DAVID ANDERSON
«
Mon Commandant ! »
De la tête, l’homme salua les deux cadets qui passaient devant lui, avant de se replonger dans l’observation de la statue commémorative du Capitaine Arthur Barris. Barris était l’un des premiers humains à avoir quitté le système solaire, et, plus spécifiquement, l’un des premiers à avoir été tués par les Turiens quand ces derniers avaient attaqué les colons terriens. Barris n’était qu’un simple navigateur, qui avait rejoint les programmes spatiaux de l’Alliance, car il croyait, dur comme fer, que les nouveaux vaisseaux, capables de sortir du système solaire en adoptant une nouvelle forme de propulsion spatiale, permettraient de rencontrer de la vie extraterrestre. Et, contrairement à ses enfants, ou même à son beau-frère, Barris ne croyait pas une seule seconde qu’une race technologiquement plus évoluée que la leur les attaquerait et chercherait à les réduire en esclavage. Il croyait fermement que, plus une espèce était évoluée, plus elle avait tendance à être pacifiste, et à faire preuve de tolérance et d’ouverture d’esprit. Anderson le savait, car il en avait longuement parlé avec Barris, lors des réunions de famille.
Comme à chaque fois qu’il regardait cette statue, Anderson regardait systématiquement sa main, celle où, jadis, un anneau était posé. Barris... Il n’avait rien à se reprocher, mais il savait que la mort d’Arthur avait détruit Cynthia, et avait été l’une des premières causes du divorce entre lui et Cynthia, son ex-femme. Et, maintenant, David avait également perdu le contrôle du Normandy, qui appartenait désormais au Capitaine Jane Shepard. Naturellement, il n’était pas jaloux contre elle. Au contraire, il avait approuvé sans la moindre hésitation cette décision, mais il mentirait en disant que quitter la Marine pour un poste de bureau le déprimait un peu. Anderson n’avait jamais aimé la paperasse, et il savait que l’Alliance allait l’envoyer à la Citadelle. Un endroit où les fusils d’assauts et la loyauté d’un soldat étaient troqués par les mots policés et l’usage maniéré de l’hypocrisie, à travers le voile du langage diplomatique.
Anderson était plongé dans ses pensées, et elles vagabondèrent, passant de Barris au Normandy, et du Normandy à l’endroit actuel où ce dernier se rendait.
Il avait chargé Shepard d’une mission tout à fait particulière, que le Conseil avait avalisé. Shepard devait se rendre vers l’une de leurs premières colonies, Eden Prime. Une petite colonie disposant de peu de ressources minières, mais de paysages paradisiaques, qui en faisaient une planète très touristique. Le Conseil savait que, depuis quelques semaines, des ruines archéologiques avaient été découvertes sur Eden Prime. Légalement parlant, Eden Prime étant dans le territoire terrien, elles appartenaient aux humains, mais les Turiens, l’espèce indiscutablement rivale de l’Alliance, que l’armée surveillait de très près, avait soutenu que ce temple était indéniablement turien, et que l’héritage culturel et patrimonial des Turiens devait perdurer. En effet, Eden Prime était jadis une colonie turienne, depuis de longues années, avant que le Conseil ne décide de la céder aux humains, au titre des indemnités compensatrices que les Turiens devaient faire pour avoir attaqué les vaisseaux humains, et déclenché une guerre contre eux.
D’un côté, l’Alliance estimait que ces ruines archéologiques lui appartenaient, et qu’elles pouvaient être très importantes afin d’en savoir plus sur les Turiens, ce que l’empressement des Turiens à vouloir les analyser semblait confirmer. Les diplomates de l’Alliance avaient assuré au Conseil que toutes les découvertes faites sur le site archéologique seraient intégralement transmises au Conseil, et que, de toute manière, les recherches ayant lieu là-bas avaient lieu par une équipe archéologique indépendante, ne répondant qu’à l’autorité du Conseil. Les Turiens, quant à eux, étaient sceptiques. Ils savaient les humains retors, et savaient que ces derniers mèneraient des recherches, et ne diraient pas tout au Conseil, et en profiteraient pour essayer de découvrir les secrets des Turiens. Naturellement, aucun diplomate ne le formulait ainsi, et Anderson avait donc du résumer tout cela à Shepard. Un épais dossier de plusieurs centaines de pages qui lui avait donné des migraines carabinées. Jamais il n’avait autant remercié sa bonne vieille bouteille de scotch d’être là pour l’aider à lire jusqu’à la fin les comptes-rendus interminables des différentes cessions organisées devant le Conseil.
