Le Grand Jeu - Forum RPG Hentai

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[FINI] Les ailes flamboyantes d'un Phénix [Yamagashi-senseï]

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Yamagashi Hitomi

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Mélinda qui se vanne toute seule ? D'un côté c'est une bonne chose d'accepter ses défauts, de se mettre en perspective. D'un autre, venant d'elle, ça ne me rassure pas vraiment. Il faut dire que je n' m'attendais pas à la voir risquer le moindre petit pas à l'écart de son piédestal. Je suis presque rassurée l'entendre sèchement rappeler à Shii que nous n'avons plus grand-chose à nous cacher, au moins pour le visuel. D'ailleurs je suis tellement nerveuse que sur le coup, je le lui rappellerais bien par l'exemple. Arrête de rêver, Hitomi ! Ou plutôt garde ça pour plus tard !

Et oui, exactement, je ne suis pas seulement revenue pour retrouver leurs bons sentiments à mon égard : je compte bien retrouver aussi leur façon de me les témoigner. Je ne suis pas hypocrite au point de m'en défendre. Si je n'ai pas jugé utile de préciser c'est parce que ça coule de source.

Bref ! Je me disperse, et ce n'est pas le moment. La réaction de Shii face au jugement est à la fois un bon et un mauvais signe, du moins si elle voit juste. J'aurais peut-être simplement dû aiguiller Mélinda, puis n'intervenir qu'en cas de problèmes ? Le peu que j'arrive déjà à décoder n'est pas encourageant quant à ma présence. Je ne me mêle pas de la suite, qui ne fait que confirmer mes doutes. J'en profite pour me motiver intérieurement. Si Clara a une si mauvaise image de moi, et même si je pense que la plupart des raisons ne viennent pas de moi et de mes nombreuses erreurs, je suis la seule à pouvoir redorer mon blason.

" Cla... Clara ne... Elle ne veut plus que... Que... Enfin, voilà... Elle... Elle vous dirait tout, Maîtresse, mais... Je... Je ne veux pas la trahir... "

Famille, amour, amitié, loyauté... C'est moi ou on est en pleine intro de drame shakespearien ? Et en général, à l'acte deux les cadavres commencent à s'entasser. On a pas cent sept ans, Clara ne passera pas l'après-midi sur son burger entre copines. Mélinda me laisse visiblement la place d'entrer en piste. Je rejoins Shii pour m'accroupir directement devant elle. Et la gai-jin que je suis à ses yeux sait très bien ce que ça peut signifier dans sa petite tête de Japonaise. La place que je me donne n'est plus celle de la sensei. Je ne suis pas là en tant que prof, ni elle en tant qu'élève, encore moins sachant que c'est ainsi qu'elle préfère nous voir.

Je prends ses mains dans les miennes en guettant son regard.

" On ne te demande pas de la trahir, Shii. "

Je dois faire vite et bien, avec des mots. Donc je préfère y aller à petits pas. De toutes façons la confiance se donne, elle ne se prend pas.

" Tu sais, l'expertise dont parle Mélinda ne va pas chercher très loin. De nous quatre je suis la seule à avoir pu garder des liens avec ses parents. Je suis la seule à savoir à quoi ça ressemble. Et encore, je t'ai déjà dit que mon cas n'est pas vraiment un modèle du genre. En fait je pense surtout que Clara a besoin de faire le ménage dans sa tête, et que revoir sa mère pourrait l'y aider. Ou au moins se confronter à l'idée de la revoir. "

Je lui sourie, avec un peu d'ironie.

" J'ai envie de l'aider, vraiment Shii. Pas seulement pour arranger les choses entre nous. Mais on sait toutes les deux qu'elle ne me laissera aucune chance. C'est pour ça que je compte sur toi et Mélinda. Et je ne veux surtout plus vous faire du tort, à aucune de vous trois. Alors je ne veux pas que tu la trahisses. Mélinda ne sait pas vraiment à quoi ressemblent nos problèmes de mortelles, pas de l'intérieur, mais elle connaît l'histoire de Clara. Moi je ne sais presque rien de Clara, mais les problèmes ça me connaît. Tout ce que je veux c'est que tu sois honnête : à ton avis, est-ce que Clara a besoin de faire le ménage dans sa tête ? Et surtout, avec nous trois pour l'aider, est-ce qu'elle est de taille ? "

Je lâche ses mains pour enchaîner rapidement, et mon sourire disparaît.

" Mais je préfère te prévenir, Shii : quoi que tu répondes tu devras l'assumer, au moins face à toi-même. À toi de décider quelle amie tu veux être pour Clara. "

Je ne vois pas comment mieux résumer la situation de Shii. En appeler à sa volonté me paraît risquer. Qu'elle le veuille ou non Mélinda a une trop grande emprise sur ses filles. Elle est leur protectrice, leur pourvoyeuse, leur guide et l'autorité qu'elles reconnaissent entre toutes. Mais elle ne peut ou ne veut pas être assez humaine pour les aider à grandir, à vivre avec leur passé au lieu de survivre avec leurs blessures.

Mélinda Warren

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Mélinda en profita pour se coller contre un grand placard en bois contre le mur, proche du lit. Elle laissait Hitomi agir, consciente que c’était désormais à elle de jouer. Elle avait voulu s’impliquer, à elle de se montrer à la hauteur. Shii n’était pas un adversaire bien difficile, alors Mélinda ne s’en faisait pas trop. Quand bien même on était dans le manoir, et en-dehors des horaires scolaires, et si ça n’avait rien à voir avec un entretien entre un prof’ et un élève, Hitomi restait toujours, aux yeux de Shii, la senseï. Et la rouquine se mit à genoux devant Shii, la prenant par les mains, et essaya de lui parler. Si Shii avait toujours le syeux clos, les quelques tressaillements sanguins que Mélinda pouvait percevoir indiquaient qu’elle écoutait.

Mélinda, quant à elle, profitait de sa position pour observer le dos du corps d’Hitomi. Plusieurs fois, elle y avait songé... L’inviter à nouveau dans son lit. Elle savait très bien qu’Hitomi était, au lit, un très bon coup. Pour une humaine, elle était extrêmement talentueuse dans ce domaine. Suffisamment douée pour avoir réussi à impressionner Kaileesha et Slotwenna, ce qui, il fallait bien le reconnaître, était une belle performance. Et, à chaque fois, la vampire évacuait cette idée. Elle avait sa fierté. Et il ne fallait d’ailleurs pas plaisanter avec cette dernière. Comme beaucoup d’humains, Hitomi vouait au sexe une trop grande importance.

*De toute manière, c’est sans intérêt... J’ai au moins la décence de ne coucher qu’avec les personnes que j’apprécie.*

Elle ne détestait pas Hitomi, mais, de là à dire qu’elle l’appréciait, c’était un pas qu’il ne fallait pas se risquer à commettre. Mélinda continuait à se persuader qu’elle avait accepté de ramener Hitomi dans sa vie à cause des filles. Les lycéennes la côtoyaient fréquemment, et la vampire tenait trop à leur avenir pour les gâcher à cause d’un agent administratif interchangeable. Vu sous cet angle, ça réduisait effectivement de beaucoup l’importance de la senseï.

« Mais je préfère te prévenir, Shii : quoi que tu répondes tu devras l'assumer, au moins face à toi-même. À toi de décider quelle amie tu veux être pour Clara. »

Ça, la réponse était plutôt simple. Shii ne voulait pas être une amie pour Clara. Elle voulait, et était, plus que ça. Clara ne se confierait pas à une simple amie. Avec une simple amie, elle ferait la forte tête, la femme inébranlable, mais, avec Shii, ses armes s’abaissaient. Difficile de dire, même pour Mélinda, comment leur relation avait pu tant évoluer. Quand elles s’étaient rencontrées pour la première fois, Shii et Clara se détestaient. La première voyait en la seconde une future chômeuse stupide qui passait son temps à embêter les autres parce qu’elle avait une vie minable, et la seconde voyait en la première une pédante casse-couilles qui en était justement dénuée. Leurs premiers rapports avaient été loin d’être tendres. Clara avait racketté Shii à plusieurs reprises, menacé, bousculé. Mélinda aimait dire qu’elle était responsable de l’amélioration de leur relation, mais elle savait très bien la vérité. Elle n’avait été qu’une petite boule, une simple poussée qui avait remis les wagons sur les rails.

Shii se mordillait les lèvres, et se força finalement à regarder Hitomi. Elle était rouge, et hésita un peu. Elle mettait, une fois n’est pas coutume, Mélinda au supplice. Son sang battait follement dans ses veines, lui donnant une envie irrépressible de la mordre. Shii finit alors par parler :

« Clara... Elle... Elle dit toujours qu’elle ne veut pas voir son père, ni sa mère... Elle...
 -  Continue, Shii, l’encourageait Mélinda. Si j’ai amené Hitomi, c’est bien qu’on peut lui refaire confiance, alors, vas-y... »

Shii se mordilla les lèvres, et poursuivit. Elle avait du mal à parler, mais, plus elle parlait, et plus sa langue commençait à se délier.

« Elle ne cesse de se rebuter quand on parle de ses parents, de sa famille, de l’endroit d’où elle est venue, mais... Quand je l’ai vu, au début, je croyais qu’elle était mauvaise. Méchante et tout... »

Shii soupira, secoua la tête, et reprit. Elle ne savait visiblement pas par quel bout commencer, et Mélinda estima que la forcer, l’aider à la diriger, serait contreproductif. Pourtant, Shii levait de temps en temps les yeux vers elle, et croisait le regard d’émeraude de la vampire, y trouvant probablement un quelconque implicite réconfort, un support pour lui permettre de continuer.

« Elle a peur de son père... Et je crois que voir sa mère n’y changera rien. C’est ça qui la ronge, et qui la rongera toujours si on trouve pas comment faire... Son père la terrorise, et la seule évocation de ce dernier... Elle... Elle m’a raconté comment elle était, avant que... Juste après sa fugue... C’est pour ça que je l’ai aidé à remonter la pente, mais on a jamais triché... Je l’ai aidé à faire ses devoirs, mais je les ai jamais faits à sa place ! »

Quelques renâclements vinrent témoigner de la difficulté que Shii avait à ne pas fondre en larmes. Cette manie typiquement humaine de pleurer constamment pour un rien était agaçante à un point ! Mélinda ne dit rien, mais sentait l’impatience la gagner progressivement. Ne pouvait-elle pas en venir précisément aux faits ? Éviter toutes ses élucubrations ? Mais non, elle supposait que c’était normal. Croisant les bras, Mélinda rongea donc son frein. C’est qu’elles n’avaient pas toute la journée non plus ! Un Big Mac, ça se finissait en deux ou trois bouchées, et, à moins que Clara ne traîne avec ses copines, elle serait là d’ici quelques minutes.

*Il est primordial de la coincer alors qu’elle ne fait rien, Shii... Ne te mets pas à pleurer maintenant !*

Shii se mordilla les lèvres, et continua :

« Quant à sa mère... Le peu que j’ai cru comprendre de ces non-dits, c’est qu’elle ne la déteste pas autant que son père... Je sais pas, si... Si on lui montre que sa mère n’est plus aussi proche que ça de son père, peut-être qu’elle... Enfin, je suppose... »

Mélinda décida d’intervenir :

« Je pense que ça répond à nos interrogations. J’ai d’autres pièces qui pourront nous être utiles... Mais Clara sera la première à les voir, ce coup-ci. »

Shii hocha lentement la tête. Mélinda soupira. Les propos de Shii ne faisaient que confirmer ce qu’elle pensait, et ce qu’elle comptait faire. Voilà qui allait lui promettre de bonnes nuits blanches en perspective... Car elle allait devoir régler ça à la méthode des Terriens, et ce serait relativement long. Jusqu’à quel point pourrait-elle impliquer Hitomi, c’était une question dont la réponse s’étalerait dans le temps. Shii était en tout cas mal en point. Elle n’avait pas dit grand-chose de cohérent, et était gênée, ayant sans doute le sentiment d’avoir outrepassé sa confiance avec Clara. Sa conscience devait la ronger, lui montrant à quel point elle était une bonne amie. Mélinda pouvait presque entendre les reproches qu’elle se faisait, prenant la voix de Clara, tant elle connaissait Shii : *Une superbe amie, hein ! Il suffit de deux femmes qui te regardent avec insistance pour que tu déballes tout ! C’est jusqu’ici que ta confiance va ?!* Soupirant à nouveau, la vampire se rapprocha, et prit Shii dans ses bras, la tête de cette dernière heurtant ses seins. L’une de ses mains vint caresser ses joues, et elle déposa un baiser sur sa tête.

« Sois-en sure, Shii, nous agissons pour le bien de Clara, même s’il nous a fallu agir dans son dos pour ça.
 -  Co... Comment ça ?demanda lentement cette dernière, incrédule.
 -  Clara n’a jamais vraiment voulu tout me dire sur son passé. Et je dois connaître le passé de mes protégées, savoir d’où elles viennent pour déterminer d’où elles iront. Si je m’intéresse surtout au futur, vu que je suis après tout une femme d’affaires, je ne néglige pas pour autant le passé. Dans certains cas, les promesses du futur mettent en pièces les fantômes du passé, mais ça ne marche pas constamment. »

Shii hocha lentement la tête, comme si elle comprenait, et Mélinda savait qu’elle comprenait. Mélinda arrêta son câlin, puis regarda Hitomi, et lui fit un sourire engageant. Elle caressait dur este avec une main la nuque de Shii.

« Est-ce que tu pardonnes à Hitomi ce qu’elle a fait ? » demanda alors subitement Mélinda, en regardant à nouveau Shii.

L’intéressée sursauta, ne sachant, sur le coup, pas quoi répondre. Elle regarda Hitomi, puis Mélinda, paniquée, et décréta :

« Ce n’est pas à moi que...
 -  Et bien, je te le demande quand même ! la coupa Mélinda, agacée. Je ne te demande pas de faire comme si rien ne s’était passé, car un pardon n’est jamais un oubli, en insistant sur le mot ‘‘jamais’’, qui s’appliquait autant à Hitomi qu’à Mélinda, mais de voir si tu peux à nouveau lui faire confiance... Et pas en tant que senseï, j’entends bien. »

La question était naturellement difficile, et Shii baissa à nouveau les yeux. Mélinda savait qu’elle perdait du temps, et qu’elle en avait besoin pour se préparer à la rencontre avec Clara, mais il fallait aussi qu’elle s’occupe de ses autres protégés. Shii finit par répondre, en regardant Hitomi :

« Je... Je ne sais pas...
 -  Shii... soupira Mélinda.
 -  Il… Je comprends ce que vous avez fait, Hitomi, mais, euh… »

Elle rougit et détourna les yeux, et Mélinda comprit.

*Tu vois, Hitomi ? Elle pense que tu n’es revenue ici que pour tirer un coup. Tu es plus une gaijin qu’une senseï à ses yeux, plus une femme à ranger dans le groupe soto que dans le groupe uchi. Elle pense que tu n’es revenue nous voir que pour pouvoir baiser entre nous. Et elle n’est pas la seule à le penser, Hitomi.*

Évidemment, Shii n’oserait jamais le dire devant sa senseï. Elle était encore trop jeune pour ça, trop sensible, mais qu’elle ait réussi à tenter de le faire comprendre était, en soi, un exploit. Il y a quelques mois, Shii n’aurait même pas été capable d’aligner le moindre mot. Socialement, elle avait toujours été déphasée. Donnez-lui une équation à trois inconnues, et elle sera folle de joie. Donnez-lui une amie, et elle paniquera, car elle ne saura pas se mettre en valeur, ni comment l’aborder, tout simplement.

