Humide. Froid. Noir. Froid...
L'homme ouvrit les yeux. Pas d'un coup. Pas très vite, non plus. Il ouvrit doucement les yeux, comme après une très grasse matinée ou une cuite à l'hydromel d'Hyddroning. Pourtant, il faisait nuit et il n'était pas dans son lit. Non, en fait c'était tout le contraire du confort douillet qu'apportait une chambre à coucher. Il n'était pas non plus en train de vomir dans un caniveau, mais après mûre réflexion, c'était du pareil au même. Il était allongé face contre terre, sur une sorte de route, mais sans pavés. Il avait froid. La pluie ruisselait sur et autour de lui, et de loin il devait ressembler à peu près à un amas de boue difforme. Il se redressa péniblement avant de retomber mollement sur le sol, s'égratignant la joue droite par la même occasion, sans forces. Il réessaya à plusieurs reprises, ne les comptant finalement plus tant il trouva le temps long à tenter vainement de se relever. Finalement, il parvint à rester debout, sur ses deux jambes tremblantes de faiblesse. Il tenta de faire un pas, et il s'écroula sur ses genoux, grimaçant de douleur et d'agacement. Mais malgré le peu de force qu'il lui restait, malgré le peu de lucidité que conservait son esprit, lorsqu'un vacarme épouvantable retentit derrière lui, il se jeta hors de portée de la créature de métal qui semblait glisser sur le sol, accompagné de bruits abominables et qui continua son chemin comme si elle n'avait pas remarqué la vie qu'elle avait failli ôter.
Sur le côté de la route, l'homme ne distinguait aucune végétation, pas le moindre buisson, pas le moindre petit arbuste. Des bâtiments solides comme de l'ébonite raffinée, qui semblaient fait de petites pierres oranges s'étendaient de part et d'autre de la route. Comble de malheur, un élancement cruel dans la jambe et une sensation de chaleur désagréable lui signalèrent qu'il saignait abondamment de la cuisse gauche. Il appuya sa main droite enveloppée dans des avants-bras de cuir déchirés, qui faisaient aussi office de mitaines, sur l'un de ces bâtiments pour ne pas risquer de perdre une fois de plus son équilibre déjà précaire. Il ne parvenait pas à se souvenir si il s'agissait autrefois de gants qui avec le temps s'étaient abîmés et petit à petit changés en mitaines, ou s'ils étaient dans cet état-là d'origine. A dire vrai, il ne se souvenait de rien. Il ne savait pas comment ni pourquoi il s'était retrouvé étendu là, sur cette route. Son crâne choisit précisément ce moment-là pour lui rappeler durement qu'il avait mal à la tête. Atrocement mal. Peut-être bien qu'il saignait du front, aussi. Difficile à dire, depuis qu'il avait reprit conscience, sa vue était brouillée. Et impossible de savoir si c'était le fait de la pluie qui coulait dans ses yeux.
Prenant son courage à deux mains, luttant contre la terrible et puissante envie qu'il avait de s'abandonner à sa souffrance, de se laisser tomber là et de ne plus en bouger, l'homme qui a froid se traîna, grognant et gémissant, jusqu'à la porte de ce bâtiment. Il y frappa trois fois, sans ménagement, menaçant même de déloger la porte de ses gonds. Toutefois, cet étrange matériau ne flancha pas, et si elle avait été de simple pierre, l'homme l'aurait défoncée sans peine. Mais il restait désespérément faible, et les coups qu'ils donnaient l'affaiblissaient encore plus. Ses yeux se fermaient sans même qu'il puisse contrôler leur mouvement. Puis un bruit de pas et une voix que la seule partie de son être encore consciente qualifiait de féminine atteignit ses oreilles, et il se teint prêt à agir. Faire quoi, il ne savait pas. Mais il devait faire quelque chose.
- Il y a quelqu'un ?
Dès qu’elle en avait l’occasion, Jane fila à bride abattue. Quelle histoire démente ! Elle ignorait qu’elle déclencherait de telles réactions en récupérant cette mystérieuse dent. Ce colosse aux cheveux blancs était tout simplement effrayant, et, face à lui, Jane ne pensait qu’à fuir, à fuir le plus loin possible, en laissant les policiers faire leur travail. Elle entendit des coups de sifflets, des hurlements, et fila sans trop savoir où elle allait, le cœur bondissant nerveusement dans sa poitrine. Jane n’avait jamais été aussi paniquée qu’en ce moment, convaincue qu’elle allait se faire tuer, capturer, violer... Les pires scénarii se multipliaient dans sa tête, et, alors qu’elle fuyait, elle entendit une masse se rapprocher rapidement d’elle, eut à peine le temps de tourner la tête sur le côté, et sentit une puissante onde la frapper à l’arrière de la nuque...
...Puis le noir.
« Gnnnn... »
Un grognement étouffé s’échappa de ses lèvres. Elle secoua lentement la tête, en sentant quelque chose de froid dans son dos, de froid et de dur. Que se passait-il ? Elle avait le sentiment d’avoir fait un curieux rêve, quelque chose impliquant une étrange dent magique, et un costaud aux cheveux d’argent... Un rêve idiot, assurément ! Toutefois, peu à peu, les souvenirs lui revinrent. Elle secoua encore la tête en entendant le bruit de sirènes, et releva la tête brusquement en ouvrant les yeux.
« Mais... Mais où est-ce que je suis ?! »
Elle vit un homme lui tournant le dos, à l’entrée de la ruelle, près de l’entrepôt d’une scierie. Jane secoua encore la tête, et constata qu’elle était dans une petite impasse. Il faisait nuit, et la police était sur le qui-vive. Les souvenirs lui revinrent rapidement. La dent... Ce mystérieux colosse qui avait déboulé pour récupérer la dent... Puis la fuite, la cavalcade, et la police. Il s’était enfui de l’hôpital, avait surmonté les tranquillisants, pour la poursuivre.
Jane chercha des yeux une arme, un objet contondant, quelque chose, n’importe quoi... Mais l’homme se retourna vers elle, et elle se ratatina sur place.
« Je... Je vous préviens, j’ai des amis très puissants. Si vous me touchez, ils vous le feront payer très cher ! »
Sachant que la police n’était pas très loin, Jane inspira alors, afin de pouvoir hurler qu’on vienne l’aider... Sauf si l’homme se montrait suffisamment rapide pour l’empêcher d’hurler.