«
De manière très claire, Shepard, lui avait-il dit,
nous craignions que les Turiens ne viennent établir un blocus, ou envoyer des espions sur Eden Prime pour essayer de s’infiltrer dans le temple. Comme vous pouvez vous en douter, une telle action représenterait une menace sérieuse, et présenterait un risque d’escalade pouvant conduire à un conflit que nous n’avons pas envie de faire. »
De plus, la région était assez proche des systèmes Terminus, et des raids de pirates étaient également à redouter.
«
Bien que vous soyez un Spectre, et que votre allégeance aille avant tout au Conseil, l’Alliance a décidé de faire appel à vous. Nous ne pouvons pas envoyer un corps militaire, car les Turiens interpréteraient ceci comme une escalade, et enverraient leurs propres troupes. »
Le fait que Shepard soit Spectre avait également permis de faciliter les démarches auprès du Conseil. Anderson, pour ainsi dire, lui avait remis les clefs du Normandy, en encourageant Shepard à faire preuve de prudence, et à sécuriser les chercheurs, en s’assurant qu’aucun espion turien ne s’approche. Jane était avant tout une militaire humaine, et elle savait que, même si la guerre entre les Humains et les Turiens était terminée, la méfiance entre les deux races était extrêmement forte.
Shepard était partie depuis plusieurs jours maintenant, et Anderson se mit à consulter sa montre.
*
En théorie, elle devrait être arrivée d’ici peu...*
Il ne savait pas comment le dire, mais il avait un mauvais pressentiment concernant cette mission.
Comme si toute cette histoire n'avait fondamentalement rien à voir avec un conflit entre les Humains et les Turiens.
LOBOT
«
Nos tourelles surchauffent, Monsieur ! -
L’équipe 18 signale une brèche de sécurité près du centre de stockage des provisions, Monsieur ! -
Renforcez-là, ordonnez le repli de l’équipe 18 au point tactique B, et envoyez des soutiens ! Il est impératif que le spatioport reste en notre possession le temps que les renforts arrivent ! »
Lobot était l’assistant du gouverneur d’Eden Prime. Il portait le long des oreilles un appareil amplifiant ses capacités cognitives, et qui, concrètement, l’aidait à lutter contre les migraines, et à améliorer ses capacités de réflexion et de concentration. Lobot, à l’origine, était en effet un individu retardé, avec un QI de 87. Il avait fait partie d’un programme médical expérimental consistant à utiliser un appareil sur le cerveau des sujets pour amplifier leurs capacités à mobiliser leurs connaissances et à raisonner. L’expérience avait plutôt bien marché sur Lobot, qui était ainsi devenu l’assistant du gouverneur d’une colonie, un poste très intéressant, et plutôt bien rémunéré, même sur une planète aussi isolée du Conseil qu’Eden Prime.
Cet appareil permettait à Lobot de se contrôler, mais, pourtant, alors qu’il se tenait dans la salle de contrôle du bâtiment de sécurité central d’Eden Prime, au cœur de la seule ville d’importance de la colonie, Lobot ressentait un sentiment diffus qui lui nouait les entrailles. C’était la peur. Une peur qui se renforçait au fur et à mesure que la carte digitale au centre de la pièce montrait de plus en plus de zones rouges, et de moins en moins de zones vertes.
La carte était en train de montrer Eden Prime, la ville. C’était une belle ville coloniale, comprenant plusieurs hôtels de luxe, des quartiers d’habitation, un ensemble de jeux, des commerces, de grandes rues, et même une station de métro à grande allure permettant de relier Eden Prime à différents hameaux et autres lieux importants sur la planète, comme les Plaines Vertes, qui étaient un lieu de safari très prisé des touristes.
