Moins que le bretteur ne l'aurait cru cependant. Le plus désagréable étant peut-être le contact direct de sa voûte plantaire avec la terre. Il n'était pas habitué à marcher sans chaussures.

« Alors, je propose que nous partions de là où je suis venu. C'est-à-dire, de l'autre côté de ce ruisseau trop bien connu. Je ne me sens pas capable de le traverser à la nage, hélas, même si vous y arriveriez sans doute ? Il faudrait le longer pour trouver un gué, ou voire le contourner totalement s'il ne s'étend pas trop. »

Il avait aussi l'espoir, en faisant cela, de retrouver Caracole échouée quelque-part, sans trop y croire... La suite du programme devait consister, dans le cas où tout irait bien, en la sortie de cette forêt. Ils trouveraient ensuite des plaines, et, s'ils avaient de la chance, une ville ou plus probablement un village ou une ferme. Il pourrait acheter de quoi se chausser, et à Laura de quoi se vêtir. Mais cela, Ozvello ne pouvait le garantir.
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Laura le mardi 31 décembre 2013, 16:01:54
Le compliment caressa à nouveau l'ego de la Sirène, bien qu'il n'eut dans les fait rien de très rassurant. Encore une fois, Ozvello mettait implicitement en doute l'humanité de son interlocutrice, et celle-ci n'avait pas la moindre idée de la manière dont elle était censée répondre à ces accusations en sourdine. Les ignorer, c'était certainement la meilleur chose à faire, décidément. Plutôt que de travailler à sauver sa couverture, elle préféra entrer dans le jeu de son flatteur :

« Qui te dit que tout ceci est réel, et que tu ne reposes pas en ce moment même au fond du torrent ? Penses-tu qu'il y ait de grandes chances pour que quiconque vienne à ton secours, dans cette région inhabitée ?... En réalité, ton cerveau se berce de douces rêveries pour alléger son agonie. Mais que cela ne t'empêche pas d'en profiter. »

Un léger rire découvrit la blancheur impeccable de sa dentition bien ordonnée. Ses cheveux noirs étaient de nouveau lisse et soyeux, et bien qu'elle ait passé toute la nuit à les démêler soigneusement, elle ne pouvait s'empêcher de les faire glisser sans cesse entre ses doigts, à la recherche d'une quelconque imperfection. C'est donc le visage légèrement incliné de côté, ses deux mains s'activant lentement sur les ondulations de sa crinière, qui passait toute entière par dessus son épaule, qu'elle observait Ozvello. La cape était maintenue par deux fins morceaux deux bois qu'elle avait taillés en pointe à l'aide de la dague du dormeur et soigneusement débarrassés de leur écorce. Ceux-ci perçaient chacun le tissu en deux endroit et faisaient office d’agrafes de fortune. Laura doutait être capable de poignarder quiconque avec des outils d'une si médiocre facture, mais au moins n'avait-elle plus à tenir elle même son habit. Et puis, selon le besoin, elle pourrait toujours emprunter à nouveau le poignard du jeune homme.

« C'est volontiers que je vous la laisse ! Cependant, moi qui pensais avoir eu un... euh, privilège particulier... en vous trouvant... dans votre plus simple appareil... Puis-je m'inquiéter du sort de vos affaires ? Il m'a semblé que vous aviez l'élégance d'une princesse, et que vous deviez avoir des atours en accord. Si vous n'en possédez pas, alors nous vous en trouverons à la prochaine ville... ?
- J'ai malheureusement du laisser mes vêtements derrière moi pour secourir un malheureux happé par les flots. Il nous faudrait traverser la rivière pour les retrouver, et je crains que cela n'en vaille pas la peine. »


Elle observa en silence Ozvello qui tentait de se mouvoir à l'aide de son bâton et les pieds nus. Sa curiosité la démangeait au sujet ce cette paire d'artefacts, mais elle ne chercha pas à en savoir plus pour le moment. Elle avait une foule de questions à poser, et si cela pouvait leur donner à parler durant le trajet, ça ne serait pas plus mal. Quelque part, elle était excitée à l'idée de passer quelques heures seule avec cet humain. Les conversations qu'elles avaient tenues jusqu'alors sur le continent avaient toutes été plus ou moins sources d'angoisse, du fait qu'elle se trouvait perdue et isolée dans un environnement étrange et potentiellement hostile. Elle avait hâte d'avoir réglé les questions pratiques qui s'imposaient pour pouvoir bavarder à l'envie. Elle opina doucement du chef lorsque qu'il lui proposa de contourner la rivière. C'était peu ou prou l'idée qu'elle avait en tête.

« Justement, nous pourrions suivre cette rivière dans le sens du courant : elle nous mènera à un village, si mes souvenirs sont bons. Si toutefois tu as de quoi me procurer des vêtements, ça sera l'occasion d'enfiler quelque chose de... plus pratique. »

A condition que son sens de l'orientation ne se soit pas trompé, le torrent devait, quelques heures de marche plus tard, rejoindre un fleuve qu'elle connaissait un peu. Il lui était arrivé de chasser dans les environs. A son embouchures, située à quelques vingts minutes de nage de la jonction avec le torrent, s'était installée une petite ville vivant essentiellement de la pèche. Par chance, les deux voyageurs n'auraient pas à traverser la rivière pour s'y rendre. Elle rejeta donc ses cheveux dans son dos et se mit calmement en marche, rejoignant la berge pour la longer ; à moins qu'Ozvello ne décidât de rester sur place et de la laisser partir seule devant pour lui jouer un tour cocasse, les deux voyageurs entamèrent leur périple côte à côte. Il ne fallut pas longtemps pour que la femelle se mette à causer joyeusement :

« Donc tu penses que je pourrais être confondue avec une princesse ? Tu en as déjà vu dans ta contrée ? A quoi cet endroit ressemble, exactement ?... Oh, tu peux t'appuyer sur moi, si tu juges que c'est plus pratique, pour marcher. » Disant ceci, elle lui proposait son bras avec enthousiasme, « J'espère que c'est un endroit plus grandiose que Nexus. Est-ce qu'ils laissent facilement entrer des étrangers ? Oh, j'ai vraiment hâte d'y être... Ah, tu marches vraiment lentement. Tu es sûr que tu ne veux pas d'aide ? Comment s'appelle l'endroit d'où tu viens, déjà ? Castel... j'ai oublié, hehehe ! »
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Ozvello Di Luccio le dimanche 26 janvier 2014, 22:50:04
Il fallait marcher, et surtout, ne pas se plaindre. C’était seulement les enfants qui disposaient de ce droit, et en choisissant de quitter Castelquisianni, Ozvello y avait renoncé définitivement. Ainsi, personne n’aurait connaissance de sa douleur et de sa gêne. De toute façon, il avait déjà vécu de pires épreuves le jour même. Il convenait simplement de se changer les idées, et la meilleure façon de le faire était encore de parler d’autre chose. La parole, songeait-il encore, c’était bien le meilleur des remèdes à la plupart des maux de l’univers. S’exprimer avec un ton gai, insouciant, et s’efforcer de tenir un rythme un peu plus rapide que ce qui aurait été raisonnable, voilà quel serait son anesthésiant.

« Assurément, vous avez une grâce pareille à celle des princesses... de plus, vous avez toutes ces choses innées qui font la beauté des femmes, et ni le temps ni le labeur ne vous les ont prises. Car voyez-vous, je pense qu’une paysanne peut naître avec les attributs d’une reine... mais sa mauvaise vie lui les prendront le plus souvent bien vite. Hélas, je crois que cela se décline parfois dans un sens contraire ! Même une noble famille peut avoir quelques héritiers sans aucun charme, auquel seuls de précieux atours donneront un peu d’attrait. Cependant, avec ou sans parures, personne ne douterait jamais du prestige de votre lignage, si vous vous présentiez de cette manière ! »

L’esprit de l’adolescent était stimulé par son propre monologue, et sa pensée rattrapait avec peine seulement une langue qui avait toutes les aisances à galoper sans lui. Les mots qui sortaient de ses lèvres le poussaient à formuler de nouvelles phrases, et à creuser sa réflexion.

