Le contact de la main d'Alecto sur sa joue causa une réaction en Aldericht. Il eut à la fois un sursaut et se fit presque violence tant il ne s'attendait pas ainsi à être touché, mais le jeune prince eut surtout une directe impulsion des émotions de la jeune femme; dès que les doigts de la jeune femme le touchèrent, il ressentit sa peine, sa douleur, son angoisse et sa tristesse. Le jeune homme se sentit fléchir dans sa droiture; un besoin presque irrépressible de l'enlacer et de la réconforter le prit. Peut-être était-ce parce que Meisa n'autorisait plus les esclaves, ou parce qu'il n'avait jamais rencontré des gens comme Alecto, mais il n'avait jamais ressenti une telle compassion pour quelqu'un, mais également un tel sentiment de culpabilité; le cœur du prince se mit à battre plus rapidement, et le rouge lui monta aux joues; l'aveugle sentait une timidité étrange lui venir, mais il ne bougea pas.
"Oh mon Dieu... Je suis désolée, tellement désolée... Je... Vous avez été frappé par ma faute. Vous n'avez rien ? Cela fait mal ?
-Oh, ne vous inquiétez pas, Alecto. Patience a toujours eu mauvais caractère. Je la connais depuis que nous sommes très jeunes, voyez-vous. Depuis que sa famille est tombée en déchéance dû aux erreurs diplomatiques commises par son père, celui-ci a tout tenté pour que sa fille finisse dans le lit d'un membre de la royauté. Mon père a une réputation, voyez-vous; parce qu'il est simplement incapable de délaisser ceux qui appellent à l'aide, il met souvent tout de côté pour se précipiter à l'aide des gens, et plus souvent qu'autrement, ces gens sont des femmes. Du coup, des rumeurs lui attribuent de nombreuses partenaires, mais je vous assure; mon père n'est rien s'il n'est pas au moins honorable. Patience avait espoir que ces rumeurs soient vraies et que Père la prenne dans son lit. Elle aurait pu ainsi gagner ses faveurs et ramener sa famille dans le giron royal.
La jeune femme l'écoutait, il le savait, mais elle ne put s'empêcher de faire une prière. Pour quelle raison, il l'ignorait, mais il ne l'empêcha pas de le faire, parce que cela lui permettait de conserver ce contact un peu plus longtemps et d'analyser, avec son esprit d'homme supposément sage, la raison de cette excitation en lui. Il comprit alors qu'il y avait une forme de compatibilité spirituelle et émotive entre eux, et que cela l'attirait. Cependant, le prince était un homme de raison, donc il rejeta cette émotion avec la fermeté de l'ascétique. Le contact prit fin, et il se contenta de sourire, le rouge qui avait enflammé ses joues s'estompant naturellement et simplement.
"Son cœur est plein de jalousie et d'orgueil, elle se nourrit de ténèbres, mais un jour, elle verra la Lumière en son âme.
-Peut-être bien. Cependant, mon père m'a toujours enseigné une chose, et ce depuis que je suis petit; ne jamais sous-estimer une femme en colère. Malgré la déchéance de sa famille, elle reste la cousine d'une des fiancées potentielles de mon frère, Grymauch, le Roi-Servant, et on dit que leur lien est fort, donc elle cherchera sûrement à nous tourmenter d'une manière ou d'une autre. Pour ce qui est de mon frère… eh bien, je déplore qu'il ne cherche pas une épouse d'amour, mais selon lui, le devoir d'un souverain à en devenir n'est pas d'être heureux, mais d'assurer l'avenir du royaume.
Il lui expliqua ensuite que, dans la fratrie, il était le quatrième prince, et le second fils de Serenos. Grymauch, l'ainé, était celui que le Roi avait désigné comme son successeur s'il devait lui arriver malheur ou s'il venait à abdiquer. Grymauch ne possède pas le don de la magie, ce qu'il palie avec une grande force physique qu'il héritait de la lignée de leur mère. Sa sœur ainée, Meredith, était maintenant Duchesse d'Anlevi aux côtés de son mari, Emtri d'Anlevi, donc l'une des plus puissantes femmes de la noblesse des trois royaumes, puisque le domaine d'Anlevi occupait une grande part de la côte, au sud-ouest du pays, et possédait une puissante armada. La seconde sœur, Nenneli, avait épousé le Général Raphaëlle, et toutes deux vivaient au palais, dans une relation aussi chaotique que farouchement amoureuse, aux yeux du prince.
"Le Roi a d'autres enfants. J'ai un frère benjamin, mais il… enfin. Il a trahi. Pour ce qui est de ma dernière sœur… Je préfère ne pas parler en mal des gens, mais disons qu'elle vit dans un hédonisme que je n'approuve pas."
Sans être religieux, Aldericht ne pouvait s'empêcher de désapprouver de sa sœur, Laurianne, connue également sous le nom d'esclave de Shion.
"Ma demi-sœur a été longtemps une esclave avant qu'elle ne nous soit ramenée. Elle en a gardé de graves séquelles, dont des besoins qu'elle… ne peut satisfaire elle-même, si vous comprenez."
Il entendait évidemment qu'elle avait été traitée comme une esclave sexuelle pendant si longtemps que cela avait affecté sa méthode d'interagir avec les autres. Il lui expliqua que Laurianne ne faisait confiance qu'à ceux qui partageaient sa couche. Selon Aldericht, c'était la seule manière pour elle de 'sentir' les gens, de les connaître, mais cela impactait négativement sur sa relation avec le reste de la famille, puisque la seule manière que Serenos pourrait la réintégrer à leur famille était de s'adonner aux choses de l'amour avec elle, et qu'il refusait obstinément. Lorsqu'elle était arrivée en Meisa, la princesse souffrait de crise d'anxiété et avait des comportement auto-destructeurs, au point de se griffer la peau jusqu'au sang, jusqu'à ce qu'elle finisse par séduire l'un de ses gardes et le convaincre de coucher avec elle.
Loin d'être interdit dans les Trois Royaumes, l'inceste restait néanmoins une pratique à laquelle le Roi ne souhaitait pas s'engager. Les mariages entre frères et sœurs ou entre des cousins était légal, voire même encouragé par la tradition, ne serait-ce que pour garantir la pureté de la lignée, mais le souverain n'y voyait qu'une tradition stupide qui encourageait des hommes à former des harems dans leur propre lignée, ce qu'il n'approuvait pas. Et malgré son pragmatisme habituel, même pour assurer la cohésion de sa famille, le Roi avait, jusqu'à maintenant, toujours refusé ce genre de relations avec Laurianne.
"J'ai espoir que, peut-être, vous parviendriez à aider Laurianne, un jour."
Le jeune prince était donc au courant qu'Alecto était une esclave, et visiblement, cela ne le dérangeait pas du tout.
Après que la Compagne Royale se fut proprement nettoyé le visage, le prince l'invita de nouveau à le suivre, s'engageant dans les jardins royaux. Des enfants y couraient joyeusement en riant et en jouant ensemble, des petits et des grands. Alderich lui expliqua que le banquet aura lieu dans les jardins, pour profiter de la chaleur de l'été, puisque l'automne approchait bientôt et que cette opportunité ne se reproduira pas.
"Vous serez assise au côté du Roi, mais vous n'aurez pas à faire de discours. Cette fête est simplement pour vous introniser, et que les gens, les nobles comme les employés, reconnaissent votre visage. Nous aurons un bal et… oh, savez vous danser, ma Dame?"