La Bouchère était encore moins diplomate que Rayne, ce qui n’était pas peu dire. Deux femmes monstrueuses, cruelles et sadiques, voilà ce qu’elles étaient. En d’autres circonstances, elles auraient été traquées par les mêmes personnes qui les avaient aidés. Leur mission consistait juste à récupérer Hannah, mais Rayne, tout comme la Bouchère, comptaient en profiter pour chasser. Elles étaient des vampires, après tout, pas de simples espions travaillant bêtement pour le compte d’une puissance étatique instable et hypocrite. La moralité était un concept très variable pour Rayne. L’Allemagne nazie n’était guère différente de la France ou de l’Angleterre, où le fascisme était également très présent. Les humains ne vivaient que pour s’entredéchirer, pour dresser des frontières entre eux, et trouver des ennemis. Rayne estimait ne pas être cynique en disant que toute l’Histoire de l’humanité s’était construite autour d’une seule idée : définir l’ennemi, et construire une communauté autour de l’ennemi. Jadis, l’ennemi était une autre divinité, une forêt, une femme, puis, avec le temps, la notion d’ennemi avait évolué... L’ennemi était passé d’une religion adverse à des États adverses, ou, plus simplement, à tout ce qui était étranger. Rayne aurait bien aimé se dire que la peur de l’Autre justifiait la cruauté chez les humains, mais elle estimait plutôt que la cruauté était innée en eux. L’Allemagne d’Hitler était juste plus développée que les autres États, voyant dans les Juifs un ennemi parfait... Ils étaient juste ceux qui avaient tiré le mauvais numéro. Auparavant, il s’agissait des vampires, ou des femmes.
Rayne n’aurait pas été contre l’idée de coucher avec la Bouchère, sa mentor, mais cette dernière préférait massacrer des nazis.La Dhampir grogna, et laissa ensuite la femme parler à Hannah, semblant s’intéresser à elle. La jeune femme était choquée, troublée, mais elle semblait comprendre qu’il ne fallait pas s’attendre à recevoir de la pitié de la part de deux chasseresses sociopathes ayant un certain goût pour le sadisme. La Bouchère l’encouragea à cesser de gâcher ses parties intimes, et elle rougit, avant d’obtempérer, tout en se mordillant craintivement les lèvres.
« D’a... D’accord... Mais… Je vous en prie, il faut m’aider à quitter l’Allemagne…
- Je sais. »
Rayne attrapa un pistolet qui traînait sur le sol, un Lüger Parabellum, une arme typiquement allemande. Elle la balança vers Hannah, et l’arme atterrit sur le sol, sous le nez de la femme.
« Tu auras besoin de ça. »
Rayne aurait pu se servir d’armes à feu, mais elle préférait opter pour ses lames, dans la mesure où elle savait que le sang excitait la Bouchère. Hannah récupéra l’arme, et Rayne nota qu’elle n’était pas aussi inutile que ça, car elle vérifia le chargeur de l’arme, et l’arma. La Juive s’avança ensuite, tandis que Rayne se demandait ce que la Bouchère avait en tête. Théoriquement, les deux vampires ne devaient pas faire un carnage, car elles devaient rester discrètes... Malheureusement pour la Brimstone et l’Angleterre, Rayne et la Bouchère n’avaient pas pour habitude d’obéir aux ordres.
Le trio sortit donc de la bijouterie. Hannah était choquée, mais se forçait à avancer. La rue était silencieuse, et elle continua à marcher, le long des rues dallées.
« Vous... Vous voulez attaquer une patrouille ? En pleine rue ?
- Il faut bien laisser une trace de notre passage à Berlin. »
Hannah ne dit rien. Peut-être était-elle en train de s’interroger sur la santé mentale des deux femmes. Elles entendirent alors des bruits de pas sur le sol, et s’abritèrent derrière une ruelle. L’ombre des lampadaires permettait de voir une patrouille de soldats en train de s’avancer. Une patrouille de l’Ordnungspolizei, la preuve que la société allemande ne devait pas être ausis paisible que ça, si les dirigeants estimaient nécessaires de mettre des patrouilles ici et là. Ils étaient une demi-douzaine, s’avançant tranquillement, le rythme de leurs pas cadencés résonnant sur le bitume. Hannah semblait à nouveau trembler, et Rayne, plus sociable que la Bouchère, posa ses mains sur les épaules de la femme, la faisant frissonner.
« Tu as vécu en croyant que le monde était un gentil conte de fées, un monde où les bons sentiments pouvaient gagner... Mais ce n’est pas le cas, Hannah. Je sens ta peur, mais elle n’a pas sa place ici. S’il y a une chose dont je n’ai jamais douté sur les êtres humains, outre leur couardise, c’est leur propension à être cruelle. Attends-les, et tue-les. »
Hannah déglutit, et se retourna, continuant à parler à voix basse, les soldats se rapprochant de plus en plus.
