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I chose Rapture [Valivoléeàunemodo]

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Andrew Ryan

Humain(e)

I chose Rapture [Valivoléeàunemodo]

dimanche 22 novembre 2015, 14:29:08

[Hommage à Ayn Rand.]

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-Désolé, camarade Rianovski.
-Non, attendez...
-Je ne peux rien de plus. Laissez la place aux autres.


Ici, c'est l'État qui fournit la nourriture. Depuis que les rouges étaient au pouvoir en Russie, la nourriture était récupérée par la municipalité, rationnée et redistribuée en parts égales. L'accaparement des ressources par les riches en était la justification ; mais de mémoire de pauvre, on avait jamais aussi peu mangé depuis que ces mesures étaient prises.

Le jeune Andrei Nikolaevich Rianovski se pince les lèvres, puis se résigne et s'éloigne, avec un regard vers ses congénères. Peut-être que ses yeux traduisent de la tristesse, ou semblent supplier de l'aide ; tous détournent l'attention, comme s'ils ne voulaient pas y répondre.
En vérité, c'est de la rage qu'il ressent. Pas le temps de ruminer sa haine, qu'une main se pose sur son épaule.

-Hei, camarade.
-Qu'est-ce que tu veux ?
-Rianovski ?
-Je répète : Qu'est-ce que tu veux ?
-Calme-toi, camarade. J'ai juste entendu ton nom au guichet de la coopérative. Tu t'appelles Rianovski ?
-Andrei Rianovski. Qu'est-ce que tu veux, pour la troisième fois ?
-Tu connais Fiodor Rianovski ?

Ah. La branche paternelle de la famille. L'oncle Fiodor a été tué en combattant les russes blancs, alors même qu'il était engagé dans l'armée rouge. Lieutenant, ou quelque chose du genre. Le nom sonne héroïque : Il a chargé contre le tsariste Syerev, à un contre trois, lui et son unité vidant leurs chargeurs avant de foncer, baïonnette brandie. Blessé, il a continué à combattre, et est mort douze jours plus tard d'une infection foudroyante. On dit que ses derniers mots ont été à la gloire de Lénine. À Petrograd, la section du Parti Ouvrier porte son nom.

-De la famille, oui.
-Un grand homme !
-Il s'est battu pour ses idées. Je suppose que c'est ce qui fait les grands hommes.
-Cigarette ?


Bien qu'Andrei se méfiait de l'importun, bien trop enjoué pour être un citoyen normal, il accepte le cadeau, et lui tend pour qu'il l'allume.

-Tu as besoin de manger, camarade ?
-J'ai besoin d'un travail.
-Tu ne veux pas que je t'offre de quoi manger ?
-J'ai dit : J'ai besoin d'un travail. Après, je pourrais manger.
-Écoute, je recrute des gens volontaires, jeunes et en bonne santé. Tu m'as l'air de correspondre. Peut-être que mon supérieur voudra bien t'engager !


Ça y est, ça devenait intéressant.

-Dans quoi travailles-tu ?

L'inconnu souriait un peu plus, et fit, avec un clin d’œil complice :

-Dans une commission.
-Tu es Bolshevik ?
-Bien sûr ! Pas toi ?


Andrei soupire, puis commence à lentement s'éloigner.

-Écoute, je vais me débrouiller seul.
-Attend, il suffit de te faire enregistrer ! Ton nom nous serait bien utile !
-Je veux qu'on ait besoin de mes bras, pas de mon nom.

Il fourrait les mains dans ses poches. La cigarette lui semblait soudain bien fade. Il la prenait, et alors même qu'il n'avait tiré que trois lattes dessus, la jetait dans la neige entassée au bord de la route, avant de presser le pas vers sa maison.

Sa mère avait consciencieusement nettoyé les affaires. Huit bocaux, vides, plus un chandelier et deux livres. Ces livres, très abîmés, servaient à distraire Andrei tandis qu'il attendait dans le froid.

La grande horloge de la Place indiquait 5h. L'air commençait à geler. À deux officiels, dont l'un en uniforme de l'armée, il leur avait dit que ce sac avait été récupéré chez les bourgeois, et qu'il les amenait chez sa famille, mais faisait une pause en route. Ils s'étaient regardés, comme comprenant que quelque chose n'était pas clair, mais d'un accord silencieux, décidèrent de ne pas s'en mêler, et partirent.

La contrebande était monnaie courante. Pas d'autre solution pour survivre. Ils avaient une jolie maison, avant. Ils ont dû tout vider, y compris arracher un meuble étrangement cloué au mur pour le fourguer dans la rue. Mais les autorités ne supportaient pas que les bourgeois soient avantagés dans ce commerce clandestin mais toléré, et avaient décidé de le rendre intolérable : à grand renfort d'affiches, ils dénoncèrent l'inégalité flagrante qui faisait que les riches avaient plus de choses à vendre que les autres, et, cinq jours plus tard, dans une remarquable indifférence générale, la revente de biens privés était interdite à Petrograd.

5h10. Plus de quarante minutes qu'il attendait. Il fallait prier, prier pour qu'il soit juste en retard. Non, pas prier : Il n'était pas croyant, au grand dam de sa mère. Espérer, tout simplement.

Un officiel repasse. Celui-là porte un badge pas agréable. ГПУ. Police politique. Andrei soupire, puis se lève de son banc pour partir.

-Ola, camarade.
-Oui ?
-Qu'est ce que tu as dans ton sac ?
-Des affaires prises aux bourgeois.

Même rengaine habituelle. C'était vrai : Sa famille était bourgeoise, après tout.

-Hé hé hé. Tu n'attendrais pas quelqu'un, par hasard ?
-Non, je m'en allais.
-Je parie que tu attends Myoyss.


Il soupire, retient toute réaction.

-'Connais personne de ce nom-là.
-Le contrebandier a été arrêté. Tu ne le reverras plus.


L'officiel plonge sa main dans le sac d'Andrei, et en sort le chandelier, qu'il croit sans doute en argent, alors que ce n'est que du bête métal.

-C'est à moi !
-Plus maintenant, camarade bourgeois. Et estime-toi heureux que je ne te fasse pas enfermer. Dégage d'ici.


Il faut encore se résigner. Andrei s'éloigne, avec ses bocaux et ses livres.

_________..._________

-Tiens.
-Non.
-Tiens !
-Non.


Galia soupire. Elle est fatiguée du caractère borné d'Andrei.

-Tu vas finir par mourir de faim. C'était quand ton dernier repas ?
-Hier midi.
-Ce matin, tu n'as pas été à la coopérative ?
-Si. Deux tranches de lard, du pain et du lait. J'ai tout donné à ma mère et ma sœur.
-Comment va ta sœur ?


Andrei hausse les épaules. Elle ne va en cours qu'une fois sur trois. Chercher du travail, faire les petits bras pour des patrons qui ont l'air d'ouvriers. Des minuscules entreprises qui pensent perdurer, où les derniers bourgeois jettent leurs derniers sous en espérant prospérer, et qui finissent irrémédiablement par disparaître, les laissant ruinés, sous le regard satisfait des autorités.

Galia était sa meilleure amie. Depuis l'enfance, ils se connaissent et s'aiment. Elle a toujours été jolie : Un teint blanc, un visage ovale, assez mignon, des yeux rieurs, des cheveux blonds cendrés. Elle était légèrement ronde auparavant, ce qui faisait, selon Andrei, son charme. Mais depuis quelques mois, elle avait perdu bien trop de poids pour être encore un fantasme universel. Elle était devenue bien trop fine, et du coup, bien trop commune. Mais il faut croire que des hommes appréciaient encore son corps.

Elle se prostituait. Le plus discrètement du monde. Il lui était arrivé de coucher avec des responsables locaux du Parti, ce qui lui avait fait penser qu'ils étaient tous pareils, alors même qu'ils proclamaient l'ordre moral. Des hypocrites... incapables de respecter leurs propres consignes. Andrei était au courant de ses activités. Ils se disaient tout. Ca ne lui posait pas problème, bien au contraire : Loin de l'avoir repoussée, il se tenait prêt pour elle, au cas où elle aurait le moindre souci avec un client ou avec les autorités.

Ne jamais laisser tomber les vrais amis. Telle était sa doctrine. Il en avait peu, autant en prendre soin. En retour, Galia n'était pas avare : Sa situation était presque confortable par rapport au reste de la population, parce qu'elle savait y faire, qu'elle restait discrète, et elle n'hésitait pas à faire parvenir de quoi manger à son père, ainsi qu'à la famille d'Andrei. Mais le garçon, lui, refusait systématiquement tout don. Ce n'était pas dans ses habitudes de dépendre des autres.

-Andrei. Si tu meurs, je serais triste.
-Je ne mourrai pas.
-Les gens meurent quand ils ne mangent pas.


Il hausse encore les épaules. Ça l'énerve. Elle se lève du muret et lui tend le bout de viande fourré dans le pain.

-MANGE !

Il lève les yeux vers elle, semble considérer la chose, avant de se saisir de la nourriture. Son ventre en rêvait. Elle se rassied.

-T'es insupportable, Ani.
-Tu retournes quand travailler ?
-J'ai envie de rester un peu avec toi.


Elle se serre à lui, et soupire de plaisir.

-Viens, on va se balader.