« D’ailleurs, vous n’avez pas davantage de manières roturières. J’espère que vous ne me tiendrez pas rigueur d’avancer que vous n’avez pas l’air d’avoir jamais travaillé la terre... Quelle est donc votre condition ? Êtes-vous fille de bourgeois, de bailli ? »

Toujours les mêmes questions se posaient quant à la présence mystérieuse de la jeune femme en ces lieux, dévêtue et pourtant excellent nageuse. Pourtant, il choisit de mettre ces préoccupations de côté un instant. La tentation de s'étendre sur un sujet qu'il connaissait si bien, la ville dont il était originaire, était trop forte. Il avait eu tellement de cours de commerce et d'histoire... et même s'il aurait souhaité les oublier, il ne pouvait que les restituer.

« La bourgeoisie et la noblesse se confondent aisément à Castelquisianni. Les barons de la principauté se trouvent le plus souvent être les marchands qui réussissent depuis plusieurs générations. Mais n'est-ce pas ainsi dans tout état civilisé ? La noblesse d'épée n'est pas très courante, en réalité, et cela fait longtemps que les armes ne constituent plus la voie d'ascension principale. Les fonctions strictement militaires ne sont pas tellement prestigieuses, encore que tout privilégié sait manier le fleuret. La tradition est de cultiver ses propres richesses, plutôt que d'annexer celles des autres. »

Lorsque Laura lui proposa son bras, le garçon hésita une seconde. Puis il décida qu'il serait plus impoli de refuser l'aide que l'accepter ne serait humiliant. Il n'était plus vraiment à une assistance près, et même sans cela, il était déjà son obligé... Le tableau, une femme nue enveloppée dans une cape, et un bretteur boitant, ne souffrirait pas d'un peu plus de ridicule. Il convint donc de consentir à se faire soutenir, tout en faisant bien attention à s'y appuyer le moins possible. Au-dessus de la cime des arbres épars, on apercevait un ciel bleu pâle.

« Si vous aviez été une créature des flots, j'aurais voulu en être une des vents. Je n'aime guère garder les deux pieds sur terre. Cela me désole que les événements vous ai donné une image aussi  gauche de moi. Je crois avoir quelques qualités pour la voltige, quand une blessure ne me fixe pas à la glaise ! »

En effet, à mesure qu'ils avançaient, le sol sous leurs pieds devenait un peu plus meuble, et le ruisseau moins profond quoique plus large. Si le processus continuait ainsi, ils arriveraient certainement à un gué sous peu. Son passage ne serait toutefois pas nécessaire, si les connaissances de la jeune femme en matière de géographie se révélaient exhaustives, et qu'elle continuait dans son idée d'atteindre le village proche. En attendant cela, Ozvello répondit aux dernières questions.

« Entrer dans Castelquisianni est une chose facile ! Bien sûr, si l'on transporte des marchandises destinées au commerce, il faut s’acquitter d'une taxe... à moins de posséder un titre. Il en va de même si l'on souhaite emprunter le fleuve dans une embarcation, pour se rendre à la cité Nexus, ou vers le royaume elfique de la Sylve. Demeurer à Castelquisianni est une autre affaire, du moins si l'on veut résider dans un beau quartier. Les auberges sont plutôt chères, il me semble. Mais j'avoue ne pas connaître les faubourgs les plus populaires et certainement plus accessibles. Je n'ai jamais eu à m'y rendre. »
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Laura le lundi 24 février 2014, 18:00:35
Pas insensible à la flatterie, la Sirène minauda comme une adolescente devant le premier charmeur venu. Pour sûr elle avait de la grâce, et il était toujours plaisant de l'entendre relever de si belle manière. Elle se voyait déjà dans une parure de reine, étouffante mais chatoyante, au milieu de ces Hauts Hommes. Si son guide lui assurait que c'était possible  - et c'était bien ce qu'il faisait, à moins qu'une nuance n'ait échappée à l'esprit sagace de l'ondine - elle saisirait sa chance. Peut être qu'elle aurait la chance de faire la guerre.

Alors, fille de bailli ou de bourgeois ? Qu'est-ce qu'un bailli, d'ailleurs ? Elle aurait bien opté pour la réponse du bailli - la sonorité était bien plus plaisante que celle de "bourgeois" - si elle seulement elle avait eu la moindre idée de ce sont il s'agissait. Et son ignorance l'aurait sûrement faite pencher vers la deuxième réponse, si elle avait eu plus de connaissance de ce côté là.

« Fille de musicien ! »

Elle n'en dit pas plus. Elle espérait bien qu'il n'en demande pas plus non plus, car elle risquait fortement ne pouvoir satisfaire sa curiosité. Toutefois, fille de musicien était le rôle qu'il lui semblait le plus aisé de jouer. Après tout, elle aurait été bien en peine de soutenir une conversation sur autre chose que la musique ou la poésie, sans que son interlocuteur ne commence à trouver son inculture générale étrange.

« Mais mon père est mort, et ma mère aussi. Donc voilà. »

Voilà qui lui éviterait des questions auxquelles elle ne pourrait répondre.= : Les ancêtres décédés, le sujet était clos, en principe. Une bonne chose de faite. Peut être aurait-il été avisé de prendre un air chagrin, mais c'est bien trop tard qu'elle y pensa. Elle ne se laissa pas tracasser trop longtemps par son erreur, suivant avec attention l'exposé que lui donnait Ozvello de sa cité natale.

Le récit était fascinant et, bien qu'elle ne le comprit que partiellement, elle ne disait mot, se contentant de hocher la tête en encourageant le bavard de son regard pétillant de curiosité. Il lui faudrait certes reprendre la parole à un moment où à un autre, mais que pouvait-elle répondre à tout ça ? Pas grand chose, en vérité. L'expérience et le vécu lui manquaient cruellement, pour mettre des images sur les mots qu'Ozvello bombardait sur elle. Pour l'heure, elle ne pouvait que fantasmer. Des paysages rutilants se déployaient dans son imagination : des tours effilées grattant les nuages, des bâtiments énormes formant des dédales aux formes insensées, de larges avenues fleuries encadrées par des façades de granite blanc aux nervures bleues. Quelques hommes et femmes, jeunes, beaux, vêtus de manière extravagante, affairés à... à leurs affaires d'humains.

« J'ai vraiment hâte d'y être ! »

Mais je risquerais de m'y perdre...
songea-t-elle, je ne peux pas prendre le risque de faire autant de bêtises qu'à Nexus. Je n'aurais peut être pas de la chance éternellement... il me faudra absolument un guide.

« Il faudra que tu m'expliques... une foule de choses. Tous les hommes te connaissent, là d'où tu viens ? A Nexus, j'avais beau m'attirer des ennuis, il me suffisais de m'enfuir et on ne me retrouvais jamais ! Je ne veux pas te faire tuer, évidement, mais ce serait quand même très pratique si tu pouvais entrer avec moi. Je ne connais pas grand chose aux villes. »

Peut être parlait-elle de la survie du jeune homme avec trop de légèreté. Après tout, c'était certainement un sujet qui lui tenait à cœur, à lui. Il avait pourtant l'air si dévoué qu'elle se demandait jusqu'à quel point il serait capable de négliger ses propres intérêts.

« Enfin, tu feras comme bon te semble, évidemment. » ajouta-t-elle avec un sourire bienveillant. Elle n'aurait pas le cœur de l'entrainer à sa perte contre son gré, s'il préférait finalement se dérober. Et puis, ç'aurait été plus dangereux et contre-productif pour elle.

[...]

