L'image qu'on se fait d'un donjon est relativement simple, basique. Un endroit froid, particulièrement silencieux, où ne règne que mort et désolation. Dans un certain sens, les sous-terrains et la grande tour servant de base d'opération à Allister remplissaient la plupart des clichés. Sauf le son. Ce n'était pas un terrible silence qui régnait dans ces lieux, mais un véritable concert. Des bruits familiers, grouillants. Les claquements et grincements des os des squelettes qui marchaient avec un rythme presque militaire, les grognements des ogres et des trolls, semblables à des rires damnés, et accompagnés des hurlements d'hommes et de femmes subissant milles et un supplices. Si personne ne revenait vivant de la Tombe de Vecna, cela ne voulait pas dire qu'ils y mourraient si vite une fois à l'intérieur. La plupart étaient torturés, crachant leurs informations au rythme des scalpels et des créatures cauchemardesque, avant d'enfin trouver le repos en servant de repas ou de simple sac à foutre pour les créatures qui vivaient dans l'endroit.
Après tout, Allister était une liche. Et aux côtés des morts-vivants créés de sa main, d'autres créatures, mauvaises, chaotiques, cherchaient à trouver un petit coin où passer leurs haines et leurs violences. Par chance, le Sorcier était demandeur de main d'oeuvre. Créer un royaume et le diriger n'était pas une simple affaire, et ce n'était pas avec les frêles humains qu'il pourrait travailler. Ils ne servaient à rien : de simple sacs de frappes, de simples mères pondeuses, alignés contre un sol froid à attendre d'être fourré, quand elles ne servaient pas de simples chiottes vivantes pour les gobelins.
Parmi cette cacophonie mélodieuse siégeait alors le Maître. Sur son trône de pierre et d'os, Allister veillait. Les lumières magiques remplissant ses globes oculaires vides étaient absentes, son crâne posé mollement contre son poing. La Liche, ainsi, veillait. Magicienne de renom, elle scannait le bâtiment. Une lecture d'aura, magique, ou non. Il devinait ainsi les passages, les arrivées, les sorties, les voyages. Jusqu'à finalement capter une présence...
Quelque chose était parvenu à rentrer dans les sous-sols.
Ce qu'Anouvanh ne savait pas était que les informations donnés étaient contrôlés. Son Métamorphe, et garde de la salle des coffres à ses heures perdues, prenait souvent l'apparence d'une vieille dame ou d'un vieil aventurier, racontant les histoires de la Tombe et des soit-disant chemins cachés pour y rentrer. Au vu de la réputation de l'endroit, c'était un des rares moyens d'encourager de jeunes âmes prêtes à tenter leurs chances, et d'ainsi remplir de nouveau les rangs de ses esclaves humains. Mais cette fois-ci, ce n'était pas une humaine qui marchait dans les salles boueuses et poussiéreuses.
« Maître, il semblerait que- »
« Je sais. »
Sa voix était forte, brute, rauque. Il venait d'arrêter une jeune servante, habillée d'un simple voile blanc, légèrement transparent. On pouvait ainsi voir ses délicieuses formes, surmonté d'un visage d'ange au sourire mutin. Malgré tout, ce corps de rêve était zébré de multiples cicatrices, et sa peau semblait avoir perdu légèrement de son éclat. Une morte, ramenée à la vie, qui servait avec passion le Sorcier.
D'un coup, les points d'un rouge sanglant illuminèrent les orbites de la liche, et dans un craquement d'os, un rictus se dessina sur son crâne. Il se leva finalement, avant de tendre la main, faisant apparaître son bâton. Une boule de verre flottait au-dessus de l'arme, et soudainement, une image de la pauvre petite Anouvanh devint visible sous les yeux de Sorcier et de sa servante.
« Cette idiote n'est pas humaine. Je vais m'occuper moi-même de son cas. Prépares néanmoins les trolls et gobelins, ils auront les restes. »
Comme simple réponse, la Servante s'abaissa, saluant son maître qui disparut d'un coup dans une lumière magique.
