Niriko n’avait aucune raison d’aimer Erine. «
Peach », ou «
Double-P », comme on l’appelait au lycée, était une sorte de coqueluche. Ressemblant furieusement à la célèbre icône du jeu vidéo, elle était une starlette du lycée. À chaque fois que Niriko voyait de jeunes lycéens lui demander un autographe, ou tous les mecs qui lui tournaient autour, elle était empreinte d’une jalousie noire et maladive, à la limite d’une haine meurtrière et obsessionnelle. Niriko estimait être une victime incomprise. Il y a encore quelques mois, elle sortait avec un garçon, Tadashi, quand elle avait appris qu’il ne l’aimait pas, et qu’il était amoureux de «
Double-P ». Un «
-P » pour «
pétasse », un «
-P » pour «
grosse PUTE » ! Voilà ce que Niriko pensait ! Cette salope lui avait enlevé Tadashi, et Niriko se larmoyait devant la bêtise de ces abrutis de mecs ! Ils tournaient autour d’elle alors qu’elle était une véritable
salope. Oui, Niriko la détestait, et, tout ce qu’elle rêvait, c’était de l’humilier, de la briser, de voir la petite Princesse chialer comme une gamine… Et là, oh oui, là, elle se ferait un trip’ d’enfer. Elle diffuserait sur tous les réseaux sociaux les images de «
Double-P » en train de pleurer comme un gros connard de morbac. Niriko avait été, à une époque, la favorite de sa classe. Elle nageait comme un marsouin, en plus d’être superbe belle. On l’appelait «
La Sirène » à une époque. Maintenant, elle était juste «
Niriko ». Ça n’était pas injuste, ça, peut-être ?! Tout ça parce que Miss-Double-Pétasse avait une belle chevelure blonde, posait dans des magazines pour geeks asociaux et frustrés, et jouait aux jeux vidéos. En plus, Niriko était sûre qu’elle était nulle ! Elle ne devait avoir de bonnes notes que parce que les profs’ fantasmaient sur son joli cul… Ça ne vous semblait pas ignoble, ça ? Alors, que dire quand même votre abruti de petit-frère, accroc à
One Piece, et qui passait ses soirées sur sa WiiU à observer les miches de Bayonetta, venait vous demander un autographe de Peach, avait un poster d’elle, ou rêvait d’attendre Niriko à la sortie des classes pour être avec «
Double-Grosse-Pute ». Ouais, Niriko l’avait mauvaise. Avant, son petit-frère voulait nager comme elle, elle l’emmenait à la piscine pour lui apprendre à nager, puis à la plage… Maintenant, il n’avait d’yeux que pour elle… Elle, elle, elle ! Elle qui allait devenir une égérie de Nintendo ! Qui aurait droit à des interviews ! Qui avait tout un tas de mecs se pavanant autour d’elle comme des coqs en furie.
Elle, elle, elle, toujours elle,
ELLE ! Alors, Niriko avait décidé de lui faire une bonne petite farce… Quoi de mieux pour ça que les Pendus ? La Maison des Pendus, ainsi qu’on l’appelait… Tous les gosses en avaient une. C’était cette fameuse maison abandonnée, sur laquelle on disait qu’un truc affreux avait
forcément eu lieu pour justifier le fait que la maison soit abandonnée… Toute une famille se faisant zigouiller, c’était bien plus sex’ à dire que des conflits de succession entre héritiers durant depuis des années, avec le bien immobilier qui, entre-temps, dépérissait… Ou des héritiers ne se manifestant pas, nécessitant d’attendre l’écoulement d’un délai légal pour que l’État puisse récupérer le bien abandonné, et en faire quelque chose. La Maison des Pendus était un lieu sinistre, une ancienne maison abandonnée où on disait que tous ceux vivant dedans finissaient par se pendre. Niriko ignorait si l’histoire était vraie ou pas, mais elle était maintenant un défi pour les adolescents : passer une nuit là-dedans… Niriko avait insisté auprès d’Erine pour qu’elle y aille, et elle avait reçu l’assentiment de son cercle d’amis, d’autres personnes qui, comme elle, n’étaient pas dupes, et voyaient bien qui était vraiment «
Double-P ».