Les deux "amis" ne tardèrent effectivement pas à croiser le chemin d'un passage à gué, que la Sirène n'envisagea même pas d'emprunter, sûre qu'elle était de sa destination. Elle ne déviait pas d'un pouce de sa trajectoire, et suivait le courant de manière rectiligne, ignorant les fluctuations du lit en largeur et en profondeur, quitte à marcher pieds et mollet dans l'eau, quitte à entrainer le gentil-jeune-homme dans le sillon de ses clapotis décidés (non, ne soyons pas mauvaise langue, elle ralentissait assez, lorsque nécessaire, pour qu'il reste à son côté). Heureusement pour Ozvello, dont la fierté était sans doute le pire des instincts possibles entre les griffes de sa créancière, la tendance à l’élargissement du fleuve fut bien vite effacée par son austère opposée, et les flots dilués se resserrèrent progressivement en un courant profond pour s'enfoncer avec un calme grondement entre les pente douces qui se formaient inexorablement à ses flancs. Bientôt, l'inclinaison du terrain devint trop marquée pour y randonner convenablement, et le couple de marcheurs dut s'écarter du rivages de plusieurs mètres pour progresser aisément. Les arbres, eux, se clairsemaient, et de discrets souffles d'air chatouillaient par moment la peau de Laura ; à mesure qu'ils avançaient, les arbres se faisaient de plus en plus rare et la brise de plus en plus insistante, jusqu'à ce qu'ils se retrouvent au beau milieu d'une plaine battue par le vent, à peine bosselée par des reliefs recouverts d'une herbe inégale et terne. Les bourrasque firent voler à plusieurs reprises les cheveux de la noiraude ainsi que son vêtement de fortune, amenant chaque fois à ses narines l'odeur discrète et familière du grand large. Une odeur qui aurait été réconfortante, en d'autres situations. Seulement, ici, elle indiquait que la mer était dramatiquement proche... alors que les voyageurs n’apercevaient toujours pas signe de vie sédentaire. Une émotion désagréable, à mi chemin entre la panique et la honte, noua les entrailles de Laura. Il devrait y avoir une ville ici. Non, pas ici, mais au bout de ce fleuve. Elle était sûre de suivre le bon fleuve. Elle ne reconnaissait pas l'endroit. Elle ne voyait pas de ville. Pas de village. Rien du tout.

Mais peut-être, en grimpant ce petit relief, là devant ?...
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Ozvello Di Luccio le mardi 08 avril 2014, 16:18:35
Succédant à une expression de surprise, c'est une expression plus sombre qui vint s'inscrire sur le visage d'Ozvello. Quel statut social se cachait-il donc derrière cette déclaration un peu obscure de descendante de musicienne ? Cela pouvait signifier à la fois tout et rien, et ne lui en apprenait en somme pas beaucoup sur son interlocutrice, qui paraissait vouloir rester plus que jamais mystérieuse. En effet, les musiciens, à Castelquisianni comme dans de nombreuses autres régions semblables, étaient divisés en plusieurs catégories qui avaient entre-elles peu de choses à voir.

Il y avait pour une part que beaucoup des nobles savaient jouer d'un ou plusieurs instruments. Cet enseignement ne concernait dans la cité marchande, contrairement à certaines cultures voisines, pas seulement les progénitures féminines. Les plus doués de ces individus privilégiés se consacraient également à la composition, dont certains faisaient même une activité prenante. Toutefois, on appelait rarement ceux-là musicien, car même s'ils y passaient beaucoup de temps, ce n'était pas là leur titre principal. Il y avait pour une autre part les fabricants d'instruments, qui savaient assez souvent en jouer, mais qui ne se représentaient qu’exceptionnellement. Le terme consacré était luthier lorsqu'ils faisaient des cordes, facteur quand il s'agissait de vents ou de claviers. Ceux-là étaient de petits artisans, et les plus réputés, des artisans d'art.

Puis il y en avait encore d'autres, qui se spécialisaient uniquement sur l'interprétation. Cependant, pour combien gagnant leur vie grâce au mécénat d'une personnalité fortunée en existaient-il qui trimaient, ne se produisant guère ailleurs que dans les auberges et les places ? Une grande partie de ces derniers, et tout ceux qui vivaient à la campagne plutôt que dans les villes, n'étaient des vagabonds... des forains à l'honnêteté discutable qui se déplaçaient en caravane, cherchant leur public sur les routes et gardant dans leur roulotte toute leur famille. En conséquence, lorsque le père était musicien, de quel travail pouvait bien écoper leurs proches ? Ozvello n'était pas naïf au point de penser qu'une majorité d'entre-eux ne s'adonnaient pas à une mauvaise vie... Une mauvaise vie qui aurait pu d'ailleurs tout-à-fait expliquer leur disparition prématurée. La combinant aux autres éléments qu'il avait réussi à récolter, cela s'orientait vers une explication crédible quoiqu'assez déplaisante.

Toutefois, il n'était pas garçon à garder de suspicions trop encombrantes sur les gens qu'il croisait. Caracole, si elle avait été encore là, songea-t-il malgré lui, aurait certainement tenté de le mettre en garde. Il n'avait connu l'épée que pendant une courte période, mais il avait déjà pu éprouver la méfiance qu'elle avait des individus. Sans doute, se dit-il, aurait-elle fait une partenaire idéale, comblant son manque de prudence et son ambition par sa paranoïa et son scepticisme. En l'absence de la rapière enchantée, il n'avait plus aucune sinistrose pour tempérer son optimisme. Cependant, encore un peu troublé par sa réflexion, qui jetait une lumière particulière sur la nudité dans laquelle il avait trouvé la jeune femme, il se contenta de baisser les yeux et d'affirmer, de façon lacunaire et d'une voix blanche :

« Je suis désolé. »

Comment ses spéculations pouvaient-elles se mouvoir avec une si grande vivacité de cela à l'être mystique ? Probablement parce qu'aucune n'était sûre. Et quand bien même il se serait agit d'une follieuse –il se refusa à la nommer ainsi, et préférait le terme de courtisane–  il n'avait pas à la juger de quelque façon que ce soit. Beaucoup de filles, il ne l'ignorait pas, avait leur beauté pour toute ressource, ce qui ne les rendait pas moins dignes d'être considérées. S'il s'était échappé de Castelquisianni, du reste, ce n'était guère pour côtoyer encore la belle aristocratie à la vertu préservée, comme il l'avait fait jusqu'ici. Croiser le chemin de telles personnes ferait partie intégrante de l'apprentissage qu'il avait lui-même décidé de s'imposer. Restait la nécessité de se comporter en homme honorable face à ceux et celles auxquels la vie n'avait pas donné d'éducation semblable.

« Je vous suivrais jusqu'au bout du monde, madame, s'il m'en incombe, et cela avec un plaisir infini. Je vous dois plus que tous les risques qu'il me serait donné de prendre. Toutefois, j'ai pour devoir supérieur de veiller à votre sécurité, et il me faudra faire preuve de discrétion si je veux m'assurer que ma présence à vos côtés ne constitue pas un danger trop important pour vous. Je pourrais peut-être concevoir de me déguiser à l'avenir, car dans la tenue où vous me trouvez, je demeure encore trop identifiable. Il ne faudrait pas plus de quelques pas dans l'enceinte de la ville pour que l'on signale mon retour à la princesse, qui elle me ferait aussitôt emprisonné, et vous avec si je n'y prends pas garde. C'est une perspective qui ne m'enchante guère, mais l'habit d'un bourgeois sera sans doute pour moi salvateur dans le cas de figure où je devrais vous accompagner à l'intérieur même de Castelquisianni. Nous pourrons probablement acquérir tout cela sur la route. »

Il aurait préféré affronter un dragon que de pénétrer à nouveau dans sa ville natale, mais pour autant, les dragons ne l'avaient jamais tant effrayé que cela. Pour celle qui l'avait secouru, de plus, il aurait affronté tous les monstres cracheurs de feu de Terra. Faire face à une famille furieuse et à une monarque voulant plus que sa mort ne demandait après tout qu'un degré légèrement supérieur de courage. Celui d'affronter la possibilité d'un regard sur ce qu'il valait. En plus d'être mort, il risquait bien d'être jugé, et c'était bien plus dérangeant que l’office d'une chimère, qui, elle, se serait contenté, sans autre forme de procès, de le brûler vif.

