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La culture se cultive

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William Dolan

E.S.P.er

La culture se cultive

mardi 04 janvier 2011, 22:26:58

       William Dolan remonta la rue des bourgeois et passa entre les manoirs des riches familles de Nexus. La plupart de ces bâtisses aux couleurs criardes étaient entassées les unes sur les autres et n’étaient pas vieilles de dix ans. Certaines étaient plus anciennes, mais avaient été remaniées au cours des dernières années. D’un point de vue esthétique, les édifices de cette rue ne répondaient pas aux critères de l’architecture nexusienne : ils avaient été érigés par des gens espérant que l’argent pouvait acheter la culture, des prétentieux  qui rivalisaient avec leurs voisins à coups d’enjolivements exotiques. Ils puisaient leur inspiration dans diverses réalisations fantasque d’architectes de tous horizons ; une copie de tout ce que Terra fait de mieux, pourtant cet affreux mélange jurait et piquait même les yeux de notre avocat. Enfin, William n’avait plus rien d’un juriste sur ce monde. C’était un noble et non un bourgeois qui essaye d’oublier ses origines roturières en vivant dans l’opulence, comme les habitants de ce quartier. Son père mort depuis peu, il avait tout hérité de lui. Sa baronnie, ses possessions. Cela ne s’était pas fait dans la concorde. Son père aurait été ravi de déshériter son fils ingrat, mais ce vieux poltron ainsi que ces frères n’étaient pas de taille à refuser à William son droit d’ainesse, au grand damne de toute sa famille.

       En résumé, William était un petit baron de ville, possédant ses gens et sa propriété. Sa démarche était travaillée, mais il évitait l’arrogance excessive. Sa cape de velours verte ne flottait pas au grée de la brise, évoquant le prince charmant dans toute sa splendeur. Non, il restait sobre et discret. Une chemise de soie grise aux reflets légèrement nacrées, un pantalon de cuir sombre et ses éternelles petites lunettes rectangulaires. Le sceau de sa famille était clairement visible sur la boucle d’argent de sa ceinture et sur sa chevalière ; un faon empêtré dans les ronces. De toute façon ce n’était pas comme si les Dolan étaient connus, puisqu’appartenant à la petite noblesse, et leur emblème encore moins. William n’était pourtant pas peu fier d’être à la tête d’une famille qui la détestait – et qu’il méprisait tout autant en retour -, rien que pour le plaisir de savoir que tous ses ancêtres devaient se retourner dans leurs tombes en sachant qu’ils avaient engendré un homme aussi amorale – et non immorale ; la nuance est primordiale -, car on peut dire que messire Dolan ne s’embarrasse pas de la prétendue noblesse de cœur de l’aristocratie.

       Le baron parcourut donc la rue baignée par le soleil de midi. Il savait exactement où aller. Une rue étroite, une grande place agrémentée d’une fontaine, une rue encore et William disparut enfin de la circulation. Il referma la porte de la librairie dans laquelle il s’était engouffré et jeta un coup d’œil circulaire. Les rayonnages étaient impressionnants mais William avait du mal à être encore subjugué par l’amas de culture. Les livres étaient rares sur Terra. Rares et chers. En effet, Gutenberg n’est pas passé par Terra, le négligeant. Les livres étaient toujours écrits à la main ou copiés grâce à la magie. Ce qui est la raison pour laquelle William aurait dû être impressionné d’en voir autant, mais il faut croire que les immenses bibliothèques de la terre l’avait lavées de tout émerveillement.

       Ses mires vertes déambulant sur les reliures, elles s’arrêtèrent un instant sur la libraire et hocha brièvement la tête pour lui signifier qu’il l’avait bien vu, mais il ne s’y attarda pas. Il passa donc devant les rayonnages, faisant mentalement l’inventaire de ce qu’il voyait. Sa cible était théoriquement les livres de droits afin de s’impliquer dans la justice nexusienne, mais il ne pouvait pas résister à quelques auteurs. Ici, pas de divin marquis de Sade ou de talentueux Céline, mais ses choix se rapprochaient de ses goûts pour ce qui discrédite l’humanité, le tout saupoudrer d’un talent qui fait grincer les dents de ceux qui s’opposent à de telles pensées.

       Il revint vers la libraire chargé d’autant d’ouvrages qu’il pouvait transporter sans pour autant avoir l’air de peiner sous le poids. Il avait donc dû laisser de côté certaines « gourmandises » en se promettant de ramener une brouette pour sa prochaine escale dans cette librairie. William fustigea la libraire d’un regard méfiant et la détailla un peu mieux avant d’ouvrir la bouche. Elle était agréable à regarder, mais il voulait être sûr qu’il ne s’agissait pas d’une simple esclave avant de la saluer comme il se doit… On ne dit pas « bonjour » à une esclave car on se fiche royalement qu’elle passe une « bonne journée »… et puis, ça ne se fait pas, tout simplement.

       -Bonjour ma dame, la salua-t-il d’une voix aimable, lorsqu’il se fut assurée de ne pas parler à une moins que rien. Permettez-moi de vous féliciter pour votre commerce. C’est une chance d’avoir pu vous trouver.

       William posa les livres devant lui et vérifia les titres avant de reporter son attention sur la jeune femme. Bien entendu, son regard avait perdu de son mépris naturel et de sa méfiance. Il parlait à une égale, une dame qui plus est, partageant l’amour de la culture, l’amour du livre. En effet, William ne serait pas maitre de l’éloquence s’il ne s’intéressait pas à la littérature. « Le monde se divise en deux catégories de gens : ceux qui lisent des livres et ceux qui écoutent ceux qui ont lu des livres ».

       -J’aimerais acheter ces ouvrages, dit-il en poussant légèrement sa pile de livres.

       Il jeta ensuite un autre regard circulaire à la librairie par politesse et pour signifier qu’il était sensé être impressionné. Cet endroit était vraiment une bénédiction.

