Le hasard fait parfois bien les choses [Shion Sasaki]

« On perd notre temps ici...
 -  Essaie d’être un peu plus optimiste, Jeanny, ça te fera du bien…
 -  Je déteste quand on m’appelle ainsi, Nellie ! »

Les deux sœurs se regardèrent avec comme des éclairs brillant dans chacun de leurs yeux. Nell Watson regardait silencieusement sa petite sœur, et soupira, appuyant son menton sur l’une de ses mains, avant d’hausser les épaules. Les deux sœurs étaient sur une table d’un élégant restaurant assez aéré, bâti dans une espèce de manoir victorien. Il y avait de grandes fenêtres, et même un bar. Une ambiance sombre qui avait attiré l’attention de Nell. Elle avait proposé à sa sœur d’aller au restaurant ce soir, et cette dernière avait refusé, préférant mettre à profit cette soirée pour tenter une invocation. Nell, en croisant les bras, lui avait répliqué que la jeune femme passait bien trop de temps à se concentrer sur ses invocations, et qu’elle devrait plutôt, à la place, se détendre un peu.

« Un ami à la fac’ m’a recommandé ce restaurant, alors...
 -  C’est qui ?
 -  Hein ?
 -  Cet ami… fit Jane sur un ton soupçonneux. Ne tourne pas autour du pot quand je pose une question, Nell ! C’est qui, ce type ?! »

Nell croisa les bras en souriant légèrement, comprenant que sa chère sœur était jalouse. Cette dernière, bien sûr, ne l’aurait jamais admise. Nell s‘était imposée, comme d’habitude, et avait conduit jusqu’à ce restaurant. Jane et Nell venaient juste de s’installer, et observaient les autres tables. Le restaurant était assez grand, et elle devait admettre qu’elle aimait bien l’ambiance qui s’en dégageait. L’établissement ressemblait plus à un manoir mystique, et elle se demandait si, dans le passé, cette maison n’avait pas abrité une communauté de sorcières. Jane se posait sérieusement la question alors qu’elle réfléchissait.

« Tu es calmée ? lui demanda Nell.
 -  A fond... »

Nell et Jane portaient toutes les deux de belles robes. Jane avait opté, pour sa part, pour une belle robe électrique verte moulant ses formes, tandis que sa grande sœur, Nell, avait choisi une superbe robe violette. Les deux femmes étaient plutôt belles, et attiraient quelques regards curieux. Avec un peu de chance, elles arriveraient peut-être à séduire quelqu’un, et, ainsi, à prolonger cette soirée. Faire l’amour à trois ne dérangeait nullement les deux sœurs, bien au contraire. Séparément, elles étaient perverses, mais, ensemble, leur perversité décuplait de manière exponentielle.

Les deux femmes attendaient ainsi qu’un serveur arrive. Jane avait remarqué que les serveuses portaient de délicieuses tenues de maid.

-SHION, POUR L'AMOUR DE DIEU!
-Pardon, patron, pardon!

Le patron n'était pas réellement fâché, mais surtout exaspérée; comment cette petite demoiselle pouvait-elle être aussi maladroite? Il en avait vue, des vertes et des pas mûres, mais normalement, il aurait dû la renvoyer. Le seul hic, c'était qu'elle était franchement adorable et que les clients qui étaient servis par elle ne cessaient de revenir (la plupart pour lui faire la cour et d'autres simplement parce qu'elle était ravissante). Les mains tremblantes, la jeune serveuse s'empressa de nettoyer son gâchis, des larmes d'embarras coulant déjà sur ses joues. Sa maladresse, par moment, était une véritable malédiction, surtout dans ce genre d'endroit; à chaque fois, elle était à quatre pattes en train de ramasser de la boisson ou de la nourriture, et elle était la victime de bien des blagues salaces. Elle poussa finalement un grand soupir puis elle ramassa les verres et les assiettes tombées avant de retourner à l'arrière, s'excusant auprès des clients auparavant, et elle revint avec les repas, prenant soin de faire une petite courbette polie avant de remonter à l'étage et aller rejoindre les cuisines. Une fois à l'intérieur, elle verrouilla un moment la porte et elle détacha son corset, prenant ainsi une très grande respiration. C'était affreusement douloureux à porter, en plus. Elle massa un moment ses seins depuis trop longtemps enfermés dans un étau et rougit en remarquant ses tétons érigés.

-Ah là-là... soupira-t-elle, découragée avant d'enfiler à nouveau sa robe et son corset, relaçant celui-ci. Ils sont trop sensibles...

Elle massa un peu ses épaules douloureuses et frotta ses mains avec une crème hydratante (une vraie, pas un truc qui sert à rien et qui ne fait que couvrir la peau d'une couche imitant l'hydratation! C'était une crème faite expressément pour les Néréides pour satisfaire leur besoin en eau pendant qu'elles ne pouvaient pas en ingérer) et du désinfectant; elle n'aimait vraiment pas du tout l'idée de trimbaler des cochonneries sur sa peau, puis elle prit à nouveau la porte. L'endroit recommençait à être animé; la Guest-Star de la soirée venait d'entrer; Evanescence. Shion n'était pas vraiment fan de l'artiste, mais elle savait au moins comment chanter, donc, elle ne fit aucun commentaire et se contenta d'aller ramasser les pourboires que les clients versaient pour remercier ce genre d'invitation. Kamui, le propriétaire et le patron de Shion, avait énormément de contact, et spécialement le gérant qui s'occupait d'elle, et la chanteuse devait une faveur à son manager, donc, de fil en aiguille, elle s'était retrouvée là. Après la cueillette, la jeune serveuse s'éloigna avec les billets dans un énorme bocal rempli à ras-bord et le déposa sur le comptoir où le jeune homme vint l'inspecter. Il renversa le bocal sans renverser le contenu et entama de compter les nombreux billets qu'il en tirait. Une fois qu'il eut fini de compter, il eut un visage satisfait et il se tourna vers son atout.

-Shion, il y a deux demoiselles qui viennent d'entrer. Va les voir, et pour l'amour du ciel, fais attention.
-Oui, patron...
-Fais pas cette tête d'enterrement, tu vas me faire croire que je suis un vieux ronchon...
-Vous l'êtes, patron...
-Pardon?!

La Nymphe des Eaux eut un énorme sourire en réponse à cette exclamation; son patron était si facile à taquiner que même elle, avec sa nature timide, ne pouvait pas s'empêcher de le faire. Elle s'approcha par la suite de son boss et lui colla un baiser sur la joue, ce qui eut pour effet de le calmer immédiatement. C'était une autre raison pourquoi elle n'était pas encore à la porte; il l'adorait. Il avait l'impression qu'elle était la fille normale et sans histoire qu'il n'a jamais eu; toutes ses propres filles sont déjà arrière-grand-mère et conservent le physique de jeunes femmes à peine sortie de l'adolescence. Shion était rafraîchissante, dans ce sens, car les Néréides, même si elles vivaient terriblement longtemps, n'étaient pas éternelles. Il lui adressa un beau sourire et elle s'éloigna vers les nouvelles invitées. Elle les trouva donc assise à l'étage, avec une très belle vue sur la scène et sur l'extérieur. Elle remarqua aussitôt leur étrange aura; pas difficile à faire en raison de sa nature mystique, mais tout de même. Elle ne s'empressa pas de les juger, se contentant seulement de se pencher sur elle en serrant les menus contre sa poitrine pour que son décolleté ne laisse pas voir quoi que ce soit d'embarrassant. Si Kamui les avait laissée entrer, c'est parce qu'il ne décelait rien de particulièrement menaçant ou impossible à gérer chez les deux nouvelles clientes.

-Bonsoir, mesdames. Est-ce que je peux vous servir quelque chose?