Les réfugiés se pressaient dans le centre de sécurité, une petite base militaire, et la bataille faisait rage dans les rues de la ville. Lobot avait toujours aimé se promener dans la ville. Eden Prime était une agréable petite ville, où de saines musiques filaient le long des colonies, rappelant aux colons qu’ils étaient les pionniers du nouveau millénaire, du nouvel âge humain, la pointe de la lance de l’humanité dans la Galaxie.
C’était pourtant ces mêmes colons qui étaient en train de massacrer les leurs dans les rues de la ville. Les alarmes rugissaient, pour inciter la population à se réfugier dans le centre de sécurité, tandis que les militaires étaient déployés pour repousser les anciens colons, devenus des espèces d’abominables monstres. Leurs yeux brillaient d’une sinistre lueur verte, et des excroissances vertes apparaissaient également le long de leurs corps. Le long des caméras de sécurité de la ville, Lobot pouvait les voir. Ils avançaient rapidement, nerveusement, et les balles ne les retenaient qu’à peine. Ils fondaient sur les soldats et les civils, les déchiquetant, et ces derniers, après quelques minutes, se réveillaient alors, pour partir à l’assaut, les militaires utilisant leurs armes à feu pour abattre les autres.
«
Est-ce un cauchemar ? se lamenta Lobot.
Je n’y comprends rien ! »
Comment un tel cauchemar était-il possible ? Les colons étaient totalement dépassés. De plus, le satellite artificiel qui gravitait autour d’Eden Prime avait détecté d’étranges relevés émanant du site archéologique. Une hausse inquiétante de la température, tandis que quelque chose était en train de
transformer la planète, de la modifier. Le satellite avait pris quelques images montrant une sorte d’épaisse couche violette recouvrant la végétation, avalant les arbres, et s’étalant sur des kilomètres et des kilomètres, à une vitesse vertigineuse. Après ça, la base avait reçu des appels à l’aide émanant des fermes et des hameaux éloignés.
«
Tout ça vient de ce temple, nous n’aurions jamais du laisser ces maudits archéologues mener des recherches ! Ils ont réveillé un monstre ! »
Lobot s’était réfugié dans son bureau, à côté de la salle de contrôle, le cœur de la base, où les militaires, des soldats dépassés par les évènements, essayaient d’organiser un plan de survie, de repousser les ennemis. Leur système de communication était tombé il y a quelques minutes, quand les zombies avaient atteint la tour de contrôle, une longue tige métallique permettant d’obtenir des informations depuis le satellite artificiel, Eye-Prime. Eye-Prime fonctionnait toujours, mais, tant qu’on ne reprenait pas le contrôle de la tour de communications, il était impossible d’avoir des informations sur ce qui se passait.
L’ultime espoir de Lobot résidait dans l’arrivée du Normandy. Le satellite avait détecté son approche avant d’être coupé. Les colons n’avaient aucun moyen de contacter le Normandy, et les zombies se rapprochaient. Lobot avait failli tourner de l’œil quand il avait vu un zombie exploser en se ruant sur une patrouille, tuant six soldats et un véhicule blindé. Leurs tourelles de défense automatique allaient bientôt manquer de munitions, et le gouverneur s’était enfermé dans son bureau, au dernier étage de la base, ne répondant à aucun appel. Lobot était le supérieur hiérarchique en chef, mais il n’avait rien d’un militaire.
Il était probable que ces maudits archéologues soient tous morts, car le temple était l’épicentre de cette espèce d’épidémie. Le plus regrettable était que Kyltharn, qui était assurément le soldat le plus compétent de toute cette planète, soit avec eux. Il aurait pu remonter le moral des troupes bien plus que Lobot.
En réalité, Lobot était en train de prier. Sa mère lui avait toujours dit de croire en Dieu, et, qu’un jour, Il aurait la miséricorde de Lui offrir une meilleure vie. Dans la mesure où il avait été choisi pour participer à un programme expérimental, et où il avait été l’un des rares à ne pas finir avec le cerveau grillé, Lobot estimait que Dieu veillait sur lui.
Et il espérait que le miracle arriverait vite, car ses hommes se faisaient massacrer comme du bétail.