« Je serais bien en peine de  vous comparer la garde de Castelquisianni avec celle de Nexus, ou de toute autre grande ville. Je suppose qu'elles sont toutes plus ou moins semblables, à l'exception de la Specia, la garde militaire, à laquelle nous n'aurons je l'espère pas affaire. C'est un bon corps d'armée, pauvre en hommes mais dont les entraînements sont très exigeants, d'autant que j'en sais. J'ai un frère qui y officie en tant que lugarteniante... ce qui est un bon grade pour un mâle de son âge : les officiers sont le plus souvent des femmes, qui conservent jalousement un pouvoir acquis il y a de nombreux siècles. Quant à ce que vous souhaitez faire au sein même de cette ville, vous voudrez peut-être me le dire ? »

Que son interlocutrice soit en mesure de s'attirer régulièrement suffisamment d'ennuis pour s'en préoccuper ne le rendait pas particulièrement serein. L'inquiétude était pourtant compréhensible, pensait-il, car les provinces où s'exerçait un pouvoir xénophobe relevant de la tyrannie militaire ne devaient pas être rares. On lui avait toujours affirmé qu'il possédait beaucoup de chance de vivre dans une cité dont les dirigeants étaient si éclairés et modérés en toute chose. Évidemment, depuis qu'il était recherché par les dirigeants en question, l'affirmation lui parlait moins.

[…]

Le trajet ne fut pas particulièrement agréable pour Ozvello, qui n'appréciait pas vraiment de se souiller les pieds sur les terres molles de la route. Toutefois, malgré le défaut évident qu'elles présentaient : elles étaient salissantes, elles avaient pour avantage de faire moins souffrir sa cheville que ne l'aurait fait un sol plus ferme. S'enfonçant légèrement dans la glèbe tendre, ses appuis étaient moins violemment sollicités, permettant la marche soutenue qu'il s'imposait. Devant eux, le paysage s'annonça d'abord comme désespérément vide. Les narines du garçon, moins entraînées que celles de sa complice, ne relevèrent dans l'air rien de particulier. Il n'y avait que des collines verdoyantes ou boueuses autour desquelles serpentait inlassablement le cours d'eau au tracé peu régulier. Il espérait seulement que ce voyage épuisant et douloureux pour lui prenne fin au plus vite, et qu'ils trouvent un lieu sûr pour faire escale.

Ses prières furent entendues dans la soirée, après plusieurs heures encore de randonnée éreintante. Arrivés au sommet d'un relief, se découvrit enfin devant les yeux des marcheurs, non-pas le village attendu, mais un hameau isolé. C'était la demeure typique d'un paysan qui devait vivre à une distance relativement importante de toute autre bourg, et qui devait pour cela être dans la capacité de se défendre d'éventuels petits groupes de pillards. Excepté cela, le bretteur, peut-être trop meurtri pour bien voir, ne nota rien de particulier. La vision lui fit tout-de-même grand plaisir :

« Ce n'est pas la cité que nous espérions, mais cela fera à n'en pas douter le meilleur des endroits pour faire escale ! Les cultivateurs sont des gens bons et généreux, possédant un sens inné de l'hospitalité ! … du moins, c'est ce que l'on m'a dit. »


Le garçon n'avait bien sûr aucune expérience de ce type de milieu... en sus, il fallait ajouter que les agriculteurs des alentours de Castelquisianni, bien plus riches que la plupart de leurs homologues, étaient aussi pour cette raison bien moins rustres. La ferme était toutefois trop éloignée pour bénéficier à coup sûr du rayonnement de la cité.

« En revanche, il me semble que ce sont des gens extrêmement religieux et conservateurs. La retenue est de mise : il ne s'agit pas de heurter leurs croyances et leurs convictions profondes. Il nous faudra éviter les sujets qui pourraient faire des polémiques, même s'ils semblent vouloir les aborder, et nous montrer modérés ou abstraits dans toutes nos réponses. Soyons humbles et consensuels, et ils nous accueillerons avec bienveillance. »

Ozvello secoua la tête, conscient de faire preuve d'un peu trop de prévenance. Ce serait beaucoup plus simple, il était prêt à le parier, lorsqu'ils seraient face à un vieux paysan, le cheveux blanc mais l’œil vif et bon, prêt à leur offrir gîte et couvert sous le toit qui abritait sa petite famille.

« Enfin, vous avez peut-être une meilleure connaissance que moi en la matière. J'ai pu assister à de nombreux cours de diplomatie et de protocole, mais je doute de leur pertinence. L'étiquette Castelquisianne est affaire complexe. Il ne faut peut-être pas chercher matière si compliquée. Que diriez-vous d'aller frapper à leur huis ? »

Il sourit gaiement à son interlocutrice, et entreprit de descendre la colline, suivant un sentier qui les conduirait droit à la propriété.
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Laura le lundi 14 avril 2014, 12:52:26
[Suite à une mauvaise manipulation de votre Sirène favorite, le pavé que vous auriez du prendre dans la gueule fut perdu. Pour cette fois, l'action sera résumée en quelques lignes (et ça nous fera pas de mal de respirer un peu, hein?)]

« Quant à ce que vous souhaitez faire au sein même de cette ville, vous voudrez peut-être me le dire ? »

Cette question reste sans réponse jusqu'au sortir de la forêt, puisque sinon la narration précédente en serait contredite. Cependant, cette interrogation ne cesse de tourner dans la tête de l'ondine, tandis qu'ils randonnent en direction de leur objectif ; Laura s'abandonne donc à l'introspection, et finit par en tirer la conclusion qu'elle n'a aucun objectif précis, et qu'elle se fait sûrement des idées à propos de Castelquisianni. Cela n'émousse cependant pas sa détermination à avancer car, comme elle le fait remarquer de but en blanc à son jeune compagnon alors qu'ils débouchent tout deux dans la plaine :

« Il faut bien aller quelque part, j'imagine. »

Prise par la double envie de se confier et de le taquiner, elle lui fait l'aveu suivant, tandis qu'ils escaladent le relief au sommet duquel ils verront la misérable bâtisse qui trône en lieu et place de ville :

« Si c'est important pour toi, sache simplement que je n'ai rien à faire à Castelquisianni. J'y vais simplement guidée par mon intuition, même si celle-ci m'a souvent trompée. En fait, je compte une peu sur toi et la chance pour me donner des idées, une fois arrivée là bas... J'espère que je n'émousse pas ta loyauté, petit homme ! » achète-t-elle en gloussant.

Arrivée en haut de la colline, la constatation de l'absence de ville met un coup à la détermination de Laura. Crotte de poulpe, jure-t-elle en elle-même. Elle écoute cependant les conseils avisés de on guide avec une attention certaine, et finit par hocher la tête d'un air approbateur.

« Très bien, allons frapper à leur ouïe, alors! »

Et les deux voyageurs descendent jusqu'à l'entrée de l'habitation. La sirène hésite un moment devant la porte et se tourne à nouveau vers Ozvello :

« Je... il serait mieux que je te laisse parler. »

Et elle frappe le battant de sa main gauche, avant de la laisser retomber le long de son corps, masquant sa douleur derrière un visage inexpressif, maudissant intérieurement cette coutume masochiste de s'interpeller en frappant du bois avec les jointures.
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: PNJ le lundi 14 avril 2014, 16:05:15
Quelque part, dans les étages d’une ferme abandonnée depuis plusieurs mois déjà, une silhouette se réveillait d’un long sommeil. Roulée en boule sous les poutres soutenant les tuiles du toit branlant, l’ombre s’étira, laissant chaque membre glisser sur le parquet grinçant, évitant les trous dans d’indescriptibles arabesques. La pièce se remplit peu à peu de sa présence, habitant chaque recoin éclairé pour ne plus finir qu’en obscurité. Puis, dans un bruit strident d’un ballon de baudruche que l’on lâche pour qu’il se dégonfle, l’ombre se rétracta. Demeurant présente malgré la luminosité, elle reprit la taille qu’elle préférait, celle d’un humain aux alentours de ses dix ans. S’extrayant du vieux coffre en pommier dans lequel elle s’était lovée, la silhouette se redressa, hésita avant de se couler sur le sol et de filer en direction de la porte. Sans prendre la peine de l’ouvrir, elle glissa dessous et se colla soudainement au mur pour immédiatement grimper au plafond. Elle n’aimait pas les escaliers, et préférait largement prendre la voie des airs.