« C’est... C’est pas Amy Lee ?
 -  Qui?
 -  La chanteuse, là! »

Nell fronça les sourcils, et regarda le groupe de rock qui était en train de s’installer dans le restaurant. Elle haussa rapidement les épaules, et Jane soupira devant l’inculture de sa sœur.

« Evanescence ! Daredevil, ça te dit rien ?!
 -  Mis à part une connerie hollywoodienne, nope...
 -  P’tain, c’est dingue... »

Ce restaurant devait être plus coté que ce qu’elle pensait, pour inviter des groupes comme Evanescence ! Bon, certes, Evanescence était un groupe occidental, et donc forcément moins connu au Japon qu’aux Etats-Unis, mais, même malgré ça, réussir à les avoir ici devait valoir une fortune... Jane hésitait presque à aller demander un autographe. En Californie, elle avait déjà été à un festival de rock, une fois, et avait dansé comme une hystérique avec des milliers de types en écoutant Bring My Life. Nell hocha la tête, et ce fut à cet instant qu’une serveuse s’approcha d’elles, permettant à Jane de sortir de ses délires sur les adaptations de comics. La manière dont la serveuse serrait les menus contre sa poitrine fuit remarquée par Nell, qui, étant plus ouverte que Jane, en déduisit indéniablement qu’elle était nerveuse, timide, et coincée.

Jane, de son côté, cligna plusieurs fois des yeux, avant de détailler la serveuse des pieds à la tête, puis de la tête aux pieds. Cette femme lui disait quelque chose. Nell se mit à parler.

« Une bière, s’il-vous-plaît. »

Elle attendit ensuite que Jane se mette à parler, mais cette dernière continuait à détailler attentivement la jeune femme.

« Jaaaaaane ? La Terre appelle Jane Watson, youhou... ! »

Jane sursauta, et regarda la femme.

« Shion ? C’est toi, Shion ? »

Nell eut un léger sourire. Jane la reconnaissait... C’était l’une des élèves de la classe ! Shion ! Incroyable ! Qu’est-ce qu’elle faisait comme serveuse, dans une tenue de maid ? Jane n’arrivait tout simplement pas à y croire. Shion était du genre... Du genre à faire sentir les coincés comme des individus libérés. Jane ne s’était quasiment jamais intéressée à elle, dans la mesure où elle était très timide.

« Tu travailles ici, alors ? C’est super cool, ça ! Dis-moi... C’est bien Evanescence qui se reproduit là-bas ?! Tu crois que je pourrais avoir un autographe ?
 -  Oh non... » soupira Nell.

Oh non... se désespéra mentalement la pauvre Néréide, en écho avec la démonstration d'exaspération de Nell. Jane Watson était une des chipies qui n'arrêtait presque jamais de l'enquiquiner et de se comparer à elle pour montrer au reste du monde à quel point elle était sensationnelle, et qui se tapait presque tous les garçons du Lycée. Elle ne comptait plus le nombre de fois qu'un de ses intérêts romantiques s'était détourné d'elle pour aller rejoindre le lit de Jane, pour ensuite revenir après avoir été jeté pour essayer de "rendre ses sentiments à Shion"... mais le seul hic, c'était qu'une fois que Jane avait baisé un homme aussi facilement, celui-ci perdait étrangement tout son intérêt aux yeux de la Néréide. Shion n'était pas une femme capricieuse ou méchante, et elle était incapable de nourrir de l'animosité, mais il n'en reste qu'elle aurait vraiment souhaité éviter que cette gosse de riche ne se pointe sur son lieu de travail; elle était sûre de passer une sale soirée. Néanmoins, elle était forcée d'être serviable et aimable avec tout le monde, donc, elle nota la commande de Nell sur son petit carnet et entreprit de répondre à Jane.

-Mon patron m'a dit qu'elle resterait pour une séance d'autographes à partir de minuit, mais que cela ne durerait qu'une heure ou deux, donc, il vaut mieux être en file lorsque le moment viendra. Je vais aller chercher votre bière, mademoiselle, je reviens très vite.

Elle laissa les deux menus sur la table des clientes et se détourna en rougissant encore une fois; elle avait noté que les deux femmes l'avaient regardée, et encore une fois, elle se faisait des idées; qu'est-ce qu'elles regardaient? À quoi pensaient-elles? Est-ce qu'elle allait devoir surveiller tout ce qu'elle ingèrerait? Il lui fallut presque une dizaine de minute pour arrêter de se faire des idées dans le vide et entrer dans la cuisine, au rez-de-chaussée. Elle vérifia d'abord dans les compartiments réfrigérés où se trouvaient de très grosses bouteilles d'alcool et nota qu'il ne restait plus de cette boisson de malts fermentés. Elle ouvrit donc la très grande porte de la chambre froide et se mit à la recherche de la bière. Elle trouva la bière et la marque de celle-ci au bout de deux ou trois minutes. Il se trouvait sur une des étagères supérieures du frigo. Malheureusement, elle était trop petite pour l'attraper, même en se hissant sur la pointe des pieds. L'instant suivant, son patron apparut, chargé de trois caisses de différentes sortes d'alcool doux.

-Kamui... c'est trop haut...! geignit-elle, découragée.
-Oui oui, je vais aller te le chercher...

Plus grand que la belle demoiselle de deux têtes au minimum et étant plus qualifié qu'elle pour la tâche, le propriétaire déposa les caisses sur deux étagères puis il leva un bras pour s'emparer d'une très grosse bouteille de bière. Il remarqua alors la différence de taille entre lui et elle et se surprit à rougir en pensant qu'il devait exécuter exactement ce genre de tâche avec ses filles, quand elles étaient trop jeunes et dépendantes. Ce souvenir réchauffa un moment son coeur de glace avant qu'il ne revienne à lui et glisse l'alcool entre les mains de son employée, qui attendait patiemment qu'on lui donne la raison de sa venue et qui lui adressa un autre de ses sourires. Une si charmante jeune demoiselle, ne put-il s'empêcher de songer. Ce sourire se déforma en grimace lorsque la Néréide se rendit compte de son poids. Elle bloqua un instant sa respiration et lâcha un drôle de gémissement en le hissant de façon à être plus confortable.

-Merci, patron! parvint-elle à lancer avant de disparaître avec une énergie toute nouvelle, laissant l'homme tout seul derrière elle.
-Mais... de rien...?

Empressée, la jeune femme retira la bouteille déjà vite, puis la remplaça avec la bouteille pleine qu'elle trimbalait, s'empara d'un verre, tira sur le bouchon pour libérer le flot d'alcool qui s'écoula dans l'entonnoir avant d'atteindre le récipient. Une fois celui-ci bien rempli, elle prit la peine d'y glisser trois petits cubes de glace et rejoignit les deux étudiantes.

-Voilà... mais je vais devoir vous demander vos cartes, mademoiselle, avant de vous laisser consommer.

« Qu’est-ce qui t’arrive ? T’as pété un boulon ? »

Tandis que Shion s’éloignait, Jane se remettait lentement de sa surprise. Shion en tenue de maid... Diable ! Elle était bien plus sexy que ce que la lycéenne pensait en la voyant habituellement en cours. La tenue lui allait bien, et la manière dont Shion était rapidement partie témoignait, pour Nell, d’une certaine nervosité (animosité ?) à l’égard de Jane. Nell était bien placée pour savoir à quel point Jane pouvait parfois être casse-pieds... A fortiori depuis qu’elle avait appris qu’elle avait des pouvoirs magiques. Elle était déjà intenable avant cette révélation, et apprendre qu’elle pouvait soulever les jupes des filles n’avait rien arrangé... Le pire était à craindre avec elle, Nell la connaissait suffisamment pour le savoir.