« Je pense qu’il est temps de s’occuper de Clara. Si tu as encore des interrogations, Hitomi, c’est maintenant ou jamais. Tu m’as dit que tu voulais être en position d’attaquante contre Clara, alors que je t’avais offert une position d’arrière. Donc, si tu as des questions, c’est le dernier moment. »

Après ça, il faudrait passer aux choses sérieuses. Mélinda était évidemment nerveuse, mais parvenait à la perfection à le dissimuler.

DC d’Alice Korvander.

Consultez ce topic pour une présentation détaillée de mes personnages.

Pour une demande de RP, je vous encourage, soit à poster sur le topic susmentionné, soit à envoyer un MP sur mon compte principal.

Yamagashi Hitomi

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Shii ne nous apprend pas grand-chose, enfin de mon côté ce qu'elle dit ne fait que confirmer mes doutes. Mais elle s'implique et c'est un bon point. Maintenant elle aussi devra tenir jusqu'au bout. Je ne me fais pas d'illusion : je ne tiendrais pas la rampe bien longtemps. Et à vrai dire je le regrette de moins en moins. D'ailleurs je me retiens de poser à nouveau la main sur Shii pour la soutenir pendant qu'elle "trahit" Clara. Et mes réserves portent toujours le même nom. Bien sûr, on peut refaire confiance à Hitomi. Pas parce qu'elle vient en toute bonne foi, mais parce qu'elle sait ce qu'elle risque en cas de pépin. Ça me tue de me l'avouer, mais au fil des minutes mes autres raisons deviennent de plus en plus insipides. Elles se dissolvent dans l'air de ce manoir.

Je m'écarte pour laisser à nouveau la place à Mélinda. Et je commence à me demander si je fais bien de rester. Je me suis quasiment guérie de l'homme de ma vie pour lui revenir. Mais elle, c'est en la retrouvant que je sens mes plaies se refermer. Et je me dis que tout ce que je pourrais faire, c'est alléger ma conscience et ramener mes rapports avec les filles à la neutralité. C'est plus fort que moi, tout s'enchaîne machinalement dans mon esprit. Les salades qu'elle sert ne passent pas, ni ses regards. Je reste dans mon coin, je la laisse faire. Même quand elle utilise Shii pour me planter dans le dos, en insistant bien lourdement sur le pardon que je n'ai pas demandé. Je ne suis pas en colère, seulement distante. Je n'étais pas comme ça, avant. Je crois que c'est d'écrire qui m'a permis de pouvoir faire ça.

Je lui ai promis de tout faire pour assumer mes conneries. Je lui ai promis de lui venir en aide de mon mieux, d'être là autant que je pourrais en cas de besoin. Et je tiens parole, en ce moment même. Mais elle, que fait-elle à par en profiter ? J'ai peur d'avoir compris trop tard comment ça marche : si on fait un pas vers elle, elle en déduit que tout lui est dû. Je commence aussi à me dire que sans Shii et Clara, je ne serais jamais revenue vers elle. Ce n'est pas vraiment elle qui compte, pour qui j'ai vraiment de l'affection : c'est pour ses protégées. C'est bien pour ça qu'appuyée contre le bureau, bras croisés, j'adresse un hochement de tête et un petit sourire à Shii.

" Je comprends. "

Une réponse aussi courte ne doit pas ressembler à l'image qu'elles ont de moi. Ni le calme que j'affiche face à ce qui vient de se passer. Je pourrais m'énerver, ou justement me retenir. Mais non. Ce calme, je le ressens vraiment. Dès le premier instant je ne me suis pas sentie à ma place dans ce manoir, je n'y suis pas plus aujourd'hui. Et pour autant que je sache Mélinda ne voit en moi qu'une façon de contourner ses problèmes, de laisser quelqu'un d'autre endosser la responsabilité. Quelqu'un qu'elle n'aura pas à écouter avant de lui faire de nouveaux reproches. En fait si quelque chose a jamais été possible entre nous, ce n'était pas ce que chacune croyait dans son coin.

" Je pense qu’il est temps de s’occuper de Clara. Si tu as encore des interrogations, Hitomi, c’est maintenant ou jamais. Tu m’as dit que tu voulais être en position d’attaquante contre Clara, alors que je t’avais offert une position d’arrière. Donc, si tu as des questions, c’est le dernier moment.
- Je ne vois pas bien ce qu'on peut ajouter. Voyons déjà comment elle va réagir à ma présence. "

Fini, je ne cherche plus à faire de plans. Je ne cherche même plus à savoir comment je vais la jouer. Je verrais bien, je réagirais. De toutes façons Clara ne sera pas toute seule à affronter son passé.

Mélinda Warren

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« Je ne vois pas bien ce qu'on peut ajouter. Voyons déjà comment elle va réagir à ma présence. »

Allons bon ! Mélinda ne dit rien, mais le ton de la senseï lui semblait... Résigné, comme défaitiste. Était-ce là toute la volonté dont elle pouvait faire preuve ? Elle était comme un deux face à un flush royal. Mélinda s’écarta, et Shii commença peu à peu à émerger.

« Que... Qu’est-ce que vous comptez faire, au juste ? »

Elle parlait sur un ton suspicieux, ce qui, il fallait bien le dire, fit sourire Mélinda. Plusieurs fois, elle s’était demandée comment Shii réagirait si elle la mettait à choisir entre elle et Clara. Il y a quelques mois, voire même quelques semaines, elle était convaincue que Shii aurait, à contrecœur, choisi pour Mélinda, mais, maintenant... Hitomi avait été une vraie tempête dans la vie tranquille de ce manoir. Elle avait fait bien plus que briser le cœur de la vampire, elle avait brisé son image de Maîtresse parfaite et infaillible aux yeux de ses protégées. Pendant une intolérable semaine, les rôles s’étaient presque inversées. Mélinda n’était plus la Maîtresse des lieux, celle qui rassurait ses filles, celle qui consolait Shii quand elle avait le malheur d’avoir une mauvaise note, celle qui affirmait à Clara qu’elle ne servait pas à rien, qu’elle avait un rôle à jouer, mais que ce rôle ne serait pas sur Terre, celle qui avait permis à Kaori de réaliser son fantasme en lui offrant un sexe masculin... Non, elle avait été l’assistée, celle qui avait transformé une innocente lycéenne en vampire après l’avoir violé dans sa cave, celle qui s’était, sexuellement parlant, défoulée sur Clara, au point de réveiller ses vieilles cicatrices, celle qui avait eu besoin du calme et du réconfort de ses protégées. Elle avait vu une Clara faire la vaisselle sans protester, une Liana ne pas exiger de quatrième câlin après le troisième, une Kaori qui la regardait avec de lourds reproches dans les yeux, mais sans jamais oser les formuler... Oui, Mélinda avait vu bien des choses, et ces choses l’avaient attristé.

Alors, pour en revenir au moment présent, Hitomi devait déjà s’estimer incroyablement chanceuse de n’avoir pas été tuée sur place dès que Mélinda l’avait revu, tout comme elle devait se sentir incroyablement miraculeuse d’avoir une chance de revenir dans la vie de Mélinda. Car c’était bien ce qu’Hitomi voulait, dans le fond. C’était bien pour ça qu’elle avait débarqué en furie au manoir, la semaine dernière, en balançant à Mélinda tout un tas de reproches.

*Mais, à chaque chose, malheur est bon... Mon errance a permis à Shii et à Clara de se rapprocher. Voilà pourquoi, maintenant, je sais que Shii choisira pour Clara.*

Mélinda regarda à nouveau Shii, et lâcha :

« Nous allons éliminer les démons obscurs du passé de Clara. De cette manière, elle ne pourra que se tourner vers son futur, et je lui dirais qu’elle ne sera pas un poids dans mes affaires. »

Tout serait progressif, bien entendu. Mélinda s’aventura hors de la chambre, et se mit à réfléchir sur la meilleure manière d’aborder la situation. Indéniablement, dès que Clara verrait Hitomi, il fallait s’attendre à ce que des éclairs sifflent. Fermant les yeux, Mélinda essaya donc d’imaginer la scène, de la visualiser. Où accueillir Clara ?D ans le living room, les fesses posées sur de confortables fauteuils rembourrés en mangeant des madeleines ? Hey, Clara ! On t’a réservé une place au chaud, tu viens ? Il faut qu’on discute de deux, trois trucs ensemble, rien de bien méchant... Vas-y, goûte les petits pains, ils viennent juste de sortir du four, ils sont, mais, DÉ-LI-CIIIIEEUUUUX ! En insistant sur la dernière syllabe, à la Française !

Non... Dans le grand salon ? Mélinda fit la moue, et imagina des situations assez cocasses, ce qui la fit même glousser. Elle s’étonna de pouvoir rire alors qu’elle allait probablement affronter un cyclone sur pattes. Hitomi, de son côté, allait probablement réaliser, à moins qu’elle ne le sache jamais, à quel point le contrôle de Mélinda sur les choses était factice, et à quel point la réalité était éloignée de ses propos. Alors que la vampire réfléchissait, ses fines oreilles entendirent une porte claquer, et la voix forte de Clara résonna dans le salon se trouvant juste en-dessous, les ondes sonores filant par les portes ouvertes le long de l’escalier pour atteindre la chambre de Shii, qui avait été volontairement placée à proximité de l’entrée :

« Raah, putain, j’ai les jambes sciées en deux comme une saloperie de cul-de-jatte, et la gorge aussi sèche que le cul d’une nonne ! Saloperie de bordel ! »

Un léger sourire amusé traversa les délicates lèvres de Mélinda, qui tourna sa tête vers Hitomi, avant de lui tendre, et de lui mettre dans les mains la copie du jugement de divorce.

« Je crois que le monstre vient de rentrer. Ce papier te permettra peut-être de l’amadouer. Allons-y. »

Clara, effectivement, venait de rentrer. Elle avait très bien mangé. Les pizzas, elle aimait bien, mais un MacDo entre copines, c’était autre chose. Les Européens snobinards et les vieux cons avaient beau gueuler sur les Américains, Clara, elle, adorait la culture américaine. Hollywood, les magazines people, la téléréalité où on se foutait de la gueule de Steven expliquant à Clint ses problèmes sentimentaux avec Amy sous la douche, et... Et la bouffe, surtout ! Y avait pas à tortiller du cul pour chier droit, comme elle le disait souvent, mais, pour elle, le McDo’, c’était le restaurant quatre étoiles par excellence ! Le Big Mac était la preuve que Dieu existait, et, à chaque fois que Clara en prenait un, c’était pour elle une nouvelle explosion de sensations et de plaisir à la chaque fois. Le Big Mac était petit, rond, et tout dedans était bon, même la salade. La croûte était molle, ni trop chaude, ni trop froide, le morceau de viande était succulent, et cette sauce... Elle en avait recommandé un autre, tant elle aimait ça.

De plus, rien ne valait un McDo’ entre copines. Clara avait retiré son sailor fuku dès qu’elle était sortie de la dernière heure de cours, se changeant dans les toilettes. Taoki, l’une des poulettes du lycée, avait été offusquée de la voir sortir des chiottes avec des bottes noires en cuir, une minijupe noire, des collants, un débardeur, et des lunettes de soleil. Elle avait eu droit à un doigt bien senti, et Clara était partie rejoindre ses copines. Elles avaient parlé de tout et de n’importe quoi : qui était le plus craquant entre Edward Norton et Christian Bale, rigoler en se rappelant quand elles avaient enfermé Uzawa dans son cahier, ou quand elles avaient balancé les affaires de Tenshî dans la poubelle, en invitant ce dernier à le récupérer, et quand cet abruti d’incapable impuissant avait confondu sa trousse avec une peau de banane, savoir si Marie avait enfin réussi à vaincre Jack Lupino dans Max Payne, et, surtout, savoir enfin si Lana était en cloque de Matthieu, ou de Toni.

Bref, un repas entre filles ! Clara en était ressortie en mettant des écouteurs sur ses oreilles, afin d’écouter un album que l’une de ses copines venait lui passer. C’était Psyborg Corp, et ça déménageait bien. Elle allait enchaîner My Mechatronics après s’être tapée un grand classique, Through The Fire And Flames, quand elle était revenue au manoir. Une sucette dans la bouche, elle avait tendu la main vers Edgar en éteignant son walkman.

« Yo, Ed’ la Canaille ! »

Ce dernier avait grommelé quelque chose dans sa barbe en ouvrant la grille, et en se replongeant dans la lecture de son journal. Clara avait souri. Ed’ était foutrement drôle, ouais, mais il était aussi foutrement con. Elle avait remis sa musique, tout en se demandant comment Liana réagirait si elle le lui mettait dans les oreilles.  Elle se rappelait encore de la scène, car elle en avait ri à s’en rouler par terre, et à avoir mal aux côtes. Elle en avait même pleuré ça de rire, car ça faisait longtemps, vachement longtemps même, qu’elle s’était pas bidonnée comme ça. Liana était impayable, tout simplement !

Elle dormait paisiblement, roulée en boule sur une chaise rouge. De ce sommeil paisible, avec ses petites lèvres qui s’ouvraient et se refermaient délicatement, avec sa poitrine qui s’abaissait et se soulevait. De ce sommeil qui donnait envie à toutes les greluches de la câliner, ou de la prendre en photo, tant elle semblait calme et heureuse. Et Clara, elle était en train de faire un véritable massacre sur un Call of Duty, dans ce niveau où y fallait justement buter des péquenauds dans un aéroport russe. L’un de ses préférés. Elle adorait se défouler sur ces pauvres types, et les massacrer jusqu’au dernier. Shii l’avait traité de « psychopathe compulsive » en la voyant traquer impitoyablement avec son viseur chaque dos en ouvrant le feu. Et elle était sur ce niveau quand elle avait remarqué la présence de Liana. Dans ses oreilles, AC/DC s’emportait, et on peut pas franchement dire, à notre époque, qu’AC/DC, ce soit très violent... Clara l’avait regardé à plusieurs reprises, et avait mis le niveau sur pause, avant de se relever. Quand Liana dormait, il fallait un tremblement de terre, ou l’odeur d’une viande en train de griller, pour la réveiller. Clara s’était donc rapprochée, et avait mis la musique sur pause, pile au moment où le chanteur s’emballait en hurlant son mythique « HIIIIIIIGHWAYYY TO HEEELL !!! ». Délicatement, elle avait posé le casque sur les oreilles poilues de la neko, et... !!

Même maintenant, elle en riait encore. Liana avait fait un tel bond qu’elle avait atterri sur le lustre, avant de retomber, et de se mettre à miauler comme une folle en bondissant sur la table. Le seul regret de Clara, c’est qu’elle ne l’avait pas filmé à cette époque... Une telle vidéo aurait fait le tour du Net. Au moins 100 millions de vues sur YouTube ! Rien à voir avec le macaque qui se met les doigts dans le cul ou le gros pâté qui chantait Numa Numa. Ça, c’était le buzz mondial ! Elle avait bondi comme une espèce de kangourou, avant de réussir par réflexe à enlever le casque, et à filer à toute allure.