_________..._________


Les temps devenaient de plus en plus durs. Ils avaient tout vendu. Les rafles continuaient. Les taxes augmentaient. On les spoliait de leurs biens, de leurs salaires. On avait enfin enlevé les drapeaux indiquant « РС-ДР » pour le remplacer par d'autres signalant que le parti s'appelait désormais « КПСС ». Ce changement était acté depuis des mois, mais tout le monde semblait s'en foutre, y compris les responsables du Bureau Politique du quartier.

Ils avaient créé un impôt supplémentaire, qui touchait spécialement les possédants. Une manière de les humilier un peu plus, alors même qu'ils n'avaient rien. La sœur d'Andrei était tombée malade à deux reprises. La guerre était finie depuis longtemps, mais peu importe. Andrei avait dû, honte suprême pour lui, voler des médicaments dans une pharmacie que le Parti s'était approprié. Les portes se fermaient lorsque l'on apprenait qu'il n'était pas inscrit au КПСС : Les offres d'emploi étaient forcément réservées en priorité aux Bolsheviks, et chaque jour, il fallait trouver de nouveaux objets pour le troc. La garde-robe s'amenuisait. Il cassait même des murs pour vendre les planches. L'oncle Gorsky avait été retrouvé mort, probablement de faim. Son fils avait été emmené quelques jours plus tôt pour activité anti-communiste ; il n'a plus été revu depuis. Andrei lui-même a été arrêté, a passé une nuit en prison, avant d'être libéré au petit matin. Il ne comprendra jamais le motif.

Lui et Galia rêvaient souvent du « dehors ».

Il enchaînait les petits travaux éprouvants, où on n'avait besoin de lui qu'une journée tout au plus. Le maximum fut trois jours : Après la mort de sa bête, un fermier aux abords de Petrogad, qui avait connu son père, avait besoin de bras pour labourer un champ. Le froid gelait la terre, mais Andrei était acharné à la tâche, et s'est usé plus de onze heures par jour pendant treize jours.

_________..._________


En pleine nuit, on frappait à la porte. Il se levait difficilement. Chacun de ses membres le tiraillaient. Il descendait le petit escalier jusqu'à la porte d'entrée. C'était Galia.

-Andrei, attrape tes affaires et viens.
-Quoi ?


Il voulait la faire entrer, mais elle refusait de pénétrer dans la maison.

-J'ai couché avec un membre du GPU. Il m'a dit que tu étais sur une liste. Réveille ta sœur et ta mère. Je vous ai trouvé un bateau. Il part dans un peu plus d'une heure.
-Il va où ?
-Helsinki. Là, il faudra prendre un avion. Il faut fuir loin d'ici. En Finlande, ils peuvent encore nous avoir.
-Tu veux aller où, putain...
-En Amérique.


Ses yeux brillaient un bref instant, avant qu'elle ne revienne à la réalité.

-Dépêche-toi, Ani !
-Ma sœur ne peut pas bouger. Elle est encore pas bien. Et ma mère est fatiguée...

Un homme arrivait dans la rue, et s'approchait manifestement d'eux. Andrei saisit la barre de fer appuyée contre le mur, au cas où il devrait frapper.

-Salut, camarade. C'est toi que j'emmène ?

Andrei regardait Galia.

-C'est Gretz. Il fait passer des clandestins par bateau.
-Tu viens avec moi ?
-Je peux pas, Ani... Y a que trois places. Je te rejoindrais.
-S'il y a de la place pour trois, il y en a pour quatre. Je veux pas te laisser.
-Je veux pas laisser ma famille. Ani, je te rejoindrai en Amérique, je te le promet.
-Comment tu me trouveras ?
-Je...
-Écoute. Chaque dimanche, à 17h, je t'attendrai à leur espèce de statue sur la mer. Une heure, à son pied. Je le ferai pendant des années, s'il le faut.
-Andrei... Je viendrai. Dépêche-toi avant que des soldats passent.
-Merci, Galia.


_________..._________


Il avait dû porter son adolescente de sœur, pendant que sa mère se traînait derrière. Elle n'avait pas survécu au voyage : Un mal foudroyant l'avait saisi dans le bateau, et à Helsinki, elle était morte dans une puissante fièvre. Ils avaient dû continuer sans elle.

L'argent du labour a servi à acheter des billets pour un navire long-courrier à destination de New York. Pendant deux semaines, ils étaient restés en transit d'immigration, jusqu'à pouvoir rentrer sur le territoire. En banlieue, Andrei trouva vite un travail dans un usine de métallurgie. Répétitif et harassant, mais il aimait travailler à proximité de l'acier. L'odeur, la texture, le son, tout lui plaisait dans cette fonderie où beaucoup n'y voyaient que puanteur et fracas. C'était pour lui l'accomplissement de l'âme humaine : Dans ces grands bâtiments impersonnels d'où s'échappaient les torrents de fumée acres, des chaînes d'individus suaient jusqu'à l'épuisement pour transformer le minerai, l'ossature de la terre, en d'immenses nouvelles constructions pareilles à des titans mécaniques. Les pièces de machines industrielles qu'ils extrayaient des moules lui faisait voir la beauté du cycle de la vie : En semant le métal dans une machine, il en ressortait les morceaux d'une nouvelle, ainsi que les graines dans une terre arable. Mais ils créaient volontiers des pans entiers de véhicule terrestre ou marin, du mobilier urbain, ou du gros œuvre lui-même destiné à être consommé pendant un futur chantier. Il respirait l'air toxique de l'usine comme on boirait l'eau de la fontaine de jouvence, et chaque fois qu'il devait tremper sa manche en épongeant la sueur de son visage était un moment de gloire.

-Chef ?
-Yep, Andrew ?
-Tu permets que je reste un peu ?
-Nan, boy, y a personne pour contrôler les heures après mon départ.
-S'il te plaît, chef. J'ai besoin des heures supp' pour payer mon loyer.
-Bon... Je te paie une heure de plus, OK ? Je veux voir trois barres en moins demain.
-Je t'en fais quatre pour le même prix, chef.
-Je compte sur toi.


Il était resté une heure trente, pour finir le travail d'une cinquième barre. L'horloge dans le bureau du boss montrait plus de 21h quand il déposait sa fiche, et sortait.

Le plus dur avait été d'apprendre l'anglais, mais il était persévérant, d'autant que sa petite sœur lui avait appris les rudiments dans l'avion. Perdre l'accent russe lui semblait une tâche difficile, mais pas insurmontable. « Il fallait faire semblant », lui avait-on dit. Aussi, le plus possible, il faisait semblant d'avoir l'accent, quitte à le forcer et avoir l'air ridicule, jusqu'à parler comme l'américain lambda.


Et il anglicisa son nom. Andrew Ryan. Citoyen américain.

« Modifié: mardi 05 janvier 2016, 22:18:53 par Stephen Connor »

Andrew Ryan

Humain(e)

Re : I chose Rapture

Réponse 1 dimanche 22 novembre 2015, 15:36:33




Quatre ans plus tard, il était contremaître. Avoir des responsabilités, un crayon sur l'oreille et un bloc-notes entre les mains ne l'empêchait pas de s'installer sur les machines de temps à autre. Il montrait des capacités de gestion impressionnantes ; tant et si bien qu'un autre contremaître se fit remercier, car il prenait son travail. Les autres lui en voulaient, et lui s'en fichait : Les meilleurs restent, les plus faibles partent. C'est la loi de la jungle.

Et, comme promis, il prenait chaque dimanche un bus, puis un ferry, et s'arrêtait à Liberty Island. Il prenait un banc pour lire. D'abord, et ce sans honte, il lut des livres pour enfant : Vocabulaire et grammaire simples. Après quoi il passa au cran au-dessus : Quelques classiques de la littérature américaine lui passèrent sous la main, puis, étonné de la prospérité des États-Unis par rapport à la déchéance de son pays d'origine, il se pencha sur des ouvrages d'économie.

L'Amérique. Le rêve. Il avait trouvé en cette nation son idéal : Un endroit où on lui fichait la paix. Personne ne lui demandait rien ; Il ne demandait rien à personne. C'est seul qu'il avait trouvé son travail, et il était rémunéré pour. Cet argent les nourrissait, lui et sa sœur, et lui permettait d'habiter dans un logement décent. Aucune coopérative, aucune commission ne venait ponctionner le salaire qu'il gagnait durement, et en échange, lui-même n'avait pas à s'adresser à l'État pour vivre. Ayant vécu la pauvreté, il dépensait très peu, mais se permettait néanmoins un cinéma avec elle de temps en temps. Il avait le souci du placement, avait compris cette merveilleuse idée qu'était les taux d'intérêt, et surveillait ses comptes avec attention.

La grande dépression de 1929 ne le laissa pas indifférent. L'usine fut au bord de la faillite. On parlait de la fermer.

Pour lui, la faute pesait sur les syndicats, ces meutes de bâtards galeux. Il avait déjà eu une altercation avec un membre de l'Union des Ouvriers : « Je ne te permets pas de parler en mon nom pour décider de mes droits ! » le summum fut lorsque ceux-ci menacèrent d'une grève, au nom de l'ensemble des ouvriers métallurgistes, « comme en 1920 ». Il en vint au main avec un responsable syndical, et fut renvoyé de l'usine pour la journée. C'était acquis : si Ryan était aux yeux des organisations de travailleurs un « chien du patronat », ceux-là étaient pour lui des infiltrés bolsheviks. Il les détestait, et n'hésitait pas à sauter sur le premier qui crachait au sol sur son passage.

