Seule dans son bain, la tête en repos sur une serviette d'un blanc immaculé, soigneusement pliée au bord du bassin, la Muse Calliope se détendait, pour ne pas dire, se prélassait. L'eau était chaude et enveloppait délicieusement son corps d'un cocon, comme ouaté, doux, duquel elle n'aurait jamais voulu sortir, fut-ce pour être un papillon. Apollon avait guidé le soleil à son zénith depuis déjà plusieurs bonnes heures, heures à laquelle la prêtresse avait congédié son amant de la nuit passée pour ne se préoccuper que d'elle-même. Ses journées étaient à la fois répétitives, et toujours nouvelles. Le peu de choses qu'elle avait à faire au temple d'Aphrodite l'occupaient à peine dix minutes (et ça lui allait très bien comme ça), même si ces dix minutes quotidiennes étaient importantes, quant au reste... Elle le passait souvent à faire la même chose, prendre un bain, se soigner, et sortir.
Que ce fut le plan de Terra ou celui de la Terre, c'était du pareil au même. Elle se mettait toujours en quête d'un amant qui serait différent des autres, sans jamais le trouver. Il n'y en avait eu que très, trop, peu pour la distraire et la surprendre. La grande différence entre les deux plans étant qu'en étant à Seikusu, elle avait d'avantage de chances de tomber sur un humain que sur le plan de Terra où elle trouverait volontiers des démons, des nekos, des furry... Bref, un petit peu de tout. C'était évident que question diversité, Terra battait la Terre haut la main. Mais... Ca n'était pas ce genre d'originalité que voulait trouver la Muse. C'était d'autant plus compliqué de trouver son bonheur étant donné qu'elle inspirait l'éloquence à toute personne se trouvant dans son périmètre direct... Elle ne pouvait pas s'y dérober, elle était ainsi faite. Alors où était le faux, où était le vrai, l'authentique là-dedans? Et bien au même endroit... Calliope ne créait rien dans l'esprit des gens, tout ce dont ils avaient besoin y était déjà. Elle ne faisait que ressortir ce dont ils avaient besoin au bon moment. Sachant cela, elle se demandait toujours... « Comment serait untel si je n'étais pas là? » Mais finalement, pour servir Aphrodite, ça n'était pas des plus importants, voir pas important du tout... N'empêche, que c'était intrigant!
Un soupir perça le silence régnant dans les bains, se répercutant en écho sur les murs de marbre. Le corps sculptural de l'apparente jeune femme quitta le bassin, telle Venus naissant des eaux, et s'enroula dans un linge avant d'essorer grossièrement sa chevelure. Elle sentait un peu l'olive, un peu la mer, un peu la Myrrhe... Mais aussi la cannelle. Elle était telle un bouquet garni, une explosion pour les sens, riche de subtilité et de délicatesse. Le tout était léger, perceptible mais pas omniprésent, et là était tout le mystère de ces effluves. Ainsi (presque) vêtue, la Muse quitta les bains pour regagner ses quartiers, chantonnant un petit air populaire tout en tentant de planifier sa journée. Elle avait besoin de se donner des objectifs de temps à autres, du moins à courte échéance, afin de ne pas sombrer dans la paresse et l'oisiveté, choses qu'elle avait en horreur. Elle, elle aimait bouger, elle aimait découvrir et chercher... Pour elle, quelque chose qui n'évoluait pas stagnait, et comme les temps changent, si on n'est pas capable de changer avec le temps, on devenait obsolète, et on finissait par disparaître. Elle ne voulait pas disparaître, alors elle courrait toujours après quelque chose. Le tout était de trouver quoi.
Distraite, elle demanda à ce qu'on vienne l'aider à la coiffer. D'habitude avenante, présente et bavarde avec les autres prêtresses, elle était aujourd'hui absente, jouant avec une plume le long de laquelle elle faisait courir se doigts, la pinçant légèrement entre son pouce et son index, avant de souffler dessus légèrement, s'imaginant aisément cette plume appartenir à un quelconque oiseau dont les ailes battraient au gré du vent.
Calliope ne revint à la réalité que lorsque la prêtresse sortit. Elle avait légèrement bouclé ses cheveux, de telle sorte à leur donner une ondulation naturelle, et en avait retenu quelques mèches derrière sa tête,à l'aide d'une petite pince en argent de motif floral. La Muse n'avait donc plus qu'à s'habiller. Elle n'affectionnait pas tellement le maquillage, mais ce soir là, elle avait envie d'aller sur Terre et elle savait que les terriens prêtaient d'avantage attention aux femmes usant de ce genre d'artifices, peut-être parce qu'elles donnaient l'illusion de prendre d'avantage soin d'elles, allez savoir... La prêtresse resta sobre dans son utilisation puisqu'elle se contenta de khôl et de mascara pour rehausser le bleu de ses yeux grisés, et d'un peu de rose pour repulper sa bouche.