*Je crois bien que je l’avais jamais vu courir aussi vite... La pauvre, elle a mis des heures à s’en remettre, et avait les poils tout tendus...*

Fort heureusement, Liana n’était pas rancunière. Mais, maintenant, elle essayait toujours d’être plus méfiante quand elle dormait, mais, pour une neko, dormir, c’était sacré... Clara se demanda vaguement ce que Liana penserait si elle lui balançait du Psyborg Corp dans les oreilles... Elle ouvrit l’une des multiples portes d’entrée, et la referma sèchement, avant de s’étirer d’un coup, sentant ses jambes et ses bras délicieusement craquer, et lâcha, sur un ton enjoué, comme pour signaler sa présence :

« Raah, putain, j’ai les jambes sciées en deux comme une saloperie de cul-de-jatte, et la gorge aussi sèche que le cul d’une nonne ! Saloperie de bordel ! »

Ça sortait tout seul, et c’était gratuit, on aurait tort de se priver. Attention, Mesdames et Messieurs, Clara était dans la place ! On rigole moins, hein ? L’héroïne venait de débarquer ! Et l’héroïne avait une soif infernale ! Rejoindre le manoir sous cette chaleur tropicale, ça vous sciait le cul comme si on lui enfonçait un rondin. Elle claqua des lèvres, et se dirigea vers le premier frigo à proximité. Depuis que le manoir avait été vidé de la moindre petite goutte d’alcool, à cause de l’autre pétasse, Clara était bien obligée de faire avec les moyens du bord : le Coca, et le jus d’orange. Elle ouvrit le frigo, sortit un Minute Maid, décapsula la cannette, et referma le frigo’ d’un coup de pied, avant de boire. C’était bon, et ça faisait du bien.

Ce fut à ce moment qu’elle entendit les marches de l’escalier craquer. Elles étaient plusieurs, et elle vit Mélinda entrer la première, avec une petite mine soucieuse sur le visage. Qu’est-ce qui la tracassait encore ? Akira qui boudait encore ? Clara remarqua alors que Mélinda portait un dossier bleu, et que plusieurs feuilles en ressortaient. C’est cela qui lui met les sens en alerte. Elle reconnaissait ce dossier. Mélinda en avait un sur chaque pensionnaire, dans son bureau, mais elle ne les sortait jamais.

« Un problème ? » demanda-t-elle.

Mélinda ne répondit pas sur le coup, s’humectant les lèvres, ce qui voulait dire que, oui, il y avait un problème, et que ça la concernait. Elle tenta de parler, mais Clara fut plus rapide. Elle se rapprocha de l’escalier, vit Shii qui se tenait timidement sur le pas de la porte, ainsi qu’une paire de longues jambes. Le temps sembla lentement se figer. Psyborg Corp disparut loin, Liana fut évanouie, et, au fur et à mesure que les yeux de Clara remontèrent, elle sentit une froide rage l’envahir. Elle ne sentit même pas la main maladroite de Mélinda tenter de la rattraper, et poussa Shii. La lycéenne avait remué les lèvres, mais Clara n’entendait rien, et ne voyait rien d’autre que la salope qui se tenait face à elle.

La saloperie de pétasse qui l’avait menacé d’appeler les flics. La foutue senseï de merde qui avait pas été fichue de se contenter d’avoir pourri la vie d’un pauvre con, et qui se permettait de se pointer. Shii tenta d’insister, et Clara fut un peu plus violente. Elle poussa tellement Shii que la pauvre heurta lourdement le mur, faisant tomber un tableau qui lui heurta le crâne. Mais, de cela, Clara n’avait cure. Ses yeux ne voyaient qu’une seule chose : la salope. La salope qui tenait dans les mains un délicat papier blanc qui avait tout d’un courrier officiel. Et Clara n’avait aucun doute sur le contenu de ce papier, et comprenait très bien.

*C’était plus fort que toi, hein, foutue pétasse ? Le bonheur des autres, ça te fait vomir parce que t’as foiré ta vie ! Tu les as appelés, hein ? Les flics n’ont du avoir aucun mal à faire le rapprochement, à trouver une photo dans ce lycée à la con, et la montrer à mes parents. Je suis sûre que le trou-du-cul était ravi d’entendre ma mère pleurer au téléphone en se disant que sa petite fille chérie était retrouvée, et je suis sûre que mon père se disait qu’il était temps de remettre sa petite fille chérie dans le droit chemin. Elle était un peu turbulente, après tout, mais n’avait besoin que d’une petite pousse pour se remettre dans le droit chemin... Comment tu as pu me faire ça, sale pute ?!*

Ses poings serrés témoignaient de sa rage, et elle poussa Hitomi. Ou, plutôt, tenta de la poussa, car, si elle amorça le geste de lever une main pour la pousser, elle sentit un étau de fer emprisonner son poignet. Mélinda. Et la main de la vampire n’était plus du tout maladroite. Elle était ferme, assurée, solide, vampirique. Impossible de se défaire d’une telle emprise, mais ce n’était pas encore assez. Clara gémit, et se retourna pour faire face à Mélinda.

« Elle... ! » tenta de dire Clara.

Ce fut tout ce qu’elle parvint à dire avant que la main de Mélinda ne s’abatte magistralement sur sa joue.

*PAF !*

Une bonne grosse claque comme on en faisait plus ! Clara vit trente-six chandelles, et tomba par terre, sa tête heurtant le mur. Elle s’attendait à recevoir une correction en règle, mais Mélinda n’était déjà plus sur elle. Penchée sur Shii, elle la prenait entre ses bras. Clara secoua la tête. La claque était douloureuse, oui, mais avait fait l’effet d’une espèce d’électrochoc. C’est que Mélinda avait une sacrée poigne. Clara vit alors que le crâne de Shii saignait, et que cette dernière pleurait. Et ça, ce n’était pas du fait de Mélinda, mais d’elle... Clara faisait fréquemment de la musculation et des exercices physiques... Elle avait poussé Shii sans s’en rendre compte, et la tête de cette dernière avait violemment heurté le mur, faisant tomber un tableau qui avait heurté son crâne.

« Là, là, Shii, ce n’est rien... »

Clara était à terre. Revenue à elle, elle hésitait entre se fustiger elle-même pour ce qu’elle venait de faire ou la colère... Et ce fut la colère qui l’emporta. Elle tourna la tête vers Hitomi, qui tenait toujours entre ses doigts le papier blanc.

« Qu’est-ce qu’elle fout là ?! »

Mélinda ne répondit pas, se contentant de rassurer Shii, de lui dire que les blessures sur la tête saignaient beaucoup, mais que ce n’était que superficiel, tout en lui faisant un câlin et en l’embrassant sur la tête.

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Yamagashi Hitomi

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Finalement ce n'est pas plus mal de ne pas avoir de plan. Il n'y a que dans ce genre de situations que les choses se sont bien passées. Il y a eu des galères, mais au final tout le monde s'en est plutôt bien tiré. Quand on y repense, depuis la première fois avec Mélinda je me suis laissée porter et tout allait bien. Il n'y a que quand j'ai dû réfléchir que les choses sont parties en vrille. Même chose avec Kyle, d'ailleurs, ou Gabriel.

" Lâche-la, Mélinda ! Je suis assez grande pour me défendre ! "

Il y a une chose qu'il faudra que je lui raconte sur l'homme de ma vie, ou plutôt trois : trois méchants de chez Méchant & Co. que j'ai repoussés toute seule comme une grande... Bon, après j'étais bonne pour de très longues heures de souffrance, mais je ne me suis pas non plus laissée faire. J'ai été coloc' avec une championne d'arts martiaux, maintenant je le suis avec un flic ancien chef de gang. Alors Clara peut bien me ressortir son couteau, elle ne sera pas déçue du voyage. Je suis une prof, pas une bonne sœur.

Une claque. Ça ne me plaît pas mais je dois reconnaître que ce n'est pas volé. La vampirique maîtresse ayant remis les pendules à l'heure à sa façon, et devant s'occuper de Shii, tout se joue entre Clara et moi. Je lève la lettre repliée, coincée entre deux doigts.

" Courrier du cœur. Si tu le lis pas je te raconte. "

Je tends la lettre. Clara hésite, consulte Mélinda du regard. Finalement elle prend le papier et le déplie. Je la laisse entamer la lecture, mais pas plus. Quand la colère sur ses traits commence à se troubler, j'attaque. Je reste distante et froide.

" C'est un homme, Clara. Rien qu'un homme. Il est loin, et maintenant il est seul. Ne le laisse plus te pourrir la vie ! Il ne peut plus te faire de mal, et s'il vient jusqu'ici pour essayer il le regrettera. "

D'une manière ou d'une autre, ça c'est une certitude. Si Clara n'a pas la force de le repousser ce sera Mélinda. Si pour une raison ou une autre Mélinda ne peut pas... Disons que de mon côté j'aurais des solutions.

" Ta mère veut te revoir. Quoi que tu penses d'elle : profites-en pour aller le lui dire en face. Et règle ça une fois pour toute. Sinon tu finiras comme ton vieux : seule et loin de tout le monde. "

Qu'ils soient terrifiants comme ceux de Mélinda et Clara, froids comme celui de Shii, ou tendres comme le mien : les pères sont des géants aux yeux de leurs enfants. Mais un jour ils doivent tomber. Mélinda est devenue plus grande que le sien pour l'abattre, Shii a tiré un trait sur le sien : elles sont débarrassée, ou au moins sorties de l'ombre. Mon père m'a aidée à devenir aussi grande que lui. Bien qu'il soit Japonais, si je devais imager notre relation, je prendrais deux bon vieux pochetrons irlandais rêveur pétés comme des coins qui rentrent à pas d'heure en titubant chacun un bras sur les épaules de l'autre pour essayer de se tenir droits. Deux accidentés de la vie qui se servent mutuellement de béquille.

Mais pour avoir droit à une béquille il faut d'abord admettre qu'on boîte. Je n'ai même pas à penser tout ça, je le sais. Donc je n'ai qu'une respiration à prendre avant d'enchaîner.

" Fuir ne te rend pas plus forte. Tu n'échapperas pas toute seule à ce qu'il t'as fait. "

Mon regard dérive un instant vers celui de Mélinda. J'espère qu'elle a fait le plein de patience, parce qu'à moins que Clara ne me retienne la séance sera ajournée pour moi. Il faudra laisser un peu de temps à l'idée pour faire son chemin.

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La pauvre Shii avait l’air sonnée, et Mélinda la tenait entre ses bras. Elle allait devoir la conduire à la salle de bains la plus proche pour lui nettoyer la tête. Le tableau qui lui était tombé dessus était plutôt lourd, mais laisser Clara et Hitomi seules ne l’encourageait qu’à moitié. Il s’était clairement passé quelque chose entre elles, et, si Mélinda avait su de quoi il retournait, si elle avait su qu’Hitomi avait vu les blessures de Clara, l’avait plaqué contre le mur en la menaçant d’aller voir la police, alors il est probable qu’elle ne l’aurait jamais appelé à l’aide. Seulement, elle l’ignorait, et il était de toute façon trop tard pour faire machine arrière. Elle présumait toutefois, vu comment Clara avait réagi, qu’Hitomi avait vraiment du faire quelque chose qui avait été grave pour Clara. La senseï sentit le vent menacer, et Mélinda la vit tendre à Clara le bout de papier. Cette dernière le prit en grognant, posa ses yeux dessus rapidement... Et sursauta légèrement, avant d’écarquiller les yeux. Ce fut à ce moment-là qu’Hitomi choisit de parler à nouveau :

« C'est un homme, Clara. Rien qu'un homme. Il est loin, et maintenant il est seul. Ne le laisse plus te pourrir la vie ! Il ne peut plus te faire de mal, et s'il vient jusqu'ici pour essayer il le regrettera. »

Si seulement Hitomi avait voulu que Mélinda lui explique ce qui se passait... La senseï n’en faisait qu’à sa tête. Fichue tête de mule irlandaise... Hitoshi pouvait encore faire du mal à Clara. La force physique n’était pas sa seule arme, et Clara le savait. Elle ne dit cependant rien, trop occupée à lire, à froncer les sourcils, n’en croyant toujours pas ses yeux. Elle vit également la date où le jugement avait été rendu, et écoutait d’une oreille distraite Hitomi parler et tenter d’apaiser la situation :

« Ta mère veut te revoir. Quoi que tu penses d'elle : profites-en pour aller le lui dire en face. Et règle ça une fois pour toute. Sinon tu finiras comme ton vieux : seule et loin de tout le monde. »

Mélinda ne disait rien, et avait entrepris de se redresser, continuant à tenir Shii, lui parlant à voix basse, lui demandant si elle allait bien. Shii haussait les épaules en faisant la moue, ce qui voulait tout dire et rien dire à la fois. La senseï avait balancé la sauce, ayant été très directe. Aller voir la mère de Clara. La perspective fit frémir Clara.

« Fuir ne te rend pas plus forte. Tu n'échapperas pas toute seule à ce qu'il t'as fait. »

Clara plia soigneusement le bout de papier, et leva la tête vers Hitomi, agressive, avant de répliquer :

« Ma mère a quitté ce vieux con ? Ça me fait une belle jambe, tiens ! T’as décidé de ranger la casquette de la prof’, maintenant ? Fourre-toi tes conseils de psy’ à deux balles bien profonds dans le fion, tu sais rien de ce que j’ai vécu, de ce que j’ai traversé, et de ce que j’ai enduré ! »

Et elle continua, hurlant presque :

« Si je m’étais pas cassée, je serais morte à l’heure qu’il est ! J’en ai rien à foutre, de ma mère, et j’en ai rien à foutre de toi non plus ! Va te faire foutre, Hitomi ! »

Clara fut à nouveau tentée de l’invectiver, et ce fut à ce moment que Mélinda choisit d’intervenir, histoire de calmer le jeu. Elle parla d’une voix douce et calme, mais non moins ferme et autoritaire, avec un regard fixe et imperturbable :

« Tu ne peux pas reprocher à Hitomi de ne rien savoir de toi, Clara. Tu es incapable de parler de ton passé sans perdre le contrôle. De plus, ce n’est pas parce que tu as fui que tu as réussi à échapper au souvenir de ton père. Tu n’as pas réussi à y échapper, d’ailleurs, mais c’est avant tout grâce à moi que tu es sortie du caniveau où tu étais en train de crever la gueule ouverte. Garde-toi de ne pas oublier de ce petit détail. »

Clara soupira, fulmina, serrant les poings. Insulter Mélinda était impossible, car elle avait raison. Clara avait envers elle une dette de vie, et rien n’était plus sacré qu’une dette de vie. Oui, c’était Mélinda qui l’avait sauvé, Mélinda qui l’avait aidé, qui avait réussi à la soigner de sa dépendance à la drogue, à renvoyer au placard son existence de toxico’ clocharde fuyant comme la peste la police, et obligée de se nourrir dans les poubelles des restaurants. Elle avait bel et bien failli en crever. Mélinda enchaîna alors sur un sujet connexe, mais qui permettrait de détendre Clara :

« Kaileesha n’acceptera jamais d’éduquer une humaine qui a encore peur de son père. »

Cette phrase fit mouche. Clara sursauta et tourna la tête, une lueur d’espoir dans les yeux.