       -Vous êtes installé depuis peu de temps j’espère ? Demanda-t-il avec un intérêt courtois. J’ai l’espoir secret de ne pas mettre privé d’un tel trésor pour la simple raison que je ne l’avais pas vu avant.

       Son compliment fut appuyé d’un léger sourire. Toujours mue par la politesse, il préférait engager une relation agréable avec cette femme qu’il allait sans doute revoir régulièrement sachant qu’il comptait fréquenter cette librairie, comme il convient à un initié.
« Modifié: mardi 04 janvier 2011, 23:02:09 par William Dolan »

Diane Foss

Re : La culture se cultive

Réponse 1 mercredi 05 janvier 2011, 16:34:33

Un ventre émit une protestation dans le silence religieux d’une boutique perdue dans les rues de Nexus. Un simple son, presque un bruit, qui résonna un instant sur les murs lisses, le tout soutenu par un effet d’écho du au grand plafond qui surplombait la propriétaire de ce grognement. Diane avait faim, et cela la mettait de mauvaise humeur. Ce matin, elle n’avait pas eu le temps d’avaler quoi que ce soit, à cause d’un petit garçon très capricieux qui lui en avait fait voir de toutes les couleurs. Son fils -imaginaire- avait ses têtes, et même si la jeune femme les provoquait inconsciemment dès que sa conscience se réveillait et venait lui permettre de saisir ce que son esprit faisait naitre en secret, elle n’en avait pas idée. Pour elle, Eric était simplement un garçon qui grandissait, sans jamais changer physiquement parlant. Il évoluait pourtant, et de plus en plus sa colère injustifiée éclatait dans le petit appartement que Diane partageait avec lui. Sur une broutille, sans aucune raison, le cri fusait, les pleurs suivant bien souvent dans les yeux de ce qui restait un petit garçon. Diane pardonnait toujours, mais elle détestait savoir Eric fâché ou colérique, aussi n’hésitait-elle pas à punir. Et pour ses caprices matinaux, le gosse était à présent consigné sur une chaise, un peu en retrait du comptoir et peu visible par les clients. Même si ceux-ci ne le verraient jamais ... C’était une façon de le couper du monde -auquel il n’appartenait pas- et d’accentuer ainsi la sévérité de la réprimande. Qui n’est finalement pas si cruelle ...

En effet, la première chose que Diane aura faite ce matin est pourtant de saisir un livre qu’elle et Eric avaient choisi ensemble à la fermeture hier soir pour aller le lui donner. Il adore lire, et le tabouret reçoit toujours un livre. Pour Eric. Il sait à présent que sa mère ne lui parlera avec tendresse que lorsque la boutique sera calme. Le reste du temps, Diane Foss se dévoue à ses clients et refuse de faire autre chose que le surveiller, constatant sa présence. Même si elle sait bien que jamais il ne s’éloignera d’elle, même si elle sait bien qu’une telle situation lui serrerait tellement le cœur qu’elle s’en apercevrait dans la minute. Tendrement, la jeune femme lui adresse quelques mots d’une mère à son fils avant de retourner à son travail. Regardant par la vitrine, elle peut voir des visages qu’elle ne verra vraiment qu’une fois qu’ils auront franchi sa porte. Passionnante foule qu’elle se délecte d’admirer, de critiquer, de voir se perdre dans une misérable existence. Même si, en cette fin de matinée, rien ne l’amuse vraiment dans son spectacle quotidien. Elle préférera alors se hisser sur la pointe des pieds, maudissant sa petite taille pour la millionième fois au moins, se saisissant d’un roman policier, qu’elle dévore depuis quelques jours, posé sur une étagère derrière elle. Assise sur sa chaise inconfortable, la jeune femme remonte une jambe et appuie son pied, enrobé d’une simple ballerine, contre sa cuisse, entourant son genou d’un bras. Elle peut ainsi adopter sa position favorite, bien qu’elle ne soit pas vraiment élégante. De plus, il est assez inconvenant de l’adopter dans ses tenues habituelles, de courtes robes bariolées.

C’est pourquoi ce matin, elle aura pris la peine d’enfiler un pantalon de toile brun, qui relève sa tunique du jour composée d’un dégradé de rouge-orangé assez automnal, malgré la saison. En se plongeant ainsi dans un moment passionnant, adoptant le point de vue du suspect principal, Diane oublie peu à peu sa mauvaise humeur. Celle-ci l’irrite toujours un peu, se rappelant à elle lorsqu’un petit vent vient faire danser le chambranle de la porte de la boutique, trop souvent ouverte pour être réellement hermétique, mais le plaisir de la lecture triomphe. Le livre qu’elle tient dans sa main détonne des autres. Il est propre, la couverture impeccable et les lettres sur sa reliure sont tracées non pas à la main mais à la machine. C’est une de ses acquisitions faite sur Terre, ramenées discrètement sur son penchant moyenâgeux. Ces œuvres sont ici rares, et sont d’ailleurs placés sous clé dans la boutique de Diane. Seuls quelques rares mais fidèles -et surtout silencieux- lecteurs y ont accès. Cela lui permet de se faire pas mal d’argent par le biais de ceux qui ont la chance de connaitre les failles, et donc la provenance des livres, sans toutefois parvenir à les situer et donc à trouver un autre moyen d’avoir accès à ces livres. Un bon commerce, qui n’enchantait pas tout le monde au vu du prix affiché pour ces petites merveilles, mais Diane avait rapidement fait comprendre aux demandeurs que leur donner des informations sur ses sources était tout bonnement impossible. Et, dans ses yeux déterminés, on lisait sans doute trop d’absence et de détachement pour espérer croire qu’elle céderait sous des moyens un peu plus ... musclés.

