La prochaine victime [Hiro]

C'était l'annonce de l'année, n'arrêtait-elle pas de penser.

assise sur le banc, le doux soleil du matin réchauffant son visage, Sachiko pouvait très bien passer pour une simple adolescente occupée à finir ses devoirs pour la fin du week-end le lendemain. Son visage n'exprimait rien d'autre qu'un léger sourire satisfait, mais à l'intérieur, c'était la fête. Des tonnes de feux d'artifices multicolores alors qu'elle dansait comme une bête sur la planète terre, piétinant sûrement deux ou trois continents avec ses talons aiguilles.

La jeune japonaise était dans cet état depuis trois jours, mais surtout depuis hier, lorsqu'elle avait achevé de pondre son dernier article. Un scoop juteux s'y trouvait, étalé entre les lignes comme de la confiture sur une tartine. Elle ne regrettait pas du tout de s'être levée à une heure du matin un samedi pour aller pêcher ce petit bijou entre les grilles du tribunal. Ça avait presque été trop simple, risible. Le tribunal ayant traitée cette affaire dans la journée du vendredi, le dossier qu'elle cherchait était étalé là, sur le bureau d'une secrétaire qui avait sans douté fini son travail un peu plus tôt que les autres. Un coup de photocopieuse et hop ! Une petite heure lui avait suffi pour s'incruster en douce avec l'aide de quelques collègues cambrioleurs à leurs heures, chercher tous les documents nécessaires et repartir aussi vite qu'elle était venue.

Elle n'avait même pas dormi, de peur de perdre l'inspiration qui émanait d'elle comme une aura de super-vilain. Les lignes s'étaient étalés sur le papier, dans l'ordinateur, et tout avait été finalement sauvegardé et photocopié plusieurs fois pour en garder plusieurs traces un peu partout tellement c'était vendeur. Sachiko était fière de son excellent travail, tourné à la sauce des journaux à scandales, avec son lot d'exagérations et d'appui sur les détails les plus gênants habituels.

A présent, il ne lui restait plus qu'à appeler les directions des différentes rédactions et regarder qui pouvait bien être le plus offrant. Sur ses genoux, dans un classeur décoré du drapeau anglais, un répertoire soigneusement tenu et qui indiquait tous les numéros de téléphone des "quartiers généraux" des presses à scandales, obtenus peu à peu à l'aide de ses ventes et de ses contacts multiples dans le métier provenant de Tokyo, d'Osaka ou d'autres grandes villes où elle n'avait même pas mis les pieds. C'était ça, la force des réseaux sociaux, des mails, ou tout simplement du téléphone. Sachiko était une grande habituée des recueils de contacts épais comme des dictionnaires : rien qu'à la maison, elle en gardait trois déjà pleins. Son carnet d'adresses était riche de gens qu'elle n'avait même jamais vu, mais qui lui étaient utiles pour dénicher le prochain scoop ou l'accompagner fouiner dans des endroits de la ville qu'elle ne connaissait pas bien. Ou pour la tirer d'affaires en cas de procès latent. Grâce à ça et son pseudonyme de "Dotty" savamment utilisé, elle n'avait jamais eu de réels problèmes.

Cela dit, ça ne voulait pas dire qu'elle était à l'abri de ces problèmes... aussi variés soient-ils.

On aurait dit qu’une arrestation abrutissait… C’était la troisième fois que je m’étais fait chopper en pleine illégalité depuis mon séjour en taule, mais jamais même une ombre de témoin dans le coin avant. Je  devenais beaucoup trop gourmant, je ne prenais pas assez de précautions et résultats, je devais encore faire valoir mes arguments à quelqu’un qui m’avait pris en flagrant délit.

Un bon point pour moi, le journaliste qui m’avait pris s’était aussi fait prendre; une jeune femme rousse assez plantureuse, c’est difficile à ne pas remarquer… J’ai donc réussi à remonter jusqu’à elle, grâce à son rédacteur en chef; c’est fou ce qu’une menace de torturer et tuer sa famille permet à un homme de se délier la langue; je savais maintenant ou elle allait être pour lui offrir ses photos sur moi, ainsi que son article… On était semblable elle et moi, moi aussi je vendais au plus offrant.