« K-K-Kaileesha veut... Elle veut bien de moi ?! »

La question était posée sur un ton plein d’espoir, et Mélinda esquissa un léger sourire amusé, avant de préciser ce qu’elle savait maintenant depuis plusieurs semaines, mais qu’elle n’avait pas encore dit à la lycéenne, attendant pour cela le moment opportun... Et ce moment semblait justement être venu :

« Évidemment, nunuche. Kaileesha t’adore, mais elle connaît aussi tes problèmes. Elle m’a laissé jusqu’aux vacances d’été pour que tu te débarrasses de ces... Soucis. Passé ce délai, tu pourras faire ce dont nous avons convenu, si j’estime que tu es prête.
 -  Mais je le suis !
 -  Oh, je vois à quel point tu sais contrôler ta rage. Shii pourrait en témoigner, tu ne crois pas ? »

A cette phrase, Clara baissa lentement les yeux, déçue et triste, mais elle n’avait, sur le coup, rien à répliquer. Un léger silence s’instaura, avant que Mélinda ne le rompe en parlant à nouveau :

« Je vais aller soigner la petite entaille de Shii à la salle de bains. Si vous vous étripez toutes les deux... Je vous attache mutuellement par le cou et je vous fouette, tenez-le vous pour dits. »

Elle avait lâché ça avec un léger sourire, et s’écarta, tenant Shii par la main. Cette dernière eut juste le temps de tourner la tête vers Clara, mais pas celui de dire quoi que ce soit. Restée avec Hitomi, Clara baissa la tête pendant plusieurs secondes, considérant à nouveau le jugement de divorce, puis regarda Hitomi, le papier, et lâcha :

« C’est Mélinda qui vous a refilé le bébé, hein ? C’est tout à fait son style... Bon, on va pas rester plantées comme deux connes dans une cage d’escalier. »

Clara sortit de la cage, retournant dans le salon, et s’approcha d’un frigo dans un coin, près d’un bar.

« Je vous aurais bien proposé du whisky, mais Mélinda a décrété la Grande Prohibition dans son manoir, alors, il faut faire avec les moyens du bord. »

Elle sortit un jus d’orange, deux verres, restant près du bar, puis regarda à nouveau Hitomi.

« Qu’est-ce que vous me voulez exactement ? Qu’est-ce que vous nous voulez ? Y a quelques jours, j’aurais dit que vous aviez juste envie de baiser, mais, vu votre réputation, trouver un bon coup, ça doit pas vraiment vous poser problème... Pourquoi il faut que vous reveniez vers nous, alors que vous nous avez sorti de votre vie ? »

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Je me retrouve bien piégée, au final. Je suis complètement dans le gaz avec Clara, je ne connais que des bribes de son passé ou de son futur prévu. Apparemment elle tient à ce qu'elle fera avec Kaileesha, mais de quoi s'agit-il ? Pas seulement de l'aider à se détendre le soir, j'ai déjà vu qu'elle excellait dans ce domaine. En tous cas Mélinda a sauté sur l'occasion de me laisser seule avec elle. Après sa façon de s'accrocher et de dicter le comment sans me donner le pourquoi, c'est... C'est tout à fait son genre, en fait. Et Clara ne se gêne pas pour en remettre couche sur couche, même si ça pourrait être bien pire. Refiler le bébé, je sens qu'elle va me travailler un moment, celle-là. Et que mélinda interdise l'alcool : ça m'inquiète. À moins que toutes les filles aient choisi de prendre la cuite de leur vie en même temps et retapissé tout le manoir de vomi, je vois mal qui à part elle-même a pu motiver cette mesure.

Au moment de régler les comptes, ça risque de pas être plus brillant que la rupture.

Mais pour l'instant : Clara. Qui me sert un jus d'orange. Je commence à me demander laquelle des deux est le bébé dans l'histoire. Mélinda a peut-être raison, elle devrait nous enchaîner l'une à l'autre. Si aucune de nous ne tue l'autre pour lui couper avec les dents les morceaux pris dans les chaînes, ça sera plus facile au bout de quelques jours.

" Qu’est-ce que vous me voulez exactement ? Qu’est-ce que vous nous voulez ? Y a quelques jours, j’aurais dit que vous aviez juste envie de baiser, mais, vu votre réputation, trouver un bon coup, ça doit pas vraiment vous poser problème... Pourquoi il faut que vous reveniez vers nous, alors que vous nous avez sorti de votre vie ? "

Vaste question, qui appelle sans doute une vraie réponse. Mais finalement je crois que je n'ai pas ça en magasin. Je fixe le verre de de jus de fruit. Je crois qu'un peu de whisky dans plusieurs verres comme celui-là aurait pu aider aussi. En tous cas, je crois que ça m'aiderait. Tant qu'à faire autant dire ce qui me passe par la tête, pour débarrasser.

" Je sais pas. "

Je ne prends pas le verre, même pas par politesse. Je jette un œil alentours, et je me demande si c'est vraiment moi qui ait fait tous ces ravages. Le manoir est le même qu'avant, à peu de choses près. Mais je supporterais pas de vivre dans une ambiance pareille. Ça ne tient pas qu'à l'atmosphère tendue dont tout le monde, moi comprise, me tient pour responsable. Ces pièce immenses, rangées nickel-chrome, ce n'est vraiment pas fait pour moi.

" Je sais que j'aurais pas dû essayer de vous sortir de ma vie. Ou j'aurais dû m'y prendre autrement. Mais bon, ça :  tu t'en fous et c'est pas tes oignons. "

Ça va, je vais déjà devoir en parler avec Mélinda à un moment ou un autre. Et même si ça se passe moins mal que je ne le crains, ça aura quand même du mal à passer. J'en reviens à la lycéenne en m'accoudant au bar.

" Et puis, sorties de ma vie : t'es quand même gonflée. Parce que de toutes c'est toi qui a gratté le plus de place dans ma vie, avec tes plans pour me la pourrir. D'ailleurs je te remercie, ça m'a montré qu'au moins une d'entre vous m'en voulait. Parce que c'est surtout pour toi que je suis revenue. Je sais que tu m'a jamais portée dans ton cœur mais moi je t'aime bien. "

Je soupire. Finalement, à force de prendre de la distance je me sens fatiguée. Les choses étant ce qu'elle sont je vais encore me retrouver à causer à mes pompes pendant une paire d'heures, et on va me foutre à la porte.

" Ce que je te veux... Je te veux que du bien. Alors si je peux au moins t'aider à empêcher les souvenirs de ton père de te tuer à petits feu... "

Si... Je commence à en avoir marre des conditionnels. J'ai déjà assez d'heures de vol, je devrais déjà savoir on va. D'ailleurs je le sais, donc je me redresse.

" De toutes façons qu'est-ce que tu risques à me raconter ça ? On a jamais été foutues de se comprendre alors au pire ce sera un coup d'épée dans l'eau. "

Et quelques déchets de plus dans le sac poubelle sentimentale que je suis pour mon entourage. j'espère que ça sentira pas trop quand je te retrouverais, Kyle...


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« Shii, je ne suis pas dupe, tu sais... »

L’intéressée tourna la tête vers sa Maîtresse. Elles se tenaient dans une petite salle de bains, et elle demanda, d’une voix faussement plaintive et innocente :

« Mais de quoi parlez-vous, Maîtresse ? »

Mélinda fit la moue, avec un léger sourire, tout en passant un glaçon, de l’eau fraîche, et un chiffon sur la plaie de Shii.

« Ta plaie est très superficielle. Tu voulais que je les laisse seules, pas vrai ? »

Shii ne répondit pas, se contentant de serrer les lèvres. C’était un silence suffisamment éloquent, mais Mélinda ne pouvait pas lui en vouloir. C’était risqué, mais bien pensé. Clara et Hitomi avaient visiblement besoin de se parler. Mélinda ne comprenait pas trop ce qui unissait les deux filles, mais il y avait indéniablement quelque chose. Quand Hitomi les avait larguées, Clara s’était sentie... Trahise. Ça avait aussi été le cas pour d’autres filles du manoir, mais, visiblement, Clara avait été la plus marquée.

*Peut-être que je m’en fais trop... Mais je connais quand même Clara.*

Et elle la connaissait suffisamment pour savoir que cette dernière ne se confierait pas facilement. Clara, justement, écoutait Hitomi parler. Assise sur le rebord de la table, elle l’observait, essayant d’être aussi inexpressive que possible... Mais ce n’était pas facile. Elle n’avait pas les talents de Kaileesha et de Mélinda dans ce domaine. Ses doigts tremblaient nerveusement, sa respiration était lourde, et elle avait la désagréable impression qu’on pouvait lire en elle comme dans un foutu livre ouvert. Cette idée l’énervait. Hitomi pataugeait, lui avouant ne pas savoir ce qu’elle faisait, avant d’essayer de parler, de se justifier.

« Ce que je te veux... Je te veux que du bien. Alors si je peux au moins t'aider à empêcher les souvenirs de ton père de te tuer à petits feu... »

Clara faillit avaler de travers, et se cacha derrière ses paupières fermées et le jus d’orange. Son père... Le simple fait d’en parler rappelait en elle les souvenirs qu’elle avait refoulé. Quand il lui avait parlé dans l’étage, la prenant entre quatre yeux. Il faut qu’on discute d’un problème, Clara... Un problème entre quat’zyeux... Elle n’oublierait jamais ça, et se trouvait encore plus conne à l’idée d’y repenser, et d’être incapable de lutter. Hitomi aussi la voulait, sa conversation entre quat’zyeux, ce qui l’amena à préciser :

« De toutes façons qu'est-ce que tu risques à me raconter ça ? On a jamais été foutues de se comprendre alors au pire ce sera un coup d'épée dans l'eau. »

Clara reposa son verre vide, un peu trop brutalement. Elle avait les joues rouges, et regarda Hitomi, sur la défensive. Allez, Clara. Juste entre toi et moi, Hitomi. Une petite discussion tout ce qu’il y a de plus d’intime. Confiez-vous à moi, votre secret sera bien gardé, parole d’honneur ! Mais ce ne fut pas ainsi que Clara raisonnait.

« Mélinda et ses plans foireux... » nota-t-elle pensivement.

Bizarrement, elle n’avait pas envie de s’énerver contre Hitomi. Elle était pire qu’un furoncle dans le cul. Si elle s’énervait, Hitomi y verrait plus une incitation à rester et à insister qu’autre chose.

« Je m’excuse pour tout ce que je vous ai fait... Mais n’allez pas croire que, parce que Mélinda a je sais pas quel plan tordu en tête, vous aurez droit à ma confession. J’ai des problèmes avec mon père, ouais. Mais, à ce que je sache, vous êtes pas une psy’, ou une foutue bonne femme d’assistance sociale. Rien d’autre qu’une prof’ ! Je vois pas en quoi vous pourrez m’aider, et en quoi ma pétasse de ma mère pourra faire mieux que brasser de l’air. »

Ce fut à ce moment que Clara entendit des bruits de pas. Elle tourna la tête, et aperçut Mélinda, qui s’avançait lentement vers elles. Avec un sourire narquois sur les lèvres, elle essaya de détendre l’atmosphère :

« Heureuse de voir que vous n’avez pas déjà commencé à vous étriper !
 -  J’ai pas besoin d’elle ! s’emporta Clara en la désignant du doigt.
 -  Ça, ma chère, c’est à moi d’en juger. »

Un court silence s’instaura entre les deux. Clara les fusillait du regard, comprenant qu’elles étaient de connivence. Elle se sentait acculée, et Mélinda crut bon d’ajouter :

« Quand je t’ai séquestré dans le manoir, Clara, quand je t’ai soigné du mieux que j’ai pu pour que ta carcasse cadavérique ressemble à un corps de femme, et pour que tes problèmes de drogue s’en aillent, tu ne cessais de dire que tu n’avais pas besoin de moi, que tu étais... Hum... ‘‘Suffisamment grande pour me démerder toute seule’’.
 -  Je... tenta de dire Clara pour sa défense, mais Mélinda ne comptait pas la laisser s’en tirer à si bon compte.
 -  J’ai choisi d’appeler Hitomi, oui. Quant à savoir si c’est une erreur ou une opportunité, ça, je me réserve encore le droit d’en décider. »

Clara fit la moue, hésita, puis lâcha :

« Pourquoi l’avoir rappelé ?! »

Ce fut au tour de Mélinda de soupirer. Elle regarda brièvement l’intéressée, serra les lèvres dans un léger pincement, puis finit par répondre :

« Parce que je crois qu’Hitomi ne sait pas comment aimer, tout simplement. »

Une telle réponse devait sans doute appeler à des développements, mais Mélinda n’avait pas le temps de s’y occuper. Ce qu’elle voulait dire lui semblait simple à comprendre. Clara fit la moue, guère convaincue.

« Je pense qu’on peut lui faire confiance. Mais je sais combien ton passé est douloureux pour toi, ce que je comprends. J’ai eu un passé difficile, moi aussi, comme tu le sais. Et, si je peux maintenant en parler avec aisance, c’est parce que j’ai brisé celui qui m’a fait du mal. Quand j’ai épuisé ma haine et toute ma souffrance, il ne me restait rien d’autre qu’à aller de l’avant. Mais ce n’est pas vraiment le parcours facile. Et, tu auras beau prétendre le contraire, ma petite Clara, je sais pertinemment que ton passé continue à te torturer. »

Clara ne disait rien, toute rouge. Elle avait les yeux baissés, les poings serrés, et la vampire enchaîna :

« Elle peut nous aider. Crois bien que, si, j’avais pu le faire toute seule, je ne l’aurais pas forcé à devoir nous revoir, mais... »

C’en fut trop pour Clara. Elle releva la tête, et hurla presque :

« MAIS QU’EST-CE QUE TU VEUX QU’ELLE FASSE ?! Je n’ai PAS besoin de ma mère ! »

Mélinda ne se laissa pas démonter par cet accès de rage. C’était le signe qu’elle avait touché le point sensible, et, même si elle était triste de mettre Clara dans cet état, elle devait continuer à poursuivre. C’était un rôle qu’Hitomi ne pouvait pas remplir. Ne pouvait plus remplir, plutôt.

« Oh si, tu en as besoin. Je le répète tellement que tu devrais le savoir, non ? Un futur ne se construit que quand le passé est propre. Nous, les Ashnardiens, résonnons ainsi. Le tien ne l’est pas, et il ne continuera pas à l’être, tant que tu continueras à le regarder comme une petite fille. C’est ça, Clara, le coût de la maturité. »

Clara trembla, et ne dit rien. Mélinda s’écarta alors d’elle, et regarda pour de bon Hitomi, qui devait un peu se sentir seule :

« Je vais lui dire ce que je sais, Clara. Et je veux que tu y assistes. Car, aussi talentueuse que je sois, j’ai moi aussi mes limites. Et j’ai... Non... Nous avons besoin d’elle. »

Clara ne dit rien, ou presque. Elle hocha la tête, et Mélinda prit ça pour une confirmation. Soufflant légèrement, Mélinda, assise sur le rebord de la table, regarda alors Hitomi.