Mais quand la sonnette située traditionnellement au-dessus de la porte d’entrée de la librairie retentit, divulguant son « drelin-drelin » accueillant dans le silence de la pièce, son particulièrement agréable aux oreilles de Diane, celle-ci referma à contrecœur son roman pour le placer sous le comptoir, hors de vue. Elle en reprit un plus traditionnel posé à côté de sa caisse, une histoire plus archaïque mais non moins agréable, sur un terranide qui prendrait connaissance d’un trésor sur une île éloignée, décidant de partir à sa recherche avec l’aide de marins plus expérimentés. L’intrus posa d’abord ses yeux sur la boutique avant de lui adresser un regard, un signe de tête. Et c’est tout. Diane ne lui en tint pas rigueur, étant déjà de mauvaise humeur elle ne souhaitait pas en rajouter une couche, et baissa de nouveau son attention sur les pages fragiles de ce roman typiquement habituel par ici. Elle en était au moment de l’embarquement, et un bâillement s’échappa sans le vouloir de ses lèvres fines, ce qui l’incita à se saisir d’un marque-page ciselé et de refermer son livre. Histoire de pouvoir regarder qui se risquait ici à l’heure du repas.

Une grande silhouette longiligne, à l’ordre vestimentaire exemplaire. Si Diane avait été sujette à l’admiration, sans doute se serait-elle empressée de remarquer la mouture de ses vêtements élégants, chemise et pantalons parfaitement ajustés à un corps mis en valeur. Des lunettes d’intellectuels qui lui rappelaient les siennes, une cape qui témoignait de la température variable sur Terra, en ce mois d’avril. Mais la jeune libraire de Nexus n’était pas sensible à ce type de détails. Pas plus qu’elle ne l’était au charisme débordant et envoûtant qui se dégageait de son allure, presque altière. Un sourire en coin naquit sur la bouche de celle qui regardait son client sans gêne, la jambe toujours serrée contre son buste. L’élégance et la beauté ne faisaient pas partie des qualités qu’elle reconnaissait, et Diane préférait largement que l’on s’intéresse à ses livres. Justement, l’inconnu s’attardait sur certains titres, hésitant, choisissant, empilant sans faillir. Diane aurait bien proposé son aide mais ... En fait, non, elle ne l’aurait pas fait. Il était plus grand qu’elle et sa carrure frêle ne lui permettrait pas de se hisser suffisamment haut pour attraper les reliures qu’il prenait sans mal. D’autant plus que les murs étaient hauts, dans cette librairie. La pièce avait beau être étroite, deux niveaux étaient remplis de bibliothèques et d’étagères, l’étage était atteignable par un escalier situé au fond du magasin, en entrant. Partout, des livres, avec quelques sièges et tables pour prendre le temps de découvrir ou de s’attarder, de choisir. Une ambiance feutrée et calme, une lumière qui n’avait rien d’excessif et qui se contentait aujourd’hui des rayons du soleil qui venaient faiblement jusqu’à la petite librairie, bien cachée dans les ruelles de la ville.

Diane aimait ce sentiment de hauteur, cette aspiration vers le haut qui l’habitait et dont elle se délectait souvent. Aux murs, quelques tableaux chers à son cœur se disputaient le peu de place libérée par les livres en tout genre. Romans, documentaires, contes pour enfants et lecture pour adulte, tout était là. Un large panel dont la jeune femme était plutôt fière de se vanter l'acquisition, progressivement, au fil de sa vie à Nexus. Elle avait toujours aimé la lecture, d’autant plus maintenant que c’était devenu son travail, et seul passe-temps. Alors qu’elle se perdait encore dans l’admiration de sa propre boutique, Diane ne remarqua pas que son client avait terminé son choix et s’avançait vers elle, une pile respectueuse de volumes entre les mains. Qu’il posa sur le comptoir, après s’être tout de même décidé à lui adresser la parole. Un bonjour, un compliment. Diane ne releva pas. Pas plus qu’elle ne réagit lorsque les choix s’étalaient devant ses yeux. Elle lisait machinalement les titres choisis, le félicitant mentalement de certaines de ses décisions. Ainsi, la jeune femme ne releva pas non plus le regard appréciateur qu’il lançait sur son trésor. Elle n’avait pas besoin de lui pour savoir sa boutique merveilleuse, mais elle se retint de répliquer quelque chose d’aussi direct.

Diane de mauvaise humeur mais étonnamment gentille, ce n’était pas forcément une bonne chose ... Avant de lui répondre, sans toutefois prendre sa commande, elle marqua un temps d’hésitation. La libraire aimait bien le tutoiement, le trouvait plus simple, dépourvu de fioritures ou de mascarade. Mais devant autant de politesse, et puisqu’elle se sentait d’humeur conciliante, Diane lui répondit sur le même schéma. Bien que l’on puisse s’attarder un instant sur une question étonnante et pourtant fondamentale : depuis quand Diane Foss avait-elle des principes de politesse ?

- Depuis neuf mois, déjà. Mais l’avoir découvert plus tard vous permet d’en profiter d’autant plus, les richesses grandissant au fil du temps.

Quittant sa position de retrait, déliant sa jambe ankylosée, Diane s’approcha du comptoir et s’y accouda nonchalamment, posant sa paume contre son menton las. Sans avoir l’air de vouloir l’encaisser, elle soupira brusquement en fermant les yeux avant de reprendre.

- Eric, tu te calmes maintenant. Pause, nouveau soupir, des paupières qui s’ouvrent à nouveau. Pardon, vous disiez ?

Puis, sans lui laisser le temps de répondre qu’il n’avait rien rajouté depuis, Diane se redressa légèrement, renifla discrètement l’air qui flottait autour d’eux, sans honte ni gêne, avec une spontanéité totalement non maîtrisée.

- Vous, vous n’êtes pas tout à fait d’ici, du moins pas vraiment. Je me trompe ? Non, en fait je me trompe rarement.