Il faisait soleil, sans, ou presque, nuage à l’horizon, c’était donc une très belle journée pour prendre une marche dans un parc. Alors qu’elle attendait encore son contact, je vins m’asseoir sur le même banc que celle-ci, m’allumant une cigarette, avant de lui tendre le paquet.

T’en veux une? Je crois que tu vas avoir besoin de ça… T’es pas très maligne, je t’ai repéré tout de suite dans cette chambre… Tu n’as pas honte de t’infiltrer dans une de mes soirées de bienfaisance?... La jeunesse de nos jours! Bon, maintenant qu’on a fait connaissance, Mlle Sachiko, tu vas bien gentiment me donner les photos, et l’article, sans faire d’histoire, sinon, ça risque de se compliquer pour toi…

L'homme s'assit sans même demander son avis, ce qui attira déjà la curiosité de Sachiko. Elle leva le nez de son livre, pour observer ce type qui venait probablement la draguer, mais écarquilla les yeux presque tout de suite après. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour reconnaître celui qui était sur le point de lui rapporter un gros paquet de fric. Ce genre de lien, c'était assez marquant pour qu'au moins le visage reste à l'esprit. Et puis, c'était aussi son affaire la plus récente. Aucune chance pour qu'elle ne le reconnaisse pas. Mais est-ce que l'inverse était également valable ?

Sachiko prit la cigarette que lui proposait Hiro, en murmurant un "merci" à peine audible. Il ne perdit en effet pas de temps pour jouer cartes sur table. La paparazzi, elle, ne se dévoila pas autant. S'aurait été stupide de sa part, tout comme elle trouvait idiot que cet homme vienne réclamer son dû de manière aussi abrupte, sans même utiliser ne serait-ce que des gardes du corps pour empêcher tout débordement.

La jeune femme se contenta d'expulser une bouffée de fumée, puis de fermer le classeur sur ses genoux et de le glisser dans son sac. Elle adressa à Hiro un sourire enjoliveur, avant de répondre simplement :

« Moi, je ne suis pas très maligne ? Ça n'est pas moi qui me suis faite prendre sur le coup trois fois de suite dans mes petites affaires, Atayoshi-san. »

Un ton très poli, toujours à l'aise. S'il croyait récupérer l'article, il se fourrait le doigt dans l’œil jusqu'au coude vu toutes les copies qui en avait été faites, mais il fallait éviter de tout de suite le placer dans ses retranchements, ou il pourrait s'avérer violent. Sachiko n'était pas spécialement faite pour le combat, préférant utiliser une pointe de psychologie.

« Vous savez que c'est interdit par la loi, d'épier les petites lycéennes par leur fenêtre tard le soir ? » continua la blonde toujours souriante. « Je ne suis pas sûre que la police soit très contente d'entendre ça... un nouveau stalker dans leurs dossiers... ils ont déjà teeellement de travail, pour attraper les ordures dans votre genre... »

L'adolescente tira de nouveau sur sa cigarette, dans un geste aussi sensuel que si elle l'effectuait tous les jours - alors que, pourtant, elle n'était pas fumeuse régulière.

« Ma parole contre la vôtre. Vous avez beau être influant, je pense que l'on sera tout de même prêt à écouter les paroles d'une innocente jeune fille en pleurs... surtout vu vos antécédents. Qu'est-ce que vous en pensez, Hiro ? »

Son visage se tourna vers celui de l'avocat sans scrupules, toujours aussi détendu, bien que son regard couleur chocolat brille à présent d'une pointe de moquerie. Elle le provoquait sans limites, et avait hâte de voir les arguments que pouvait déposer l'homme. Pour sa défense.

Je me mis alors à rire, comme si elle venait de me raconter une blague… Elle croyait vraiment me faire peur en disant qu’elle allait me dénoncer à la police? Elle pouvait bien rêver celle là! La ville, disons de manière officieuse, m’appartenait déjà, je contrôlais tout ce qui pouvais sortir ou non dans les journaux, que ce soit par menace ou pot-de-vin. Par ailleurs la police, son moyen de protection, n’était pas beaucoup plus sûre.