« Je te préviens, ça risque d’être long. Et je sais que tu aurais préféré que ça sorte de la bouche de Clara, mais je crois que tu vas devoir supporter ma voix pour l’heure à venir. Prépare-toi, car, une fois que j’aurais commencé, je ne m’arrêterai pas avant d’avoir fini. C’est une histoire bien trop longue pour que je me permette de faire des pauses. »

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Yamagashi Hitomi

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Ça démarre pas fort, mais au moins ça démarre. Et comme c'est déjà trop beau que Clara me réponde sans casser son verre contre la table pour m'égorger avec, Mélinda revient. Puisqu'on ne peut pas y couper il va falloir faire avec. Mais si ça foire ce ne sera pas faute de l'avoir prévenue, alors je lui laisse la main et m'appuie contre la table, les bras croisés. Et j'en profite pour voir comment les choses se... Quoi ? Je sais pas comment aimer ? Je sens que ça va encore être le sujet d'une conférence interminable du Professeur Warren sur la vie, l'univers et le reste. Ce n'est pas le moment de relever, et de toutes façons ce serait inutile. Autant essayer de convaincre un arbre de pousser sous la terre en lui parlant.

Inutile également de relever la suite. Les explications avec la maîtresse vampire qui a tout pigé et tout dépassé : ça viendra en temps voulu. Et elle me pose quand même en victime de la situation en laissant entendre qu'elle m'a forcée à venir. Ou elle trouve juste un moyen d'éclipser son appel à l'aide en le transformant en ordre ? Rien à cirer pour l'instant, ça me change un peu de place dans le tableau que Clara doit se faire donc ça aidera peut-être.

" MAIS QU’EST-CE QUE TU VEUX QU’ELLE FASSE ?! Je n’ai PAS besoin de ma mère ! "

Une bonne question sans réponse et un refus. Si on voulait tirer dans les coins on ne s'y prendrait pas autrement. Au moins Mélinda maintient la pression, ce qui est la seule chose à faire pour l'instant. Et je n'interviens toujours pas, j'attends qu'on m'invite. Elles ont besoin de moi. Celle-là c'est vraiment la meilleure de la journée. Si je n'avais déjà fait un gros travail sur moi-même, c'est moi qui pèterais un câble.

" Je te préviens, ça risque d’être long. Et je sais que tu aurais préféré que ça sorte de la bouche de Clara, mais je crois que tu vas devoir supporter ma voix pour l’heure à venir. Prépare-toi, car, une fois que j’aurais commencé, je ne m’arrêterai pas avant d’avoir fini. C’est une histoire bien trop longue pour que je me permette de faire des pauses. "

Je fixe Mélinda quelques secondes, ou plutôt je la jauge, sans vraiment laisser paraître ce que j'ai en tête. Puis mon regard passe à Clara avec un haussement de sourcil.

" Elle va le faire, tu la connais. "

Elle a déjà jugé de ce qui était important et de ce qui devait être fait, toute seule, comme d'habitude. Alors autant aller quelque part où elle n'aura pas d'emprise.

" L'autre jour, dans le couloir... "

Je sens que j'ai toute l'attention de la lycéenne, et cette fois elle sait que les faux-fuyants ne la sauveraient pas si j'en disais trop.

" ... Je voulais t'aider, c'est tout. J'étais sur les nerfs, peut-être pas autant que toi. Je m'y suis mal prise. J'ai pas réussi. Mais je voulais seulement t'aider. "

Je baisse la tête et je soupire, le temps de calmer les pensées qui bouillonnent dans ma tête et ont envie de sortir. Elle ne le feraient ni au bon moment ni de la bonne manière. Je relève la tête et les yeux vers Clara. Puis je passe rapidement sur Mélinda avant de revenir à la lycéenne. La tête un peu penchée, une idée me vient qui me fait sourire.

" Puisqu'on va s'embarquer pour une longue histoire, sans doute pleine de détails sordides, je pense qu'on devrait d'abord prendre cinq minutes pour se calmer. Peu importe qui va raconter. Le but c'est que toi, Clara, tu arrives à prendre un peu de recul. Alors respirez, toutes les deux. C'est moi qui vais raconter une petite histoire. Faites pas ces tête-là, ça prendra pas longtemps. "

Je prends une gorgée de jus d'orange avant de me lancer.

" Il était une fois une belle princesse et un prince charmant... Vous voyez, c'est rien de terrible. Donc la princesse et le prince venaient de se rencontrer, et ça collait déjà entre eux. Ils commençaient à flirter un peu, échanger des regards, glisser de petites maladresses dans les conversations. Une petite histoire qui commençait, d'amour ou de fesse : la princesse n'était déjà plus très prude... "

Mon regard n'arrête pas de passer de l'une à l'autre, pour garder leur attention et guetter le moment où elle vont comprendre. En tous cas je m'étonne moi-même, je devrais prendre des notes pour ma prochaine nouvelle.

" Et le soir venu, en jeune homme bien élevé, le prince offrit à la princesse de la raccompagner. Mais voilà que sur le chemin, ils croisèrent cinq brigands qui s'en prenaient à une jeune fille. La princesse fut la première à les remarquer, et elle n'était pas maline. Alors elle avança vers les cinq bandits sans attendre son prince et leur arracha la jeune fille en lui disant de prendre la fuite, ce qu'elle fit bien entendu. "

Ça commence à avoir du mal à sortir, surtout de cette façon. J'ai la gorge qui se serre légèrement, le cœur qui commence à battre plus vite.

" Ce que la princesse ignorait, c'est que les cinq bandits étaient de la pire espèce et qu'ils ne se laisseraient pas impressionner. Le prince le savait, alors il tenta de les amadouer. Mais avant de s'en rendre compte il se faisait jeter au sol par deux hommes qui le rouèrent de coups. Et les trois autres attrapèrent la princesse. Il la tinrent et la frappèrent. Mais elle se débattit, et elle réussit à leur faire lâcher prise. Mais quand elle vit le prince... "

Je sens une larme qui roule sur ma joue, échappée d'un regard furieux. J'ai du mal à croire que la scène que je raconte est celle qui repasse devant mes yeux.

" Quand elle vit le prince toujours au sol, écrasé sous les coups de poing et de pieds des bandits, elle les attaqua. Elle leur sauta dessus pour frapper, mordre et griffer tant qu'elle pouvait. Mais comme le prince elle fut jetée au sol. Sa tête cogna si durement qu'elle en fut sonnée, mais encore consciente. Elle sentait les deux hommes qui tenaient ses bras écartés, qui les écrasaient sous leurs genoux pour l'empêcher de bouger. Elle sentait aussi qu'on déchirait sa jupe, puis qu'on tirait sur sa culotte pour la lui arracher. Mais elle n'avait même plus la force de serrer les cuisses. Tout ce qu'elle pouvait faire c'était respirer et fermer les yeux, se dire qu'elle avait fait de son mieux et que ça n'allait être qu'un mauvais moment à passer. "

J'ai presque grogné la fin, pour ne pas la vomir en larmes. Il me faut une petite seconde pour reprendre mon souffle et m'essuyer le coin des yeux. Je lâche la suite d'une voix plus détachée, presque blasée.

" Puis soudain le prince se releva, chassa les bandits et emporta la princesse dans son château. Ils avaient tous les deux mal partout, et le prince avait la gueule en sang, mais ça les a pas empêcher de faire l'amour et de se promettre la lune. Tout ça pour qu'au bout d'un mois le prince traite la princesse de salope et qu'elle l'envoie chier. Générique de fin, à suivre la semaine prochaine. "

Je prends mon verre de jus d'orange.

" Arrêtez de me prendre pour Cendrillon, toutes les deux. Ça commence à me gonfler. Personne ne m'a violée parce que j'ai toujours réussi à m'échapper, ou j'ai eu la chance que quelqu'un me sauve. Mais ceux qui ont essayé étaient des inconnus, dans la rue. Et je suis bien obligée de retourner dans la rue et de croiser des inconnus tous les jours : je me suis pas téléportée jusqu'ici. Mes tortionnaires peuvent surgir de partout, n'importe quand. Je peux pas tuer tous les gens que je croise ou rester enfermée chez moi pour toujours. Tu veux ma méthode miracle, Clara ? Vide ton sac, chiale un bon coup et recommence jusqu'à ce que tu puisses en parler au passé comme je viens de le faire. "

J'ai encore un peu grogné la fin, mais cette fois ce n'était pas pour esquiver les larmes. Je bois une gorgée de jus d'orange avant de reposer le verre, et de lever les yeux vers la lycéenne.

" Tu vois, c'est pas si difficile. Alors tu t'en charges ou tu te caches derrière Mélinda ? "

Mélinda Warren

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L’heure était donc aux révélations. Hitomi raconta à Mélinda et à Clara une petite histoire. Si Mélinda fut au début surprise par ce revirement, elle écouta néanmoins avec attention et avec silence, assise sur la table, croisant les bras. Hitomi avait du mal à boucler son histoire. De ce que Mélinda crut en comprendre, elle racontait une histoire autobiographique, ou qui, en tout cas, concernait quelqu’un de très proche. Un viol. Un viol pour les beaux yeux d’un type qui l’avait plaqué. Son fameux petit ami ? Ou un autre ? Comment le savoir ?

*Et quelle importance ça a, dans le fond ? Ta vie ne m’intéresse pas, Hitomi. D’autres temps, d’autres lieux. Jadis, j’aurais pu m’intéresser à toi, mais plus maintenant. Remballe tes histoires et tes conseils à deux balles.*

Mélinda était rancunière, oui. Et, plus la journée se poursuivait, plus elle se disait qu’elle avait fait une nouvelle erreur en rappelant cette femme. Hitomi avait fait son choix. Et un choix impliquait des conséquences. Il en allait toujours ainsi. Il ne fallait jamais négliger les conséquences, car, en définitive, c’étaient elles qui détermineraient si le choix était bon ou mauvais. Une solution qui, sur le coup, paraît bon, peut s’avérer par la suite être un véritable cauchemar. Mais ça, Hitomi devait en savoir quelque chose. Et ce n’était pas Mélinda qui irait la plaindre. Elle avait beau prétendre être une grande fille, la senseï tenait plus d’un colosse aux pieds d’argile qu’un inébranlable roc.

Entre grognements et sanglots, Hitomi acheva son histoire. Mélinda ne savait pas quoi dire, et avait de plus en plus le sentiment d’être une espèce de petite amie de substitution. En tant que compagne, elle aurait pu accepter cette histoire. En tant que Maîtresse aussi. Mais Hitomi avait tout racheté. C’était comme si un gars venait vous prendre le bras dans la rue, alors que vous alliez tranquillement acheter le pain et le journal, pour vous sortir tous ses malheurs. Hitomi essayait de se justifier en disant qu’elle avait raconté cette histoire pour l’exemple, et l’exemple uniquement.

*Vraiment ? aurait eu envie de dire Mélinda, plantant son regard inquisiteur dans celui de la femme. Si tel était le cas, Hitomi, tu ne serais pas au bord de la crise de larmes. Crois-moi bien, j’aurais bien aimé te serrer dans mes bras, te consoler, voire même te baiser sauvagement dans le lit pendant toute une nuit, te baiser à tel point que tu aurais demandé grâce, puis te réconforter, te rassurer, écouter les souffrances que tu tentes de dissimuler, t’aider à rafistoler ton cœur que tu tentes de réparer avec un morceau de scotch et de la glu... Mais un choix implique des conséquences.*

Hitomi lâcha donc, sur ce ton légèrement agressif, provocateur, qui la caractérisait :

« Tu vois, c'est pas si difficile. Alors tu t'en charges ou tu te caches derrière Mélinda ? »

Clara fronça les sourcils, puis tourna la tête, rouge. Une adolescente, ça pouvait être sacrément têtue, et Clar n e croyait pas un seul instant à toutes les conneries de cette femme. Oh, pas à son histoire, non, mais à ce qu’elle lui avait dit avant. J’ai fait ça pour t’aider, ‘faut pas m’en vouloir, je voulais te faire du bien, en fait, en te plaquant contre le mur, en menaçant d’appeler les flics. Si, si, je t’assure, c’était vraiment pour t’aider, hey ! J’ai pas l’air sincère, peut-être ? Alors là, tu me fends le cœur ! Elle serra les dents, sentant une pointe de rage la saisir. Elle finit par lever les yeux, et son regard était mauvais :

« Sympa’, ton histoire, mais, sans vouloir te vexer, tes problèmes, j’en ai rien à foutre. Si tu veux raconter tes merdes, va voir une pétasse d’assistante sociale, ou les connasses de psys’, elles sont là pour ça : t’écouter parlant en brassant de l’air. ‘Viens pas me faire chier avec tes mensonges de merde. Tu es exactement comme lui. A déformer la réalité et à nier ta responsabilité. M’aider ? Tu parles ! Je t’ai rien demandé, moi ! »

Ses mains tremblaient nerveusement, et Mélinda se racla alors la gorge.

*Interviens, ou ça risque de finir en pugilat... Et je suis déjà suffisamment fatiguée comme ça. J’aimerais vraiment que ça se termine avant de revoir Akira, elle me pose déjà suffisamment de problèmes.*

Mélinda ferma lentement les yeux, puis se redressa, sachant que, par ce simple geste, elle aurait, au moins brièvement, l’attention des deux femmes.

« Très bien. Je ne veux pas un instant dénier tout le tragique de ton histoire, Hitomi, mais, quand bien même je pense que tout cela est loin d’être définitivement du passé pour toi, tu te trompes de registre. Il n’y a pas de viol dans l’histoire de Clara... Du moins, pas en ce qui la concerne, elle. Et les cicatrices dans son dos... Disons que les yeux ne montrent que la surface des choses, et qu’il faut faire attention aux conclusions hâtives. L’histoire de Clara est désespérément banale, ordinaire... Ce qui, dans un sens, la rend encore plus terrible. »

Clara baissa à nouveau la tête en soupirant. Mélinda se lança enfin, entamant pour de bon son récit. Elle avait les bras croisés en commençant, mais, très rapidement, elle allait devoir marcher, s’adosser contre le mur. Clara, elle, resterait de marbre pendant un certain temps.

