My legacy [Pv: Kanamori]

On dit qu’on ne veut pas vivre seul. L’homme n’est pas fait pour ça; les psychologues disent que la solitude entretien la schizophrénie et la paranoïa… Je devrais peut-être les écouter; ça faisait deux bons mois que je m’étais enfermé dans mon cabinet, à plancher sur des dossiers, ne répondant pas au téléphone, ni même ouvrir les courriels que j’avais reçu. Je n’ai vu âme qui vive, ni même entendu une voix… Non, j’ai beaucoup trop de travail pour penser sortir de mon bureau, ou encore en prendre plus!

Un associé? Vous m’imaginez avoir un associé, moi? Non. Ça ne rentre même pas en ligne de compte; je veux avoir tous les pleins pouvoirs sur le cabinet. Mais un employé, un petit étudiant qui travaillerait pour moi, qui effectuerait la paperasse et s’occuperait des dossiers que je n’aurais pas le temps, ou encore l’envie, t’étudier… Oui, c’est décidé! Ce soir, je partirai plus tard du bureau, je vais faire une annonce que je vais poster un peu partout.

Quelques semaines plus tard, les affiches étaient placardés dans le Lycée, dans la ville et aussi sur le net, au cas ou :

«  Pour les étudiants souhaitant se diriger dans une carrière de droit. Un poste à temps partiel c’est libéré au cabinet Atayoshi, permettant à n’importe quel étudiant de devenir l’assistant de l’un des meilleurs avocats de la défense et d’apprendre dans le milieu du droit.

Vos tâches seront d’assister Me Atayoshi dans presque tous les dossiers qu’il vous demandera, visiter certains clients, et même d’épauler votre employeur en audience dans des procès.

Ne manquez pas votre chance d’apprendre avec moi!

Rémunération à discuter. »


Oui, c’est sûr que j’allais devoir ralentir un peu sur les dossiers, mais ça me permettrait d’être encore plus rapide, avec quelqu’un qui se chargerait d’un dossier alors que je terminais le mien! J’allais avoir un gain significatif de temps pour préparer plusieurs plaidoiries en même temps. Par ailleurs, je ne pourrai rester avocat pendant encore cent ans, il fallait que j’aie la possibilité de passer la main à un nouvel avocat, que j’aurais moi-même formé.

Plusieurs candidats s’étaient présentés devant moi pendant quelques jours, certains étant intéressants, d’autres moins… Mais je n’avais toujours pas trouvé la bonne personne, qui me permettrait d’être en confiance, assez pour lui laisser carte blanche pour certains dossiers… Je venais de terminer le dernier de la semaine, et je me préparais à rentrer chez moi quand on toqua à la porte.

Le cabinet est fermé, et si vous venez pour l’entrevue, prenez un rendez-vous lundi.

Encore une journée banale, avec un début banal, un milieu banal et une fin banale. J'ai l'air morose, à vrai dire plus ça va, moins les cours m'enthousiasment. J'ai jamais été particulièrement expansif, mais là c'est pire que toi. J'suis véritablement blasé. Mes idéaux de cosmologie, voire de politique (ça m'a toujours intéressé), me semblent à des années-lumières de ce que je peux faire, et encore plus loin de ce que je fais actuellement.

Même la bouffe du self me parait morose. Normalement ce qualificatif ne convient pas à quelque chose d'inanimé, mais là c'est la seule chose qui me vient à l'esprit. Avec morne. Lent. Sempiternel. Je mange seul, pas envie de voir beaucoup de monde. Je pose mon plateau, et en poussant la porte pour sortir de la cafétéria, je trouve un message. Atayoshi... Me semble avoir lu ce nom dans les journaux. Un des plus prestigieux avocats de la ville. Qui recrute...? Une espèce de stage/formation, rémunéré...?

J'ai rien à perdre... Vraiment. La carrière du droit ne me passionne pas plus que ça, faut être honnête. A part pour jouer à détective Conan, ok. Mais au delà de ça, me taper des kilo-tonnes de bouquins de droit, le code civil en long, en large et en travers, ça me botte pas. Mais l'idée de faire une espèce de "performance", devant des jurés, de défendre ses idées, ce en quoi on croit, et ce à travers l'art rhétorique... Ca me plait déjà plus.

20h14. Je bosse encore le dossier que je vais lui présenter. L'attitude que je veux montrer. Il faudra que je montre que je veux le poste. Je constitue un dossier complet. Si c'est une bataille de CV, j'serai probablement pas pris. Je constitue une lettre de motivation construite comme une dissertation de philo, plus les quelques piges écrites dans le journal local pour montrer que je sais jouer avec les mots. Que la langue n'est pas une barrière, mais un moyen formidable de montrer ce qu'on pense.

On est vendredi. Je monte, il est un peu tard c'est vrai. J'arrive devant le bureau et je frappe à la porte...


« Le cabinet est fermé, et si vous venez pour l’entrevue, prenez un rendez-vous lundi.

- Vous vous en voudriez de passer à côté de votre futur employé. »

C'est parti tout seul, je sais même pas pourquoi. Je sens que j'ai dit une connerie. Tant pis, c'est fait de toutes manières. J'ai ma pochette rouge, visiblement garnie, dans la main droite. Je me suis habillé de manière classe, c'est un entretien d'embauche, l'apparence compte aussi.

Fronçant les sourcils aux dires de l’intrus qui se trouvait de l’autre coté de la porte, je laissai mon dossier de côté avant d’aller ouvrir la porte, regardant le jeune aux cheveux bruns de haut. Lui faisant signe de la tête de s’asseoir sur l’un des fauteuils de cuir rouge sang, tous deux encrés d’une empreinte noire de main sur le dossier, emblème trônant aussi sur l’enseigne du cabinet je retournai derrière le bureau d’ébène m’asseyant. Prenant le C. V. qu’il me tendait, je pris quelques secondes pour le lire; enfin, survoler serait plus le mot… Reposant le dossier sur le bureau, je joignis les mains avant de m’accoter contre le dossier du fauteuil.