Arrivant au premier étage, l’ombre disparut un instant dans l’obscurité étouffante du couloir, avant de finalement réapparaitre à la fenêtre d’une des chambres. Deux humains se tenaient devant la porte, et semblaient hésiter à entrer. Un sourire narquois se dessina sur les traits de l’ombre, creusant un fossé blanchâtre étonnamment brillant. Voilà donc ce qui l’avait réveillée. Voilà ce qui trompait enfin son ennui. La silhouette se fit floue, tout à coup, et les bords de son être parurent trembler, comme si elle était prise d’une crise d’hilarité incontrôlée. Puis, dans le même chuintement que lors de son exercice au saut du lit, elle se dispersa à travers toute la ferme. Des ombres s’agitèrent derrière les fenêtres du rez-de-chaussée, chassant leurs congénères entre les assiettes en porcelaine ébréchée et les fers à cheval ayant appartenus aux anciens étalons de la ferme suspendus au mur, symbole de chance. La silhouette se referma peu à peu, morceau par morceau, souriant toujours en prévision de l’amusement que les deux humains l’ayant réveillée allait lui procurer.

Tout à coup, la porte d’entrée s’ouvrit en grinçant devant les deux jeunes gens. Au même moment, une boite à musique se mit en route dans le grenier, la mélodie arrivant difficilement jusqu’en bas, portant un air de berceuse pour enfant. La chatière se mit en branle et s’agita, comme sous l’effet d’un vent inexistant. La silhouette fit un petit tour du côté du bâtiment de derrière la construction principale, pour ouvrir en grand les portes de l’étable à présent vide de toute présence. Un peu de paille s’envola sur son passage, avant qu’elle n’en ressorte, satisfaite de la noirceur du lieu. Elle y laissa quelques ombres disséminées pour s’agiter en bordure de la lueur, laissant l’impression que le tout était vivant, puis retourna à son poste d’observation, au plafond de l’escalier. Elle voulait s’amuser quelque peu avec ces humains, et en dernière invitation, laissa une flamme naître au sommet d’une bougie pleine de poussière, rendant presque la cuisine rudimentaire accueillante malgré son abandon de toute forme de vie.
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Ozvello Di Luccio le jeudi 17 avril 2014, 17:30:14
C'était toujours la même chose avec les femmes, finit par penser Ozvello, quoi qu'il n'eut aucune expérience pertinente dans ce domaine. Elles n'avaient pas d'objectif précis, créatures indécises et volages, incapables de constance, mais souhaitaient quand même imposer leur volonté changeante à ceux assez galants pour les écouter. Il avait même une théorie sur pourquoi Laura souhaitait rallier Castelquisianni en particulier, tout en sachant que ce serait pour lui la plus dangereuse des destinations : ce que les femelles cherchaient en premier lieu, c'était que l'on se batte pour elles. Il y avait une analogie certaine avec ces bêtes aux grandes cornes, dont seuls les mâles ayant triomphé à grand fracas de leurs concurrents recevaient les grâces des femelles. Plus proches encore, les joutes chevaleresques pendant lesquelles s'affrontaient soldats en armes pour l'amour d'une princesse. Voilà qui n'était qu'une illustration particulièrement éloquente du désir des femmes d'être au centre de conflits.

Heureusement, un tel comportement avait toujours fait parti des aspirations romantiques du bretteur. Il y avait, songeait-il, beaucoup de noblesse à se battre pour une demoiselle ; bien plus qu'il n'y en avait d'ailleurs à guerroyer pour des terres ou des richesses... Aussi n'était-il pas particulièrement réticent à ce qu'on le balade un peu, et n'en tint aucunement rigueur à son interlocutrice.

« Aucunement, madame. » répondit-il, avec un sourire démuni et un peu résigné. « Votre intuition ne vous trompe pas si elle vous amène à supposer qu'il s'agit d'une cité merveilleuse. C'est simplement qu'elle ne l'est pas pour tout le monde... »

Au bout des pérégrinations des voyageurs s'offrit alors la porte d'entrée de la ferme. Le jeune homme se permit de sourire encore au calembour de Laura. Puis il ne put qu'acquiescer lorsqu'elle lui proposa de parler pour eux deux. Il avait l'habitude de prendre la parole, dialoguer avec son prochain était pour lui une seconde nature. Cependant, les occasions qu'il avait de se frotter aux gens du peuple avaient été peu nombreuses, et il craignait que sa verve un peu trop littéraire ne le desserve lorsqu'il allait s'agir de communiquer avec ces individus simples. Devrait-il éliminer de son vocabulaire les termes trop recherché, tels que « objurgation », « impécuniosité » ou encore « munificence » ? Il ne s'agissait pas non-plus les prendre pour des imbéciles complets. Les paysans devaient au moins connaître le second, tant la chose leur était familière.

Alors que les coups avaient été frappés et que l'adolescent préparait ses phrases les plus élémentaires, la porte s'ouvrit soudain... sans qu'aucun hôte ne s'en trouve révélé pour autant. Ozvello se demandait là s'il devait croire à une intervention du hasard. Les légers chocs sur le bois avaient-ils été suffisants pour faire céder une clenche usée ? C'était l'explication qui lui parut la plus rationnelle sur l'instant. C'était sans compter sur la musique douce qui remplaça aussitôt le silence, et un coup de vent aussi imperceptible qu'inattendu. Troublé, il murmura :

« Voilà qui n'est pas absolument rassurant... Non ! Je veux dire, un accueil comme celui-ci n'est pas chose commune. »

Il s'était vite repris, ne voulant laisser penser que l'étrangeté de l'événement l'effrayait, ou même le mettait seulement mal-à-l'aise. Il n'y avait rien, ou tout du moins personne : c'était le cas de le dire. La conjecture la plus vraisemblable aurait été que la ferme était abandonnée... Mais alors, comment expliquer la mélodie ? Pire, le bretteur aperçut un peu plus loin la flamme d'une bougie. Ne se laissant pas aller au doute, il entreprit d'appeler de vive voix un éventuel résident.

« Bonjour ! … Quelqu'un demeure-t-il ici ?! … Bien...  Disons qu'il convient d'entrer, alors. Peut-être nos hôtes souffrent-ils d'hypoacousie. »

C'était un mot un peu compliqué, destiné au cas où un paysan écouterait encore... il ne s'en sentirait ainsi sans doute pas vexé. S'il y avait encore quelqu'un qui habitait ici, ne put-il s'empêcher de penser, il était bien négligé. Cependant, il convenait de faire preuve de tolérance, car probablement les petits gens ne disposaient pas de tout le temps qu'il aurait fallu pour garantir une hygiène impeccable. Abandonnant là son immobilité et les derniers fondement qui le poussaient à croire à quelque-chose de banal, Ozvello s'avança dans la pièce aux allures de cuisine. Le bois était froid sous ses pieds, et bien que le sol fut poussiéreux, il ne s'en formalisa pas, car il n'avait plus non-plus de propreté plantaire à faire valoir.

Aussitôt, il porta son attention sur l'étrange cierge, encore allumé. Une observation minutieuse lui apprit que la cire était encore majoritairement froide et solide. Les gouttes blanches autour de la mèche s'étaient solidifiées depuis longtemps, et n'étaient réveillées que lentement par le feu. C'était particulièrement troublant considérant qu'aucune présence n'était détectable.