« J’ai bien le droit de saluer une camarade de classe, non ?
 -  Mouais... Et tu me fais tout un cinéma quand on tombe sur l’un de mes camarades... Je devrais dire quoi, moi ?
 -  C’est pas vrai !
 -  Oh que si…
 -  Si tu fais référence à ce gros con au fast food, j’ai rien à me reprocher !
 -  Hum-hum... C’est vrai que lui faire exploser son Big Mac en pleine figure, c’était… Très élégant… »

A l’évocation de ce souvenir, Jane eut un sourire... Et Nell sourit également. Nell avait du se mordre la lèvre pour ne aps exploser de rire, mais sa sœur avait raison. Tim la harcelait presque, et le revoir à un McDonald’s, alors qu’elle mangeait avec sa sœur, lui avait fortement déplu. Jane avait donc utilisé ses petits sorts-surprises pour se débarrasser de lui. Elle avait envoyé un sort d’Air sur le Big Mac, et, quand l’homme avait mordu dedans, le hamburger avait littéralement explosé sur son visage. C’était cruel pour le Big Mac, et, quand bien même les deux sœurs s’étaient jurées de ne pas (trop) jouer avec la nourriture, Jane avait explosé de rire. Tim avait foutu le camp, rouge de honte, et restait maintenant à bonne distance de Nell.

Comme quoi, la magie fait parfois bien les choses. Nell commença à feuilleter la carte, et Jane en fit de même. Elle avait bien mémorisé les informations de Shion sur Evanescence... Toute la question était de savoir si elles allaient tenir jusqu’à Minuit... Amy Lee en valait-elle la peine ? Pour Jane, c’était un sacré dilemme. Ceci dit, elle se voyait bien envoyer une photographie à ses copines de Californie, où elle poserait avec Amy Lee. Elle voyait déjà la légende qu’elle afficherait sur son portable : « Gros baisers de Seikusu, je commence à me faire des amies et à me tailler une réputation d’enfer ! L♥ve U ! »

« Et tu m’as toujours pas répondu... C’est qui, cette Shion ? Tu m’en as jamais parlé...
 -  Bien que cela puisse te sembler surprenant, il arrive que je ne te parle pas de toutes mes copines... Ou plus... »

Nell fronça les sourcils, réprobatrice, et se racla la gorge.

« Ne te moque pas de moi, Jane, tu sais combine ça m’horripile…
 -  Hey, du calme, j’ai presque l’impression que tu es jalouse !
 -  Très fin, ça, très spiritual… De toute façon, elle n’a pas l’air de trop t’apprécier…
 -  Hein ? Mais qu’est-ce que tu racontes ?! Tout le monde m’adore dans ce bahut !
 -  Ça doit faire mal pour ton égo, ça, petite sœur… plaisanta Nell.
 -  Je t’emmerde, chérie. »

Shion revint alors, mettant fin à l’amicale joute verbale entre les deux sœurs. Elle avait amené un verre, et Nell la remercia, avant que la lycéenne ne demande leurs « cartes ». Les cartes de crédit ? D’identité ? Nell fronça le ssourcils, et sortit son portefeuilles, puis exhiba son passeport et sa carte d’identité.

« Vous faites un contrôle de police, Mademoiselle ? demanda-t-elle, mesquine.
 -  Rassure-toi, Shion, je suis bien Jane Watson... Tu sais, la fille qui est assise quelques rangs devant toi en cours d’histoire... Et qui t’a évité de faire une grosse erreur en répondant aux avances de Takeshi...
 -  Jane…
 -  Quoi ? Ce con était un gros macho ! »

Jane avait une réputation de redoutable veuve noire. Sa beauté californienne lui attirait bien des prétendants, et elle en séduisait parfois quelques-uns. Il y avait notamment eu Takeshi, un autre élève de la classe, un séducteur, une espèce de Don Juan raté, qui s’était mis, au défi, avec ses potes, de réussir à séduire la coincée du coin, Shion Sasaki... Dans un sens, Jane lui avait rendu service. Elle n’irait pas jusqu’à exiger des remerciements, mais, un peu de reconnaissance, ça ne pouvait pas faire de mal.

« Et, d’ailleurs... J’aimerais bien avoir un jus d’orange... Désolée de ne pas l’avoir dit plus tôt, mais j’ai été assez surprise de voir dans une tenue aussi...
 -  Jane ! soupira Nell, exaspérée.
 -  Quoi ? Sa tenue de serveuse lui va bien, j’ai bien le droit de la complimenter sur sa beauté ! »

Elle regarda à nouveau Shion, et continua à la séduire, avec un léger sourire :

« Cet uniforme te va bien mieux que ton uniforme scolaire... Comment tu trouves ma robe, d’ailleurs ? »

Les deux sœurs formaient visiblement un couple très animé. Shion se surprit même à les envier; elle, avec ses sœurs, n'avait connu que des longues journées éreintantes à apprendre à chanter et à jouer de la musique, et accessoirement à danser, tout ce qui pouvait attirer vers les flots un mâle pour se reproduire. Or, elle n'était pas vraiment du genre à chercher l'amour par la tricherie. Elle n'avait jamais eu de complicité avec ses sœurs, ni chez les Néréides ou les Haliades, et cela avait cruellement manqué à son cœur. Malgré tout, elle prit les cartes, les examina un moment et nota la date de naissance de Nell et de Jane dans sa tête et hocha de la tête. Normalement, pour consommer dans les commerce, il fallait avoir au moins 21 ans, quoi que la vente d'alcool était permise à 18 ans, mais Shion n'avait pas envie de faire sa pointilleuse ce soir et se contenta de rendre les cartes à la jeune femme. Lorsque Jane parla de Takeshi, la Néréide se contenta de hausser des épaules. C'était une vieille histoire, mais quand même, elle aurait préféré ne pas se faire jouer dans le dos, peu importe si c'était pour le mieux ou pas.

-Ce n'est pas grave, mademoiselle Nell. Takeshi était un idiot et... un simple d'esprit.

Sans vouloir offenser Jane, c'était vrai. Takeshi s'était fait avoir comme un débutant parce que trop sûr de sa propre importance et de son physique. Ses parents étaient riches et il avait l'habitude d'avoir ce qu'il voulait simplement en faisant les yeux doux. Il était autrement très gentil, mais beaucoup trop imbu de lui-même pour que Shion eusse un jour été amoureuse de lui, bien qu'elle ne fut jamais au courant pour cette histoire de paris. À l'époque, Shion n'était pas aussi coincée, elle était seulement discrète. Ce n'était qu'après sa liaison avec Saïl qu'elle est devenue aussi réservée... et craintive. Elle prit la commande de Jane et s'absenta une nouvelle fois pour courir chercher un grand verre de jus d'orange, y glissant de la glace fragmentée pour la garder fraîche. Entretemps, elle devait aussi aller servir une bonne dizaine d'autres hôtes avant de passer à la commande de la sorcière. Lorsqu'elle revint, elle fut exposée à la question de Jane et ne put prétendre avoir d'autres personnes à servir, parce que tout le monde était déjà en train de festoyer ou alors complètement obnubilés par Amy Lee. Shion trouvait la voix de la jeune femme beaucoup trop résonnante pour être appréciable, mais bon, pour une femme qui pouvait trouver des défauts dans la voix d'Apollon, son jugement était beaucoup trop critique pour être considéré.

-Euh... je dirais que c'est... joli. À sa façon. Peut-être un peu trop court en bas, parce que tous les garçons n'arrêtent pas de regarder en cette direction.