J’ignore de quels antécédents tu veux parler; j’ai été faussement accusé une fois de vol de documents, meurtre et corruption. Ils se sont vite rendus compte de l’affaire et mon relâché sur le champ, détruisant même mon dossier… Donne-moi tout de suite les photos que tu as prises, ainsi que l’article, original et copies… De toute façon, peu importe le journal dans lequel tu l’envoie, il ne paraîtra pas.

Une nouvelle bouffée de cigarette alors que je croisai les jambes, posant sur mes cuisses un briefcase noir que je transportais, juste au cas où.

Tu sais, tu ferais mieux de faire ce qu’on te demande, comme une gentille lycéenne bien obéissante. L’histoire te dépasse complètement, tu ne sais pas qui sont les hommes qui étaient avec moi ce soir là; ce sont le genre d’homme important dans la société, qui paieraient très cher pour ne pas voir leur nom apparaître dans ce genre de posture.

J’ouvris alors le briefcase, contenant environ quinze mille euros, avant de prendre une liasse et de passer mon doigt sur l’un des bouts, créant un petit bruit de papier de coton se frappant l’un contre l’autre. Refermant le conteneur de cuir noir, je le posai entre moi et la jeune journaliste.

Écoute, j’ai été bien gentil jusqu’à présent, mais ma patience a des limites. Tu prends l’argent, tu me donnes toutes les copies de l’article, sans parler de la carte mémoire des photos, et tu te barres, tu essaie de te trouver un nouvel article à pondre. Ce qu’il y a là dedans vaut plus que ce que tu pourrais en tirer de l’article. Et en plus, tu ne mets pas ta vie en danger! Je te laisse une minute pour y réfléchir

Insouciant, je pris mon portable dans ma poche, puis j’envoyai quelques textos, histoire de planifier le reste de ma journée.

Elle observa la liasse de billets avec une incrédulité naissante sur le visage. Mais son regard ne sembla pas hésitant. Quelques secondes après, un sourire vint même fleurir sur ses lèvres. Une mimique qui n'avait rien d'aimable et qui était bien au contraire moqueuse envahit son faciès alors qu'elle jouait avec les petites coupures vertes, faisant passer l'argent entre ses paumes pâles.

« Atayoshi-san, vous croyez qu'il n'y a que les honnêtes gens qui peuvent faire preuve d'un minimum de professionnalisme ? Pourquoi j'accepterais cet argent ? Pourquoi j'accepterais de couvrir un pourri tel que vous ? Donnez-moi une seule bonne raison de faire un truc pareil... »

Et quand il prit son portable dans sa poche pour envoyer quelques messages, elle crut honnêtement qu'il faisait ce qu'elle lui avait demandé. Cette seule pensée la fit éclater de rire. Elle se moquait bien de lui, se sentant protégée, alors qu'il pouvait très bien appeler des gorilles pour l'embarquer d'un simple claquement de doigts, la jeune femme le savait bien. Cependant, elle comptait sur la seule optique que s'il y avait quelqu'un qui était dans une situation délicate, c'était lui et personne d'autre. Il n'obtiendrait rien d'elle en la séquestrant, et personne d'autre ne savait où pouvait se trouver les négatifs ou les copies de la pellicule concernant l'avocat.

« De toutes façons, poursuivit la blonde après un flottement de quelques minutes, je ne me balade pas avec les négatifs de toutes mes... "victimes" potentielles sur moi. Vous me prenez pour une fétichiste ? Et j'ai bien peur de devoir vous annoncer que les photos sont déjà partis vers l'éditeur. Il va vous falloir aller vers lui pour plus d'informations, ce n'est pas moi qui gère quand ce journal va sortir. Alors, inutile de m'accabler. »

La cigarette qui flottait entre les doigts fins fut finit, ne laissant que la partie non-fumable qui tomba entre les herbes folles qui couraient sur les pieds du banc public où les personnages étaient assis. La dernière partie de sa phrase était un mensonge bien sûr, mais autant que Hiro ne le sache pas, comme beaucoup d'autres choses. Sachiko était une bête pour tirer les vers du nez à quelqu'un, mais le contraire était toujours plus compliquée.

« Il fallait vous y prendre plus tôt, monsieur l'avocat. Oh, mais vous aviez du boulot, peut-être ? Suis-je bête... » ironisa-elle d'un air narquois.