« Je peux me méprendre, mais il me semble que cette bougie n'a été embrasée qu'à l'instant... Une personne se trouvait donc ici il n'y pas plus d'une minute. Curieux... Si Caracole avait été avec nous, elle aurait su nous dire si une quelconque sorcellerie était à l’œuvre ici. Qu'en pensez-vous, madame ? »

L'adolescent se retourna vers la jeune femme. Évidemment, les chances qu'elle en sache plus que lui sur le sujet étaient minces... encore que les familles de bohémiens étaient parfois versées dans de petites magies. Toutefois, peut-être un conseil féminin ne serait-il pas de trop, même s'il ne valait pas l'expertise d'un objet lui-même enchanté et dont les énergies mystiques constituaient la nourriture.
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Laura le samedi 19 avril 2014, 10:11:59
« Oh, de la musique. » releva simplement Laura.

Elle avait décidé de laisser Ozvello agir, c'est pourquoi elle ne fit aucun mouvement jusqu'à ce que lui même se décide à pénétrer les lieux. Ceux-ci n'avaient rien d'effrayant et, pour tout dire, la Sirène ne voyait pas en quoi cette ferme pouvait différer de n'importe quelle construction de main d'homme. Mais certainement son jeune guide avait l’œil plus entraîné à reconnaître ces choses là ; si quelque chose l'inquiétait, elle, ça n'était rien d'autre que la réaction de son compagnon. Et encore. Non, elle ne se sentait décidément pas menacée. Elle fit le tour des lieux en passant ses doigts sur les meubles poussiéreux, s'amusant à les recouvrir de d'une douce pellicule grise et à faire voler de petits nuages derrière elle. La semi-obscurité ne la dérangeait pas vraiment ; les yeux de ses semblables avaient la capacité de percer la lourde noirceur des fonds marins, et, dans cette cuisine éclairée par une faible chandelle, la Sirène n'avait rien à envier à la finesse de perception d'un chat.

« Je ne perçois nulle sorcellerie... j'ai déjà vu des portes s'ouvrir par des mécanismes tarabiscotés, et tout le monde trouvait ça normal. Enfin, tu dois savoir mieux que moi – je suis musicienne, je n'y connais rien en portes. »


Elle frotta ses doigts l'un contre l'autre pour les épousseter et pivota nonchalamment pour marcher jusqu'à une embrasure sans porte, qui traversait la roche d'un mur massif. Dans une large salle non éclairée et aux volets fermés, elle repéra un escalier qui, de doute évidence, menait à l'étage supérieur. Elle s'engouffra dans la pièce rectangulaire, où la lumière était rare au point qu'Ozvello n'y distinguait sûrement pas grand chose, et s'arrêta au pied de l'escalier dont les marches étaient recouvertes de la même couche de neige grise uniforme que les meubles et le plancher. C'est drôle... aucune trace de pas. Peut être bien qu'une quelconque magie était à l’œuvre ici, finalement. Si c'était le cas, elle semblait plutôt bienveillante. Ne les avait elle pas invités à entrer, tout en prenant soin de leur offrir la lueur d'une bougie ?

Laura jeta un coup d’œil ascendant : l'étage supérieur était bien plus sombre que leur position actuelle, mais encore une fois, ce genre d'ambiance n'était pas de celles susceptibles de l'effrayer : à moins de se trouver dans le noir complet, elle y verrait toujours bien assez pour se repérer aisément.

« Je vais voir là haut. »

Sans rien ajouter, elle entama l'escalade d'un pas souple et relativement silencieux, malgré les craquements plaintifs que ses pieds arrachaient parfois aux planches. Elle restait l'oreille aux aguets, attentive à cette mélodie aux notes brèves et clinquantes. C'était sans aucun doute de la musique d'humain. Ceux-ci avaient souvent recourt à des sons discontinus, au contraire des Sirènes, qui n'utilisaient pour tout instrument que leurs voix. Un signe distinctif qui était particulièrement marqué ici. Qui dit musique dit musicien... il y a donc un humain ici. Ou une créature qui joue de la musique d'humain ?...

Elle déboucha dans un couloir où de fins rayons de lumière, traversant les volets des pièces alentours, venaient trancher par endroit l'obscurité. La musique provenait de plus haut encore, de toute évidence ; Laura se dirigea directement vers un second escalier, posé à l'autre bout du couloir. Elle posa le pied sur la première marche puis... se ravisa. Elle resta quelques secondes au pied de l'escalier, à écouter. Le son lui parvenait encore faiblement, mais elle en distinguait toutes les notes... c'était une très jolie musique, fascinante, peut être parce que tellement différente de ce qu'elle pouvait entendre dans son monde... elle posa la paume sur la vieille rambarde, incapable d'avancer. Elle s'était franchement éloignée de son compagnon, attirée par cette mélopée de tintements. Elle ne pouvait s'empêcher de penser aux marins, qui, happés par la beauté d'un chant de femme, se laissaient entraîner dans un rêve dont ils ne se réveillaient jamais. L'homme, ou la chose, qui vivait en ces lieux n'était pas nécessairement leur allié, même s'il semblait se montrer aceuillant.

« B-bonjour ? »

Le son de sa propre voix, brisant soudainement le silence, la fait frémir violemment. Elle rebrousse chemin à petites foulée précipitées, descend, les escaliers et se présente devant Ozvello, le cœur lancé dans une course folle.

« Tu... tu viens avec moi ? »


Sans attendre sa réponse, elle se place du côté de sa cheville blessée pour l'aider à marcher, bras dessus bras dessous. Et, à moins qu'il ne proteste, elle lui fera gravir les deux escaliers. L'inconnu, à deux, semble toujours plus aisé à affronter.
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: PNJ le mercredi 23 avril 2014, 19:29:04
La créature s’arrêta un instant, profitant du moment où les humains pénétrèrent dans son refuge pour observer leurs réactions. Elle n’avait pas souvent de sujets de divertissement, et se plaisait particulièrement à prendre soin de ces deux jeunes gens. Un sourire naquit dans l’ombre, sans révéler de dents blanches et inquiétantes. Ce ne fut qu’un frémissement, signe de son contentement, comme si l’obscurité elle-même riait de la retenue de l’un, et de l’envie de découverte de l’autre. La musique avait attiré la femme jusqu’à elle, et la silhouette avait trembloté à son approche, atténuant le bruit de la boîte à musique qui reprenait à présent en boucle la même mélopée. L’homme était plus prudent, alors qu’il parlait seul pour se rassurer d’une présence ici, croyant finir par tomber sur le propriétaire de la ferme. Alors que l’autre redescendait vers le rez-de-chaussée, la silhouette glissa le long de l'escalier, dévalant les marches jusqu’au premier étage. Elle se coula contre un mur, et un rire de fillette retentit dans la demeure, presqu’inaudible. Juste assez pour qu’ils le perçoivent, mais suffisamment bas pour que quiconque croie à une hallucination auditive.

La créature renouvela l’opération, plus proche d’eux cette fois. Elle descendit encore, glissant derrière eux, leur donnant très certainement l’impression d’être observés. Puis leur environnement se fit plus froid, laissant comme une empreinte de fraîcheur sur son passage. Dans la pièce principale de la ferme, ce qui semblait être un salon auparavant chaleureux, une porte d’armoire claqua sous l’effet d’un vent imperceptible. Puis, l’ombre décida qu’elle s’était assez amusée en silence et à l’insu des visiteurs. Elle se fondit donc au tapis de ce même salon qu’ils n’avaient pas encore visité, et sembla tout à coup grandir, gagner en relief et en consistance. Moins d’une minute après, une jeune femme se tenait à sa place. L’ombre qui n’en était plus une se saisit d’une bougie présente, souffla sur la cire pour l’allumer, et vint ouvrir la porte qui lui permettrait de tomber sur eux.

Ses cheveux, auparavant blonds, semblaient sales et collants. Pourtant, cela n’enlevait rien au magnétisme certain qu’elle dégageait, vêtue d’une simple robe de coton fin, pieds nus et l’air hagard. Son épiderme était glacé, et les poils de ses bras hérissés devant la fraicheur dont elle était responsable. La créature s’arrêta face à eux, et mit un moment avant de se souvenir comment parler.


- Vous… Comprendre ?