Elle passa ensuite une robe contemporaine inspirée du style grecque ancien, avec des bretelles fines aux épaules qui s'élargissaient en descendant vers la poitrine de Calliope, afin de couvrir sa poitrine tout en offrant un beau décolleté en V. Dessous, à sa taille, le tissus était retenu par des lacets qui marquaient la taille fine de la déesse, puis plus bas, la robe était plissée et ample. Ainsi, elle ne serait pas gênée dans ses mouvements, tout en étant élégante. A ses pieds, elle passa de petites sandales plates, dont les lacets étaient à nouer en remontant sur le mollet jusqu'au genou. Afin de casser le côté "ancien" de cette robe, et d'apparaître comme d'avantage contemporaine, elle passa par dessus une simple veste en jean. Ainsi prête, elle put quitter ses appartements et se lancer dans de nouvelles recherches.
A peine sa silhouette avait-elle disparu du mont Olympe, qu'elle se retrouvait dans le lieu d'arrivée privilégié des Terranides sur terre: le parc de Seikusu. En effet, les feuillages denses masquaient tant et si bien les coins et recoins du parc que n'importe qui pouvait sortir de n'importe où sans que personne n'ait quoique ce soit à redire. D'un petit geste de tête, la déesse expédia une partie de sa chevelure couleur chocolat dans son dos et prit la direction de la sortie, envieuse de rencontrer rapidement quelqu'un afin de la sortir de sa solitude.
Ce fut bien plus rapide qu'elle ne l'aurait cru! Elle se laissa surprendre, avec délices, par un tiers d'apparence jeune et surtout très sûr de lui. Il venait de sortir d'un buisson, là, juste devant une Calliope qui avait sursauté à son approche. Elle regarda alternativement le buisson, puis le jeune homme qu'elle finit par pointer de l'index, ses sourcils se fronçant légèrement en une mimique interrogative... Elle se demandait s'il y avait longtemps qu'il la suivait ainsi des fourrés. Hélas, elle ne put lui poser la question. Ce fut lui qui s'empara de la parole le premier, laissant la Muse replier son index, et croiser les bras avec intérêt. Oui, il était bien sûr de lui. Malicieuse, l'apparente jeune femme adressa un sourire au tout aussi apparent jeune homme en face d'elle. Elle eut même un petit rire.
"Je ne vous le fais pas dire, c'est un endroit dangereux... La véritable question étant de savoir pour qui est-ce vraiment dangereux..."
Elle accentua volontairement le "qui", afin de ne pas laisser le moindre doute à son interlocuteur. Sans doute se prenait-il pour un prédateur, mais s'il voulait jouer, il ne serait pas déçu... Calliope serait en mesure de lui répondre, voire même de lui faire perdre le jeu auquel il tenait tant.
Souriant toujours, elle campa une main sur sa taille. Piquante et vive, elle répliqua.
"Je comprends qu'un jeune homme comme vous puisse être effrayé. Voudriez-vous quelque protection afin de rentrer chez vous en toute quiétude?"
Féminiser ainsi le jeune homme avait un but unique: le tester. S'il prenait la mouche, c'est qu'il n'aurait tout simplement aucun intérêt pour la Muse. Elle était l'éloquence personnifiée, elle n'avait donc rien à faire avec une personne incapable d'aligner deux mots. Si cependant il relançait le jeu alors... Les choses seraient différentes... Evidemment, elle n'était pas méchante, du moins n'estimait pas l'être avec son interlocuteur, c'était simplement un trait d'humour qu'elle espérait voir saisi au vol.
Le vampire n'avait guère besoin de formuler ses pensées à voix haute pour que Calliope les devine. Elle était très au courant de l'effet qu'elle suscitait chez les hommes hétérosexuels, faisait tout ce qui était en son pouvoir c'est-à-dire... Tout pour en arriver là, et appréciait tout particulièrement ce genre de situation. Bien sûr, Seffer aurait pu être homosexuel... Mais le regard intéressé plutôt que le dédain et l'ignorance que les hommes aimant les hommes lui auraient réservé parlait de lui-même. Elle sentait son regard, discret mais tout de même visible, courir sur son corps, remontant le long de ses longues jambes fuselées, glissant sur ses fesses et dans son dos, emprisonnant le galbe de sa poitrine... Aucun mot n'était utile, la Muse était très capable d'imaginer quelles pensées pouvaient traverser l'esprit du vampire tandis qu'il l'observait. Et, consciente de tout cela, la déesse n'en souriait que plus. Susciter le désir des hommes étaient réellement ce qu'elle préférait.