Elle pointa directement trois hommes qui se trouvaient à deux tables de là qui ne cessaient de lancer des regards déplacés en direction de la base de la robe de la jeune femme, espérant probablement avoir droit à un panty-shot. Une chaussure à talon-aiguille vola alors droit dans la face d'un des pervers et une voix grognonne lança "Tu pourrais au moins payer, connard!", ce qui força Shion à adresser aux deux filles un sourire mal-à-l'aise. C'était la voix de Rika, une des habituées qui passait si souvent que si elle n'était pas à sa place, dans un coin du bar, on avait l'impression qu'il manquait quelque chose au décor. Elle alla rassurer les clientes quand un faux mouvement détacha brusquement une des jarretelles, qui relâcha le long bas noir de sa jambe droite. Avec une moue franchement découragée, Shion tira négligemment une chaise, remonta sa robe de façon à avoir une meilleure vue sur sa propre jambe, trouva les jarretelles, tira lentement le bas pour ne pas l'abîmer, dévoilant dans sa mégarde et son automatisme sa jambe blanche comme neige. Elle rattacha le bas à son soutien puis replaça sa robe en grommelant avant de se rendre compte de ce qu'elle venait de faire. Il y eut un petit moment de silence et les joues de la jeune Néréide se mirent à rougir dramatiquement. Elle avait encore cette sale habitude d'être lunatique et d'oublier qu'elle est en public quand elle fait ce genre de choses.

-... Faites comme si vous n'aviez rien vu, pitié... Si mon patron l'apprend, je vais me faire virer pour mauvaise conduite...

Elle semblait sur le bord des larmes.

Shion alla chercher le jus d’orange pour Jane. La sorcière aimait bien boire de l’alcool, mais, dans la mesure où elle suivait un apprentissage magique, elle évitait ce genre de boissons. L’alcool lui embrumait l’esprit, et perturbait sa concentration magique. Il fallait savoir se sacrifier dans l’intérêt de la magie, et Jane le faisait en évitant de boire. Elle regarda autour d’elle, ses yeux explorateurs observant des individus. Elle triturait nerveusement ses doigts, les claquant entre eux. Nell, qui lisait dans l’esprit de sa sœur comme dans un livre ouvert, fronça les sourcils.

« Non, Jane...
 -  Mmmh ? fit-elle sur un ton faussement innocent.
 -  Je sais très bien ce que ce regard signifie, et je t’interdis très clairement de mettre à exécution tes petites idées...
 -  Mais de quoi est-ce que tu parles ?!
 -  Ne joue pas l’inncoente avec moi !
 -  Peuh ! pesta cette dernière en haussant les épaules. Comme si c’était mon genre d’envoyer un léger sort d’Air sur une serveuse pour la voir renverser son plateau sur un client... »

Nell ne dit rien, mais planta son regard dans celui de sa petite sœur, avec une moue réprobatrice. L’intéressée lui rendit son regard, et les deux sœurs se défièrent ainsi pendant quelques instants, avant que Jane ne lève les yeux au ciel en soupirant. Bon, d’accord, c’est vrai, c’était son genre ! Elle l’avait d’ailleurs fait au McDonald’s, et elle avait personnellement trouvé ça très drôle... La serveuse un peu moins... Il fallait dire que, de tous les sorts élémentaires, ceux d’Air étaient les plus faciles à utiliser. L’air, après tout, était partout, et il savait tout juste d’accentuer un peu les bourrasques de vent pour réussir le sort. Les sorts de Feu, d’Eau, et de Terre, étaient, par opposition, sensiblement plus difficiles à réaliser... Et Jane aimait bien se contenter de ce qui était simple. Elle était un peu paresseuse, parfois...

Shion finit par revenir, et amena à Jane son verre de jus d’orange, qui eut un grand sourire... Avant d’assister à un curieux spectacle. L’une des bretelles de s bas de Shion se dégrafa, et cette dernière, pour la remettre, souleva sa longue robe. Les yeux de Jane s’écarquillèrent de surprise, et elle vit les longues jambes fuselées et blanches de Shion.

*Wooh putain la vache ! songea-t-elle. Elle a des jambs de ballerine !*

Nell regarda Jane en fronçant les sourcils, et cette dernière haussa les épaules. Pour une fois, elle n’avait rien fait ! La grande sœur soupira, tandis que Shion, de manière très indécente, terminait de remettre son bas. Jane pouvait presque voir sa culotte, et regretta de ne pas avoir son téléphone portable à portée de main. Elle aurait pris une très belle photo ! Shion remit son bas, et un moment de silence, pesant, s’instaura autour de la table. A ce stade, même les remarques de Shion sur sa robe, qui avaient fait sourire Jane, étaient insignifiantes. Ce fut probablement pour Shion l’un de ces moments qui paraissent durer une éternité, mais qui ne s’étalent réellement que sur quelques secondes, un GMS (Grand Moment de Solitude) grandeur nature. Finalement, Shion sembla se décomposer sur place, et supplia les deux femmes de ne rien dire à son patron.

Elle se décomposa, en effet, et Jane fut assez surprise. Son regard larmoyant était fascinant, et, surtout, elle avait prononcé le mot magique : pitié. Pour une femme comme Jane, le mot « pitié » était une invitation à faire des bêtises, et à justement faire la pression. Jane ignorait totalement qui était le patron de ce restaurant, mais elle pouvait bluffer. Elle était Américaine ; les Américains étaient les rois du bluff. Ils avaient vaincu les Japonais en bluffant, après tout.

« Hum... Tu as l’air de tenir à ce boulot, Shion... Et tu as l’air incapable de savoir mentir, alors...
 -  Tu sais, nous venons de Californie, nous sommes issues d’une culture marquée par le puritanisme... »

Jane et Nell adoraient se disputer entre elles, mais, quand il s’agissait d’embêter quelqu’un, elles étaient instinctivement d’accord. C’est ce qui faisait d’elles des sœurs magnifiques. Jane se rapprocha un peu de Shion, et suça un peu de son jus d’orange, par le biais d’une paille.

« A combien estimes-tu mon silence, ma brave Shion ? Je veux dire... Well, tu as l’air de tenir à ce job, non ? Jusqu’à quel point ? Je veux dire... Si je te suggérais de me rejoindre dans les toilettes d’ici... Un quart d’heure... Pour discuter de ma capacité à me taire, tu dirais quoi ? Car tu sais que nous, les Américaines, on aime bien parler... »

La soirée venait tout d’un coup d’être bien plus intéressante que ce que Jane avait initialement craint !

-Je... je, hum... Euh... D'...D'accord...

Rouge comme une pivoine, la serveuse se retourna et s'éloigna du couple de demoiselles. Lorsqu'elle fut enfin hors de leur vue, elle s'adossa contre un des murs de la cuisine pour se calmer et reprendre son sang-froid. "Me voilà encore dans de beaux draps..." soupira-t-elle en jouant nerveusement avec son plateau, le faisant pivoter entre ses mains pour se mettre l'esprit un peu ailleurs. Étrangement, Jane choisissait très bien ses moments; dans quinze minutes, Dieu seul sait comment, elle savait qu'elle finissait sa journée de travail. Ou alors un très bon instinct. D'une manière ou d'une autre, elle allait devoir user d'ingéniosité pour se sortir de son mauvais pas. En toute normalité, Shion était capable de remettre les pervers et perverses à leur place, mais sans vouloir l'admettre, la soeur de Jane la mettait dans un état de confusion qu'elle ne comprenait pas elle-même; elle se savait bisexuelle, mais elle ne savait pas qu'elle pouvait aussi se retrouver intimidée par les autres femmes. N'ayant pas l'habitude d'être confrontée à un cœur palpitant devant une personne du même sexe qu'elle, ses pensées se sont embrouillées et elle n'avait pas eu la réflexion intelligente de leur dire d'aller se faire voir et de les menacer de leur coller un procès au cul. Et maintenant qu'elle avait accepté, bah, elle perdrait aussi facilement ce procès qu'elle l'aurait collé, parce qu'elle pouvait être inculpé d'incitation et ça, c'est mauvais, surtout quand on était une femme dans une ville où les hommes étaient des pervers et où la perversion devenait une justification à tout.