Ce que ça voulait dire importait peu, Diane parlait souvent à tort et à travers et c’est précisément de cette manière qu’elle perdait bon nombre de ses clients. Souriant, pas pour son interlocuteur mais satisfaite de voir que l’agitation d’Eric avait cessé dans son dos, bien que personne d’autre n’ait pu le remarquer, la jeune femme saisit machinalement le premier volume de la pile qui avait été choisie, observant la qualité de sa couverture et contrôlant son bon état, consciencieusement. Lentement.
>  Tout le monde a son grain de folie, sauf vous et moi, et parfois je me demande si vous ne l'avez pas vous aussi.

William Dolan

E.S.P.er

Re : La culture se cultive

Réponse 2 jeudi 06 janvier 2011, 23:58:20

       La réponse de la libraire provoqua  un frémissement sur le coin de la bouche de Dolan, qui s’élargit lentement en un sourire. Il appréciait ce genre de conversation sans fond, ni substance. Aller ! Admettons-le ! La discussion n’avait aucun intérêt en soi. C’était un simple échange de politesses toutes plus vides les unes que les autres. Le genre que l’on utilise avec un inconnu le temps de trouver un sujet de conversation sur lequel on est plus ou moins en phase, ou bien, jusqu’à ce qu’on se dise « au revoir », ce qui était monnaie courante pour une simple relation avec une commerçante.

       D’ailleurs en parlant de ça. La libraire n’avait pas vraiment le profil de la commerçante. Elle ne l’accueillait pas avec un sourire insipide en faisant semblant de s’intéresser à sa vie et en le harcelant de babillages incessants. Le genre de conversation à sens unique dont un artisan un peu trop expansif - et surtout à l’inspiration inépuisable – pourrait nous infliger sur des sujets aussi inintéressants que la météorologie ou des avis politiques brulants d’une simplicité boiteuse ; rien à voir avec notre chère Diane Foss donc. Elle semblait nonchalante… dans le bon sens du terme. Sa position et son air détaché, presque désintéressé, contribuaient au mythe de la femme complexe que l’on a du mal à cerner, comme les couches successives d’un oignon qui nous fait pleurer de plus en plus au fur et à mesure qu’on l’épluche. Une personne fort intéressante, si on peut dire. Si on ajoutait à cela le fait qu’elle n’était pas du tout désagréable à regarder. Mais ce n’était pas quelque chose sur quoi William Dolan s’arrêtait volontiers. Des femmes appétissantes, c’était sans se vanter qu’il pouvait dire que ce n’était pas une denrée si rare pour lui. Toute notion d’arrogance gardée. Lorsque l’on a une position sociale élevée, qu’on est bien habillé et que l’on n’est pas repoussant, alors conquérir le cœur des femmes n’est pas un réel problème. Superficiel ? Prétentieux ? Écœurant ? Sans doute. C’est William Dolan.

       La jeune femme scella alors ses paupières en poussant un soupir. L’ennuyait-il ? … A peine s’était-il posé cette question qu’elle intima à un certain Eric de se calmer. A priori, ce n’était pas le nom de notre avocat. Ce dernier eut donc le réflexe mécanique de chercher des yeux celui à qui elle parlait. Rien… le sourcil de l’avocat prit alors la forme d’un accent circonflexe… mais retrouva vite sa forme normale lorsque son interlocutrice ouvrit les yeux et lui demanda ce qu’il venait de dire. Mais… il n’avait rien dit de plus semble-t-il ? Son incrédulité passagère fut cependant balayée par une question plus que pertinente. En effet, il n’était « pas tout à fait d’ici ». Le terme était particulièrement précis et bien choisi.

       -En effet, je suis revenu en ville pour des raisons de « restructuration familiale », expliqua-t-il en prenant un plaisir tout particulier en utilisant cette dernière expression. Nexus est la ville où j’ai passé mon enfance, pas ma vie.

       Jugeant que son explication était suffisante, il la signa d’un sourire. Dolan observa alors en silence la dame manipuler les livres qu’il venait de choisir, comme on attend lorsqu’un pharmacien va chercher les préservatifs que l’on a commandé à voix basse pour éviter que les autres client n’entendent… c'est-à-dire avec un certain gêne pressé. Quoique la comparaison est un peu exagérée. William n’aimait pas beaucoup qu’on puisse lui poser une question qui le déstabilise, car cela effritait un peu son égo qui – comme si on ne l’avait pas remarqué – était très développé. Cependant, comme tout juriste qui se respect, il parvenait à dissimuler ses émotions sous un masque d’impassibilité sans faille.

       William prit soudain un air faussement penaud, comme s’il venait de manquer à une règle de courtoisie essentielle. Bien évidemment, il s’empressa de réparer son erreur.

       -Veuillez m’excuser. Je n’avais pas fait attention… Qui est Eric ? demanda-t-il d’un ton innocent, empreint d’une curiosité tout aussi innocente.

       Il s’excusa alors d’un sourire pour avoir négligé le dénommé Eric, et ce, même s’il ne le voyait nulle part. Pas de regard étonné ou de ce fameux coup d’œil méprisant qui jaugeait la libraire en la présumant folle à lier. Simplement un intérêt pour cette personne que, à tord, William n’avait pas vu plus tôt.


