Le soleil matinal du printemps illuminait la grande baie vitrée du bureau de Kenichi Kawamura. De cet endroit, le jeune président de Star Hotels Group pouvait admirer, loin en contrebas, les riches faubourgs de Seikusu, et plus loin encore les jetées du port bordant la mer du Japon. Les flots scintillaient et reflétaient la lumière de l’astre solaire, donnant l’impression que la ville donnait sur un immense miroir argenté mouvant. La vue était de toute beauté, d’autant plus que l’hôtel phare du groupe dominait le très riche quartier des affaires dont la plupart des structures rivalisaient de créativité. Chaque société de réputation mondiale se devait de posséder un siège locale à Seikusu et la démesure de certains bâtiments défiait l’imagination. Ici, l’argent coulait à flot et les marchés mondiaux se retrouvaient investis par des nuées de traders chevronnés payés une fortune par des groupes toujours plus avides.
L’hôtel, le Star One, était juché sur une élévation naturelle et se tenait ici bien avant que le quartier moderne l’entourant existe. Le père de Kenichi l’avait édifié sans prétentions particulières aux origines mais son succès fulgurant lui avait permis de le développer et en même temps d’ouvrir ses investissements sur la création d’une chaîne d’hôtels de très grand luxe dont le Star One était la vitrine mondiale. Diversifiant ses activités et ses enfants étant en âge de le seconder, le paternel avait, entre autres, donné la direction du groupe hôtelier à Kenichi. A ce jour, le jeune homme gérait la routine de 24 établissements disséminés dans presque toute l’Asie de l’est.
Donc autant dire que pour l’instant, la vie de Kenichi était parfaite. Enfin...presque parfaite.
Le jeune homme porta à ses lèvres une tasse de café et en but une gorgée, le regard pensif. Une personne l’observant de côté l’aurait trouvé très beau. Se tenant bien droit dans son costume gris Pierre Cardin, il dénotait par un naturel élégant et une aura raffinée. Son teint de peau pâle et le noir de ses cheveux contrastaient par la couleur mais s’harmonisaient dans le portrait parfait qu’il représentait.
Enfin, Kenichi cligna des paupières et soupira. Il revint s’asseoir à son bureau, une pièce unique commandée auprès d’un artisan verrier italien de renom, et feuilleta les quelques rapports que son secrétaire avait déposé là avant son arrivée. Ses doigts pianotaient sur le cuir de son repose-mains ; quelque chose le dérangeait.
En effet, quelque chose le dérangeait et la raison n’en était pas des moindres puisqu’il s’agissait de son futur mariage. Enfin, plutôt le futur mariage que son père voulait lui imposer du haut de sa tyrannie impitoyable. Car lui, Kenichi, n’aspirait absolument pas à se marier avec la fille d’Akira Tamashiro, un magnat de l’immobilier, et peut être possible associé de Kawamura senior. Alors cette Aiko était une influenceuse de renom suivie par près de 2,5 millions de followers sur son réseau social principal ; elle brillait sur toute les scènes people, mais elle avait aussi un caractère insupportable et une propension à en faire bien plus que nécessaire en public. On les avaient présenté l’un à l’autre et depuis, elle ne cessait de le harceler par tous les moyens possibles. Et Kenichou par ci, et Kenamour par là … Kenichi n’en pouvait plus de cette sangsue qui lorgnait bien évidemment sur la fortune personnelle du jeune héritier qui dépassait celle de … d’à peu près tout le monde …
Mais les riches restants entre riches et le paternel menaçant même de déshériter son fils, les portes de la liberté se fermaient les unes après les autres pour le pauvre garçon. Pourtant, il était normal qu’il prétende à ce genre d’union, l’amour se dissipant généralement assez vite dans ces milieux-là. Mais Kenichi n’était pas ainsi. Autonome très jeune, il avait développé un goût certain pour l’indépendance, malgré le tutorat paternel, et entendait bien vivre sa vie comme il le voulait.
Seulement là, le hic était de taille ; lui contre tous, il ne pesait pas bien lourd. Ou alors, il claquait la porte et disparaissait de la circulation, ce qui était bien entendu inenvisageable. Mais bon sang qu’on lui foute la paix !! Qu’on cesse d’imaginer le coût de sa cérémonie de mariage et qu’on arrête de le féliciter alors que rien n’était fait. IL VOULAIT JUSTE VIVRE SA VIE !
Son téléphone de bureau sonna et quand il répondit, cela termina de l’enfoncer. Le majordome du domaine de son père l’informait qu’il serait reçu ce soir chez lui, en famille, pour parler du contrat de mariage. Impossible d’y échapper ! Kenichi eut une saute d’humeur. Il allait trouver la première fille venue, inventer une histoire à dormir debout et se pointer chez lui pour présenter SA mariée, celle qu’il choisissait, ce qui leur fermerait le clapet pour un moment.
Bien décidé à survivre, il quitta son bureau, traversa un étage luxueusement agencé, répondit aux saluts des employés et prit l’ascenseur privé qui le mènerait dans le hall. Là, entre la réception, les salons, les bars et les espaces de détente, il y avait toujours du monde, du très beau monde. Il parcourut l’ensemble des personnes présentes, il y avait toujours une escorte de luxe dans le coin, discrète et raffinée qui pouvait passer pour une riche héritière avec un peu d’imagination. Même une étrangère ferait l’affaire, l’argent n’ayant pas de nationalité.
Elle ? Non. Elle ? Wow … sûrement pas ! Elle ? Non mais franchement …
Incroyable, pas une ne convenait, le jeune homme ayant quand même une certaine fierté et un goût de l’esthétique avéré. Kenichi serra les poings et se dirigea vers la sortie, foulant des tapis moelleux hors de prix.
La première qui entre, elle est pour moi ! Allez …
Personne ne vint, les tourniquets tournaient dans le vide et aucune présence féminine ne vint combler les attentes de garçon désespéré. Et pour la première fois de sa vie, il fit appel à quelqu’un d’autre pour l’aider. Son appel fut profond, immensément véritable et honnête, empreint de sincérité.
Oh toi tout puissant, toi qui définit le destin des hommes, aide moi, entend ma prière. Je ne demande ni la prospérité éternelle, ni l’immortalité ; je te demande juste la liberté. Offre moi celle qui me sortira des fers de la tyrannie, celle qui me fera sourire et me permettra d’ouvrir mon âme au monde. Je ne souhaite pas la perfection incarnée femme mais celle qui bousculera mon existence, par son physique, son attitude, son caractère. Entend moi s’il te plait.
Il pensa aussi involontairement à des choses plus intimes et plus crues mais n’osa pas les faire ressortir. Maintenant, il priait par la pensée et peut être que les choses s’emmêlèrent un peu et de toute lanière, il ne s’en serait pas rendu compte. Kenichi faisait face à ce grand tourniquet tout de métal brillant et de verre travaillé qui tournait, tournait, tournait, brassant l’air plutôt qu’amenant de l’espoir.