Elle alla donc prendre sa pause quelques minutes à l'avance avant d'aller prendre une bonne douche dans la salle des employées. La tenue de maid avait beau avoir un excellent charme, il n'en restait qu'elle n'aimait pas nécessairement la porter après le travail à cause de son côté révélateur et léger; il suffisait d'une brise pour qu'un inconnu ait un petit coup d’œil à ses sous-vêtements, et cela, bah, c'était très gênant. Elle soupira en repensant à Nell. Elle était jolie, mais il faut croire que les mauvais côtés, c'était de famille; quand une était chiante, l'autre suivait le plus souvent. Cela lui rappela aussitôt une conversation avec son fiancé, quelques mois plus tôt, après qu’elle eut refusé d’emmener un garçon en cour de justice après qu’il l’ait harcelée pendant des semaines.

-Tu pardonnes trop! Tu vois toujours le bon côté des gens avant leurs mauvais côtés!

Ce simple souvenir suffit à arracher un soupir découragé à la Nymphe des Eaux; comment faisait-elle pour être suffisamment crédule? Pour croire qu’elle serait tranquille et protégée au travail. Elle savait que Jane ne voulait que la taquiner, mais elle savait également que si elle ne se prêtait pas au jeu, elle finirait par faire quelque chose de regrettable, comme un enfant privé de ses jouets pour X raisons; elle pouvait très bien lui faire du mal et faire de sa vie un enfer pour peu qu’elle soit irritée. Telles étaient les emmerdeuses lycéennes, ces salopes sans nom qui font toujours du mal aux autres. Elle finit par se lever et à refermer le robinet avant de se sécher et de sortir de la douche, enfilant au passage une culotte, un soutien-gorge, le tout en dentelle blanche, puis un jeans bleu ciel, un débardeur noir et une chemise blanche, enfilant également des chaussettes et des chaussures avant de se diriger vers la toilette des femmes et de s’y installer pour attendre. Combien de temps? Elle ne savait pas. Elle attendrait tant qu’elle n’aurait pas d’autre chose plus pressante à faire; ce n’est pas comme si quelqu’un l’attendait à la maison. Il n’y avait jamais personne pour elle, de toute façon. Elle était là, assise dans la seule pièce de tout l’établissement qui pouvait être fermement verrouillée et insonorisée pour une seule et unique raison; il y avait du monde qui mangeait, et entendre des prouts sonores, ça n’intéressait personne, et surtout pas des clients.

« Tu n’as pas honte ?!
 -  De quoi devrais-je avoir honte ? » répliqua doctement Jane.

Shion s’était éloignée, et Nell soupira, avant de poursuivre :

« Cette pauvre fille est complètement terrorisée ! Merde, Janny, on est venues ici pour manger, pas pour s’attirer des emmerdes !
 -  Hey ! Relax’, ma grande ! Je contrôle toute la situation ! »

Nell croisa les bras, et plusieurs secondes s’écoulèrent ainsi, avant que sa grande sœur ne baisse les bras. Jane, parfois, était une incorrigible tête de mule, et lui faire entendre raison relevait tout simplement de l’exploit olympique. Nell ne pouvait qu’espérer que les choses se tasseraient bien vite, et que Jane, peu importe l’idée qui puisse lui traverser l’esprit, saurait rapidement agir, avant que la situation ne dégénère...

« Je n’avais tout simplement jamais remarqué que Shion était aussi sexy...
 -  Tu sais, Jane, dans une soubrette, bien des gens sont sexy... »

Immédiatement, elle regretta d’avoir dit ça, mais il était trop tard. Jane fronça lentement les sourcils, comme si elle avait mal compris ce que sa chère sœur venait de dire. Il y eut un léger flottement, un moment de blanc, avant que Jane, lentement, ne se mette à parler :

« [color=purple[]b]Tu t’es déjà habillée en soubrette ?[/b][/color]
 -  Pourquoi cette question ? répondit prudemment Nell.
 -  Putain, j’y crois pas ! »

Un grand sourire amuse éclaira les lèvres de Jane, qui se mit à imaginer sa grande sœur en soubrette. Quel garçon avait pu l’amener à se déguiser ainsi ? Elle n’en connaissait aucun qui ne soit susceptible de conduire Nell à se vêtir ainsi... Sa grande sœur, en soubrette ! Avouons que l’image ne manquait pas de ridicule, et une lueur espiègle, très amusée, traversa son regard. Nell dut le réaliser, car l’intéressée fronça les sourcils, et lui donna un coup de pied sous la table, parlant sur un ton terriblement sérieux :

« Si tu le répètes à qui que ce soit, je t’étrangle sur place !
 -  Oh, on dirait que j’ai touché la corde sensible !
 -  Je ne plaisante pas ! Déjà que c’est pas facile d’être sa sœur, alors, si en plus...
 -  Hein ? Quoi ?! Pas facile d’être ma sœur ? Ça veut dire quoi, ça ?
 -  Ça veut dire ce que ça veut dire, tout simplement. »

Jane croisa les bras, réfléchit un petit peu, et répondit sur le même ton :

« Tu sais, la réciproque est exacte... »

Nell soupira. Sa sœur avait cette sale manie de toujours vouloir avoir le dernier mot. La réputation de Jane au lycée n’était cependant pas la plus mauvaise qui soit. A dire vrai, dans l’ensemble, sa petite sorcière était plutôt bien appréciée, parce qu’elle était jolie, sociable, et intelligente. Cependant, elle était aussi très hypocrite, manipulatrice, et perverse... Même si, connaissant la réputation du lycée Mishima, Nell se demandait si cette dernière facette de sa personnalité n’était pas son meilleur avantage... A la fac’, où Nell étudiait, le lycée Mishima était bien connu, et les anciens de Mishima étaient généralement très côtoyés, car on était persuadé qu’ils avaient, sexuellement parlant, tout vécu. C’était très particulier. Si toute cette ville était spéciale, Mishima semblait être l’épicentre de toute cette bizarrerie. Et on disait les Américains cinglés...

Jane finit par se redresser, et lui promit de ne pas être longue. Nell espérait surtout qu’elle ne ferait rien de stupide, mais elle n’était pas spécialement inquiète. Il n’y avait que dans les films qu’on coinçait des toilettes pour faire l’amour. Dans ce genre de restaurants, des individus devaient venir aux toilettes constamment. Jane se rendit donc dans les toilettes pour femmes, et ne tarda pas à trouver Shion. Elle était assise sur le pot, et Jane, tranquillement, referma la porte derrière elle, et réalisa que l’endroit était insonorisé... Elle n’entendait plus rien venant du restaurant, et regarda Shion. Maintenant qu’elle la voyait de très près, elle réalisait, non seulement à quel point elle était belle, mais à quel point ses yeux étaient magnifiques. Deux belles perles qui l’hypnotisaient. Pourquoi diable ne s’était-elle jamais intéressée à elle ? C’est sur cette idée que Jane s’approcha du miroir dans la pièce, et tourna le lavabo, se nettoyant les mains, tout en regardant Shion par le miroir :

« Tu sais, tu devrais mieux t’exposer au lycée. Je n’avais jamais réalisé à quel point tu étais mignonne. Alors, dis-moi... Si tu ne veux pas que je dise à tout le monde que la timide petite Shion s’habille en soubrette dans un restaurant, tu as intérêt à répondre à mes questions, et... Disons que ce sera notre petit secret, hein ? »

Ne lui laissant pas vraiment le temps de répondre, elle enchaîna :

« C’est quoi, ton histoire ? Pourquoi tu bosses en tant que serveuse ?  Les dortoirs à Mishima sont gratuits, alors... Qu’est-ce qui peut bien te pousser à travailler dans un restaurant ? Et, au fait... Ton patron sait que tu es mineure ? Je crois pas que ça soit forcément légal d’embaucher des mineures... Non ? »

Lui mettre la pression... Jane adorait ça ! Elle voulait acculer Shion, que cette dernière soit forcée de collaborer avec elle, et de satisfaire sa curiosité. Bien sûr, Jane bluffait... Elle ne comptait pas pourrir la vie de Shion. Non pas qu’elle en aurait des remords, mais elle avait de meilleures idées en tête pour passer son temps... Mais on disait que les Américains étaient naturellement doués pour le bluff. C’était le moment de le prouver !