« Vous... Vous comptez me laisser seule ? »
Rayne grogna, et plaqua alors Hannah contre le mur, sa main venant se saisir de sa gorge, l’étranglant à moitié.
« Il me semble t’avoir déjà dit que je me moquais de ces conflits humains. Juifs, nazis, Allemands, Anglais, Noirs, Blancs... Pour moi, vous n’êtes que de la vermine d’êtres humains ! Mes ordres sont de te sauver, mais j’ai toujours du mal à obéir à de simples ordres ! Tu veux survivre ? Des temps durs s’annoncent. Si tu hésites à tuer des types qui ne méritent rien d’autre que la mort, alors tu ne mérites pas de survivre. C’est aussi simple que ça ! »
Rayne la relâcha, et Hannah déglutit, en se tenant le cou. La Dhampir regarda alors la Bouchère, et se contenta de quelques mots laconiques :
« Je vais me placer sur un toit. Quand notre oisillon leur tirera dessus, ils se concentreront sur elle, et je pourrais leur tomber dessus. »
C’était un piège classique. Rayne ne comptait pas tuer des Allemands que pour le simple but de tuer des Allemands ce soir. Elle voulait aussi montrer à la Bouchère qu’elle avait grandi, qu’elle était moins encline à foncer dans la mêlée, et plus apte à réfléchir, à faire preuve de stratégie. Elle entreprit donc de grimper comme un singe, à l’aide d’une gouttière, rejoignant le toit, puis s’approcha du rebord. En contrebas, les petites souris approchaient.
Et, dans sa tête, elle continuait à se demander ce que la Bouchère comptait faire avec cette Hannah.
Depuis son toit, Rayne attendait l’heure propice pour frapper. Elle savait que ce serait leur dernier coup d’éclat de la nuit, et qu’il aurait sûrement des conséquences fâcheuses pour la suite. Le parti nazi contrôlait toute l’Allemagne, et une tuerie en pleine rue entraînerait sûrement une répression auprès de la population civile. La Dhampir espérait juste que cet ultime affront serait l’électrochoc qui permettrait à ces gens opprimés de se révolter, mais elle n’y croyait pas trop. L’humanité était servile, et la peur était ce qui les motivait... Ça, et la cruauté. L’amour ? Ce n’était qu’une farce de contes de fées, le genre de choses qu’on disait aux enfants pour essayer de les convaincre que ce monde était beau. Rayne n’était pas dupe. Elle ne l’avait jamais été. Avant même que son père ne tue sa mère et ne détruise tout le village, les autres enfants la détestaient, la rabrouant, la battant ou la fuyant. Elle avait été un vrai garçon manqué, n’hésitant pas à rendre les coups, et même à mordre. Quand Kagan avait brûlé le village, elle avait surtout pleuré pour sa mère, pas pour les autres enfants. Aussi longtemps qu’elle s’en rappelle, elle était convaincue que, si son père avait été moins idiot, et n’avait pas commis l’erreur de violer puis de battre à mort la seule personne que Rayne ait jamais aimé, elle aurait pu le rejoindre. Avec le recul, elle savait qu’il avait agi intentionnellement, qu’il voulait voir si la Dhampir serait capable de survivre seule. Il voulait avoir une fille puissante, une véritable guerrière, capable de survivre, une guerrière qui connaissait la souffrance, la solitude, le fait de devoir vivre comme des chiens en se nourrissant du sang fade des poules, des porcs, des chiens des fermiers. Malheureusement pour lui, la haine de Rayne s’était cristallisée sur Kagan et sur son influence. S’il avait rejoint la Couronne anglaise au lieu du Reich allemand, elle serait la première conseillère d’Hitler en ce moment.
Le coup de feu arracha la femme à ses pensées. Hannah avait tiré, ayant visiblement trouvé le courage de le faire. La balle avait atteint l’un des soldats à la tempe. Plutôt bien visé. Les autres hurlèrent, les mains venant vers leurs armes, et Rayne bondit de son toit. Elle atterrit sur l’un des soldats, ses talons aiguilles s’enfonçant dans son torse, le renversant dans un cri.
« Que... ?! s’exclama un autre soldat.
- Putain !
- Une embus… »
L’homme n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit que Rayne se ruait déjà sur lui, bouche ouverte, canines déployées. Elle y alla salement, enfonçant ses dents dans le cou de l’homme, et tira un coup sec. Elle atteignit sa veine, et la trancha sèchement dans un grognement, faisant partir le sang de l’homme. Elle avait provoqué une hémorragie, un coup mortel. Dans son dos, un soldat s’empara de son MP38, essayant de viser Rayne, mais cette dernière se retourna. Ses lèvres étaient couvertes du sang de l’Allemand, et cette brève portion avait renforcé son adrénaline. Elle se retourna rapidement, déployant ses lames, et égorgea rapidement l’homme. Son sang fusa comme un geyser alors qu’il tombait sur le sol en gargouillant, n’ayant même pas réussi à tirer une rafale. Plus intelligent, un autre Allemand choisit de s’écarter, et sortit son pistolet. Hannah, qui restait en retrait, tenta alors de faire feu, mais loupa sa cible de plusieurs mètres.