Vous dites que vous serez ‘’mon futur employé’’, mais d’après ce que j’ai pu voir, ce n’est rien de bien exceptionnel comme expérience; un parcours moyen à Seikusu, qui est elle-même une école moyenne… J’ai vu beaucoup de petits génies passer la porte de mon cabinet, dans l’espoir de devenir mon assistant, des jeunes de votre âge, qui connaissent près de la moitié du code pénal par cœur… Comment croyez-vous concurrencer avec ce genre d’étudiant… Kanamori?

Sans sourire je le regardai fixement, histoire de lui foutre la pression. Premier test maison pour devenir un avocat. C’est bien beau avoir des bonnes notes et lire le dico à tous les soirs avant de se coucher, si on n’est pas foutu d’aligner deux mots sans hésiter à cause du trac ou de la gêne, à quoi bon connaître tous ces beaux mots?

Bref il me fit entrer. Somptueux bureau. Il regarda à peine mon dossier, avant de me parler. Ca valait la peine que je me casse le cul à passer des heures sur ce dossier... Enfin je suppose que c'est au moins autant sur l'entretien que sur le passé de la personne. Après tout; être avocat c'est savoir parler et communiquer. Pas que taper des pavés imbitables pendant des heures. Si c'est un oral j'vais pouvoir tirer mon épingle du jeu. Comme il dit, y en a plein qui ont des dossiers en béton armé, et moi j'ai pas grand chose. C'est parti.

« Premièrement, i vous vouliez réellement quelqu'un qui connaisse le code pénal par coeur, vous prendriez directement un élève tiré d'une école de droit réputé, non? »

Je le regarde dans les yeux en voyant qu'il fait de même. Je ne baisserai pas les yeux. Je ne me laisserai pas bouffer. Je marque un léger temps, et j'enchaine.

« Deuxièmement, si cette école vous paraissait réellement trop bas de gamme pour qu'un étudiant de ladite école, vous n'auriez pas mis d'affiches dedans. »

Je prends confiance. Mon ton est affirmé, mon phrasé incisif. J'enchaine.

« Et enfin, troisièmement, l'art de la rhétorique n'est pas un art qu'on apprend à l'école. L'argumentation, à la rigueur, on peut l'apprendre en philosophie, et vous observerez que je suis major de mon lycée dans cette matière. Si tant est qu'on puisse imaginer que les notes ont une valeur intrinsèque, si ce n'est que de refléter l'aptitude d'une personne à correspondre au moule qu'on veut lui imposer. Je suis sûr et certain que vous ne voudriez pas d'un copier-coller de ce que l'éducation nationale peut faire de pire. »

Pfiou, m'en sors bien.

Sans sourire, avec une expression tout à fait neutre, je l’écoutai me faire le sermon, que si je ne voulais pas d’étudiants paumés, je n’avais qu’à m’en trouver d’autres ailleurs… C’était osé de sa part de m’affronter ainsi, de manière si cavalière et presque hautaine. Beaucoup aurait pu s’offenser des paroles de ce jeune en recherche de travail… Beaucoup, mais pas moi. J’attendis alors qu’il termine de parler pour lever mon index.

Premier point : Les écoles de droit réputées, comme vous dites, forcent les étudiants au chômage, histoire qu’ils puissent se remplir la tête de toutes les lois et règlements, faisant d’eux une bonne génération d’hommes et femmes de droit.

Mon majeur suivi son ami dans les airs.

Second point : Je n’ai jamais dit que Seikusu était une école ‘’bas de gamme’’ mais bien que c’était un Lycée à cote moyenne, ça n’est pas mon opinion, ce sont des faits, approuvé par le ministère de l’éducation Japonnaise.

Le pouce de la même main se déplia à son tour.

Et troisième point : Vous vous méprenez, mon cher. L’art de la rhétorique est appris à l’école. Pourquoi? Car pour pouvoir pratiquer la rhétorique, il faut avoir été en contact avec une population humaine; quelle est le meilleur moyen de rencontrer de nos semblables? L’école. Vous ne vous en doutiez peut-être pas, mais cet ‘’art’’ comme vous le dites si bien, est appris directement de votre enfance. Évidemment, il faut que vous aillez le support de votre famille, sinon rien ne changera.

Avant qu’il ne fasse un son de plus, j’agitai ma main devant lui, lui faisant comprendre que je ne cherchais pas une joute verbale emplie d’arguments et de positions bien sentis.

Vous voyez? C’est le travail que j’effectue à tous les jours. Je frustre mes adversaires en réfutant chacun de leurs points, les uns après les autres. C’est ça, le travail d’un avocat de la défense. Dire des choses qui ont l’air, en apparence, véridique, tant leur logique est presqu’imparable, mais qui, au fond, ne sont pas nécessairement véridique... Merci, Kanamori, de vous être présenté ici… L’entrevue est terminée. Je veux vous voir au cabinet, lundi après vos cours. 

Aussi simple que ça. En fait, ce qui avait été facile à délibérer sur mon choix, était que j’avais dit exactement la même chose aux autres candidats. Aucun d’entre eux ne connaissait le code pénal, enfin, quelques fragments, mais sans plus. Je voulais seulement les acculer au mur pour voir comment ils réagiraient. Leur C.V. ne m’intéressant guère. Ce que j’ai appris? Kanamori est le seul à m’avoir répondu, sans hésiter…

C’est le meilleur candidat que j’aie vu, et que je verrai.