Les questions de Jane la laissèrent perplexe. Au moins, c'était moins pire qu'une séance à la "Inquisition" qu'elle avait l'habitude de subir (une variante du Vérité ou Conséquence qui ne finit que lorsque le tortionnaire en avait marre, bien que la Vérité devenait ce que l'accusateur voulait bien entendre). Son histoire était banale, hormis la partie où elle passait une moitié de l'année immergée dans les territoires aquatiques de ses deux pères, Nérée et Poséidon... une équivalence de la garde partagée, quoi. Mais pourquoi est-ce que cela l'intéressait, pour commencer? Probablement pour causer des ravages plus tard. Shion fait de même pour se protéger elle-même; s'informer sur chaque interlocuteur pour finalement lui renvoyer chaque parole au visage, le troubler et l'éloigner d'elle si elle ne voulait pas l'avoir davantage dans les pattes.

-Je ne suis plus mineure. J'ai 18 ans depuis bientôt six mois.

En fait, en théorie, le japon autorise les jeunes hommes et femmes de 17 ans à entreprendre des carrières où l'âge majeur est requis pour travailler, en raison d'une certaine vieille loi et tradition qui disait qu'un enfant, au moment de sa naissance, était âgé d'un an. Mais il fallait absolument qu'à partir du moment où cette loi était invoquée, il fallait être mentalement préparé à ne pas avoir les traitements de faveur; ce n'était pas une loi qui s'adaptait aux caprices d'une personne; une fois qu'on se déclarait majeur sous cette loi, on l'était sous toutes les autres. Et ça, c'était pas nécessairement un avantage quand on se mettait dans la merde. Héhé.

-Les dortoirs de Mishima ferment pendant la nuit, empêchant les locataires d'entrer et de sortir à leur guise. J'ai besoin d'argent, de beaucoup plus d'argent qu'un simple emploi d'étudiante ne pourrait jamais me procurer. Et je travaille ici parce que j'ai une très bonne paie qui me permet de rembourser mes dettes sentimentales et financières.

Pour les incultes, une dette sentimentale est une dette imaginaire que les gens s'inventent, le plus souvent, mais d'autres fois, ce sont des dettes réelles liés à une situation amoureuse. Pour Shion, il s'agit de rembourser Saïl de toutes les dépenses qu'il a faite pour elles, à commencer par sa garde-robe, qui s'élève à plus d'un millier d'euros, puis la moitié du loyer, tel que convenu, et finalement pour rembourser les frais administratifs que leur séparation occasionnait; même fiancés, ils étaient déclarés comme un couple à part entière dans les fichiers du gouvernement. une dette financière était une dette complète que tous et toutes auront un jour ou l'autre, et elle se résume en un mot; carte de crédit. Tout ce qu'on se procure sans avoir les moyens devenait une dette qu'il fallait rembourser sous peine de passer un très sale quart d'heures avec quelques créanciers plus déterminés à récolter les intérêts que leur propre argent.

Pour une fois, Shion n'avait aucune honte à parler d'elle-même, pour ne pas dire qu'elle était fière d'être émancipée de la charité scolaire et parentale, en comparaison à tous les autres jeunes humains qui se prétendaient indépendant parce qu'ils ne vivaient plus chez leurs parents tout en touchant une allocation de leur part. Elle travaillait fort et assidûment, même si son argent se faisait lessiver par des mains avares qui se l'arrachaient. Si Jane cherchait une faille dans ses dires, Shion l'invitait bien à le faire, mais elle aurait bien du mal.

La Nymphe des Eaux fixa un long moment l'apprentie sorcière et se surprit à remarquer à quel point elle était effectivement belle, sans qu'elle ne puisse nier, dans son élan, son intelligence -elles avaient été dans la même classe pendant trois ans, après tout. Shion était une très bonne étudiante, et elle tapait des records, mais Jane semblait toujours la dépasser d'une dizaine de points ou plus- mais elle n'arrivait pas à s'oter sa méfiance de la tête; de un, quel genre de personne raisonnable et pleine de bonnes intentions forcerait une autre personne à l'attendre dans les toilettes? "À la rigueur, elle aurait pu m'inviter à manger un morceau, si elle voulait vraiment juste me parler!" songea-t-elle. Mais encore une fois, se rendant compte qu'elle avait des arrières-pensées derrière cette phrase mentale, elle secoua vivement la tête pour chasser ses réflexions parasites de son esprit; depuis Saïl, ses rêves romantiques et fantasmes n'avaient qu'augmenté, contrairement à ce qu'ils étaient supposé faire après une rupture si brutale liée à la trahison, l'adultère et le mensonge.

-Qu'... -elle toussa pour s'éclaircir la gorge et éviter de bégayer encore une fois- qu'est-ce que tu veux, Jane? J'ai rien à donner, rien de croustillant ou d'intéressant à te mettre sous la dent. Je suis épuisée, j'ai eu une grosse journée.

Ce n'était pas de l'arrogance que la jeune femme avait dans la voix, mais une vraie lassitude d'être debout. Elle avait vraiment envie d'aller s'installer quelque part, boire un verre et prendre un bon petit dîner avant d'aller se pelotonner contre sa peluche-placébo; c'était assez cocasse à dire, mais depuis qu'elle vit seule, elle n'arrive pas à dormir. Elle s'était donc acheté une très grosse peluche en forme de tigre légèrement anthropomorphe contre lequel elle se blottissait la n... bon, vous voyez, quand je dis que ses pensées vagabondent beaucoup!

Shion, lentement, se confia, et Jane écouta. Bras croisés, elle écouta cette dernière commencer par lui dire qu’elle était majeure. Tant pis, Jane aurait au moins essayé... Elle oublia cette idée, et la jeune lycéenne serveuse lui expliqua ensuite qu’elle travaillait ici pour rembourser une série de dettes qu’elle avait contracté. Jane en fut amusée... Elle n’était même pas encore adulte qu’elle était déjà endettée jusqu’au cou ! La jeune sorcière, prudemment, ne disait rien, jusqu’à ce que Shion lui demande ce qu’elle souhaitait. La sorcière était plongée dans ses pensées, se demandant effectivement quoi faire de cette femme. Elle était plutôt belle, et ses yeux... Diable, ses yeux étaient terribles ! Elle n’arrêtait pas de loucher sur eux, d’observer cette femme, et de se dire à quel point elle avait de beaux yeux. Ils étaient presque surréalistes tant ils étaient fascinants.