Mais le responsable, c'était aussi l’État. Les journaux titraient sur les fous de boursiers ; lui voyait dans l'État un puissant vecteur de crise. Il avait bien vu comme la banque fédérale semblait jouer inconsidérément avec la valeur de la monnaie, alors même que, du black thursday jusqu'au black monday fatal, les banques avaient tout fait pour sauvegarder les cours. D'ailleurs, l'avenir lui donnera selon lui raison : Roosevelt et son New Deal n'avaient qu'une efficacité de surface, mais aggravaient en fait la situation.


_________..._________


-Ça ne va pas ?
-Pourquoi tu dis ça, Andrew ?
-Tu fais la tête. Et tu n'as pas touché à ta soupe.
-Pardon...
-Tu as des problèmes à l'université ? Ca ne te plaît pas ?
-Non, non... C'est ton travail...
-Oh.

Deux affiches avaient été placardées sur les portes de l'usine hier. L'une, anonyme, dénonçait les financiers qui avaient provoqué la crise, et allaient maintenant démanteler l'usine et mettre des familles entières à la rue. L'autre enjoignait les ouvriers à rejoindre les syndicats pour se défendre.

-L'usine ne va peut-être pas fermer, tu sais.
-Et si elle ferme ?
-Je trouverais autre chose.
-À ce qu'il paraît, personne ne trouve autre chose.
-L'économie, ça va, ça vient. Il ne faut pas être fatalistes.


Elle tournait mollement la cuillère dans sa soupe, avant de lever les yeux vers son frère, de l'autre côté de la sobre petite table dans leur salle à manger, au troisième étage de l'immeuble, dans leur petit appartement.

-J'ai... j'ai peut-être une idée.
-Hors de question que tu arrêtes tes études pour travailler.
-Non ! C'est que... tu penses que tu pourrais acheter ton usine ?


Il fronçait subitement les sourcils. Posséder un commerce ? Il n'avait jamais imaginé cela. Enfin... Si, il l'avait imaginé... Mais dans ses rêves les plus fous, quand il aura cinquante ans, pas maintenant !

-Tu es bien gentille Alissa, mais ça coûte cher, une usine.
-On a de l'argent de côté !
-J'ai presque 3 000 dollars, oui. Et je les garde pour plus tard. Au cas où. Et de toute façon, ce n'est décemment pas assez.


Elle gardait un instant le silence, et prenait une longue inspiration, pour se donner le courage nécessaire.

-Et si... j'avais aussi de l'argent ?
-Comment ça ? Tu travailles en cachette ?
-Je... travaille, oui, mais je ne veux pas te dire où.
-Alissa... Tu vas en cours, pas vrai ?
-Oui, oui, mais... J'ai un travail à côté.
-Et combien as-tu ?
-Un peu plus de 4 000 dollars.

Ryan lâchait ses couverts. Il ne savait pas si c'était le montant de l'argent amassé qui l'abasourdissait, ou le montant du mensonge.

-Comment as-tu eu autant d'argent !?
-Je ne...
-Dis-moi ce que tu fais !
-Ne me crie pas dessus !
-Dis-moi où tu travailles !!


Elle semblait tétanisée. Son frère était rarement en colère. Assez froid et distant, mais aimant néanmoins...

-J'ai... déjà entendu... tante Galia... parler de son travail...

Ryan se crispait. Les muscles de son bras gauche se tendaient. Il serrait les dents. Son pied tapait nerveusement au sol. Puis, soudainement, il envoyait violemment son assiette semi-pleine contre le mur, et se dresse de sa chaise.

-TU FAIS LA PUTE !?
-Ne crie pas !


19 ans, fleur de l'âge, et elle était prostrée sur son siège, les larmes s'échappant alors même qu'elle n'osait plus le regarder.

-Ma sœur ! Ma propre sœur !
-Et tante Galia !? Elle survivait grâce à ça !!
-TU N'AS PAS BESOIN DE CA POUR SURVIVRE ! JE POURVOIE À TOUS TES BESOINS !
-Je voulais être indépendante ! Faire les choses par moi-même !! COMME TOI !!


Il se stoppait net. La regardait.

-Indépendante ? Je te paie tout !
-Non !
-Quoi, non ? Non ? Je te donne de l'argent pour que tu manges, pour que tu t'achètes des vêtements !
-Je ne le dépense pas, Andrew !
-Pardon ?
-Je ne dépense que mon propre argent... Ce que tu me donnes, je le cache. Il compte dans les 4 000. Je le rajoute avec ce que je mets de côté moi-même... pour... au cas où... plus tard...
-Je rêve ! Je rêve !!


De lourdes secondes passent, pendant lesquelles Ryan fait les cent pas dans sa petite salle, mains sur le visage, grognant de rage, murmurant des mots dans sa langue natale, chose qui ne lui était plus arrivé depuis des mois.

-Andrew....
-La ferme !
-Andrew ! Tu m'as emmenée hors de Russie ! Tu m'as fait venir ici !
-Tu oses me le reprocher ? Tu te souviens de la merde dans laquelle nous étions ?
-Oui ! Et j'ai vu que toi, tout seul, tu arrivais à faire mieux que trente personnes là-bas ! Moi aussi, je voulais faire par moi-même !
-C'est déshonorant !
-Et tante Galia ?
-TU N'ES PAS GALIA, ALISSA !!
-Tu ne lui disais rien !
-Ce n'était pas ma sœur !
-Ça ne change rien !


On frappait à la porte. Ryan allait ouvrir d'un pas pressé.

C'était le voisin, un type généralement sympathique, un peu bedonnant, la quarantaine. Il travaillait dans les chemins de fer.

-Hey, voisin. Un problème ?
-Des histoires de famille.
-Attention, que je ne vous vois pas toucher à la petite.
-... Tu oses te mêler de mes affaires ?
-Non, je dis juste que...
-TU ME LAISSES TRANQUILLE, COMPRIS !? JE SUIS LIBRE ! LIBRE !!


Ayant collé son interlocuteur contre le mur du couloir, il s'évertuait, en le tenant par le col, à secouer son corps à chacun de ses mots.

-LIBRE ! LIBRE ET AMERICAIN, TU COMPRENDS !?

Et un coup de poing, qui envoya le cheminot au sol, devant trois autres voisins horrifiés.


_________..._________


-Parle-moi.

Pour la première fois depuis deux jours, il s'adressait à elle.

-De ?
-Ton travail. Ce que tu fais.
-Je n'ai pas envie de parler de ça.


Ils mangeaient, assis au sol, dans un bureau exiguë. C'était celui du patron de l'usine. Ryan étant un employé exemplaire, cadre qui plus est, son supérieur le laissait donc dormir dans son bureau avec sa sœur, à même le sol, avec quelques gros oreillers en guise de matelas. Après s'être fait expulser de leur appartement, ça valait mieux que rien. Ils avaient ouverts une boîte de haricots, qu'ils ne feront pas chauffer, et s'était même offerts le luxe d'une pâtisserie autrichienne, ultime plaisir normalement réservé au dimanche soir, mais qu'ils prenaient, circonstances exceptionnelles faisant loi, un mercredi. Le besoin de réconfort prime sur la raison.

-S'il te plaît.
-Qu'est-ce que tu veux que je te dise ?
-Je ne sais pas. Ça te plaît ?
-Non. Enfin... Ce n'est pas... forcément désagréable. Ça dépend.

En effet, c'était difficile d'écouter ce genre de choses, mais cette peine lui était nécessaire.

-Tu m'en veux ?
-Non. J'en veux à ceux qui te paient pour t'avoir.
-Toi, tu m'as sans payer, Andrew. Enfin... pas dans ce sens-là... mais...
-Je comprends.


Une pause.

-C'est la loi du marché. L'offre et la demande. Tu m'en as parlé un jour.
-Ton corps n'est pas une marchandise.
-Pourquoi pas ? Le tien l'est.
-Pardon ?
-Oui. Tu offres tes bras pendant dix heures à ton patron, en échange, il te donne de l'argent. Moi, c'est pareil. Et je suis libre, Andrew. Libre de faire ce que je veux.


Il soupire. Elle a raison. Elle lui oppose ses propres arguments, ceux qui guident sa vie. Elle a trop raison à son goût, tellement qu'il se renfrogne et ne dit plus rien.

Ils n'ont pas fini de manger quand la porte s'ouvre. Le patron entre. Andrew et Alissa se lèvent, et inclinent la tête.

-Monsieur Salisbury.
-Restez assis, restez assis, mangez, je prends juste quelques documents.


Il sortait un trousseau de clé qu'il utilisait afin d'ouvrir un coffre de métal, pour en sortir des dossiers qu'il parcourait, extrayant certaines feuilles.

-Monsieur, l'usine va fermer ?
-Je ne peux pas parler de ça avec toi, Andrew. C'est une affaire entre moi et les autres propriétaires.
-Monsieur, je veux vous l'acheter.


Alissa et Salisbury se tournent vers lui, abasourdis.

-L'usine ?
-Oui.
-Ahahah ! Andrew, voyons, ça m'étonnerait que tu aies assez d'argent. Je te rappelle que tu dors sur le sol de ton lieu de travail...
-Oui, mais dans le bureau du patron. Si ce bureau était à moi, je dormirais au même endroit.
-Très drôle, Andrew, mais cette usine n'est pas à vendre.
-Et si je vous en propose 10 000 dollars ?
-10 000 ? Cette entreprise en vaut bien plus...
-Alors combien coûte-t-elle ?
-Elle n'est pas à vendre.


Il s'arrête, puis les considère un instant. Ryan a l'air si sérieux à ses yeux...