***
La salle où se trouvait la démone était l'une des nombreuses "salles du trésor" des sous-terrains. Elles étaient là pour encourager les Héros à continuer, tout étant particulièrement bien calculé. En réalité, la plupart des objets ici étaient créés par magie, et disparaissaient une fois en dehors du donjon. Malgré tout, certaines récompenses étaient réelles, de quoi appâter n'importe qui à s'enfoncer encore un peu dans l'endroit. La salle était... tout sauf propre. Poussiéreuse, de nombreuses araignées à droite à gauche, et comme simple bruit le concert raconté plus haut. Des ricanements, des bruits étranges, et même parfois des cris.
Curieux et joueur, la Liche se téléporta ainsi à l'extérieur de la pièce, avant de marcher vers l'entrée. Ses pieds squelettiques raclaient presque le sol à chacun de ses lourds pas, sa robe de mage soulevant des nids de poussière à chacun de ses pas. Allister, d'habitude toujours plongé dans l'ennui, trouvait dans cette apparition un peu de nouveauté. Et il comptait en profiter.
Il entra alors, la porte grinçant lentement à mesure que la pièce se dévoilait à la Liche. Malheureusement pour la Démone, la vision d'aura du Sorcier lui donnait déjà la position de la belle. Derrière une armoire, à tenter de se cacher, discrète. D'aussi près, il pouvait même déterminer la race de l'intruse : une démone. Une démone... Oh. Il en avait certains à son service, des créatures intéressantes.
« C'est bien la première fois qu'un être tel que toi pénètre dans mon domaine pour me voler. Approche, je veux voir à quoi tu ressemble. »
Allister n'aimait pas tourner autour du pot. Il avait des projets pour la démone, et tout commençait par une inspection de la marchandise. Aucune réponse... Bien-sûr. Un souffle s'échappa du rictus de la Liche, avant que ce dernier ne claque des doigts. Soudainement, l'armoire fut envoyée au loin, et Anouvanh pouvait sentir comme une force la faire s'approcher de son agresseur. De la télékinésie, dont il usait pour enfin porter la jeune femme à son regard.
Et elle était... appétissante. Encore plus, de près. On aurait presque dit une jolie elfe, plutôt qu'une démone. Une succube, peut-être ? Sûrement. C'était parfait. Exactement ce dont avait besoin la Liche. Claquant des doigts, des chaînes sortirent du sol, attrapant les bras de sa nouvelle salope pour les bloquer dans son dos. Les liens se serrèrent, forçant la pauvre à se mettre à genoux devant son nouveau maître.
Anouvanh pouvait ainsi voir, totalement, le sorcier. Une immense liche, plus de deux mètres de haut, large, puissante. Des bras squelettiques, aux longs doigts fourchus tels des griffes, et un faciès d'os presque démoniaque. Dans ces orbites, deux flammèches crépitantes. Comme un homme observe une bête qu'il s'apprête à acheter, il glissa ses doigts contre le menton de la démone. L'inspectant, avec toujours ce même sourire, cette déformation absurde de son crâne singulier.
« Je ne sais pas pourquoi tu t'es risquée à venir ici, mais tu ne vas pas être déçue du voyage. Je te souhaite la bienvenue à la Tombe de Vecna, et crois moi, tu peux déjà considérer cet endroit comme ta nouvelle demeure... ou ta prison. Mais ne t'inquiètes pas, tu vas finir par apprécier ton séjour. »
Un rire sourd et caverneux s'échappa alors de la Liche, alors que ce dernier observait les délicieuses formes de sa nouvelle esclave. Certes, la pauvre pouvait tenter de se débattre, mais Allister n'était pas qu'une simple liche, qu'un simple sorcier. De tout son être se dégageait cette aura, ce charisme surhumain. Si elle était capable de voir la magie, la quantité, la puissance qu'il détenait, elle aurait devant ses yeux un véritable puits sans fond d'énergie sombre, de magie occulte.