Revenant à la réalité, Jane se rapprocha un peu de Shion. Elle aurait sans doute du se sentir un peu compatissante pour cette brave fille, qui était obligée de jongler entre un boulot le soir et son travail au lycée. Ceci expliquait probablement pourquoi elle était si distante et si réservée en cours. Avec une vie comme ça, participer à des soirées, ou avoir une vie sociale, devait être difficile... Mais Jane n’était pas du genre à éprouver de la pitié pour les autres. Elle était Américaine, et les Américains étaient bien connus pour être des individualistes capitalistes par excellence. Ce n’est pas elle qui allait être l’exception à la règle. Après tout, si Shion était endettée, c’était très probablement parce que, soit elle avait fait des conneries il y a quelques années, soit elle s’était faite avoir quelque part. Dans tous les cas de figure, Jane en arrivait à la savante conclusion que Shion était responsable de sa propre situation.

*Pour autant, je n’ai aucun moyen de pression sur elle... Dire aux autres que Shion s’habille en soubrette, ça ne provoquera que des haussements de sourcils... Il y a bien d’autres rumeurs bien plus tordues à Mishima...*

La sorcière décida de changer de tactique, et offrit à Shion un léger sourire rassurant, ses yeux louchant brièvement sur sa belle poitrine. Une autre chose qu’elle n’avait pas remarqué au lycée, et dont elle prenait maintenant conscience. En somme, Shion était loin d’être aussi inintéressante que ce que Jane avait initialement craint. Elle se mordilla lentement les lèvres, étant un peu plus proche de Shion, et lui parla :

« Rassure-toi, Shion, je ne vais pas te pourrir la vie... Elle m’a déjà l’air bien compliquée comme ça... Je suis désolée de t’avoir abordée en te menaçant, mais, au moins, j’ai réussi à capter ton attention. »

Désolée, Jane ne l’était pas du tout, mais ça passait toujours mieux quand on le disait. Elle se racla lentement la gorge. Shion était si nerveuse qu’elle se voyait mal lui dire qu’elle la trouvait sexy en soubrette. Il fallait la ménager un petit peu, et elle parla encore :

« Je te propose de me pardonner en t’offrant un repas... Vu que tu travaillais, je suppose que tu n’as pas encore eu le temps de manger, non ? Ma sœur sera ravie de t’avoir à notre table, j’en suis sûre... »

Connaissant Nell, elle chercherait sûrement à obtenir des informations compromettantes et croustillantes sur sa petite sœur. Jane fit à Shion un sourire innocent, montrant ses belles dents blanches :

« On fait la paix ? »

Résumons Shion un instant avant de poursuivre cette histoire. Pour Shion, la vie se résume à trois choses; école, parfois, travail, tous les jours et nuits, et dormir, une fois de temps en temps. Si avant elle aimait bien le jeu de la souris, à chasser les prétendants pour trouver le meilleur du lot, son isolation forcée et le caractère peut honorable de son emploi en tant que serveuse dans un des bars à thème les plus populaire du vingt-et-unième siècle plus sa rupture avec Saïl l'ont transformée. Devenue discrète, silencieuse même, avec une peur phobique d'être à nouveau blessée simplement par sa propre naïveté et sa méconnaissance des êtres humains en général.

Revenons maintenant à notre petit problème; l'offre de Jane. En temps normal, après une bonne journée de travail, c'était rentrer chez elle et se pelotonner contre son polochon qu'elle désirait le plus faire, mais il y avait un détail qu'elle négligeait constamment; son estomac, un jour ou l'autre, aura besoin de beaucoup plus qu'une simple gorgée d'eau pour être satisfait. Comme pour l'appuyer dans sa réflexion, et approuver la demande de Jane, l'organe lâcha un magnifique rugissement dès la mention du "repas offert", comme une supplication à sa propriétaire d'accepter l'offre. Ce n'était pas vraiment pour faire la paix, elles n'avaient jamais été vraiment hostiles, simplement distantes, mais elle n'allait pas prendre la peine de la corriger; elle avait faim, et on lui offrait le repas. Comme quoi, à cheval donné, on ne regarde pas la bride.

-Oui... d'accord... si tu veux...

La jeune femme garda néanmoins la tête légèrement baissée, en signe de soumission partielle, cédant à sa nature timide et réservée, une main posée sur son ventre qui continuait de gargouiller. Une vraie marmite d'eau en ébullition, voilà ce qu'il était. Elle était néanmoins contente que Jane ne soit pas allée si loin que ça avec ses plaisanteries, bien que quelques parts, au fin fond de ses désirs secrets, elle avait eu envie de... enfin, bref, ce n'était pas le moment de penser à cela. Ce n'était pas arrivé, point à la ligne. Depuis Saïl, sa vie romantique et sexuelle avait été reléguée à un plan second, mais toute femme qui se respecte a des désirs, et malheureusement pour Shion, il n'était pas dans sa nature profonde d'être fine bouche; les Nymphes, autant des Eaux que des Forêts, étaient reconnus pour être des enchanteresses, des femmes qui ensorcelaient les hommes et femmes pour produire une progéniture supérieure... les dryades étant simplement plus enclines que d'autres à la tâche. Enfin, bref, tout cela pour dire que Shion avait, pendant un instant, fantasmé. Fait rare, mais c'était arrivé. Elle ne s'autorisait, normalement, pas même une caresse personnelle, alors, un fantasme...

La jeune femme se contenta de suivre Jane jusqu'à la table ou se trouvait Nell, en silence, et de prendre place, sans regarder la demoiselle, encore embarrassée par son attirance vers elle.

Shion accepta timidement l’offre de Jane, mais son corps la trahissait. Cette main qui se posait sur son ventre, et les petits gargouillements que ce dernier poussait... Elle avait faim, et Jane eut un léger sourire, relevant la tête vers Shion, lui faisant un clin d’œil.

« OK ! Let’s go, darling ! » lâcha-t-elle alors, avec un accent très américain.

Elle ouvrit la porte, et retourna vers sa table. Nell était en train de discuter avec un autre serveur, et leva deux doigts en l’air, le regardant avec un léger sourire. Jane se retint de soupirer. Était-elle en train de rêver, ou est-ce que sa sœur draguait le serveur ? Sacrée Nell... Toujours pareil ! Le serveur s’en alla, et Jane alla se poser devant Nell, Shion s’asseyant sur le rebord de la table ronde, entre les deux.

« J’ai invité Shion à manger avec nous...
 -  Dans la mesure où ce n’est pas toi qui paie, j’imagine que tu peux t’amuser à inviter qui tu veux », répliqua Nell en plaisantant, avant de tourner sa tête vers Shion.

Shion semblait assez gênée, comme en cours, où on avait l’impression qu’elle avait le sentiment que chaque individu allant lui parler avait envie de la frapper. Évidemment, nouer des relations était assez difficile quand on fonctionnait comme ça. Jane n’aurait même pas été surprise d’apprendre que Shion avait jadis été battue. Nell le comprit bien vite, fronçant lentement les sourcils, avant de parler.

« T’en fais pas, sweetheart, c’est pas parce qu’on est des Américaines qu’on va te manger toute crue ! Et ne t’inquiète pas au sujet de Jane, elle est sacrément chiante, mais on l’aime bien quand même ! »

Elle avait dit cela à voix basse, mais Jane avait entendu.

« Hey ! protesta-t-elle donc, faisant sourire Nell.
 -  Tu vois ? C’est une vraie gamine !
 -  Parce que tu te crois mieux, peut-être ?
 -  Dans la mesure où c’est moi qui paie les factures, je dirais que oui...
 -  Faire une signature, n’importe quel demeuré sait le faire ! »

Nell soupira, et haussa les épaules. Avoir le dernier mot avec Jane était très difficile, et elle s’écarta de Shion. Un serveur amena alors un panier de petits pains chauds, et Jane en prit rapidement un, croquant dedans.