-... Mais si tu pouvais allonger 15 000 dollars, les autres gérants et moi pourrions considérer la chose.
-15 000 !?
-Sache que c'est donné. Le rendement n'est pas exceptionnel, de toute façon.  
-D'accord, je vous l'achète. 15 000.
-Où vas-tu trouver tant d'argent ?
-Annoncez la fermeture de l'usine quand vous le voudrez, parce que nous savons que c'est ce qui va arriver. Je pourrais trouver l'argent, sans faute.



_________..._________


Trois jours plus tard, les affiches annonçaient la fermeture de l'usine dans la semaine à venir. On liquidait les dernières barres de métal, et on pliait les gaules.

C'était un dimanche qu'Andrew Ryan avait fait venir tous les ouvriers. Une lettre postée à tous ses collègues. Il avait pris soin d'éviter de prévenir les camarades trop « syndiqués ». Appuyé contre une estrade de métal, devant un parterre de travailleurs et de contremaître, il improvise alors un discours.

« Vous ne faites plus confiance aux banques », a-t-il commencé, « et moi non-plus ». L'usine allait fermer, des vies allaient être brisées. L'argent fuyait. Fallait-il se résigner à un destin sombre et incertain ? Selon lui, non. Avec toute sa verve, il tentait d'en convaincre les autres. Rejetons les syndicats, rejetons l’État et les banques. Nous pouvons le faire nous-mêmes. « La force de nos volontés individuelles brise tous les murs, toutes les barrières ».

Ce qu'il voulait ? De l'argent. Oui, il leur proposait de lui confier toutes leurs économies : L'argent réuni rachètera l'usine. Il leur fera une reconnaissance de dette, et promet de les garder comme employés. Et deviendra leur patron. Il sait ce qu'ils vivent, il n'a pas besoin d'être syndiqués pour savoir que leur métier était dur, mais qu'il avait de la valeur, et qu'ils récompenserait mieux ceux qui travailleraient plus ardemment.

Il leur indiqua que, demain, à 8h, il occupera le bureau du patron, et qu'il les attendra un à un, pour entendre leurs doutes, et prendre leur argent, s'ils sont volontaires. Sinon, qu'ils commencent à chercher du travail ailleurs.

Il courait ensuite prendre son bus, avec Alissa cette fois-ci, puis le ferry jusqu'à Liberty Island. Pas de livre. Ils parlèrent en se baladant autour de la statue.

-Pourquoi viens-tu encore ?
-Parce que je l'ai promis.
-Tu n'as pas envoyé de lettres à Petrograd ?
-Si. Deux fois par an environ. Je n'ai jamais eu de réponse. De même pour la famille. La censure, peut-être.

Il avait déjà tout pardonné à sa bien-aimée parente. Il n'avait pas à interférer dans sa liberté. Sinon, il ne vaudrait pas mieux que les soviétiques qu'il a fui. Il se transformerait en un soldat rouge, réglementant, interdisant, jugeant ; il s'y refuse.

Sur le chemin de retour, ils n'étaient que deux, toujours. Pas plus de Galia que ces dernières années.

-Tu penses qu'il y aura du monde, demain ?
-Je ne sais pas. Quatre ou cinq personnes suffiraient, avec toutes leurs économies... j'ose espérer. Oui, il faut avoir de l'espoir, Alissa. Je ferais une reconnaissance de dettes à Salisbury si je n'ai pas assez.



Elle le réveillait le lendemain avec empressement.

-Andrew ! Andrew !


Il tordait son dos meurtri par les conditions de sommeil spartiates, puis se dressait. Derrière les vitres, de l'autre côté, alors même qu'un vague soleil pointait timidement le bout de son nez et qu'il n'était pas plus de 7h50, une quarantaine de ses collègues faisaient déjà la queue.


_________..._________



-Voilà 18 670 dollars, monsieur Salisbury. Je prends tout le stock de métal restant, ainsi que les machines, le mobilier, et je choisis mon personnel.



_________..._________


C'est après qu'arriva Roosevelt. Ryan n'avait pas voté pour lui. Ryan n'avait pas voté. Il avait demandé à ses ouvriers de s'abstenir de voter pour « ce socialiste », qui ressemblait cruellement à un « vendu à l'URSS ». Régulation du marché. Cette expression sonnait comme un gros mot aux yeux de Ryan. Le New Deal, c'était la mort de l'économie américaine.

Certes, la situation financière du pays était déplorable, et le rendement de l'usine avait gravement baissé. Mais il y croyait. La matière première coûtait affreusement cher. Il négociait personnellement et traversait l'état, allait voir jusque dans l'Ohio et la Caroline du nord, où l'acier coulait à profusion bien plus que dans les états voisins de New York. Il dormait peu, mangeait peu, économisait sur tout. Il ne refusait rien à Alissa, qui, en retour, ne demandait rien, ce qui leur convenait à tous les deux.

Elle arrêta la prostitution, lui promit sans même qu'il n'ait à le demander. Elle se concentra sur ses études de science.

Il lui arrivait d'oublier d'aller à Liberty Island, car il passait le dimanche, comme d'autres jours, dans l'usine. Il vérifiait lui-même les machines, comptait lui-même les stocks. Rien ne devait lui échapper. Il eut l'idée d'un mécanisme simple : Baisse générale des salaires, baisse du temps de travail, augmentation des primes aux heures supplémentaires. Poussés par les conseils de leur nouveau boss, les ouvriers décidaient d'eux-mêmes de travailler au même temps qu'avant, voire un peu plus, et se rendaient compte qu'ils gagnaient plus qu'auparavant.

Ainsi, il avait rompu les contrats de travail des ouvriers trop à gauche. Les syndicats finirent bannis de l'usine.

Un accident d'une machine coûta la vie de deux de ses employés, ainsi que la fonction d'un muscle du mollet pour Ryan. Il marche depuis avec une canne.

Il ne s'y trompa pas : Après s'être fait détruire des vitres par des militants d'extrême-gauche, c'est la politique de Roosevelt qui s'attaquait à son commerce. Les administrations se multiplièrent, et il fallait des taxes pour les payer. Chômage, retraite, syndicats, sécurité sociale. L'État-Providence était né ; celui dont Ryan n'avait pas eu besoin. Parti de rien, il avait su s'en sortir. Il méprisait tous ces fainéants qui profitaient de l'argent des impôts, des aides de l'État. Avait-on besoin d'un intermédiaire pour trouver un travail ? Bah ! Il suffisait de se déplacer soi-même, de faire le tour des entreprises, une à une, de parler, de négocier. Le niveau des salaires, l'aide pour ceux qui n'ont pas de travail ? Une honte ! Il se complaisait à ne pas respecter les lois qui coulaient à flot.

Il reçut des amendes, qu'il paya de mauvaise grâce. Elles lui coûtaient moins cher que leurs mesures dispendieuses. Les finances du pays allaient mieux, oui ; mais il était persuadé que ce n'était pas grâce à la politique de Roosevelt, mais bien à une reprise de confiance de l'économie, cette dernière étant cyclique. C'était grâce à des gens comme lui, qui travaillaient dur et avaient pris des risques, que tout s'améliorait.

La guerre. Une opportunité en or. Alors même que les autorités le regardaient d'un mauvais œil, le déclenchement de la guerre en Europe était une aubaine. Il décida d'agrandir son usine, et même, d'en acheter une autre, dans l'état de Pennsylvanie, non-loin de la première à New York. Un sens aiguë des affaires se développa chez lui.

Et il ne s'y trompa pas : Les années 40 furent son âge d'or. La production s'accéléra. L'économie de guerre fit la gloire de l'acier. Les chars étaient gourmands, les armes aussi, les casques, et toutes les pièces d'uniformes requéraient leur petit bout de fer.

Troisième usine. Quatrième. Cinquième. Il s'endetta même auprès de trois créanciers privés pour s'offrir ses nouvelles enseignes, qu'il remboursa vite. Il distribua une partie des gains faramineux de l'année 1943 à ses ouvriers les plus méritants. L'argent s'accumula. Jamais trop à son goût. Il n'était pas riche pour être riche, mais il avait des buts. Il voulait investir, créer, prendre des risques. Il savait que son état de grâce ne durerait pas, et réfléchissait déjà à sa reconversion.

L'architecture était une bonne idée. Il passa des contrats auprès de constructeurs. L'Europe était déjà en demande d'acier, pour reconstruire. Il fallait faire tourner les machines à plein régime pour que soient envoyées des tonnes de barres de matière par bateaux.

Il ne portait plus que des costumes. Ses cheveux grisonnaient prématurément. Une canne au pommeau d'argent annonçait partout son arrivée. Sa démarche était assez régulière et souple grâce à elle. Et Roosevelt perdurait.

Jusqu'à 1945. Baisse des commandes. Peu importe : Il avait déjà bien entamé les changements de clientèle. Lui succède alors Truman.

Grèves de 1946. Mécontentements. Certains employés sont embrigadés. Il était devenu plus dur, moins conciliant. Il les vire. Les taxes grandissent, les mesures pro-consommateurs, pro-sécurité, pro-chômage, anti-patrons se succèdent. Il résiste. Subit les amendes. Manque la prison. Les commandes ne suivent pas ses ambitions.

Arrive le moment critique, celui qu'il a toujours redouté : En août 1946, on lui présente un budget négatif. Pour la première fois depuis qu'il a posé le pied aux États-Unis, il perd de l'argent.


_________..._________



Ils mangeaient une crème glacée dans un petit pot de carton bleu, ce dimanche, au pied de la Statue.