« Notre histoire commence de la plus merveilleuse des manières. Un vrai conte de fées, avec une histoire d’amour. Mais, pour que tu comprennes vraiment, Hitomi, il faut remonter en arrière, bien avant que les parents de Clara ne se rencontrent. Revenir là où tout se joue, à cet âge où on est incapable de comprendre ce qui se passe. Les Dieux ne manquent pas d’une singulière ironie. »

Lui, il n’avait pas eu l’enfance facile. Pas du tout, même. Il n’était pas battu, mais il n’était pas non plus forcément heureux. Il était né au sein d’une famille nombreuse. Sa mère était la bonne de son père, et avait trente ans de moins que lui. Quant à son père, c’était un ivrogne, qui passait son temps à boire, à insulter ses enfants, et qui était bien trop âgé pour avoir autre chose à faire de ses jours que regarder les jeux télévisés. Il riait comme un bossu devant les blagues des présentateurs, rotait et pétait dans son grand fauteuil. On aurait alors pu se dire que la mère compenserait ce manque effectif. Il n’en fut rien. Sans doute aimait-elle ses enfants, mais elle fut incapable de le montrer. Il faut dire qu’elle n’aimait pas son mari, et que ce serait après la mort de ce dernier, après sa vraie mort, soit environ quinze ou vingt ans plus tard, qu’elle expliquerait qu’elle n’avait jamais été consentante pour un seul rapport sexuel. On pouvait donc dire qu’elle avait été violée, mais, à cette époque, les juges s’accordaient pour considérer que les époux ne pouvaient pas se violer entre eux. Et, de toute manière, elle n’aurait jamais eu le courage d’aller saisir la justice. Ce serait sa parole contre la sienne, et, au Japon, le choix aurait été vite fait. Elle n’avait jamais fait un seul câlin à ses enfants, et était obsédée par la seule chose qui, à ses yeux, pouvait encore représenter de l’intérêt, et qui avait justifié qu’elle choisisse de sacrifier toute sa vie : l’argent. L’argent avec un grand A. Elle comptait tout. Les moindres dépenses. Avec elle, les courses étaient un enfer. Ne prends pas ce sachet de pâtes, prends celui-là, il est 5 yens moins cher ! Elle avait épousé son mari parce qu’il était un ancien handicapé de guerre, et touchait une confortable pension. Lui n’avait jamais connu l’amour. Pour autant, il était enjoué, heureux, vif. Il avait de l’humour, une bonne culture générale, de longs cheveux, et il quitta la maison familiale pour aller à l’université, et tenter de décrocher ses diplômes. Il s’était juré de ne jamais faire comme ses parents, d’aimer ses enfants, d’être pour eux le père qu’il n’avait jamais connu. C’est au lycée qu’il l’avait rencontré. Ils étaient dans les mêmes cours, et il s’était fait remarquer de la plus anodine des façons. Il était son voisin, derrière elle, et il s’amusait à jouer avec son stylo-bille. Elle ne supportait pas ça, et pestait, bouillonnant sur place, bouillonnant tellement fort qu’elle se fait exclure une fois sur deux du cours, tandis que lui ne pouvait qu’en rire. Ils s’étaient connus ainsi. Ils étaient devenus des amis, voire même plus que ça, mais tout devait définitivement changer entre eux le jour où il reviendrait, avec ses diplômes, dans la maison familiale. Sa mère le laisserait parler pendant cinq minutes, avant de lui dire de foutre le camp. Héberger son fils le temps qu’il trouve un emploi lui aurait coûté de l’argent, et elle n’aimait pas dépenser. Sauf pour elle. Et son fils ne faisait pas partie de l’équation. Son mari venait enfin de crever. Après avoir bu comme un trou et l’avoir violé (si tant est qu’on puisse employer ce mot, vu qu’elle n’avait jamais rien senti), il était enfin mort, lui léguant tout son argent. Et elle allait devoir abandonner tout cet argent à ses enfants ?! Était-ce une blague ? Elle lui avait claqué la porte au nez, et il n’y avait plus qu’un seul endroit où il pouvait se rendre. Chez elle. Il vint avec sa mobylette.

Ce soir, ils perdirent mutuellement leur virginité. Et leur destin fut scellé. On dit du monde beaucoup de choses. On le dit cruel, on le dit mauvais, on le dit beau, on le dit fou, mais le monde est, avant tout, ironique. S’il fallait bien trouver un mot pour résumer toute l’humanité, pour résumer l’Histoire toute entière, pour résumer toute la Création, ce serait celui-là. La Création était une grande ironie.

Elle, elle avait connu l’amour. Elle l’avait même bien trop connu. Elle était la petite fille, la dernière de trois sœurs, et celle que son père préférait. Mais son père ne parvenait pas vraiment à s’imposer face à sa femme, qui était dure, rigide. Aimante, bien sûr, mais dure, rigide, et qui, indéniablement, préférait sa deuxième fille à la troisième. La deuxième fille, quant à elle, savait qu’elle avait l’amour de sa mère, mais pas celui de son père. Et, pardonnez l’expression, mais ça la faisait royalement chier. Alors, elle jalousa la plus jeune, et devait sans cesse la jalouser. La dernière fut ignorée, et n’apprit qu’à vivre par procuration. On la laissa s’occuper de la première sœur, qui n’avait jamais été très bien dans sa tête. A tel point qu’elle fut internée à l’asile pour plusieurs mois à l’âge de ses seize ans. Quand ses parents allèrent la voir, elle était tellement blindée de médicaments qu’elle était incapable de remuer les yeux, ou d’avaler sa propre salive. Et elle, elle s’occupa de sa sœur aînée. Elle était gentille, bien trop gentille, et bien trop persuadée, bien trop convaincue que les hommes, dans le fond, sont des êtres bons et généreux. Qu’ils ont tous en eux cette petite étincelle de bonté qui les force à se tourner vers les autres, cette petite flamme qui brûle au fond de leurs âmes. Elle était incapable de penser d’abord à elle, car elle avait été éduquée, formatée, pour songer d’abord à s’occuper de ses proches. Quand elle demandait à sa mère de l’argent pour s’acheter des affaires, cette dernière, catégorique, lui refusait toujours. Nous n’avons pas assez d’argent, alors arrête avec tes caprices. Naturellement, quand il s’agissait de la seconde sœur, on trouvait toujours un peu d’argent dans les fonds de tiroir. Elle ne savait pas dire « Non ». Alors, forcément, le jour où un bon ami, pour qui, il est vrai, elle éprouvait bien quelque chose, vint toquer à sa porte en lui disant que sa mère l’avait flanqué dehors afin de s’asseoir sur l’héritage de son mari, elle n’avait pas su refuser. Or, s’il est vrai qu’elle avait bien aimé cet homme, à cette époque, il y en avait un autre qu’elle aurait préféré. Et, pour son malheur, lui le savait. Mais il était persuadé qu’elle l’aimait. Et elle aussi s’en persuada.

Clara fut conçue hors mariage. Ils achetèrent une maison, lui utilisant son salaire de prof’. La banquière fut adorable. Une vraie ange. Il aurait fallu la recommander, car elle accepta leur prêt avec un grand sourire. Il était sûr qu’elle aurait eu une chouette vie. En réalité, mais cela, les parents de Clara ne pouvaient pas le savoir, elle fit une dépression, et est, depuis ce jour, internée dans un asile, enfermée dans un déni de réalité.

« L’amour entre deux êtres, Hitomi, ne peut marcher que si ces individus sont forts, s’ils se vouent une confiance mutuelle, et s’ils s’estiment d’égale importance. Mais, et c’est là que c’est ironique, si l’homme était fort, alors il n’aurait pas besoin d’avoir envie d’être aimé pour se persuader qu’il est important, non ? Une relation amoureuse n’est rien d’autre qu’un long et insidieux poison. Des années où on se dope d’illusions, où on se persuade que, ça y est, l’amour a frappé à notre porte, que Cupidon nous a touché de ses flèches... Et, un beau jour, la lumière clignote, et les ombres, insidieuses, grossissent, enflent, et infectent tout. Assez souvent, il arrive que le couple soit suffisamment gorgé d’illusions pour les masquer... Ou alors, c’est parce que la femme est trop soumise à son mari pour le dire, mais, de plus en plus fréquemment, ces petits à-côtés finissent par détruire des vies entières. Et, dans ce genre de situations, les enfants sont en première ligne, et sont les premiers à sauter. »

Clara ne disait rien, mais ce silence était éloquent. Mélinda se racla la gorge. Elle avait beaucoup parlé, et l’histoire ne faisait que commencer ! Elle secoua la tête, faisant voleter ses belles boucles, et regarda Hitomi.

« Tu veux bien me passer un verre d’eau dans le frigo ? Tu es à côté, et... Disons que j’ai soif. »

DC d’Alice Korvander.

Consultez ce topic pour une présentation détaillée de mes personnages.

Pour une demande de RP, je vous encourage, soit à poster sur le topic susmentionné, soit à envoyer un MP sur mon compte principal.

Yamagashi Hitomi

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Toujours la même chose. Quoi que je dise ou que je fasse : elles s'en foutent autant l'une que l'autre. Mon aide ? Elles ont besoin d'aide, ça c'est clair. La mienne ? Elles sont trop fières pour l'accepter. Clara veut que je sois la connasse qu'elle voit en moi, Mélinda me veut à la place qu'elle m'a choisie. En fait je suis comme la mère de Clara : trop gentille et trop facilement piégée. Je m'en suis assez voulue, je me suis assez égosillée. En plus Mélinda a le culot de me faire une nouvelle leçon de sentiments, une leçon bien hypocrite vu la façon dont les choses se sont passées entre nous. Cette fois ça va trop loin. Puisqu'elle ne veulent pas plus que ne leur permettent leurs opinions tranchées, alors je n'essaierais pas de leur donner plus. Tant pis pour elles.

J'ai tout écouté, appuyée au plan de travail les bras croisés. Les tristes histoires banales des parents et des grand-parents de Clara ont eu du mal à m'atteindre. Tous ces gens : je ne les connais pas, je ne peux pas changer leur passé. Bien sûr, si je les rencontrais et s'ils me demandaient mon aide j'essaierais. Mais dans cette cuisine, dans cette maison, et surtout dans la bouche de Mélinda : ils sont moins que des fantômes. Et ils ne servent à rien. À part peut-être la mère de Clara, vu qu'elle est concernée. Je sais au moins que dans l'histoire je ne suis pas la seule à m'être faite baiser par ceux auxquels je tenais... Et je réalise que j'y pense au passé. Mais seulement à Mélinda et aux filles. Si elle croit que je vais me résigner à abandonner Kyle elle va vite déchanter.

" Tu veux bien me passer un verre d’eau dans le frigo ? Tu es à côté, et... Disons que j’ai soif. "

Je me retourne, j'ouvre le frigo pour y prendre une bouteille d'eau. En servant le verre que Mélinda m'a demandé, j'ai la désagréable impression d'être en train de faire la chose la plus utile depuis que je l'ai rencontrée. Pencher une bouteille sans rien renverser à côté : il n'y a que pour ça qu'elle peut me faire confiance. Malgré tout ce qu'elle a pu dire, pour le reste elle ne me fait aucune confiance. Je ne veux plus la juger ou essayer de deviner ses raisons. Elle veut rester un mur, alors qu'elle ne compte plus sur moi pour essayer de combler ses lézardes.

Je range la bouteille au frigo et je regagne ma place. Qu'elle finisse son histoire, peut-être que ça fera réfléchir Clara un minimum. Ensuite retour sur les rails : j'irais voir la mère de Clara pour lui dire ce que Mélinda voudra, sur le ton qu'elle voudra. On les collera toutes les deux face à face et advienne que pourra. Que cette petite conne fonde en larme ou continue de faire la fière, au moins sa mère sera soulagée de la voir vivante et en bonne santé. Au moins toute cette histoire aura apporté du bon à quelqu'un. Ensuite je quitterais définitivement ce manoir et ses occupantes. Je ne les abandonnerais pas, puisqu'elles m'auront rejetée.

En fait, la seule que j'abandonne est celle qui a payé à ma place et à qui je n'ai jamais parlé. Mais tout ce que j'aurais à lui dire se résume simplement : c'était moi ou une autre, et si j'avais su ce n'aurait pas été une autre.

Mélinda Warren

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Mélinda remercia Hitomi, et porta le verre à ses lèvres. Elle avait beaucoup parlé, et elle devait reconnaître, même si elle ne le dirait jamais, qu’Hitomi avait eu raison sur un point. Il fallait que Clara s’implique. Qu’elle affronte les démons et les fantômes de son passé. Maintenant que Mélinda avait lancé les choses, Clara était piégée. Impossible de faire machine arrière, mais, pour autant, faire acte de présence était insuffisant. La situation exigeait plus. Et Mélinda posa le verre sur la table, à côté de Clara.

« L’eau est fraîche. Elle est pour toi. »

Clara leva la tête.

« Merci, mais je n’ai pas soif.
 -  Parler beaucoup, quand on n’est pas habitué, ça fatigue la gorge. Crois-moi, tu auras envie de boire.
 -  Hein ?! Hey, là, une minute, j’ai pas envie de... »

Mélinda l’embrassa alors sur les lèvres. Un baiser rapide, un simple frottement de la bouche, mais ça produisit quand même un délicieux *SMACK* très agréable aux oreilles. Clara rougit faiblement, et baissa les yeux. Les deux mains de Mélinda la caressèrent sur les joues, et elle alla lui baiser le front, dans de délicats gestes d’affection et de tendresse. Elle remonta ses doigts vers les oreilles de Clara, leurs têtes se collant.

« Là, là, ma chérie, tout ira bien... Tu me fais confiance, n’est-ce pas ?
 -  O... Oui, oui, oui...
 -  C’est ton histoire, pas la mienne... Et puis, j dois veiller sur Shii. La pauvre... Tu la connais, non ? Il suffit qu’elle reçoive une piqûre de moustique pour qu’on doive l’emmener aux urgences. »

Clara pouffa, la tête toujours collée contre le corps de sa gardienne.

« Ouais, c’est pas faux... »

Elle releva la tête. Nouveau baiser, nouveau *SMACK*, bien que plus délicat. Clara se sentit mieux. C’est fou, l’effet qu’un baiser pouvait avoir.

« Je peux aller m’occuper de Shii ? Tu jures de pas laisser notre invitée en plan ?
 -  N-Non, vas-y, vas-y, c’est bon...
 -  T’es okay ?
 -  Ouais, t’en fais pas...
 -  C’est dans ma nature de m’en faire, Clara.
 -  Ouais... Ouais, je sais... »

Nouveau sourire. Un peu plus engageant. Si engageant que ça méritait bien une récompense, et il fallait bien, après tout, honorer les vieux dictons, même quand ils ne voulaient rien dire. Alors, il y eut un autre baiser, et Mélinda s’écarta ensuite, cessant là ses gestes d’affection. Elle se moquait alors bien mal qu’Hitomi prenne ça comme une provocation. Qu’elle prenne ça comme elle veut, la vampire s’en moquait bien ! Ou, en tout cas, elle prétendait s’en moquer, ce qui, avouons-le, n’était pas forcément la même chose. Mélinda commença à s’éloigner, avant que Clara ne lâche :

« Mélinda...
 -  Hum ?
 -  Tu... Euh... Tu voudras bien dire à Shii que... Enfin, que... Que je suis désolée. »

Mélinda sourit à nouveau, de ce beau sourire étincelant où ses magnifiques dents d’une éclatante blancheur apparaissaient. Elle aurait pu jalouser tous les effets spéciaux des spots publicitaires pour des dentifrices. Elle se contenta d’un clin d’œil rassurant pour Clara, puis regarda à nouveau Hitomi... Et lui offrit un tendre sourire, puis s’écarta, sa longue et fine robe remuant entre ses jambes. Clara et Hitomi restèrent à nouveau seules, et, à nouveau, un léger silence gêné s’installa. Clara se gratta l’arrière de la tête, puis regarda Hitomi. Elle abaissa à nouveau les yeux, puis les releva, et haussa les épaules, avant de se tenir debout.