Niriko dissimulait bien évidemment ses véritables sentiments à l’égard d’Erine, et, de la part d’une femme, on pouvait s’attendre à ce que ce soit sincère. Une femme savait mentir, et, sur ce point, Niriko était excellente. Mais, ce soir, elle avait tout prévu. Elle était en compagnie de Kenji, de Kiba, et de Kaori. Les «
Trois-K » formaient une petite bande avec laquelle Niriko avait toujours réussi à s’entendre. Ils trichaient en cours, faisant faire par les intellos de la classe leurs devoirs, et les rackettant à la récréation. Erine n’en savait rien, bien entendu, car ils étaient discrets. Kaori, par exemple, adorait enfermer de jeunes adolescents dans leurs casiers, et, le soir, ils s’amusaient à courser des élèves pour les foutre dans des poubelles. Les enfants pouvaient être très cruels entre eux, et c’était particulièrement vrai pour ces trois-là. Ils avaient enfermé une fois un arachnophobe dans son casier toute la nuit, et, depuis lors, le jeune homme voyait régulièrement un pédopsychiatre, car ils l’avaient enfermé avec une grosse araignée… Toute la nuit ! Il avait pleuré comme personne d’autre, surprenant les élèves au petit matin. L’affaire avait remonté loin, car les parents du petit avaient porté plainte à la police. Mais Mishima gardait ses secrets.
«
Ça y est, elle est rentrée… -
Héhé, on va bien se marrer… »
Ils se trouvaient dehors, dans la rue, et Niriko rejoignit les trois. Kenji avait sorti son ordinateur portable, et la connexion, fort heureusement, marchait très bien. Kenji, au sein du trio, était un spécialiste en informatique. Son père dirigeait un magasin d’informatique, et était un
otaku pure souche, ce qui énervait toujours leur mère, qui passait son temps à le gronder. Kenji avait ainsi appris bien des trucs, et avait surtout accès aux réservés de son père. Il avait ainsi installé un petit système dans la Maison des Pendus, avec de discrètes caméras dissimulées dans les coins, permettant de voir l’intérieur.
«
On devrait aller chez moi, c’est juste à côté…, proposa Kiba.
Normalement, on aura toujours le signal. »
Niriko acquiesça, et ils se retrouvèrent donc chez Kiba. Des trois, Kiba était le plus violent. Ses parents avaient divorcé, et son père avait hérité de l’autorité parentale, car sa mère buvait. Le juge n’avait pas voulu la croire quand son avocat avait dit que son mair la battait, et que ceci expliquait pourquoi elle avait sombré dans l’alcoolisme. Le père de Kiba était un grand macho’, et éduquait Kiba ainsi. Autant dire que Kiba ne supportait pas les grands airs de «
Double-P », car il était secrètement amoureux d’elle, mais d’un amour possessif et jaloux. Il avait déjà cassé la figure de plusieurs personnes qui avaient trop regardé
sa Princesse… Comme l’arachnophobe, tiens ! Le mettre dans le casier avec une grosse araignée, ça avait été son idée, et, putain, quand il avait entendu le gamin hurler en tambourinant en vain contre la casier, il avait eu ce que son père appelait, quand il regardait les matchs de sumos à la télévision, «
la tendue ». La
tendue, il l’avait souvent quand il pensait à P.P… Dans sa tête de romantique incompris, il s’imaginait une Peach esseulée au petit matin, qu’il irait soulager… Puis ils partiraient ensemble, loin des méchancetés de Niriko, et ils casseraient la gueule de tous ceux qui diraient du mal de Peach… Et il apprendrait à Peach qu’elle n’avait pas besoin de voir les autres. C’est vrai, quoi, elle l’aurait, lui, Kiba. Il faisait de la musculation, il était fort.
«
Elle se balade dans les étages… -
Tu vas pouvoir commencer, Kenji… Tout est prêt ? -
Ça fait une semaine que je bosse dessus ! Elle va avoir la trouille de sa vie ! »
Elle se rapprochait de la chambre où tout le monde s’était pendu. La chambre de la plus petite. La légende variait selon les théories et les rumeurs, mais toutes s’accordaient généralement à dire que c’était dans cette pièce, au fond du couloir, que tout avait commencé… La porte était légèrement entrouverte, et, quand Peach se rapprocha, Kenji appuya sur un bouton. Un discret dispositif qu’il avait glissé dans la serrure s’enclencha alors, et émit une légère impulsion, ce qui eut pour effet de faire lentement se déplacer la porte. Elle émit un grincement flippant, comme dans les films, et Niriko se mordilla les lèvres.
«
Allez, petite pute, rentre là-dedans… »
Quand Peach ouvrirait la porte, elle pousserait le bout d’une corde qui retenait un pendu… Une marionnette de taille humaine que Niriko avait piqué dans le magasin de prêts-à-porter où sa mère travaillait. Elle avait colorié le visage du mannequin, mais, dans l’obscurité ambiante, tout ce que la salope verrait, ce serait un corps lui tomber dessus depuis le plafond. Elle voulait la faire chialer… Comme l’arachnophobe.
Ouais, ça, ça la bottait vraiment…