Diane Foss

Re : La culture se cultive

Réponse 3 vendredi 07 janvier 2011, 19:54:01

Manifestement, Diane avait loupé quelque chose. Ou au contraire cru passer à côté d’un détail qui n’existait même pas. Supposition assez plausible si l’on se basait sur l’air un peu surpris de son interlocuteur lorsqu’elle lui demanda de reprendre ses paroles. Qu’il n’avait pas dites. Certainement, il y avait là de quoi être habité par une forme de surprise, notamment quand la demoiselle qui en est la cause ne parait pas totalement accrochée à la réalité qui est la vôtre. Alors certes, le client de Diane fut trop poli pour relever directement sa maladresse, mais elle sentit bien que sa question n’était apparemment basée sur rien en particulier. Zut, elle allait encore perdre un porte-monnaie bien rempli, à force de ne pas se concentrer totalement sur ses interlocuteurs. Encore un, un de plus, qu’elle allait perdre à son grand désarroi. Il y avait ceux qui lui lançaient un sourire d’excuse et repartaient bien rapidement, oubliant parfois un ou deux de leurs achats. Ceux qui ne se gênaient pas pour afficher leur malaise, la fixant comme si elle était une bête de foire dangereuse. Sans cage. Les plus amusants, indubitablement, et dans ces moments-là, en rajouter un peu était particulièrement jouissif ... Et enfin, ceux qui tentaient de lui demander si elle allait bien, essayant de rationnaliser des faits sur lesquels ils ne pourraient jamais être d’accord. Et lui, dans quelle case pouvait-il bien rentrer ?

Pourtant Diane faisait des efforts. Pour paraitre un minimum normale, pour donner une image plutôt positive de sa boutique puisque faire de même avec sa personne se révélait plus complexe. Elle réussissait, la plupart du temps, à demeurer un peu en retrait le temps d’être sûre que le client n’allait pas abandonner les livres qu’il tenait pour s’enfuir à toute vitesse. A partir de cette certitude, la libraire se comportait de manière plus spontanée, se fichant totalement des répercussions sur l’image qu’elle projetait autour d’elle, moins des retombées sur son commerce. Et malgré ça, nombreux étaient celles et ceux qui n’avaient pas totalement compris l’attitude un peu décalée de la jeune femme. Forcément, en temps normal ce n’est pas toujours conseillé de fixer avec insistance quelqu’un, de lui demander tout et n’importe quoi, du plus décalé au plus inconvenant. Il y avait aussi certainement le détail de « parle toute seule », comme une étiquette affichée avec terreur et angoisse sur son front. Bien que dans Nexus beaucoup de choses diffèrent de la Terre, il n’y avait pas pour autant une plus grande confiance et un meilleur accueil réservé aux gens un peu marginaux dans leurs comportements qu’eux seuls comprenaient. Bien au contraire. Au moins, sur la planète bleue, la normalité était restreinte mais une partie de la population croyait comprendre, compatir, accompagner. Terra, c’était autre chose. On n’y connaissait rien, on ne voulait pas connaître. Il suffisait de ne pas en parler ...

Tout ça bien sûr dans l’hypothèse où Diane admettrait son état. Se sachant bien un peu différente, elle refusait pourtant d’imaginer l’existence de son fils comme un mythe ou un mensonge. Parce que si on lui enlevait Eric, cela voulait dire trop de choses. Que son véritable enfant avait eu mal par sa faute, qu’elle avait réduit sa vie à une existence sombre, dénuée de sens et fondée sur un simple dysfonctionnement de son mode de pensée. Un peu trop traumatisant et difficile pour l’accepter, aussi la jeune femme était-elle persuadée d’être seule juge de sa réalité, ce en quoi elle n’avait pas tout à fait tort. Là où la logique pêchait un peu, c’était sur la suite : sa réalité s’étendait à celle des autres, et donc il n’y avait rien de plus étrange que de ne pas voir son fils. Bien qu’avec le temps et l’expérience, Diane comprenait bien que ce détail était dérangeant voire nocif pour son esprit, et qu’il valait mieux garder cette incohérence, ce fait indéniable, pour les autres. Ou bien se rassurer en pensant qu’ils n’étaient que pantins sans yeux, peu attentifs à la réalité des choses et des gens. Bien moins qu’elle ne l’était, avec sa sensibilité et son raisonnement extrêmement large et ouvert d’esprit lui permettant de, par exemple, sentir rapidement quand quelqu’un n’était pas vraiment de sa ville.

Ce que son interlocuteur confirmait d’ailleurs à l’instant, permettant à la jeune femme de marquer une légère pause et d’afficher un air triomphant qu’elle ne camouflait pas, tout comme son intérêt soudain. Quelqu’un qui avait voyagé et qui aimait les livres était forcément plus amusant que la ménagère du coin qui venait chercher des contes pour l’anniversaire d’un de ses nombreux enfants. D’autant plus quand celui-ci parvenait à être aussi plat qu’une table, en apparence. Cela permettait à Diane de pouvoir, justement, le fixer avec attention. Une attention à la fois curieuse et étrangement désintéressée, un peu comme un animal observerait son rival pour deviner s’il doit se méfier, ou pas. Pas que Diane ne craigne quoi que ce soit, non. Simplement pour savoir quel dosage d’intérêt investir chez cet inconnu. Si ça se trouve, derrière l’apparence soignée et la politesse extrême, il n’y avait rien. Mais il suffisait de vérifier ... et pour cela, Diane était dans l’humeur parfaite : exécrable. Le plus dur serait de se contenir et de ne pas aller trop loin. Le reste n’était que détails ... Reposant le second livre, la jeune femme saisit le troisième de la pile, expérimentant lentement les articles dont elle devrait se séparer à regret, chacun d’eux ayant une certaine histoire et un vécu dans cette grande pièce, qui couvait chaque tome d’une attention particulière. Puis elle s’arrêta encore, aimant bien prendre son temps, d’autant plus quand le client était pressé d’en finir. A force de jouer, sans doute Diane allait-elle se brûler et passer de longues journées sans voir personne dans son pourtant si agréable commerce ...

- Ah, je savais bien que j’avais raison.

Manifestement, il ne voulait pas en dire plus, d’après son sourire qui, en langage de politesse, mettait fin à l’intervention. Mais nous parlons de Diane Foss, et encore une fois il y a beaucoup de normes qu’elle dédaigne d’un regard méprisant. Celle-ci en faisait sans doute partie, mais la jeune femme accepta le compromis que sa raison lui offrait, se contentant de ne pas rebondir sur une autre question mais une simple remarque, comme adressée à elle-même, qu’il pouvait ignorer avec aisance.