« Je vous préviens, je raconte pas aussi bien que Mélinda... »

Elle se contenta des détails. Comme le disait si bien Mélinda, « quand on voulait appréhender une chose, il fallait commencer par en explorer les contours ». C’était précisément ce que Clara allait faire. Elle commença donc par délimiter les contours, et parla d’évènements anodins. Elle avait vécu dans une belle maison en campagne. Sa mère, pour autant qu’elle s’en rappelle, était sans emploi, et son père quittait la maison très tôt, pour revenir assez tard. Sa mère la conduisait donc, et, comme d’habitude, à l’approche de Tokyo, il y avait des bouchons. Il fallait se lever tôt, et elle dormait avec deux ours en peluches.

« Je les appelais Titi et Tata. Au début, ils étaient frère et sœur, et puis, Tata était la petite copine de Titi. C’est con, hein ? Bien sûr que c’est con... »

Mais parler des choses connes, c’était le meilleur moyen pour Clara de parler des choses qui l’étaient moins. Elle prenait de l’assurance. Elle raconta que les voyages étaient longs, dans la voiture. Sa maman avait fini par arrêter la radio, en ayant marre des émissions débiles du matin, préférant mettre un disque. Clara, quant à elle, attendait à l’arrière, et comptait avec sa mère le nombre de camions quand la voiture approchait d’un petit tunnel.

« Le midi, elle revenait me chercher. Parfois, on allait au restaurant, mais, généralement, on retournait à la maison. Mon père, lui, était au lycée. »

Le soir, il rentrait. Évidemment qu’il rentrait. Et, à chaque fois, Clara se dépêchait de mettre ses chaussons. Car la première chose que Papa disait, ce n’était pas « Bonsoir », ni « Comment a été ta journée ? » Non, quand il voyait que sa chère fille n’avait pas ses chaussons, qu’elle salissait le sol, il lui disait, de sa voix autoritaire : « Mets tes chaussons ! ». Clara sentit une larme rouler sur ses yeux, et ferma les sourcils, la balayant.

« Il était... Très froid, très distant... J’ai toujours cru que c’était normal... Qu’une famille fonctionnait comme ça... Y m’a jamais battu... Il était pas alcoolique non plus... Mais il avait aucun ami... Tous ses amis, c’était ceux de ma mère, les parents de mes copines... Mais bon, je me disais que c’était normal, que ça avait aucune importance... »

La jeunesse avait cette chose merveilleuse et horrible qu’elle voyait tout sous les traits de l’innocence et de la candeur la plus forte. Clara continuait à parler, mais elle abordait maintenant des choses sérieuses, et sa voix se mettait à nouveau à trembler. Mélinda ne serait pas là pour la secourir, et elle en venait à l’un des passages les plus marquants, l’un des moments où sa vie avait commencé à basculer. Elle-même ignorait comment les choses avaient pu se dérégler à ce point... Elle avait alors huit ans quand son père l’avait abordé. Clara ferma les yeux en soupirant.

« J’étais... J’étais en train d’aligner toutes mes peluches sur mon lit quand il est entré. Sans toquer à la porte. Il ne le faisait jamais. Et... Et... Il ma dit qu’il avait quelque chose d’im... D’important à... A me dire... Une... Une conversation entre... Ent’quat’zeux... »

Une nouvelle larme roula. C’était dur, bien plus dur que ce qu’elle avait escompté. Les mots sortaient difficilement de sa bouche, maintenant. Elle n’arrivait plus à regarder Hitomi, serrant les poings sur ses genoux.

« Il... Il m’a dit que... Qu’il... Qu’il y avait de fortes chances pour que... Pour que... »

Elle ferma les yeux, soupira, et lâcha le tout :

« Pour que je ne sois pas sa fille... »

Clara fit couler deux nouvelles larmes, avant de relever la tête, et de soupirer, se tenant les bras avec les mains, sentant de nouvelles larmes affluer. Ce fut sur un ton brisé et saccadé qu'elle lâcha :

« Putain, je sais même pas pourquoi j’vous dis ça... »

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Yamagashi Hitomi

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Et voilà. La reine mère claque des doigts et tout est arrangé. Vu d'un peu plus haut il y a une logique. Finalement j'ai servi de leurre, j'ai fait la chèvre : Mélinda m'a laissée bêler et agiter ma clochette pour détourner l'attention, puis au moment opportun elle a porté le coup de grâce à Clara. Comment l'aider malgré elle, sinon ? Pourtant vu du sol je suis encore la bonne poire. Alors je fais l'impasse sur les sourires jusqu'au débriefing, du moins pour la Vampire. Qu'elle ne se fasse pas trop d'illusions : on va vers de très désagréables discussions, toutes les deux. Je suis venue apporter toute l'aide que je pouvais, si ça veut dire être le dindon de la farce ainsi soit-il. Mais je ne suis pas venue endosser plus que ma part et je trouve qu'elle s'amuse un peu trop à m'écraser depuis le début.

" Je vous préviens, je raconte pas aussi bien que Mélinda...
- Ce n'est pas grave. "

Mon petit sourire est un peu là pour la rassurer. Il est aussi un peu malhonnête. Même en faisant au maximum abstraction de ce qu'il y a entre nous je trouve que Mélinda devient vite assommante. C'est peut-être qu'avant on communiquait plus par des gémissements que de vraies phrases ? Un point de plus qui me fait penser qu'à part baiser je ne suis bonne qu'à donner des cours d'Anglais. Je chasse vite ces pensées devenues aigres depuis le temps, et je me concentre sur l'histoire de Clara. Je sourie de temps en temps, au début, sans intervenir. Le coup des peluches me ramène aux poupées que je voulais caser avec Mr Tic-Pic, quand j'étais gamine. Mon père dans les embouteillage, qui lui ne se lassait pas des idioties de la radio. Ces petites choses que je ne trouve pas connes. Mais en Irlande ou au Japon, personne ne rentrait plus tard que moi à la maison.

Si l'envie m'en prend je raconterais tout ça à quelqu'un. En attendant ce n'est pas moi le sujet. Et la contrefaçon de Mélinda aux cheveux roses arrive en bout de piste. Pour une fois qu'un masque tombe je ne prend pas le risque de faire un faux-pas. Ce qu'il y a de bien quand on les bras croisés, c'est que la main visible peut avoir l'air de rien pendant l'autre plante ses ongle dans vos côtes. Papa était froid et distant, jusque là ça devrait aller. Sauf que la voix qui raconte ça cache encore des choses qui ne vont pas du tout. Il n'y a pas une cause pour une conséquence. Maman prenait toute la place à la maison, papa n'avait donc plus que son boulot. Ça a compté, forcément. Ajouter à cela qu'il se fanait les gosses des autres au travail et ça fait choses qui ont compté un tant soit peu. Je n'y ai pas été confronté et je ne le serais sans doute jamais, pourtant je connais des collègues qui ne savent pas où se mettre : prof ou parent d'élève ? D'autant que notre boulot nous suit à la maison encore plus que nos élèves : on ne récolte pas qu'une colle ou un cours à recopier quand on ne fait pas nos devoirs.

Clara n'a pas vu le vice derrière tout ça, et je me sens encore plus chanceuse d'avoir eu mon enfance. À l'âge où on joue avec des peluches et où maman vous emmène à l'école, comment on fait pour voir ça ? Et comment on supporte qu'un père dise une chose pareille ? Clara tien encore sur ses jambes et franchement elle m'impressionne. Je voudrais la prendre dans mes bras pour la consoler, trouver des mots pour la féliciter d'avoir déjà raconté tout ça, lui dire que pour aujourd'hui elle en a assez fait. Mes bras, je ne fais que les décroiser pour les appuyer contre le plan de travail, la tête basse.

" Putain, je sais même pas pourquoi j’vous dis ça...
- Parce qu'il fallait bien le dire à quelqu'un. "

Je relève la tête et rejoint la lycéenne pour la prendre doucement par les épaules.

" Regarde-moi, Clara. L'important ce n'est pas ce que tu as dit : c'est que tu ais réussi à le dire. Personne n'y croyait début, toi encore moins que nous. Mais on t'a fait confiance, c'est pour ça qu'on t'a poussée. Et j'ai vu à quel point ça a été difficile pour toi. Mais tu y es arrivée. Tu ne t'es pas esquivée, tu as tenu jusqu'au bout : c'est ça l'important. "

Ma main droite remonte jusqu'à son visage pour lui caresser tendrement la joue, avec un sourire.

" Ce que tu m'as raconté n'est pas devenu anodin, et le raconter n'a pas changé le passé. Tu crois qu'après avoir entendu ça j'ai pitié de toi ? Non. Je suis triste, c'est vrai. Ce qui t'est arrivé était vraiment injuste et je sais ce que ça fait de payer pour ses parents. Les miens vivaient à des milliers de kilomètres l'un de l'autre, alors je sais. Mais je n'ai pas pitié, Clara : je suis fière de toi. Et tu peux l'être aussi. "

Ma main redescend sur son bras le masser doucement. Maintenant j'ai une vue un peu plus dégagée sur le tableau, donc je vois un peu mieux d'où tout est parti. Je peux au moins comprendre. Le sac poubelle sentimental passe au tri sélectif.

" Il y a encore des choses à dire, mais si tu trouves que c'est assez pour aujourd'hui on s'arrête là. Je dirais à Mélinda que tu m'as parlée, rien de plus. Ce que tu as dit et le ton sur lequel tu l'as dit : ça reste entre nous. Sauf si tu veux le contraire. "

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C’était sorti. Mélinda avait aiguillé le train Clara sur les rails, et ce dernier était parti. Plus besoin de pilote pour l’aiguiller, pour lui dire où aller. Le train Clara fonçait tout droit. Une locomotive géante que rien n’aurait pu arrêter, si ce n’est ses propres wagons. Un par un, ils se détachaient, mais certains étaient plus lourds que d’autres. Cette conversation... Il suffisait de peu, de si peu... On passait des mois à construire quelque chose, parfois des années, des années entières. C’était l’œuvre de toute une vie quelquefois, et il suffisait d’une seconde pour tout détruire, pour tout balayer. Pour Clara, cette minute avait été cette conversation entre quatre yeux voulue par son père, où il lui avait annoncé qu’il n’était peut-être pas son père. Comment une petite fille pouvait-elle se construire après ça ? Elle aurait presque préféré que son père le batte, qu’il la frappe, qu’il l’attache avec des sangles, et la frappe avec sa ceinture. Ce qu’il avait fait, c’était encore pire. Comment Clara pouvait-elle se plaindre ? Elle ne tenait pas la route par rapport aux véritables victimes, à ces gosses qu’on battait, qu’on oubliait.

Hitomi la tenait dans ses bras, et elle était grande. Quand Mélinda tenait Clara dans ses bras, ce n’était pas la même chose. Mélinda ne pourrait jamais comprendre. Pour elle, et c’était vrai, Clara n’avait pas assez souffert. C’était bien là tout le problème : Clara n’avait pas assez souffert par rapport à elle, elle qui avait été battue et violée, et vendue comme esclave. Une telle expérience l’avait complètement détruite, et elle avait réussi à se reconstruire. Mais Clara... Son père ne l’avait pas totalement détruit. Mélinda s’était reconstruite en se jurant que ce salaud paierait pour ce qu’il lui avait fait. La haine avait été salvatrice, mais Clara n’arrivait pas à haïr son père. Elle en avait peur, oui, mais pas au point de lui souhaiter sa mort. Comment expliquer ça à Mélinda ? Elle soupirait, estimant que Clara ne faisait rien de plus qu’un caprice, lui dirait qu’elle avait tout pour être heureuse, maintenant. Elle avait le confort d’un manoir luxueux, et l’amour de toute une grande famille de substitution, qui, il fallait bien le reconnaître, remplaçait à merveille sa famille d’origine.

Anggun avait raison : on n’oubliait jamais d’où l’on vient. Clara renifla longuement, regardant Hitomi, avant de baisser les yeux. Elle essayait de se contrôler, de se calmer. Hitomi... Elle l’avait détesté, elle avait même cru la haïr, quand elle les avait largué, quand elle s’était servie d’elle pour attaquer Shii... Elle essayait de se raccrocher à ce qu’elle croyait comme acquis, mais réalisait que ses convictions étaient fuyantes, qu’elles étaient des châteaux de sable qui s’effondraient sous la marée montante.

« Il y a encore des choses à dire, mais si tu trouves que c'est assez pour aujourd'hui on s'arrête là. Je dirais à Mélinda que tu m'as parlée, rien de plus. Ce que tu as dit et le ton sur lequel tu l'as dit : ça reste entre nous. Sauf si tu veux le contraire. »

Clara ferma les yeux, essaya de refouler les larmes, puis s’écrasa alors contre Hitomi, plaquant sa tête contre elle, à la recherche indéniable d’un câlin. Elle se mit à parler d’une voix hachée. Sa conscience la travaillait trop :

« Je... Je suis désolée, Hi... Hitomi, je... Je suis désolée... !! »

La lycéenne se mit alors à pleurer, versant quelques chaudes larmes sur l’épaule d’Hitomi. Pendant cinq minutes, Clara s’entrecoupa de gémissements de soupirs, essayant de se calmer, avant de sentir une nouvelle vague la saisir. Hitomi faisait désormais partie des quelques rares personnes qui avaient eu le privilège de voir la teigneuse Clara pleurer devant elles. Mélinda y avait eu droit, et Shii aussi. Pour Shii, ça avait été quand cette dernière était rentrée plus tôt que prévue d’un après-midi à la bibliothèque. Elle y allait pour étudier des livres et des traités scientifiques, afin de se préparer à son entrée à l’université, mais des lycéens étaient venus, et avaient fait du bruit. Énervée, elle était retournée au manoir, dans sa chambre, chambre qu’elle partageait avec Clara, et avait vu cette dernière tenir une photo. Quand elle était rentrée, elle s’était attendue à ce que Clara lui gueule dessus, mais elle avait vu, dans le regard de cette dernière, qu’elle était mal en point. Shii l’avait pris dans ses bras, et Clara avait pleuré.

Elle finit par se calmer, et recula lentement son corps, avant de se frotter les yeux, et parla, en joignant les mains entre ses jambes, tout en relevant la tête. Elle allait encore parler de son enfance. Elle avait commencé, et elle ne devait pas s’arrêter, mais elle tenait auparavant à préciser quelque chose :

« J’aurais jamais du vous harceler comme ça... Je suis désolée... C’est juste que... C’est pas parce que vous avez décidé de nous larguer pour vot’mec, c’est... »

Elle soupira à nouveau, se mordilla les lèvres, puis lâcha :

« J’avais... Vous m’avez donné l’impression que je n’étais rien de plus qu’un poids mort pour Shii... Quand vous l’avez menacé à travers moi... »

Clara soupira lentement, en fermant les yeux, et rajouta précipitamment :

« Non... Non, ‘dites rien... Je vais finir mon histoire, et vous en ferez ce que vous voulez. Il est hors-de-question que je m’arrête maintenant. Et, d’ailleurs, ne venez pas dire que vous êtes fière de moi. C’est faux. J’ai merdé sur toute la ligne. »

Et Clara reprit. Elle expliqua que sa mère avait caressé l’envie de divorcer depuis de nombreuses années. Elle était du genre très libre, à manger à l’heure qu’elle voulait, à agir sur le moment présent, sans rien planifier.