Quant à elle, elle en profitait pour détailler également le vampire. Après tout, il n'y avait pas de raison. Si lui le faisait, pourquoi pas elle? Elle apprécia donc la carrure de ce dernier, laissa son imagination dessiner des muscles finement taillés mais bien présents sous ses vêtements, ainsi qu'une force réelle. Ses cheveux étaient d'un noir d'encre, tant mieux. Calliope avait toujours eu un faible pour les bruns. Elle ignorait si c'était à cause de la Lune ou des lampes qui diffusaient une lumière plutôt morne, mais il semblait bien pâle et ses yeux très bleus. Peut-être même trop, presqu'irréels. Si la Muse releva se détails, elle n'en fit pas cas, car quoique puisse être cet homme, la déesse serait toujours en mesure de faire ce qu'il lui plaisait, ou de prendre ses jambes à son cou tout du moins. Elle n'était pas vraiment dénuée de courage, elle n'avait seulement aucun goût pour les combats.
Si Seffer voulait de l'exotisme, il en aurait, et plus qu'il n'en voudrait. Habitué aux peaux pâles des nippones, il serait charmé par la peau légèrement hâlé de la femme grecque. Aux cheveux longs, noirs et raides, Calliope opposera une crinière chocolatée, et légèrement ondulée pour ce soir. Au silhouettes fines et filiformes, la déesse opposerait les courbes généreuses de son anatomie. Quant au caractère, il ne serait pas déçu... Lui qui connaissait des femmes soumises, par choix ou non, devrait apprendre à composer avec une entité qui n'entendait pas se laisser soumettre autrement que par choix. La partie promettait d'être intéressante, Calliope le compris à la réponse que lui donna le vampire. Un peu de répartie. Inspirée d'elle-même? Sans doute, puisque l'homme était dans son entourage direct... Mais en moindre mesure étant donné la distance qui les séparaient. Preuve que le coup de pouce de son aura au vampire n'avait été que minime. Monsieur Aelias avait donc du potentiel. Le potentiel d'amuser la déesse, et donc de se voir testé avant d'être consommé, puis jeté comme un vulgaire sexe toy. Avoir de la répartie était un minima pour la souveraine de l'éloquence, la reine des mots. Aussi cette dernière inclina-t-elle légèrement la tête de biais au compliment de l'apparent jeune homme. Il jouait le jeu et acceptait avec sang froid, voire même amusement de se faire traiter de couard et plus faible qu'une femme. Signe d'un relatif sens de l'humour. Que deviendrait-il si elle poussait un peu plus loin le bouchon?
La bouche de la Muse s'étira en un sourire, lui rendant celui que lui adressait le vampire. Elle cacha même un rire des plus légers, par un semblant de gène, lorsqu'il lui demanda de le raccompagner. Voilà qui manquait cruellement de subtilité et d'originalité, même si la plaisanterie était dans le ton des précédentes. Ce manque fut cependant compensé par sa présentation rapide, qui donna l'occasion à Calliope de rebondir.
"Je crois que dans les conditions actuelles, vous recherchant ma protection, en l'occurrence... Ce serait plutôt moi qui vous servirai!"
Le sourire de la déesse s'élargit d'avantage, amusé, ses yeux bleus pétillants.
"Quoiqu'il en soit, je suis ravie de faire votre connaissance Monsieur Aelias."
Elle lui tendit une main, afin qu'il la serre, arborant une bague unique. Un anneau d'argent passé au majeur.
"En ce qui concerne la question de votre retour chez vous... Vous n'avez qu'à partir devant, et je vous rejoindrai."
Une autre façon de dire qu'il était hors de question que ce soit aussi simple pour lui. Toujours taquine, elle gratifia le vampire d'un clin d'oeil, récupéra sa main et pivota sur ses talons, adressant un bref signe à Seffer.
"Voyez-vous, nous ne devons pas marcher trop près l'un de l'autre, je dissuaderai quiconque de vous attaquer par ma force évidente et me priverai ainsi du plaisir de casser de la racaille... Ce serait trop bête vous ne croyez pas? Pour éviter ça, mettons que vous commenciez à partir vers chez vous, et que moi je sorte du parc. Nous tromperons alors mieux les apparences! Je vous dis à plus tard donc Monsieur Aelias!"
Son rire fut clairement audible, tandis qu'elle glissa ses mains dans les poches de sa veste en jean et reprit sa marche, attendant tout de même de voir quel genre de réaction ses propres actions engendreraient chez le vampire.