- Je me demande bien ce qui peut pousser à fuir une famille qui a l’air aussi riche.

Totalement impoli et déplacé. Diane adorait. Mais quand on y réfléchissait, c’est vrai que la culture était chère à Nexus et il fallait avoir des biens importants pour venir faire ce genre de courses, presque banales dans un autre monde. Et comme l’homme était encore jeune, sans doute y avait-il une histoire d’héritage ou simplement de prédispositions, d’avantages intéressants et purement familiaux. Classique, et en plus c’était un excellent stéréotype à travailler dans ses interrogations, le faisant ressortir comme si les préjugés faisaient office de sainte parole.

Mais c’est là que Diane prit conscience que le visage contrit qui lui faisait face articulait des mots, un nom. Ah, Eric. Il voulait savoir qui était Eric. Bien sûr, rien de plus simple. Diane se tendit imperceptiblement, elle n’avait pas remarqué que sa réprimande avait été énoncée à haute voix, trop habituée qu’elle était à ne parler à son fils que lorsque personne ne les entourait. Pinçant légèrement les lèvres, elle posa vivement le livre qu’elle avait pris le temps d’examiner, avant de poser les deux mains sur le comptoir, ses yeux chocolat rencontrant les émeraudes teintées de surprise. Elle lui rendit un sourire un peu ironique, en contrebalance de sa politesse extrême qui commençait à paraitre tout sauf naturelle, alors que Diane aimait le naturel. Un étonnement restait cependant dans un coin de son esprit. En effet, elle-même n’aurait pas fait ça ... S’excuser ? De quoi, pour qui ? Un peu trop calqué sur des habitudes sociales tant détestées par la jeune femme à son goût ...

- Pas besoin d’excuses, de toute façon même en le voulant je doute que vous pourriez le remarquer.

Bizarre ? Oui. Totalement. Allait-il s’y attarder ? Diane se fichait totalement de l’image qu’elle renvoyait alors si elle voulait lui faire comprendre qu’elle était -soit disant- complètement dingue, ça ne posait aucun problème. A ses risques et périls, à lui. Est-ce que le combat qu’elle devinait acharné entre son éducation et sa curiosité irait jusque-là ? Dans le doute, elle poussa l’invitation jusqu’à ne pas lui répondre. Sa question n’était sans doute que gentillesse feinte, et le résultat ne l’intéressait sûrement pas. Et si c’était le cas, au moins devrait-il le montrer réellement. S’il fallait que Diane lui fasse tout répéter pour savoir ce qui lui tenait vraiment à cœur de savoir, elle allait vite s’énerver ... La jeune femme n’était pas d’une extrême patience, surtout avec ce genre d’homme parfait, guindé et semblant avoir quelque chose de fiché dans le dos, les obligeant à suivre une ligne de conduite exemplaire et sans aucun faux pas. La libraire se laissa tomber obligeamment sur sa chaise, poussant un grand soupir, lasse de le voir aussi rigide alors qu’elle pensait dégager une certaine forme de nonchalance, qu’elle aurait préféré communicative. D’ailleurs, maintenant qu’elle y pensait ...

- Ah et puis, laissez tomber deux minutes la politesse. Ça vous rend plus fade que vous ne semblez l’être, dit-elle sans aucune méchanceté dans la voix.
>  Tout le monde a son grain de folie, sauf vous et moi, et parfois je me demande si vous ne l'avez pas vous aussi.

William Dolan

E.S.P.er

Re : La culture se cultive

Réponse 4 lundi 10 janvier 2011, 22:18:14

       L’envie de devenir encore plus riche peut-être? S’élever au-dessus du vulgum pecus sans avoir besoin d’un quelconque titre de noblesse pour nous y aider ? Cela devait être la réponse au commentaire que Diane avait émit à voix haute au lieu de le garder pour elle. La solution partielle de l’énigme : « Qu’est-ce qui peut pousser à fuir une famille aussi riche ?». Il y avait d’autres raisons mais William n’avait aucune envie de penser aux multiples raisons qui l’avait poussé à quitter un monde aussi méprisable que Terra. Bastion du ridicule et de la chance à outrance. Enfin, c’était son avis et il comptait bien le garder pour lui, face à une Nexusienne. William se contenta donc d’observer son interlocutrice avec un petit sourire énigmatique, pas encore méprisant, mais sujet à débat en fonction de la manière dont on l’interprétait.

       En effet, le commentaire de la libraire était totalement déplacé. Enfin, pour le commun des mortels en tout cas. C’est presque triste de voir que se faire qualifier de riche est presque une insulte alors que c’est le but visé par tous ceux en manque de considération sociale – et en particulier de ceux qui vous apostrophent de ce si délicieux adjectif -. Oui, la famille Dolan était riche, et William l’était donc aussi, mais même s’il ne le criait pas sur tous les toits pour ne pas être étiqueté comme « l’obséquieux riche puant de service ». Pourtant, il ne sentait pas vexé lorsqu’on faisait référence à ses signes extérieurs de richesse… Il ne manquerait plus que ça.

       La réponse de la jeune fille à son innocente question fut très instructive. De toute évidence, elle avait une pathologie mentale et William n’avait pas besoin qu’elle le confirme pour s’en apercevoir. Parler toute seule est une preuve suffisante. Pourtant, ce que venait de dire Diana en révélait beaucoup sur elle. Elle n’était pas dans le déni total sinon elle lui aurait tout simplement dit qui était Eric en s’étonnant qu’il ne l’ait pas aperçut plus tôt. Elle devait sans doute se rendre compte que quelque chose clochait, soit chez elle, soit chez les gens qui l’entouraient.