-Tu t'es jamais dit que l'un de vous se trompait d'heure ou de jour ?
-Galia et moi ?
-Oui. Imagine, elle vient le matin. Ou elle vient le samedi. Chaque jour, depuis des années.
-Mon esprit rationnel n'ose imaginer ce genre d'ironie fatale, qui ne pourrait être que l'oeuvre d'un dieu malin.

Elle regardait vers l'eau. Un vieux rêve la traversa.

-Je voudrais aller là-dessous.
-Sous la statue ?
-Non, sous l'eau. Loin... voir ce qu'il y a au fond.
-Au fond, il y a de l'eau, Alissa.
-Oui, aussi loin qu'on peut en voir. Mais si on pouvait aller plus loin, on devrait pouvoir trouver l'Atlantide.
-Tu es toujours une gamine dans ta tête...
-Quel âge aurait Galia ?
-Le même que moi. 45 ans.
-Tu penses qu'elle est encore en vie ?


La question lui faisait mal chaque fois qu'il se la posait. Il avançait jusqu'au bord de l'eau, canne le long de sa jambe blessée.

-Des fois, je me dit qu'elle s'est fait exécuter le lendemain de notre départ, juste parce qu'elle m'avait aidé. Quelqu'un l'a su. On l'a fait fusiller, ou quelque chose du genre. Et je perds mon temps, depuis presque 30 ans.

Elle empoigne son sac à main.

-On y va ? Le ferry part bientôt.
-J'arrive.


Sous l'eau, oui... que pourrait-on y trouver.


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Hiroshima et Nagasaki était un épisode qui lui avait fait particulièrement mal. La science, disait-il, devait être utilisée uniquement pour créer, et non pour détruire. La science était un instrument de bien. Le gouvernement était un enfant à qui l'on donnait une arme bien trop puissante pour son esprit puéril, vicié et sournois. Une véritable honte.

Il avait étudié les dégâts de cette nouvelle arme sur les peu de rapports qui pouvaient en filtrer. Il regardait les émissions publiques qui glorifiaient l'acte. Une victoire propre, selon eux... Mais qui refoulait les miasmes de l'arbitraire guerrier. Il se sentait honteux d'avoir vendu des produits ayant servi à construire ce genre de choses. La guerre, en tant qu'elle était l'opposition d'un soldat contre un autre, lui semblait plus ou moins acceptable ; mais lorsqu'il s'agissait d'annihiler la vie d'innocents, c'était une humiliation à son art productif. Et plus il y réfléchissait, plus il ne voyait là-dedans que la manipulation globale des Etats de la vie de leurs citoyens sans autre considérations que leurs intérêts mesquins.

Warden Yarn était une toute nouvelle société, implantée sur la côte de l'état de Géorgie. Il s'agissait là de collaborer avec les entreprises les plus prometteuses de l'Amérique et d'ailleurs. Il voulait des architectes visionnaires, des scientifiques qui ne prenaient rien au hasard, et des bâtisseurs audacieux. Devant un parterre de 18 personnes, triées sur le volet, il leur avait dit :

« Je vais construire une ville sous l'eau. »


Une ville libre des lois des hommes, libre de leurs folies. Une ville où l'État serait minimal et n’œuvrerait que dans des limites strictes, dans le bien de tous.

Il lui fallait douze ans pour achever son rêve. Les quatre premières années étaient tranquilles, jusqu'à la mort de sa soeur. Maladie aussi. Il n'avait connu que ça parmi ses proches. Malgré son cœur dur et son expérience des épreuves, il pleura. Elle était la dernière personne qui le reliait au monde, le dernier contact réellement humain, non-motivé par les affaires ou les intérêts.

Il la fit immédiatement congeler dans un immense bloc de glace, qu'il fit entreposer dans le Yukon, au Canada, là où se trouvait l'un des centres de recherche qu'il finançait.

Dès lors, il jeta tout son argent, sans compter. Même les projets les plus fous lui semblaient réalisables.


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Hank Rearden tenait, tout comme lui, une aciérie. Plus que Ryan, qui était un visionnaire en terme de commerce, Rearden était un innovateur technique. Il avait été le premier, dans le pays, à construire un tout nouveau système de refroidissement, point sensible de l'industrie de l'acier. La fissure du métal était la hantise des industriels : En enrichissant l'air avec de l'oxygène pour le conduire dans un circuit hyper-pressurisé sur les barres de métal en fusion, la trempe de l'acier était optimale, moins dangereuse mais plus coûteuse en logistique. Il s'est vite tourné vers le refroidissement à oxygène pur, mais une distribution uniforme sur les produits finis posaient de nouveaux problèmes.

Il a donc lorgné vers des nouveaux travaux en Chine et au Brésil. La recherche & développement de ces pays, que les occidentaux regardaient avec mépris, parlaient beaucoup de techniques inédites de fusions, d'alliages à hauts potentiels... Mais seuls quelques petits ateliers indépendants osaient les tester.

Ses ouvriers le virent alors moins souvent en costume et plus souvent en bleu de travail, à leur grand étonnement. Il arrivait très tôt le matin, se réfugiait dans l'atelier de recherches, où, dans son coin, à côté de ses ingénieurs qui le regardaient circonspects, il tentait de nouvelles expériences avec le métal. Il empruntait parfois un haut-fourneau toute une après-midi, préférant généralement travailler la nuit mais nécessité faisait loi. En moins de deux mois, il mit au point ce qu'il appela temporairement le Rearden Metal.

-Et ensuite ?
-Ensuite, c'est là que l'État intervient.


Une obscure commission affectée à la production de l'énergie voyait d'un mauvais œil les nouvelles techniques sur lesquelles elle n'avait pas la main. Il fallait faire passer des tests au Rearden Metal avant d'en autoriser la production, ce que Rearden accepta volontiers, jusqu'à ce qu'il constate que lesdits tests autorisaient la commission à s'approprier la formule pour en faire bénéficier le gouvernement. Il changea donc d'avis. On lui dit qu'il ne pourrait produire. Il dit qu'il vendra à qui achètera. On lui répondit que toute personne qui commandera de son métal sera averti par la commission de la non-certification fédérale de celui-ci.

-Pour les dissuader de vous en acheter.
-Ce qui fonctionne. Personne ne veut de mon métal.


Pourtant, Rearden avait confiance en son métal. C'était un grand bonhomme, ancien ouvrier comme Ryan, mais au physique trente fois plus américain : Menton carré, cheveux courts en brosse, grands yeux clairs, un stéréotype de l'officier courageux du corps des Marines. Il souriait peu, et n'éprouvait pas de sentiment. Il pensait business. Et en terme de business, son produit était excellent par rapport à l'acier commun : Garanti inoxydable, d'une rare pureté, flexibilité accrue, résilience bien au-delà du standard...

-Et une résistance à la rupture trois fois supérieure à ce que je produis. J'ai lu votre brochure. Et son prix... Une économie de 76%, soit une marge nette accrue de 59%. Mais...
-Oui ?
-Sur la durée ? Je n'ai aucune idée de sa résistance sur le temps.
-Si personne ne l'achète, si personne ne l'utilise, jamais nous ne saurons. Nous passons peut-être à côté du produit le plus révolutionnaire de notre industrie, et ce pour les cinquante années à venir. Mr. Ryan, je suis prêt à prendre sur moi tous les dégâts qu'un dysfonctionnement anormal de mon métal causera. Et si ça arrive, de toute façon... J'arrêterais mon entreprise. Je parie sur mon bébé. Soit je réussis, soit j'échoue. Il n'y a pas de juste milieu.


Ryan aimait les hommes qui osent, et lui-même se surprenait à être parmi ceux qui doutent, qui avancent à tâtons, la peur au ventre. Il remarquait le bracelet que Rearden portait à son poignet, dépassant de sa veste.

-C'en est ?
-Oui.
-Je peux ?
-Tenez. Toute première fonte.

À tenir le bijou entre ses mains, Ryan sentait la conviction l'envahir. Il était touché par la foi de Rearden, et plus il admirait ce magnifique acier clair aux reflets légèrement bleutés, plus il voulait tenter l'aventure.

-Les vies de milliers de personnes seront perdues au moindre souci.
-Je suis prêt à prendre ce risque.
-Parfait. Il va me falloir deux fois quatre cent kilomètres de rail, pour commencer, cinq kilomètres carré de plaques lisses de cinq centimètres d'épaisseur... Je vous enverrai les plans et les caractéristiques dont vous aurez besoin. Commencez la fonte, il vous parviendra le contrat et les dossiers de production.


Ils se levaient, se serraient la main.

-Mr. Rearden ?
-Appelez-moi Hank.
-Appelez-moi Andrew, alors.
-Qu'y a-t-il, donc ?
-Pas un mot au gouvernement.
-Cela va de soi, Andrew.



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-Vous pouvez ressusciter les morts ?

L'austère scientifique remontait ses petites lunettes carrées, avant de rajuster sa pose. Elle ne souriait pas. Cela plaisait à Ryan.

-Comme je vous l'ai dit, nous pouvons théoriquement tout faire. Ce n'est qu'une question de temps et d'idée. Mais... cette matière a des propriétés exceptionnelles.
-Vous pouvez donc ressusciter les morts.


Elle acquiesçait.

-Dans quelques années, cette question sera de l'ordre du réalisable.