Sa voix était légèrement gutturale, rocailleuse. Elle s’éclaircit la gorge, secouant la tête comme si elle peinait à aligner plusieurs mots. Ce n’était pas le bon timbre de voix. Elle reprit donc, plus clairement et avec des nuances légères.

- Vous me comprenez ? Bienvenue… Puis-je vous aider ?

Son visage hagard et un peu perdu se fendit alors d’un sourire. Un sourire assez particulier, puisqu’il était dénué de la moindre chaleur, de la moindre joie. On ne pouvait y lire qu’une expression de façade parfaitement exécutée, et pourtant on n'aurait pu sourire de façon plus détachée et fausse. La silhouette voulait s’amuser un peu, et profiter du contact de ces humains était une bonne occasion.
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Ozvello Di Luccio le mercredi 30 avril 2014, 16:58:00
Qu’aurait fait un bretteur aguerrit en une telle situation ? L’adolescent s’interrogeait, se demandait ce qu’aurait fait dans un tel cas son frère aîné. Son éducation était excellente, à n’en point douter, elle avait passé en revue toutes les connaissances nécessaires pour un marchand de bonne famille, et pour le noble plein d’honneur qu’il était destiné à être. Mais la magie, elle, n’avait pas été jugée par ses aînés comme un sujet indispensable à son cursus. La gestion des affaires était bien trop prenante et riche en elle-même, et la sorcellerie était bien trop complexe : il fallait y passer des années pour en savoir les rudiments seulement. Même quelqu’un de vif d’esprit se devait de faire des choix, l’on ne pouvait être expert en tout. S’il était resté à Castelquisianni, il aurait eu un conseiller dédié à ce type de question, et n’aurait eu à se préoccuper que des finalités.

L’ambiance se faisait inexplicablement de plus en plus lourde et de plus en plus inquiétante. Ses oreilles se perdaient à savoir si ce qu’elles entendaient était ou non le fruit de son imagination, qu’il avait toujours eu fertile. C’était en cet instant un défaut majeur. Il aurait été préférable, songea-t-il, d’être dans ce type de situation beaucoup plus cartésien. Un homme avec seulement du bon sens et très peu de fantaisie s’en serait sans doute bien mieux sorti que lui, car il aurait su ne pas disposer de suffisamment de créativité pour engendrer sans source extérieure de telles impressions. Mais le bretteur se devait d’agir seul ; par défaut, il se devait s’efforcer au mieux de faire usage de sa raison. Une première chose lui passa par l’esprit :

« Nous devrions prendre garde à ne pas nous séparer. Il me serait difficile de vous porter secours si... » commença-t-il en se retournant.

Il chercha Laura des yeux, et se rendit compte que celle-ci avait déjà gravi les marches de l’escalier, et se trouvait vraisemblablement au premier étage. Perdu dans une analyse introspective rigoureuse, il ne l’avait même pas entendu annoncer son départ. Il fronça les sourcils et se renfrogna un peu, passant par un bref moment de panique. Où était-elle passé ? Comment était-il donc supposé la protéger si elle n’en faisait qu’à sa tête ? Ne voyait-elle donc pas qu’ils se trouvaient dans un environnement plus que suspect ? La jeune femme était d’une témérité si stupéfiante qu’après l’avoir surpris et outré, elle le rassura presque. Après tout, elle avait encore moins de biais pour se défendre que lui... alors il serait risible de sa part, lui qui était armé, de ressentir plus d’angoisse qu’elle.

« Vraiment, ce serait une chose ridicule » murmura-t-il pour lui-même.

Il allait la rejoindre en toute hâte, sans prendre garde lorsqu’il entendit l’imprudente redescendre. Elle n’affichait toujours pas  de  signe de grand malaise, et cela le calma. L’étage était peut-être sûr, après tout. Il voyait son regard bleu, sans aucune trace, ni de malice ni de peur, et il ne pouvait aussitôt plus lui, ni lui en vouloir, ni éprouver d’inquiétude. Tout était beaucoup plus rassurant lorsque l’on était plus tout seul dans le noir. Il attrapa la bougie qui brûlait encore et accepta son aide, en répondant :

« Volontiers, je préfère être à vos côtés jusqu’à être complètement persuadé que rien en ces lieux ne se dissimule à notre vue. Deux personnes sont plus difficiles à surprendre qu’une seule. »

Pourtant, les quelques secondes qui suivirent le glacèrent. Sa certitude qu’il y avait une présence à les observer refit aussitôt surface. Il ne voulait pas trop se montrer fébrile, mais il craignait à tout moment une attaque dont il ne connaissait pas la nature... ce qui rendait l’éventualité plus accablante encore. Dans chaque recoin sombre semblait se cacher un monstre prêt à bondir sur eux. Un monstre, au final, ça ne l’aurait pas dérangé ! Mais qu’il se montre, de suite, et sans le faire attendre ! Bon sang, c’était surtout cela, l’angoisse de se faire prendre par surprise, sans savoir quand, sans avoir où, tout en étant persuadé que cela arriverait. L’attente était anxiogène, et Ozvello tentait au mieux de percer les ténèbres à l’aide de la seule minuscule flamme qu’il avait à disposition.

« Voyons, si ces paysans sont assez fortunés pour posséder une boîte à musique, ils devraient l’être également pour disposer du temps d’entretenir leurs intérieurs. L’évidence même est que cet endroit est inhabité depuis une durée déjà substantielle. Il y a certainement un élément qui nous échappe ! Je le pense malsain, sans doute une créature, peut-être un esprit ou une fée malveillante. Les récits sur les tourments qu’ils infligent aux voyageurs sont légions. Il faut espérer qu’il ne représente pas trop de danger. Il n'y à rien à craindre ! Je, ah ! Voilà ! »

Un bruissement plus fort que les autres, une porte qui s’ouvrait, lui fit tirer sa dague. La lame courte brillait, à demi-sortie de son fourreau, le regard du bretteur attentif et nerveux au plus infime mouvement douteux autour de lui. Il distingua rapidement la silhouette dans l’entrebâillement de la porte. Il s’agissait d’une jeune femme, qui ne devait pas être plus âgée que Laura, et qui avait une grâce presque équivalente, si ce n’était qu’elle était beaucoup moins soignée.

« Nous vous entendons, en effet... en doutiez-vous ? » répondit rapidement l’adolescent.

En fait, l’état d’hygiène dans lequel elle se trouvait faisait même peine à voir. Sa voix était étrange, mais elle avait au moins le mérite de communiquer. Ozvello sentait son cœur ralentir un peu, et l’adrénaline qui lui faisait bouillir les veines redescendre. D’accord, c’était une paysanne négligée et louche. Il pensait pouvoir faire face dignement à une telle menace... même s’il était encore convaincu que quelque-chose n’allait pas, sans pouvoir dire quoi.

« Votre demeure n’est guère rassurante, cependant... nous devons nous excuser pour y avoir pénétré sans votre autorisation. Nous avons frappé mais, sans réponse, nous pensions que l’endroit était inhabité. Nous sommes des voyageurs en route pour Castelquisianni, et nous aurions souhaité faire escale en votre demeure. Nous disposons bien sûr de toutes les ressources pour vous dédommager de votre hospitalité. »

Le bretteur, qui était poli, sourit en réponse à l’air amical de son interlocutrice. Amical n’était peut-être pas tout-à-fait le mot... mais la volonté de le paraître, elle, était bien présente. C’était à peu près tout ce qui comptait, même si la sincérité aurait été plus apaisante. Il rangea son arme et n’y toucha plus. En lieu et place, il se détacha légèrement de Laura, et salua comme il le put. Il fallait se montrer simple avec les petits gens, et cela ne lui était malgré tout pas sorti de l'esprit.