« On peut dire qu’elle vous ressemblait, pour le peu que je sais de vous... »

Mais son père... C’était tout le contraire. Un éternel angoissé. Quelqu’un qui avait laissé sa peur diriger sa vie. Il aimait sa femme. Ça, Clara en était sûre. Il l’aimait à en mourir, et n’aimerait jamais qu’elle. Mais il ne savait pas comment aimer. Il faisait toujours le fier, il gueulait toujours, et Clara le voyait comme une espèce de roc inébranlable de confiance et de fierté. Comme elle avait tort...

« C’était un sale pétochard... Et c’est bien pour ça qu’il m’a balancé ces conneries qui m’ont bousillé... Un pétochard doublé d’un gros con... Incapable de se remettre en cause, à toujours rejeter la faute sur les autres... Il était persuadé que Maman l’avait trompé jadis, alors que c’était faux. Et moi... Moi, je me suis toujours méfiée de ma Maman à cause de ça. »

La vie conjugale détruisait sa mère, détruisait tout le monde. Sa Maman était triste, renfermée, prenait des antidépresseurs, persuadée que le problème venait d’elle. Et elle se refusait à divorcer, car elle se disait que ses filles la détesteraient encore plus, et en seraient brisées. Elle avait grandi dans une saine éducation, dans cette éducation traditionnelle et conservatrice où le mariage était sacré, et où seules les salopes divorçaient. Alors, sa Maman faisait ce qu’elle savait toujours faire : elle se sacrifiait pour ses enfants, sans réaliser que cette conduite amènerait ces dernières se sentir encore plus coupables.

« J’ai eu une sœur... Petite... Tiffany... »

Nouveau sanglot. Clara se sentait encore plus coupable. Elle n’avait jamais vraiment tissé de liens avec Tiffany. A vrai dire, quand elle était née, elle avait reçu toute l’affection que Clara n’avait jamais eu de la part de son père. Sans doute ce dernier, dans un élan de lucidité, y cherchait là ce qu’il n’avait jamais pu faire : créer un lien. Clara n’avait pas eu un père violent, elle avait eu un père absent. Un individu physiquement présent qu’elle appelait « Papa », mais sans jamais tisser de liens avec lui.

« A l’école, c’était pas terrible... A la maison non plus. Je m’affirmais, et ça gueulait sévère, parfois... Je pouvais pas encadrer ma famille, que ce soit mon gros con de père, ou ma connasse de mère qui était amorphe... Alors, je sortais. Je sortais beaucoup, et je fumais, et je buvais, et je me droguais... Jusqu’à rencontrer Kenji. »

Elle prononça ce mot avec un ton teinté d’amertume. Kenji.

« C’est lui qui m’a hébergé quand j’ai décidé de quitter la maison. A cette époque, Tiffany commençait à ressentir les effets de la puberté, et j’avais un sacré problème sur les bras. En consultant mon historique sur mon PC, j’avais réalisé que quelqu’un s’amusait à contempler mes... Mes films pornos. »

Elle baissa à nouveau les yeux, rougissant.

« Au début, je pensais que c’était Tiffany... Elle... Elle était du genre discrète, et elle se confiait pas trop à moi. Je l’avais bien fait chier quand elle était petite, après tout... Elle... Elle m’a dit que c’était pas elle, alors... Ensuite, ma mère m’a dit que... Que mon père faisait parfois le ménage dans ma chambre... »

Un nouveau soupir.

« Je... Je pouvais pas supporter ça... L’imaginer se branler devant mon bureau, sur mon fauteuil, et balancer son... Son truc sur mon écran... »

Son père hurlait toujours en état de faiblesse. C’était son moyen de défense. Clara avait fini par tout dire à sa mère. Ils mangeaient un repas traditionnel, parlant ensemble, mère et fille, dans la cuisine, Hitoshi et Tiffany étant dans la salle à manger, entendant tout ce qui se disait. Tiffany n’avait rien dit, et le père avait fini par se lever.

« Ça avait été terrible... »

Il lui avait dit de « fermer sa sale gueule », qu’elle n’était qu’une « saloperie de menteuse », faisant de grands gestes en tempêtant, rouge comme le cul d’un taureau. Clara avait craint qu’il ne la frappe, mais il s’était contenté de l’insulter. Sa mère avait essayé d’intervenir, et il lui avait dit de « ne pas faire chier », tout en continuant à être grossier, à injurier Clara. Il lui avait ordonné d’aller se coucher, et, alors, Clara avait énervé. Elle l’avait traité de « gros con », et s’était cassée.

« J’ai rejoint Kenji... Et j’ai perdu ma virginité.... Il était alors un étudiant qui terminait ses vacances, et j’ai décidé de le suivre à Tokyo. J’ai plus eu aucun contact avec ma famille depuis lors. »

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Yamagashi Hitomi

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J'ai un peu de mal à croire que c'est bien Clara qui vient se blottir contre moi en sanglotant des excuses. Ça ne m'empêche pas passer une main prudente dans son dos, et l'autre un peu plus ferme derrière sa tête pour lui caresser les cheveux. Ce n'est pas souvent que je suis à cette place quand les larmes coulent. Mais je sais mieux que personne que quand le barrage cède il vaut mieux ne pas essayer de retenir le flot. Alors c'est elle que je tiens dans mes bras, que je berce doucement en passant la main dans ses cheveux, la tête penchée contre la sienne pour chuchoter à son oreille.

" C'est pas grave, Clara... "

De quoi elle s'excuse ? De pleurer ? Ça n'a rien de grave, ni de honteux. Et pour le reste ce serait plutôt à moi de m'excuser. Je préfère la laisser se défouler autant qu'elle le voudra avant de reprendre, si on reprend. L'emmerdeuse publique numéro un du lycée vient de se catapulter en arrière un soir où elle avait huit ans. Il n'y a pas de bon âge pour encaisser ce genre de choses, pas que sa vie est basée sur un mensonge mais que son père en est assez convaincu pour la traiter en étrangère. Mon père aussi a eu des doutes, de loin en loin, à force de voir mon corps grandir et s'entêter à ne pas lui ressembler. Ironiquement si mes parents avaient vécu ensemble, je crois que les choses n'auraient pas mieux tourné pour moi que pour la fille qui pleure sur mon épaule.

C'est ce que Mélinda ne peut pas comprendre. Elle a eu bien pire et d'une manière ou d'une autre elle s'est relevée. Moi j'y ai échappé mais je sais que c'était de peu. L'accalmie laisse le temps à mes pensées de s'organiser encore une fois. Avant je ne pensais pas comme ça, et je sais d'où ça m'est venu : mes nouvelles. Une idée qui vient et qui se met immédiatement à muter pour s'accoler à d'autre ou les rejeter. Au lieu d'une route droite je me perds dans une forêt qui change en permanence, j'observe la lumière sur les arbres, je tourne autour. Ça ne se limite déjà plus à mes petites histoires : c'est partout. Mélinda, Gabriel, Kyle, moi-même... Pourquoi et comment ? J'ai pu passer la débroussailleuse sur ma parcelle, mais je ne peut pas le faire dans les leurs. J'ai des tonnes de réponses possibles pour chacun mais aucune certitude.

Clara est la seule à avoir levé un coin du voile mais c'est une réaction en chaîne. Elle-même, sa mère, son père et de là tous les autres dont Mélinda a parlé. Chaque personnage du récit est trop complexe pour se résumer à une phrase, à un seul point de vue. Ce serait tellement plus simple et rassurant. Mais je sais par expérience qu'y croire ne fait maintenir les choses en mauvais état. Sinon je ne serais pas revenue, j'en serais restée à la méchante Vampire qui voulait seulement m'ajouter à sa collection de poupées, et à qui j'ai échappé. Mais loin derrière, aussi loin qu'elle a pu la repousser, il y a une gamine trahie et blessée qui pleure sur le sol d'une cellule. Cette gamine, je l'ai vue de mes yeux s'enfuir en larmes quand la grande et puissante Vampire a compris que je ne m'offrirais jamais à celle qu'elle ne faisait que paraître.

La relativité du temps étant ce qu'elle est, je tasse tout ça au placard en sentant Clara se détacher de moi. Ma main s'attarde sur son bras que mes doigts pressent une dernière fois avant de l'abandonner, et je m'écarte pour la laisser reprendre pied elle-même. Je retourne au frigo le temps nous resservir un verre à chacune. Parler ça donne soif, écouter aussi. Ses excuses me font sourire mais elle ne me laisse pas le temps de lui répondre. Je suis une gaijin doublée depuis quelques années d'une belle cochonne : elle n'a pas été la première à me faire ce genre de coup même si je dois reconnaître que les choses sont rarement allées aussi loin. Et je n'ai pas tapé sur Shii au hasard, je savais très bien que ça lui ferait du mal. C'est ce que je cherchais à ce moment et que je regrette maintenant. Quant à être fière d'elle, c'est encore à moi de décider si et pourquoi je le suis.

" ... J’ai merdé sur toute la ligne.
- Ça aussi, je sais ce que c'est. "

Clara ne se démonte pas, et repart au front déjà plus confiante. Je reste près d'elle, cette fois. Je vois effectivement pas mal de très commun entre sa mère et moi, ou la mienne. Je vois aussi comment les choses ont pu s'enrayer entre ses parents, à peu près de la même façon qu'entre Kyle et moi. Le problème de la confiance en soi et en l'autre. Par la suite je me demande si Clara fait le lien dans sa petite tête. Son père faisait le fier pour cacher sa peur, il cherchait à s'affirmer en écrasant les autres, il esquivait quitte faire encore plus de mal au lieu d'affronter les problèmes. Je connais une lycéenne qui lui ressemblait il y a encore très peu de temps, mais qui n'a déjà plus rien à voir. D'un autre côté, comment survivre dans une maison ou personne n'a confiance en personne ? Comme elle le dit : on dresse la table, on attend que la vaisselle se mette à voler dans tous les sens, puis on remet le couvert.

Il n'y a que deux façons de passer au travers. La première est de se résigner, d'abandonner pour ne plus faire qu'acte de présence. Mais on ne s'en sort pas vraiment. La seconde est de se décider à cracher le morceau. Mais il faut que tout le monde accepte d'en avaler autant qu'il en sert, voir plus. Moi-même je n'y suis pas arrivée avec Kyle, et lui non plus avec moi. Du moins pas avant d'entamer ma correspondance virtuelle avec mon fan préféré. À suivre la semaine prochaine.

Et soudain la chose que je ne peux qu'imaginer, la petite sœur qui n'a pas à subir comme la grande. Retour à la rancœur et la fierté de façade, qui empêchent tout. Clara avoue elle-même n'avoir jamais été la grande sœur qu'elle aurait dû. Pourquoi et comment ? elle ne rentre pas dans ce genre de détails. Ça pourrait être la jalousie envers l'injustice croissante et aussi la partage de la meute : Clara du côté de maman, Tiffany du côté de papa. Quitte à me creuser la tête malgré moi autant être tortueuse, et voir que Tiffany aurait pu être le trait d'union entre Clara et un père qui ne voulait pas d'elle comme sa fille. Mélinda avait raison, c'est d'une banalité horrible. Clara s'est sentie trahie et abandonnée par un père distant et une mère qui s'effaçait. Quitte à être seule elle s'est convaincue qu'elle n'avait besoin de personne. Et pour rester banale ce n'est pas pour rien que les animaux se font bouffer quand ils s'éloignent du troupeau. C'est froid, logique, cruel mais vu de très haut, de l'orbite.

Je souris à nouveau quand elle rougis en parlant de ses pornos. Au point où on en est, et après toutes les positions indécentes dans lesquelles ont s'est vues toutes les deux, elle arrive à rougir de ça. Mais je remballe mon sourire, sentant venir une suite qui s'avère à la hauteur de mes craintes. Décidément son père ne ratait pas une occasion d'être con. Il ne l'a pas violée physiquement mais c'est tout comme : il a pénétré son intimité pour se soulager, il a profité d'elle à son insu. Bien sûr il y a une possibilité que Tiffany ait menti, mais ce qui compte c'est ce que Clara en a retiré : son vieux en train de se palucher dans la chambre et devant les fantasmes de sa propre fille. Il ne l'a pas violée elle : il a violé ses rêves. Il s'est acharné à tout lui enlever et à tout salir.

Et en parallèle, bien sûr, le chevalier blanc dans son armure rutilante : Kenji. Kenji qui lui a donné une raison d'arrêter de s'enfoncer au fond du trou, un espoir que quelqu'un pouvait encore lui vouloir du bien. Et Clara n'avait pas assez de bouteille pour le voir venir. Le peu qu'elle dit dresse déjà le portrait : un garçon sans doute plus âgé qu'elle, un étudiant donc instruit et déjà relativement assumé. Kenji, qui était en vacances, qui devrait bientôt repartir. Trop beau pour être vrai, le Kenji. Retour à Kyle et moi : dès le départ c'était trop beau pour être vrai et on s'est emballés, puis on a réfléchi mais chacun de notre côté, on a paniqué comme des abrutis de gnous et on s'est jetés la tête la première dans le fleuve plein de crocodiles. À la façon dont Clara a prononcé le nom de Kenji la première fois, le rêve n'a pas duré éternellement.

Je ne tire pas d'autre conclusions, pas encore. L'intro n'est pas brillante mais je dois entendre l'histoire pour relier les points entre eux. Sans compter que jusqu'ici personne n'a touché au dos de Clara. On en est au moment où le chevalier blanc emmène sa belle avec la promesse que l'herbe est plus verte ailleurs. D'une manière ou d'une autre ce n'est pas le cas. Reste à savoir si Clara a offert sa virginité, la seule chose que sa famille lui avait laissé, à un salaud fini ou simplement un homme qui n'a pas réussi à être le bon. Il reste un point positif dans toute cette histoire.

" Au moins tu as essayé, Clara. Tu étais bien obligée de te défendre, toute seule. Et pour ta sœur... "

Là je suis au radar : les seules liens que je considères comme fraternels n'ont rien à voir avec le sang. Je suis une enfant unique, encore heureux d'ailleurs. Il faut que j'arrive à le dire simplement, sans me planter.

" Je ne sais pas. Mais après ce que ton père t'avais fait, et la façon dont ta mère l'avait laissé faire... Une grande sœur a quelques années d'avance, pour toi ces années n'ont pas été brillantes. Tes parents t'avaient tout pris, alors qu'est-ce que tu pouvais donner à ta sœur ? "

Je baisse les yeux une seconde. Je ne sais pas si ça va passer, ou du moins si elle va le comprendre comme je le pense. Je relève les yeux vers elle.

" Tu l'as dit toi-même, Clara : tu étais dans un état lamentable. Fumer, picoler, se shooter et mater des pornos, c'est tout ce que ta sœur aurait appris de toi. Alors tu n'as pas merdé en la laissant à l'écart. En fait tu es la seule à n'avoir pas merdé. Tu as fait la seule chose que tu pouvais faire pour la protéger de tout le mal que tes parents t'avaient fait. Ne te fait pas payer leurs erreurs alors que tu as été la seule à en tirer des leçons. "

Ma main regagne son bras la réconforter encore, et l'inviter à se laisser aller si le besoin s'en fait à nouveau sentir.

" Tu veux continuer ? "


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