Son accent allemand lui semblait délicieux. Il se levait, s'appuyant sur sa canne, puis traversait toute la pièce, longeant la table, jusqu'à lui tendre ses doigts. Elle s'attendait à un baisemain ; au lieu de ça, il lui fit une poignée de main, franche. Signe qu'il la considérait comme son égale. Cela faisait des années qu'elle n'avait plus eu une telle reconnaissance.

-Docteur Tenenbaum, mes crédits sont illimités. Faites comme bon vous semble.



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Lorsque l'argent commence à manquer, il vend une usine et investit dans les autres pour les booster avant de dégager de plus grosses marges qui servent à financer sa nouvelle construction colossale.

Les activités de l'entreprise Warden Yarn passent par les oreilles de la CIA, qui aimerait en savoir plus. On entend de folles rumeurs sur cette société mystérieuse – certains y auraient trouvé le moyen de contrôler la matière et les éléments.

Il fallait à tout prix que les employés se taisent, et pour cela, il savait les motiver.
« Tout doit rester secret, jusqu'à ce que nous puissions le vendre. Et là, nous deviendrons tous extrêmement riches. »
Et ils se taisaient. Les plus impliqués avaient pour devoir de vivre dans les locaux de la société, et leurs communications étaient contrôlées.

Mais en 1958, tout s'enchaîna. D'abord, des documents disparurent, puis des employés. Finalement, un procureur fédéral fut mis sur la piste de tests humains réalisés par Warden Yarn au Mexique. Une trentaine de corps mutilés, des condamnés de droit commun, avaient été exhumés dans le désert.

Il fallait accélérer le mouvement. En septembre 1961, Rapture était enfin à flot. Enfin... Sous les flots.


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Rapture était la consécration de Ryan. Située dans un coin des plus paumés de l'Atlantique, bénéficiant de tout ce qui pouvait se faire en matière de nouvelles technologies, c'était une cité sous-marine gigantesque. Il l'avait construite sur un très large plateau rocheux situé à 80 mètres sous le niveau de la mer. Le plus dur avait été de réussir à y emmener des hommes, mais une fois le problème résolu, la chose devenait aisée. Construire dans l'eau était moins compliqué que ce qu'il n'y pensait : Il suffit de partager les tâches de construction dans les chantiers d'Islande, et ceux réalisables à même l'océan.

On fit fonctionner pendant trois jours les turbines d'évacuation d'eau, les systèmes de séchage internes, et l'oxygénation des locaux. Il descendait avec plusieurs de ses scientifiques dans un petit sous-marin. Tous appréhendaient, sauf lui, qui n'avait plus si peur de la mort. Après tout, il s'était ruiné pour construire Rapture.

Leur sous-marin passait dans une série de sas très étroits, guidés sur des rails où s'était amarré le véhicule. Ils débarquaient dans une grande salle, type accueil d'aéroport, où il n'y avait pas la moindre trace d'eau, sinon celle que suintait leur transport.

Ryan ouvrait la porte.

Et respirait. Ses poumons se remplirent d'oxygène.

-Mes amis... Notre nouvelle cité.
« Modifié: jeudi 10 décembre 2015, 18:31:47 par Law »

Andrew Ryan

Humain(e)

Re : I chose Rapture

Réponse 2 dimanche 22 novembre 2015, 17:00:38




« Mon nom est Andrew Ryan. Et je suis ici pour vous poser une question. « Est-ce qu'un homme ne mérite pas le salaire durement acquis à la sueur de son front ? »

Non, répond l'homme de Washington, il appartient aux pauvres !
Non, répond l'homme du Vatican, il appartient à Dieu !
Non, répond l'homme de Moscou, il appartient à tout le monde !

J'ai rejeté ces réponses. Au lieu de ça, j'ai choisi quelque chose de différent. J'ai choisi l'impossible. J'ai choisi... RAPTURE.

Une cité où l'artiste ne craindrait pas la censure, où le scientifique ne serait pas soumis à une pitoyable morale, où le Grand ne sera pas contraint par le Petit ! Et à la sueur de votre front, Rapture peut devenir votre cité, à vous aussi. »

~ Clip Promotionnel lors de l'arrivée à Rapture




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Toutes ces dernières années, il a tenté de réunir les esprits les plus brillants du siècle, dans tous les domaines. Il a aussi fait venir des chômeurs dont le travail avait été pris par le collectivisme, que ce soit en Amérique ou ailleurs.

Il avait fait chercher Galia. En vain.


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Rapture était une nouvelle utopie.

Administration :

« Council members have no regulatory oversight of city commerce »
~Affiche collée sur la grande tour du Conseil

Le Conseil Central est l'organe dirigeant de Rapture. À la fois exécutif et législatif, il réglemente la vie à Rapture dans les domaines qui lui sont réservés – soit, très peu. Ce corps était privé, et était donc soumis à la concurrence.

Sept sièges à se partager, chaque personne pouvant s'y asseoir étant élu par son corps d'appartenance – profession libre, scientifique, artiste, industriel, commerçant, employés et sans-emploi. La seule exception étant Ryan, siégeant à vie, ayant le pouvoir décisionnaire final.

Sécurité :
L'armée et la police de Rapture sont inexistantes : Sa sécurité est en fait assurée par des mercenaires payés par Ryan, servant l'intérêt des citoyens. Ils patrouillent, enregistrent les plaintes, arrêtent les criminels. Ils possèdent des armes automatiques, mais ne sont pas les seuls : Tout citoyen de Rapture a droit de s'armer et de se défendre, et tout citoyen a le droit de constituer sa propre armée privée, qui concurrencera celle de Ryan.

Finances :

Rapture ne prélève pas le moindre impôt, ses revenus provenant de ses activités de commerce, la redevance à l'entrée, et les dons bénévoles. Andrew Ryan a donné 93% de son argent aux caisses de la Cité, pour créer le dollar de Rapture. Celui-ci n'est pas une monnaie unique : Trois monnaies se côtoient à Rapture, les deux autres ayant été créés par des privés. On trouve aussi nombre de monnaies mineures servant à des tâches précises (l'Eros est, par exemple, une monnaie servant uniquement à Siren Alley). Les cours sont affichés en temps réel à la Bourse de Rapture.

Justice :

Le tribunal général de Rapture s'occupe de toutes les affaires ne relevant pas d'un autre tribunal. Il est aussi chargé de régler les conflits de compétences entre plusieurs tribunaux. Le reste relève des tribunaux privés : Ceux-ci sont des entreprises, et tous les contrats peuvent contenir une clause portant le litige devant n'importe quelle cour. En-dehors de cela, chaque zone de Rapture possède ses tribunaux où les citoyens peuvent choisir de se rattacher par un abonnement annuel. Un citoyen non-affilié court le risque de ne pas être couvert en cas de délit sur sa personne.
Au-dessus de tout cela se trouve la Cour Suprême de Rapture, qui accepte tous les appels des autres tribunaux, et est entièrement financé par Andrew Ryan. Il règle les affaires en droit, et si la solution est insoluble, il la règle en équité selon le bon vouloir de Ryan ou des juges.

Santé :
Comme le reste, la santé est entièrement privée. Il n'y a pas de sécurité sociale, mais la plupart des citoyens de Rapture sont inscrits à des assurances privées, ou certains cotisent à des caisses communes non-lucratives dans les petits quartiers. Les coûts sont réduits et l'efficacité des remboursements est mieux assurée... Du moins, tant que Rapture tient debout.

Logement :
Ryan a fait construire d'immenses quartiers résidentiels, chacun avec des niveaux de confort et donc de prix différents. Vendus ou loués, ils ont permis de loger tous les nouveaux arrivants et de faire de Rapture une société de propriétaires. Les nombreux brevets détaillant les méthodes pour construire sous la mer et étendre la ville étant publics, de nombreux entrepreneurs ont pu créer de nouveaux logements pour assurer un toit à la population grandissante.

Transport :

Rapture est entièrement desservie par un métro possédé par une société privée. Si il est bien propriétaire des rails et des rames, certaines stations ainsi que les tunnels sont en actions aux mains de petits porteurs.

Education :

La plupart des grands quartiers résidentiels possèdent un complexe d'étude primaire et secondaire ; à l'exception notable de l'un d'eux, ils fonctionnent tous sur un modèle de coopérative, où les parents d'élèves achètent des parts pour voir admettre leurs enfants, parts qu'ils doivent céder lorsque l'enfant quitte l'école ; ils obtiennent ainsi droit de vote et gèrent collectivement les programmes et les rythmes, les professeurs étant donc leurs employés, sous la direction de l'administration scolaire qui doit répondre devant le conseil des élèves. Rapture possède aussi deux universités : L'une appartient à Ryan et forme aux différents métiers nécessaires à la cité, l'autre, bien plus théorique, fonctionne sur un modèle d'une moins grande rentabilité, et est possédée par cinq personnes privées.

Culture :
Aucune subvention n'est accordé ; la plupart des « artistes », lorsqu'ils ne peuvent vivre de leur art, travaillent d'eux-mêmes pour s'assurer un revenu décent et créent sur leur temps libre. Le mécénat est donc courant, et il est considéré comme normal pour un artiste de demander des financements aux riches de Rapture, qui donnent généralement à foison.


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La Philosophie de Rapture

Ryan a fondé Rapture pour échapper au contrôle de l'État et de la morale arbitraire qu'il dictait. Il s'est donc fixé une règle d'airain : Personne ne doit entraver le commerce, pas même lui. À Rapture, l'achat et la vente étaient libres.