« Je manque à l’étiquette. Je suis Ozvello Di Luccio, et c’est un plaisir de faire une rencontre si charmante ! C'est là une chance qui m'est donnée pour la seconde fois aujourd'hui. »

Il adressa un regard en coin à la jeune femme, l’appelant à se présenter elle-même en détails. Après tout, il ignorait jusqu’à son nom de famille, et la manière dont elle préférait se montrer lui était tout aussi inconnue. C’était pour un castelquisian un élément très personnel.
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Laura le mercredi 10 septembre 2014, 12:14:14
« Malveillant ?... » répondit-elle simplement, légèrement anxieuse. Décidément, la frousse de cette humain lui était communicative. Peut être aurait-elle dû se reprendre et garder la tête froide pour deux. Le garçon ne semblait pas en état de diriger cette exploration. Un grincement de porte et l'apparition d'une jeune fille lui épargna cependant cette peine. Fée ou non, elle n'était physiquement pas bien menaçante, et Ozvello pourrait toujours la poignarder en cas de problème. Les deux intrus se dirigèrent vers cette demoiselle, avant qu'elle ne prenne la parole d'une voix passablement enrouée.

Au moins, ce sourire sans émotion rassura quelque peu la Sirène, qui se détendit. Elle avait du se tromper sur le compte de l'inconnue. Celle-ci souriait comme une humaine, jusqu'à en être un cas d'école. Ces créatures terrestres, particulièrement celles des villes, avaient pour coutume d'effectuer ce genre de "faux sourires" à de nombreuses occasions et, bien que Laura n'ait jamais réussi à vraiment saisir toute la logique de ce rituel, adresser la parole à un inconnu était de ces situations où déformer les joues sans plisser les yeux s'imposait.

Son jeune guide de se présenter, et elle d'en faire autant, dans les grandes lignes, le singeant à la limite de l'ironie :

« Je m'appelle Laura, et ne peux que confirmer ce qu'affirme le jeune mâle ; c'est un plaisir de faire une rencontre si charmante, et c'est une chance qui m'est donnée pour la première fois aujourd'hui. »

Laura se sourit à elle même, lançant à peine un regard en coin à Ozvello, pour apprécier sa réaction. Elle espérait que sa pique le ferait sourciller. Il l'avait méritée, après tout, pour avoir mis la beauté de des deux femmes sur le même plan, dans son élan de flatterie. Grave impair. Hors de question que la brune laisse insinuer que cette humaine de rang inférieur et aux cheveux négligés, aussi bien faite soit-elle, puisse porter concurrence à la grâce d'une Sirène. Question d'orgueil, d'abord, et de bon goût, ensuite.

La Sirène saisit sa chevelure entre ses mains et la remonta au sommet de son crane, découvrant des pans de chair jusque là noyés sous la noirceur de ses mèches. Une peau pâle et lisse, tendue sur les arêtes de ses omoplates et laissant se dessiner entre elles le discret relief de la colonne vertébral ; « Vous vivez seule là dedans ? » Des épaules minces, légèrement anguleux à la naissance de la clavicule. Des aisselles glabres, Mésopotamies d'une musculature gracile, sous lesquelles l’œil attentif pouvait percevoir le début de la zébrure des côtes, accentuée alors que les deux bras s'étaient hissés pour s'affairer à nouer le chignon de la belle. Celle-ci n'était pas pressée ; elle faisait de son exercice une parade langoureuse et feignait de n'avoir d'yeux que pour la nouvelle venue.

La petite était belle, c'est vrai. Malgré son état piteux et négligé, elle dégageait sans aucun doute une grâce indissociable de sa fragilité. Laura se laissa aller à un sourire bienveillant à son égard, tout en achevant son ouvrage ; la copieuse cascade noire était maintenant réduite à la discrétion, sous la forme d'un chignon serré. Celui-ci laissait cependant échapper une épaisse mèche sombre dont la pointe balançait à quelques centimètre du milieu de la nuque de la Sirène, dont les oreilles respiraient enfin.


Attention, il se pourrait que le ton de cette vidéo ne brise une immersion dans le récit difficilement acquise (peut être). (http://www.youtube.com/watch?v=RyiEM1mFOEs)
Titre: Re : Le Torrent [Laura]
Posté par: Laura le mercredi 24 décembre 2014, 01:56:20
La jeune fille restait immobile depuis longtemps ; si longtemps que de ses bras nus s’étendaient maintenant des toiles d'araignées, et que quand elle cligna des yeux à nouveau ses cils chassèrent des petits flocons de poussière. Les visiteurs, figés dans leurs positions respectives, se mettent à reprendre du mouvement lentement, hésitants comme de vieilles mécaniques rouillées. Des regards s'échangent lentement entre les trois personnages ; étions nous endormis ? Sommes nous réveillés ? Un frisson les agite tous, et la couche de poussière qui les couvrait s'évapore dans une volute diaphane ; c'est un frisson qui vient d'ailleurs, qui secoue la peau et les os, un grondement qui se transmet par les pieds au travers du sol. La maison l'a ressenti aussi : elle vibre d'un mugissement sourd à travers chaque poutre et chaque latte.

« Il s'impatiente... », la petite murmure en tordant ses mains maigrichonnes, ses grands yeux paniqués regardant autour d'elle. « Nous avons un problème... oui, un problème ! »

Les tremblements s'accentuent par poussées, redescendant régulièrement pour recroître de plus belle. Les personnages évaluent des possibilités, envisagent de fuir par la porte ; mais privés de leur libre arbitre ils restent sur place à claquer des dents, craignant d'être déchirés avec le tissu de la réalité.

Le récit trop longtemps endormi sort de sa torpeur en baillant, fait ses étirement la gueule grande ouverte et emplit l'air d'une odeur de charogne. Il secoue sa lourde tête, fait ondoyer sa trame narrative. Les portes des meubles s'ouvrent et brinquebalent, et leurs contenus s'échappent en rythme stochastique pour frapper le sol ; assiettes de bois et pots en terre rebondissent et se fracassent de concert, accompagnés par le craquement du bois, le tonnerre des armoires renversées, et des volets qui éclatent en milliers d'échardes. Un bruit de vieilles brindilles qu'on brise et de tomate qu'on presse, et la jeune fille s'aplatit du bas vers le haut, écrasée par un pouce invisible ; cervicales, fémurs et le reste sont émiettés, comprimés, éclatés tout fluide dehors, et la galette de chair est jetée à la mer. Les protagonistes hurlent tandis que les pierres des murs se déchaussent autour d'eux. D'acteurs à spectateurs, ils se regardent et s’auscultent mutuellement de leurs regards horrifiés, se voient bouger à reculons, entraînés par leurs jambes qui s'activent à rebours, comme articulées par des fils invisibles.

La bâtiment dont ils ont été extraits n'est plus qu'un souvenir qu'ils contemplent de face en s'en éloignant, un champs de terre labouré par un soc gigantesque. Et un essaim de pierres et poutres qui zonzonnent au dessus du sol avec un grondement de tempête. Il en fait pleuvoir, des briques, des volets, des tuiles et des portes, imprimant les fondations dans le sol et élevant des chaines de maisons mal fagotées les unes en face des autres. Le bruit est de plus en plus étouffé pour les deux voyageurs, qui marchent dans leurs propres traces en les effaçant.

Le titanesque chantier finit par disparaître derrière les reliefs et se faire totalement inaudible. Alors le grand horloger frappe sa montre d'une pichenette, et l'aiguille des secondes se remet à tourner dans son sens habituel. Avec elle, les membres des deux aventuriers retrouvent leur mobilité normale, et l'expression de leur visage revient à une certaine neutralité.

« Si c'est important pour toi, sache simplement que je n'ai rien à faire à Castelquisianni. J'y vais simplement guidée par mon intuition, même si celle-ci m'a souvent trompée. En fait, je compte une peu sur toi et la chance pour me donner des idées, une fois arrivée là bas... J'espère que je n'émousse pas ta loyauté, petit homme ! » achète-t-elle en gloussant.

Arrivée en haut de la colline, la constatation que la ville est bien là où elle avait pensé la trouver renfloue légèrement l'ego de Laura. Elle se tourne vers son jeune compagnon avec un sourire ;

« Nous y voilà encore un petit effort, chevalier, nous y sommes ! »