       Diane trouva ensuite nécessaire de vouloir lui faire remarquer que son attitude n’était pas à son goût. Comme c’est étrange. C’était la première fois qu’on lui reprochait d’être « trop » poli. Pourtant, la politesse a des avantages que William chérissait par-dessus. Elle permettait, par exemple, de critiquer quelqu’un à demi-mot sans qu’il ait la possibilité de s’offusquer ouvertement. Cela permettait aussi de voiler ses propos sous une constante ambivalence qui faisait qu’il était très difficile à lire. Et surtout, cela servait à se rendre avenant pour son interlocuteur. Mais William n’allait pas expliquer cela à Diane. En effet, un exemple vaut mieux qu’un long discours. 

       -J’ai pensé que la politesse était préférable lorsqu’on converse avec quelqu’un aux troubles psychologiques sévères, rétorqua-t-il sur le même ton qu’elle. Il ne vaut mieux pas contrarier ce genre de personne qui semble parler toute seule, au risque de les énerver inutilement. Au moins cette singularité ne risque pas de vous rendre fade.

       Dolan avait prit soin de n’incruster aucune méchanceté dans son discours, ou du moins dans l’intonation de sa voix. L’homme fit au passage une pause dans son discours, le temps de chasser une mèche de cheveux noire qui lui chatouillait le sourcil, puis poussa un soupir avant d’afficher une moue maussade, comme si ses propos avaient eu du mal à franchir ses lèvres.

       -Voila qui était très impoli, admit le jeune homme. J’espère pouvoir tenir pendant les deux minutes que vous m’avez suggérées.

       William ne faisait qu’obéir. Malgré son goût prononcé pour les non-dits et les pics subtils, il pouvait aussi faire preuve de franchise lorsqu’une jolie dame le lui demandait. Même si finalement, ce ne serait peut-être pas à son goût.

Diane Foss

Re : La culture se cultive

Réponse 5 mercredi 12 janvier 2011, 11:48:34

Là où nombres des interlocuteurs de Diane relevaient la moindre de ses paroles, jusqu’à la plus étrange ou déplacée, l’inconnu qui lui faisait face se contentait de les accueillir avec un silence religieux, relevé parfois d’un sourire tout ce qu’il y avait de plus énervant. Enfin, pour une personne dite normale ou peu habituée à de telles réactions. La jeune femme avait vu tant d’expressions passer sur les visages de ses clients qu’elle ne s’étonnait plus d’aucune. Le mépris, la moquerie, la condescendance et le dégoût, elle connaissait. Tout comme la pitié, la pseudo empathie, le désir de comprendre. Et ni les uns ni les autres ne changeaient quoi que ce soit à son comportement, du moins pas de manière irrémédiable et assujettissante. Toujours, elle gardait le pouvoir de feinter, de jouer le rôle de la pauvre folle éplorée ou bien de la plus dangereuse, exagérant à outrance ce qu’elle savait être des anomalies aux yeux des autres. Tout ça pour dire que pas un instant l’expression du jeune homme aux cheveux lisses ne la déstabilisa en cet instant, stoïque qu’elle était malgré, avouons-le, la légère surprise de capter un mélange de plusieurs représentations, association qu’elle n’avait encore jamais rencontrée. Ce n’était pas de la méchanceté ni de la compassion, et encore moins du dédain. Quelque chose entre les trois, qui se réservait de tout commentaire et éludait sciemment la remarque qu’elle venait de faire, sa bouche parlant plus vite que son esprit ne réfléchissait.

Diane ne se gêna pas plus que cela de sa présence, et tourna un instant la tête vers le tabouret où Eric lisait sagement, silencieux, lui lançant de temps à autre des regards attendris et pleins d’espoir. De ceux que les enfants turbulents jettent parfois après avoir fait une bêtise, ici celle de se révéler à n’importe qui alors que sa mère préférait le garder pour elle. Toutefois, devant les mèches blondes galopant sur un front ordinairement lisse mais plissé par l’attente, la jeune femme céda. Elle ne pouvait le laisser là, sans autre signe d’affection. Aussi un tendre sourire illumina son visage, expression uniquement réservée à Eric. Là où transparaissait son amour, sa joie de le connaître, de l’avoir à ses côtés. Sa gratitude de lui avoir un jour permis d’arrêter de souffrir. Elle n’en fit pas plus, il n’y en avait nul besoin. Simplement celui de se rappeler à lui lorsqu’Eric devenait trop pressant, commençait à s’agiter, souhaitant simplement que celle qui l’avait créé le reconnaisse à chaque instant. Bien sûr, Diane ne se doutait pas vraiment que c’était sa folie qui s’imposait à elle, encore, pour la conserver loin du reste du monde, protégée de tous en dépit de la force qu’elle pensait avoir acquise avec le temps. Comment eu put-elle admettre que son esprit se scindait en deux, pensant différemment et l’un agissant sur l’autre. Comme une tumeur maligne qui se développerait et ferait pression sur certaines zones afin de la persuader de voir, de croire, de vivre tout cela. La jeune femme n’avait d’autre choix que d’accepter cet état de fait, et se résigner à passer pour plus dérangée qu’elle ne se sentait.

Soudain, les paroles de l’homme en face d’elle parvinrent jusqu’à son cerveau. Des troubles psychologiques sévères, hein ? Diane effaça immédiatement tout sourire de ses lèvres, et se retourna vers lui tout en s’avançant d’un pas, venant se coller au comptoir et penchant son buste vers son visage aux traits réguliers et symétriques. Qu’elle détaillait longuement, le laissant parler de tout son soul. Elle fut donc aux premières loges lorsqu’il réajusta sa coiffure. Impassible, deux yeux marron le fixaient de près et ne lâchaient pas de sitôt le contact établi. Qu’il soit dérangé, qu’il trouve cela gênant, elle n’en avait cure. Tout ce qui comptait, c’était de lui faire sentir l’intensité de ses « troubles ». Ah, non, il ne pouvait dire cela d’un ton aussi désinvolte et presque dans un registre de badinage. De plus, il ne se départissait pas de la politesse qui l’agaçait, bien au contraire, il la renforçait. Même avec des paroles offensantes et volontairement acérées, la bouche qui les prononce peut rester aussi douce qu’une étole de soie et rendre le discours coulant comme de l’eau de roche. Ce qui faisait que Diane n’était pas vraiment affectée par sa réplique, d’autant plus qu’il parlait d’un énervement qu’elle ne connaissait pas vraiment. Depuis de nombreuses années, personne n’avait réussi à la faire sortir de ses gonds, et la jeune femme se demanda si sa rencontre avec ce client allait virer à la joute verbale, et à celui de qui flancherait en premier et fuirait le combat.