Le commerce n'avait pas besoin de régulation. Il appelait ça la Grande Chaîne : Cette chaîne, c'est l'alliance des efforts de chacun, les intérêts combinés donnant sa vitalité et sa solidité à celle-ci. Personne ne devait tenter de l'arrêter. Le faux Etat – l'administration de Rapture – pouvait décider d'en être un maillon comme les autres, à condition qu'il n'entrave pas, par des lois et des décrets, l'égalité des chances de chacun. L'administration jouait donc avec les mêmes règles que les autres, à une exception près : Seule l'administration, par Ryan, pouvait acheter les produits au-dehors de Rapture, et avoir des contacts avec ce dehors. Les produits achetés étaient ensuite revendus à Rapture pour les besoins de tous, avec les mêmes taxes, et soumis à la concurrence des produits étant encore sur le marché interne.

Mais cela ne s'arrête pas au commerce : La science est libre, tant qu'elle n'entrave pas les libertés individuelles. Nombre de pauvres sans travail ont alors dû devenir des cobayes humains, car rien n'interdisait les tests sur les hommes, même les plus sordides. C'est aussi ce qui faisait l'avance technologique de Rapture : Les découvertes de Tenenbaum et de ses confrères étaient exploitées par les scientifiques et les industriels, qui trouvaient des fondements pratiques à ses avancées.

Les plus grandes de toutes furent les plasmides.

Brigid Tenenbaum pensait simplement découvrir une nouvelle race de limace de mer. Elle a pu observer l'instabilité de cette limace, et certaines réactions des plus étranges : L'animal pouvait changer durablement sa forme, briser les bocaux dans lesquelles on l'enfermait, ou générer une quantité d'eau non-négligeable pour se sentir plus dans son élément.

La scientifique parvint finalement à isoler quelques cellules mutagènes inconnues, qu'elle tenta de greffer par divers moyens à des rats, qui mourraient bien vite. À la dissection de ces cadavres, elle vit que le cerveau baignait dans un liquide verdâtre suintant en très petite quantité. Ce même liquide qu'elle trouvait aux extrémités des limaces.

C'était la clé. La substance était recueilli puis réinjecté à des animaux vivants, qui à leur tour développaient aléatoirement de nouvelles capacités. Ils finissaient tous par mourir à leur tour, mais avant, ils devenaient prodigieux : Invisibilité, sauts extraordinaires, modifications corporelles.

Il lui fallut presque deux ans pour stabiliser le produit. Elle dû d'abord isoler les propriétés de chaque série de liquide extrait dans les limaces, collectées en masse. Elle répertoria les différents caractères génétiques et regroupa ensemble les extraits présentant les mêmes cellules. En fonction de ces cellules, la mutation du sujet était différente.

Ainsi, elle avait réuni dans son laboratoire une série de bocaux pleins d'un liquide vert, étiquetés selon l'effet que les limaces produisaient. Elle ne comprenait pas comment cette matière parvenait à manipuler les éléments et la réalité, mais elle s'y penchait.

Elle isola la substance toxique contenue dans ce liquide, et dû composer une solution pour la neutraliser. Le problème étant que c'était ce même poison qui faisait durer le produit dans le corps de l'hôte. Les sujets ne mourraient plus, certes, mais leurs pouvoirs s'estompaient vite, et elle ne trouvait après dissection que des cellules vidées de leur vitalité, chose qui n'arrivait pas avec le produit naturel.

Il fallait donc artificiellement faire vivre le produit, et c'est là encore chez les limaces qu'elle trouva la solution : Dans son sang, elle parvient à isoler un complément à la substance première, qu'elle put cette fois-ci produire en fabrication de synthèse.

Elle nomma le premier ADAM, et le second EVE.

Elle se tourna vers le docteur Suchong pour les tests humains, un scientifique chinois parmi les plus brillants de sa génération, au moins autant que Tenenbaum. Ils essayèrent sur des cobayes volontaires l'ADAM, qui leur offrait systématiquement les pouvoirs escomptés, sans jamais d'erreur. Après quelques jours, le sujet était dans l'incapacité d'utiliser ses pouvoirs. C'est là qu'intervenait l'EVE : Une piqûre de ce liquide bleu, bien moins onéreux et bien moins contraignant physiquement, et le sujet pouvait de nouveau disposer pleinement de ses modifications génétiques acquises précédemment.

Tous les tests furent une réussite. L'ADAM fut commercialisé à Rapture. L'appel d'offre pour l'ADAM fut remporté par Frank Fontaine, un industriel, qui serait chargé de le produire et de le vendre. Quant à l'EVE, il fut confié à un certain Majd al-Sour, qui siègera plus tard au Conseil en tant que représentant des commerçants.

Les publicités comportaient des petits caractères : L'abus d'ADAM et d'EVE peut être dangereux pour la santé. Gare aux effets négatifs résultant d'une consommation excessive.

Mais Rapture n'en est pas encore là : Rapture se construit seulement, et les colons viennent tous d'arriver.


_________..._________



Ils attendaient tous, fébriles, de pouvoir poser leur question. Dans l'assemblée, ils étaient plusieurs à lever haut la main. Ryan, sur son pupitre, désignait une personne, au hasard, du doigt. Elle se levait, et posait ainsi sa question. Une seule, unique question par personne, à laquelle Ryan a promis de répondre avec la plus grande sincérité du monde.

-Des élections seront organisées ?
-Au sein des corps des métier, pour renouveler le conseil. Quant à moi, je suis inamovible.


-Est-ce que le modèle de Rapture pourra changer ?
-Si Rapture s'écroule, je ne vois pas de raison de garder mon modèle de liberté. Je sais reconnaître mes torts.


-Pourrons-nous retourner à la surface ?
-Sous certaines conditions. D'abord, une limite de temps. Une dizaine d'années, minimum, avant de pouvoir sortir. Ensuite, il est probable que ceux qui sortent ne pourront jamais revenir. Et puisque tous les entrants signent l'engagement définitif de rester, il faudra faire un nouveau contrat pour avoir le droit de sortir, où je vous contraindrai au silence.


-Vous dites que le peuple est souverain ici... Pourquoi est-ce que votre place n'est pas soumise à élections ?
-Parce que je possède Rapture. C'est ma propriété. Tout m'appartient ici : Les murs, les meubles, les institutions. L’État est à moi. Je ne serais pas propriétaire de ce que vous créez par vous-même, de ce que je vous donne ou de ce que vous achetez. Et votre présence ici est contractuelle, ainsi, si vous ne respectez pas les termes du contrat, et que le contrat est judiciairement brisé, vous ne serez plus désiré ici. Si quelqu'un veut ma place en tant que dirigeant de Rapture, il doit me l'acheter.

-Est-ce que...
-Et quand bien même ! Pardonnez-moi, je n'avais pas fini. Quand ai-je dit que le peuple était souverain ? Non. Cette phrase est une aberration constructiviste que chacun de vous a abandonné à sa plongée. Le peuple n'est pas souverain. L'individu est souverain. Vous êtes souverain. Vous, madame. Vous, monsieur. Votre enfant est souverain. Souverain de lui-même, souverain de sa vie, de son avenir. L’État, la collectivité, tout cela est chimère. Parlons franchement. Quand je parle de l’État, je parle de la fiction globale que nous avons tous construit en nous engageant par contrat. Mais l’État tel que vous l'imaginez sur terre n'a plus cours.

-Est-ce que les plus démunis auront un revenu de la part de Rapture ? Ou... s'ils ont un problème de santé ?... Est-ce qu'on imaginer que le monde tournera sans impôt ?
-Vous êtes encore en plein rêve si vous pensez que le vol exercé sur une personne libre pourra vous payer votre nourriture et vos médicaments. Vous travaillez, vous économisez. Et il est fou d'entendre dire « je ne trouve pas de travail ». Si vous n'en trouvez pas, créez-le. Faites quelque chose. Trouvez les besoins des hommes et satisfaites-les.  À côté de cela, les plus riches d'entre nous seront encouragés à pratiquer de l'humanitaire. Mais ils n'y seront pas forcés, non. En échange de cela, je vous garantis que vous profiterez pleinement et librement de l'ensemble de vos revenus, sans que la cité n'en tire de contribution allant au-delà d'un strict minimum tel que vous en avez convenu. Cette contribution, vous pourrez renoncer à y consentir chaque année, et renoncer aux bénéfices de Rapture en échange. Le choix est vôtre.

-Qui s'occupera de la police ? Des prisons ? De la justice ?
-Tout sera privatisé. Cela ne signifie pas que Rapture ne s'en dotera pas : Les forces de sécurité de Rapture, que je dirige, sont un organe de nature privée mais dont les caractères peuvent se rapprocher du public : Elles ont promis d’œuvre pour le bien de tous uniquement, et j'ai prévu tout un tas de dispositions pour qu'elles ne soient pas utilisées arbitrairement par moi ou quelqu'un d'autre. Cependant, rien n'empêche à quelqu'un de créer sa police pour réguler la sécurité d'un endroit, rien n'empêche quelqu'un de créer sa prison ou son tribunal. Tout cela sera expliqué dans un petit guide que vous pourrez vous procurer bientôt.

-Et si il y a une faille dans Rapture ? Ne mourrons-nous pas tous noyés instantanément ?
-Rapture est prévue pour survivre en cas de dysfonctionnement. Je ne vous cache pas que je parle bien de la cité, pas de ses habitants. Si jamais une bombe devait faire sauter la structure du quartier Hestia, beaucoup d'entre nous mourraient. Mais les choses sont prévues pour que les différentes zones puissent être strictement cloisonnés, imperméabilisées. De plus, certaines ailes, telles que Hestia, Olympe ou Hephaïstos, ont des protections supplémentaires face à ce genre de risque. Pas d'inquiétude à avoir, donc.