Une balle atteignit Rayne à la jambe, la faisant grogner. Elle tourna sa tête vers l’homme, et déploya son grappin. Le filin argenté fusa de sa main et se planta dans la bouche de l’homme, attrapant sa langue. Du sang en jaillit, alors que les yeux du soldat s’écarquillèrent sous la surprise et la douleur. Rayne tira en arrière, étalant l’homme sur le sol. La Bouchère venait de la rejoindre, et Rayne s’avança vers le soldat au sol. Il gémissait, peinant à parler, en étant couché sur le ventre, et avec quelque chose qui lui avait estropié la langue. Rayne se pencha vers lui, et enfonça son talon aiguille dans son dos, tout en attrapant son bras. Ainsi positionnée, le corps courbé vers l’homme, elle ponctionna un peu de son sang en mordant dans son poignet, et savoura ce présent.
La balle dans sa jambe fut ainsi expulsée quand son corps cicatrisa rapidement, repoussant la douille, qui tomba sur le sol, sa peau cicatrisant rapidement. Elle relâcha ensuite le bras de l’homme. Le soldat gémissait faiblement. Elle aurait pu le décapiter, mais la Bouchère voulait quelque chose de propre... Alors, Rayne y alla proprement. Elle attrapa le pistolet de l’homme, et s’agenouilla devant lui. Il vomissait du sang de sa bouche, et était plutôt mignon... Nul doute qu’il devait faire fureur dans son bel uniforme. Rayne l’attrapa par les cheveux, et vit le regard paniqué de l’homme croiser furtivement le sien. Il n’était plus un soldat, un nazi, rien d’autre qu’un homme terrorisé à l’idée de mourir. Face à l’ultime mur, tous les gens se ressemblaient.
« Ça n’a rien de personnel..., l’assura-t-elle. Qui sait, tu survivras peut-être... »
Elle enfonça le canon de l’homme dans sa bouche, et ce dernier se mit à gémir, tentant de dire quelque chose. Rayne se contenta d’appuyer sur la gâchette, et le corps de l’homme tressaillit un coup. Ce fut bref, instantané. Le Luger Parabellum abritait des munitions de 9mm. C’était d’ailleurs l’origine du nom du pistolet allemand : Parabellum était le nom donné à la munition que le pistolet utilisait. EN matière d’armes à feu, Rayne s’y connaissait, même si elle préférait utiliser ses dagues. Ce n’était pas une munition très puissante, et, en conséquence, la tête du soldat n’éclata pas en une bouillie de sang, comme ça aurait pu être le cas avec des chevrotines. Au lieu de ça, il se contenta de s’affaisser, une mare de sang sur son crâne. Rayne, de son côté, esquissa un léger sourire, puis se releva.
La patrouille n’avait eu aucune chance. L’effet de surprise avait joué pour elles, et elle nota alors que l’un des seins de son mentor était dénudé... Comme si elle n’était guère gênée, et faisant encore preuve de son comportement très lunatique, la Bouchère vint s’accoler à Rayne, dans une caresse tout à fait érotique. C’était un comportement typiquement vampirique : chasser était excitant. Tuer des proies ne servait pas qu’à se nourrir, mais avait aussi un côté aphrodisiaque. Rayne s’attendait presque à ce qu’elle l’embrasse après sa pichenette et son commentaire, mais, au lieu de ça, la Bouchère s’attarda à un détail futile : une érection sur le corps d’un des soldats.
Rigidité cadavérique. Rayne haussa les épaules, et sa main vint se rapprocher du visage de la Bouchère, ses doigts se posant sur sa joue. Elle ramena son visage près du sien, et déposa alors un baiser sur ses lèvres... Du moins, à l’emplacement de ses lèvres. Un baiser sanglant, car elle avait encore le sang du nazi sur sa bouche. Ainsi, le masque chirurgical de la Bouchère s’orna d’une légère auréole pourpre.
« Tu ne devrais pas être surprise, c’est fréquent quand tu passes dans le coin. »
Un peu comme Rayne s’y attendait, aucun riverain n’était venu se pencher à la fenêtre. Il y avait eu plusieurs coups de feu tirés, mais les Berlinois, de manière très prudente, devaient estimer que, tant qu’on ne défonçait pas leurs portes, ce qui se passait dans la rue ne les concernait pas.
La curiosité était toujours un vilain défaut.