Pas très vendeur, en réalité. Pourtant cette envie était diablement tentante, comme toujours. Repousser les limites des autres est une expérience passionnante, mais elle l’est plus encore si on s’implique suffisamment pour en venir à malmener les siennes. Se sentir glisser dans l’impatience et l’incompréhension, chercher désespérément quelque chose à relancer ... Tout cela s’avérait délicieux, et Diane était partagée actuellement entre l’envie de garder une pleine bourse rebondie à proximité de sa caisse et celle de faire fuir son propriétaire bien loin une fois qu’elle l’aurait poussé jusque dans leurs derniers retranchements à tous les deux. Délicat compromis, Diane n’avait plus le choix, et enfin son visage de marbre se modifia juste sous le regard qui répondait à ses yeux inquisiteurs. Elle grimaça légèrement, reprenant un ton un peu plus froid afin de convenir à ce qu’elle s’apprêtait à dire, et lui répondit enfin. Après de longues minutes de silence.

- Touchée, un point pour vous. Bien que rien ne vous autorise à me parler ainsi, surtout avec ce même air angélique et sympathique qui rend vos propos encore plus cruels. Enfin, ça ne fera qu’une fois de plus qu’on me sort ces bêtises, ce n’est pas comme si je n’en avais pas l’habitude.

Ce n’était pas vraiment un déni de l’affreuse réalité qui la guettait à chaque coin de rue, plutôt le refus de se le faire exposer d’une manière aussi réduite, limitée et d’une simplicité extrême. Qu’il le dise ne changeait pas grand-chose, si ce n’est qu’il avait visé juste. Ce n’était pas pour ça qu’il allait réussir à l’ébranler. Puis elle reprit, conciliante et répondant à sa dernière intervention.

- Au demeurant, c’était d’avantage un compliment qu’autre chose. Rares sont ceux qui aiguillent suffisamment ma curiosité pour que je prenne la peine de vouloir en voir d’avantage. Mais si vous voulez rester superficiel et distant, libre à vous. Je n’ai pas le pouvoir ni l’envie de vous y obliger.

Un soupir s’échappa de ses lèvres, tandis qu’elle reculait légèrement, restant toutefois à une distance réduite de son interlocuteur, la proximité de bienséance étant une notion lui étant tout à fait étrangère.

- Enfin, je suppose qu’une folle à lier comme moi ne peut pas se faire comprendre clairement ... Il est donc normal que je me prenne le retour du bâton.

Cependant, il y avait là quelque chose à éclairer sans plus tarder, afin d’éviter toute méprise, mais surtout de dérider très légèrement la situation dans laquelle Diane s’enfonçait.

- Un dernier point, si ça peut vous rassurer, je ne suis à priori pas violente.

Dit ainsi sur le ton de l’humour ce n’était ... pas drôle, assurément. Mais si on ne peut plus plaisanter sur sa propre condition, que reste-t-il à l’homme ? La jeune femme retrouva un ton plus chaleureux et détendu, passant à autre chose sans transition afin de s’éviter d’en rajouter une couche sur la nécessité de ne pas la considérer comme une désaxée imprévisible. Elle était normale, ou presque, et ne se considérait que très légèrement différente du reste du monde. Suffisamment pour en jouir à tout instant, véritable libération qu’était le sentiment d’être détachée de toutes ces larves grouillantes dans la boue, s’écrasant mutuellement pour survivre, en quête de pouvoir, de bonheur ou d’amour. Autant de notions ridicules et complètement illusoires, pour la jeune femme. Le pouvoir n’était que l’hégémonie d’un homme, la démonstration d’une force que les autres n’avaient pas encore découverte. Le bonheur qu’une promesse, un idéal vers lequel tendre et se sacrifier sans jamais réussir à ne serait-ce que l’effleureur du bout des doigts, et l’amour que pieux mensonge entre deux êtres désespérément seuls et en quête de quelque chose pour combler leur minable existence. Allons, il lui restait bien une dernière chose à faire, à présent.

- Si vous pensez revenir et ne retrouvez pas votre chemin, il suffira de demander la librairie de Diane Foss. Je suis connue dans le quartier.

Simple moyen de se présenter sans le faire réellement. Il avait de la répartie et un peu de cynisme dans son angélique expression, et cela lui plaisait plutôt bien. Diane préférait encore risquer de faire un premier pas, afin de voir si la discussion pouvait pousser plus loin ou non, plutôt que d’attendre qu’il s’en charge. Puis, dans le silence qui suivit sa déclaration enfin terminée, il arriva quelque chose de totalement inattendu. Le ventre de la jeune femme émit une légère protestation, lourdement appuyée par le réflexe de Diane que de s’étonner, ne s’y attendant pas. Manifestement, elle avait faim. Mais il lui faudrait attendre un peu avant d’aller se chercher un casse-croûte à la boulangerie du coin et de revenir ici, puisqu’il fallait que le dernier client de cette fin de matinée -bien avancée- en termine. Ou qu'elle s'absente et le laisse ici, peu confiante pourtant d'abandonner ses chers ouvrages même pour quelques instants.
>  Tout le monde a son grain de folie, sauf vous et moi, et parfois je me demande si vous ne l'avez pas vous aussi.


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