« Alors, Shion... Dis-moi tout... »

Nell essayait de la regarder, tout en ménageant volontairement quelques moments de pause, avant de finalement poser sa question :

« Comment tu trouves les cours ? Et... Est-ce que c’est vrai que Jane est sage en cours ? J’ai du mal à le croire, vu son côté petite peste... »

Quand une néréide a faim, il y a normalement deux raisons à cela; soit elle n'a pas consommé suffisamment d'eau pendant la journée (et Shion étant une vraie maniaque du travail bien fait, allant jusqu'à se tuer elle-même pour faire son travail s'il le fallait, cela était parfaitement possible) soit elle n'a pas eu récemment un "partenaire". Pour expliquer le principe du partenaire, pensez au vache qui produisent massivement le lait pour une énorme population. Cette vache doit d'abord mettre au monde un petit pour pouvoir produire. Or, pour les Néréides, une fois la majorité bien entamée, il fallait que leur corps soit sustenté en une certaine hormone qu'elles ne peuvent produire qu'en cas d’extrême excitation sexuelle, ce qui requiert qu'une fois de temps en temps, elles se trouvent un "partenaire". Normalement, ce "partenaire" est un être qu'elle conservera un long moment, mais la différence entre la situation de Shion, actuellement, et celle des autres Néréides, c'est que ces autres nymphes s'accouplent et se lient avec une créature que l'on nommera les Nagas masculins. De part leur nature reptilienne, ces hommes-serpents ne sont nullement intéressés par les changements soudains de caractère, pour la simple et bonne raison qu'ils n'en ressentent pas le besoin. Pour trouver un Naga à leur goût, il existe de nombreux lieux de rencontres où les Néréides célibataires et les Nagas à la recherche d'une partenaire peuvent se rencontrer, souvent en bordure des ruisseaux où il était agréable de s'accoupler sous les rayons du soleil sans être trop loin de chez soi.

Bref, tout cela pour dire que non seulement Shion avait soif, mais en plus, elle était drastiquement en manque de saine relation physique avec des partenaires acceptables. Lorsqu'un serveur vint la voir, elle n'eut même pas besoin de prononcer un mot qu'il déposait devant elle un énorme pichet rempli à ras-bord d'eau glacée. Elle baissa honteusement la tête et le remercia à mi-voix avant de tremper ses lèvres dans le liquide dit le plus pur qui soit, et l'avala goulûment, vidant à moitié l'énorme contenant d'une généreuse traite. La voyant faire, trois jeunes hommes, sincèrement admiratifs et peut-être un petit peu moqueur, se mirent à l'applaudir bruyamment, lui faisant à nouveau monter le feu aux joues. Les humains étaient si exubérants, si... vivants que Shion avait du mal à s'y mêler, car ils étaient si différents des Néréides, ou des créatures de légendes, qui avaient un tempérament plus calme, réservé, peut-être même asocial et raciste.

C'est alors que Nell lui adressa la parole. Bien qu'en toute honnêteté, elle n'avait aucune difficulté avec l'anglais, leur accent mêlé avec leur janglais (nouveau mot alliant le japonais et l'anglais \o/) rendait parfois leurs conversations compliquées et difficile à comprendre. Elle faisait un énorme effort de concentration pour les écouter, et parfois, même, elle s'y perdait et devenait totalement concentrée sur les mots, oubliant tout ce qui se passait autour d'elle, juste pour écouter la façon dont elles prononçaient leur mot, de leur langage bâtard qui, en même temps, lui semblait beaucoup plus doux et chaleureux que le froid métal de la langue nippone, sec, précipitée et agressive.

-Hum... Jane est...

N'ayant jamais vraiment appris à bien mentir et se trouvant devant deux possibles bluffeuses professionnelles, elle réprima immédiatement son envie de tromper la soeur ainée de Jane et se laissa à l'eau. Elle préféra dire la vérité et la "tremper dans le miel".

-Jane-chan a son petit caractère bien à elle. Elle est excellente en cours, mais elle ne porte pas toujours attention aux enseignants et elle semble beaucoup aimer taquiner les garçons de la classe, et également les filles. Je ne peux dire si elle est sage ou pas, mais elle ne fait pas ou presque pas de raffut et elle ne se défile pas trop souvent de ses cours... moins que moi, du moins.

Les deux femmes ne s'en doutaient probablement pas, mais Shion constatait bien qu'il y avait entre elles un lien bien plus sentimental que celui de soeurs. Elle n'arrivait pas à mettre le doigt dessus, mais aux regards complices qu'elles s'adressaient, il était difficile pour une personne comme Shion qui se plaisait à lire des livres sur la psychologie humaine et sur les différents réflexes "de vérité" que le corps envoyait à tout moment d'ignorer leur affaire. Une véritable mentaliste, voilà ce qu'elle était.

Les deux Californiennes furent éberluées en voyant Shion avaler presque à elle toute seule le pichet d’eau fraîche. Elle but goulûment, et on pouvait entendre les bruits de succion de sa gorge. Jane et Nell se regardèrent entre elles, ayant conjointement l’impression d’avoir affaire à une espèce d’affamée qui sortait du désert. Sur une table à côté, trois hommes qui la virent ne purent s’empêcher de l’applaudir. Il est vrai que c’était plutôt une belle performance.

*Ça, c’est ce qui s’appelle avoir une grosse soif...*

Jane ne commenta pas, et Shion, par la suite, parla d’elle. Elle la décrivit comme une femme ayant son « petit caractère bien à elle ». L’apprentie-sorcière se permit un léger sourire amusé devant cette remarque, tandis que Shion, visiblement nerveuse, poursuivait. Nell l’écoutait attentivement, souriant également. C’était, selon Jane, un portrait relativement honnête, même s’il était un peu édulcoré. Lorsque Shion eut terminée, Nell ne tarda pas à répondre :

« Ma petite Jane serait donc un exemple de vertu ? Well, pourquoi pas, après tout...
 -  Je ne vois pas ce que ça a de si surprenant, riposta cette dernière en croisant les bras, contrariée. J’ai toujours été une bonne élève...
 -  Avoir des bonnes notes ne suffit pas à faire de toi une bonne camarade, ma petite Jane. Son petit caractère... Je n’aurais pas dit mieux, Shion. »

Jane haussa les épaules, sans insister. Nell adorait la provoquer, et elle adorait aussi le faire. C’était leur truc. Les deux sœurs s’étaient toujours comportées ainsi, ce qui n’empêchait pas qu’elles soient très complices. Nell connaissait suffisamment Jane pour savoir que cette dernière était une camarade assez difficile à supporter, surtout dans un autre pays que le leur. Le monde entier semblait de plus en plus habité par une sorte de sentiment antiaméricain. Même les Français leur étaient de plus en plus hostiles, et ce sentiment commençait aussi à se développer au Japon, même s’il était plus restreint. Ce n’était clairement pas Jane qui allait renforcer l’attrait des Nippons pour les Américains. Elle était prétentieuse, suffisante, arrogante, mais c’est comme ça que Nell l’aimait. Elle n’était pas objective, mais comment aurait-elle pu l’être ? Elle avait connu Jane quand cette dernière était à peine plus grande qu’un double-centimètre.

Le serveur ne tarda pas à revenir, en demandant les plats. Nell et Jane commandèrent toutes les deux leurs plats. Pour Jane, ce fut une pizza, et, pour Nell, une entrecôte bien saignante. Jane adorait les pizzas, tout simplement. Et ce restaurant était plutôt varié.

« Et mettez-moi des frites à part, rajouta-t-elle.
 -  Bien, Madame.
 -  Et du jus d’orange, aussi !
 -  Bien sûr.
 -  Et… Hum… On pourrait ravoir du pain chaud ?
 -  Oui, bien sûr... »

Le serveur restait professionnel, et Jane se tut. Il ne restait plus qu’à Shion de commander, et Nell se mit à lui parler :

« Prends ce qui te ferait plaisir, sweetheart. Je me charge du reste. »