_________..._________

-Six jours que je n'ai pas dormi. Je suis impressionné par l'efficacité des vita-serum. Je ne ressens aucune fatigue physique : Une piqûre et je suis parti pour minimum cinq heures. Par contre, moralement... J'ai du mal à réfléchir, et j'ai l'impression d'être las. Bon. Au moins j'arrive à faire ce que Ryan demande. Mais à quel prix... J'ai peur de retourner dormir maintenant. Je me demande si je vais devoir récupérer tout d'un coup. C'est pour ça que... [Clic distinctif d'un zippo, puis la pierre est grattée... et très léger crépitement d'une cigarette sur laquelle on tire pour la première fois] que les médecins disent de ne pas en prendre plus de deux d'affilée. Je vais aller voir la rigide pour savoir si je peux retourner pioncer. Mais imaginez donc ! J'ai gagné plus de 30 heures de travail en une semaine ! C'est ça, être un surhomme : Pouvoir ne pas dormir.



_________..._________


-Bienvenue à la toute première réunion du Conseil de Rapture... Asseyez-vous donc. Vous avez été choisi par vos corps de métier, vous ne vous connaissez pas... Et c'est tant mieux. On aura le temps d'apprendre à se connaître. Bien... Je vais commencer par vous laisser la parole. Vous avez des questions ?
-Moi. Majd al-Sour, élu par les commerçants, bonjour à tous. Je voulais savoir... Qu'est-ce qu'on fait ici ?
-Rien.

L'oriental tapote sur la table de l'index et du majeur, comme si la réponse le laissait perplexe. En fait, c'était le cas de la plupart des gens dans l'assemblée.

-Je veux dire. Quel est le rôle du Conseil ?
-Rester le plus loin possible des affaires de Rapture. Tout en s'assurant que personne n'entrave la bonne marche de la cité.
-Ooookay... Mais... Comment... Enfin je veux dire... Donc, en gros, on ne régule pas ?
-Du tout.
-... Très bien. D'accord.
-Ce qu'Andrew essaie de nous dire, fait remarquer Tenenbaum de son froid accent allemand, c'est que selon lui, Rapture fonctionne très bien sans que le gouvernement ne s'interpose dans ses affaires.
-Oui, ça j'ai cru comprendre, mais... Du coup, à quoi sert-on ?
-À répondre aux crises, suggère Ryan. Aux crises graves. Et surtout, à faire en sorte que la paix règne ici.
-La paix... Je sais faire ça.
-Soyez heureux, Majd. Vous allez pouvoir pratiquer un commerce libre de toute entrave. Gardez en tête que pour vous tous ici, ce rôle au Conseil est la charge la moins importante que vous ayez et aurez dans votre vie. La moindre de vos responsabilités extérieures a plus d'impact sur Rapture que votre voix ici.




_________..._________

-Journal d'Andrew Ryan, nous sommes le... 15 août. J'ai pris le temps, aujourd'hui, avant de monter dans le bateau qui m'a ramené ici. Pris le temps de... contempler... une dernière fois les immondices de la terre. Le journal parlait d'une guerre dans un certain pays, mais, chaque endroit de la terre est un nid de combat. Une pluie continuelle de missiles... s'étale en de grandes tâches arctiques, qui virent du bleu argent au rouge sang. … Je suis fatigué de ce monde. Plonger ne me fait plus peur. J'entends encore murmurer que tout peut s'écrouler, la cité écrasée par la pression de l'eau, que la moindre bombe peut tout faire sauter, ravager des centaines de vie, toute mon œuvre... Mais je préfère mourir que de continuer à vivre à la surface. Je n'empêche pas aux habitants de Rapture d'avoir leurs craintes : Je préfère leurs soupirs apeurés aux cris de souffrance que j'abandonne derrière moi.

Le sous-marin plonge enfin. Direction Rapture. Silence total, si ce n'est les craquements du métal. Un intense soulagement. Au revoir, Galia. Mon Atlantide m'attend.



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On avait donné rendez-vous à Majd au sommet de la grande tour principale de Rapture. Dépassant de la grande bulle d'air qui couvrait tout le village administratif, au plus haut des étages, se trouvait le bureau privé de Ryan.

C'était, selon lui, un moment crucial. La lente ascension de l'escalier le rendit plus tendu qu'il ne pensait l'être. Lorsque les portes de métal s'ouvraient, il remontait un court corridor boisé et vernis, tapissé de rouge, aux dorures et argentures élégantes. Une sombre progression. Dans des renfoncements des murs, des statues enfermées dans du verre. Il marchait tout droit, mené par un serviteur, jusqu'à la porte de l'antre du monstre.

Il fut saisi de voir Kriegmann, l'autrichien, jeune économiste de génie, parlant avec le directeur de Rapture.

-Mr Ryan.
-Hello, Majd. Alors, on m'a dit que vous vouliez me parler, et on m'a dit pourquoi. Et à ce titre, je vous conseille de faire court : J'accepte de vous entendre, mais ma réponse est déjà claire.
-Merci, Mr Ryan. Soyons clairs... Les gens ne sont pas prêts.
-À utiliser ce qu'on a nommé « plasmides » ?
-Oui. Les retours sont éloquents. Un sujet sur cinq développe des effets secondaires désagréables. On parle d'une... agressivité passagère à des symptômes plus grave. Dix-huit aveugles, quatorze coma. Quatre morts. Trente-sept personnes sont en détention médicale, avec des signes plus ou moins graves de folie. On ne peut pas laisser ça se dérouler sous nos yeux sans agir.
-... Ne gagnez-vous pas de l'argent grâce à cela ?
-Si. Je vous parle de morale. J'accepte de ne plus vendre et donc de ne plus toucher d'argent. Je veux la suspension de commercialisation des plasmides, le temps que les recherches se consacrent entièrement à la stabilisation du produit.
-La réponse est non.
-Mr Ryan...
-Écoutez. J'ai lu le rapport que vous avez demandé au Docteur Tenenbaum, et commenté favorablement par le professeur Suchong. Très intéressant. Vos conclusions prouvent que vous avez du style. Mais je vous ai recruté parce que vous étiez le PDG le plus inventif de tout le Moyen-Orient. J'ai tenu à vous faire échapper à l'enfer collectiviste qui y sévissait, et vous cherchez à l'importer ici ?
-Je pense à la sécurité de mes concitoyens. Je me sacrifie, en vous demandant d'édicter la suspension immédiate de la commercialisation du produit. Si j'arrête de le distribuer moi-même, Fontaine trouvera quelqu'un d'autre pour le faire. Il faut que vous l'interdisiez vous-même.
-Non, vous ne comprenez pas. Le marché n'est pas une bête qu'on apprivoise. Ce n'est pas un nouveau-né qui pleure et hurle dès qu'il est titillé par le moindre mal. Le marché est un puissant courant d'eau. Posez un obstacle, il le submergera, le contournera, l'emportera. Nous devons nous en abreuver et nager avec lui, rien d'autre.
-Des gens vont mourir, Mr Ryan.
-Je n'oblige personne à acheter ou à vendre, pas plus que je ne les empêche d'acheter ou de vendre. Chacun prend ses responsabilités en offrant un produit au marché, ou en le consommant. Libre, et responsable. Ainsi est le citoyen de Rapture.
-Mr...
-C'est le premier test. Le premier test de mon idéologie. Les fondations ont été posées, les murs ont été construits. Les flots nous mettent à l'épreuve. Je ne ferai rien pour retirer ce produit de la vente ou pour le limiter. J'en prends la responsabilité. Je veux subir l'épreuve du feu. Soit j'ai tort, et Rapture périt avec moi, soit j'aurais prouvé au monde que j'avais raison, et que le collectivisme est une abomination que j'aurais réussi à annihiler.


Fanatique. C'était le premier mot qui venait à l'esprit de Majd. Ce well-suited man dans son beau bureau était fou, parce qu'il refusait de concéder le dogmatisme à la réalité. À côté, Kriegmann, appuyé sur l'immense baie vitrée donnant sur la mer, souriait, mains dans les poches, en fixant le pauvre scientifique. Soudain, Majd, pourtant d'un sang-froid remarquable, fut saisi par la peur en se sentant pris dans un piège démoniaque. Il comprenait enfin ce que signifiait la liberté : Un gouffre immense, et chaque être s'en tenait au bord. Le collectivisme était cette main qui vous tenait le col, plus ou moins étouffante selon l'idéologie de la nation. Avec Ryan, il n'y avait pas de main sur le col : Chaque personne avait le choix, sciemment, de faire un pas en avant, et de plonger dans une chute fatale.

-Merci de m'avoir écouté, Mr. Ryan.
-Vous voulez que je vous donne ma solution au problème des plasmides ?
-... Oui, j'aimerais l'entendre.
-Le marché.

L'oriental se taisait. Il semblait désirer la suite, une explication, même s'il n'était pas très sûr de vouloir entendre un mot de plus de la part de cet être monomaniaque que lui semblait être Andrew Ryan.

-Le marché trouvera la solution aux plasmides. Peut-être que les autres scientifiques auront l'idée de génie pour rendre ces produits moins dangereux. Il suffira alors de les commercialiser avec l'espoir d'en faire un meilleur profit que Fontaine. Ou alors c'est lui qui, voyant ses profits baisser, donnera des crédits nouveaux, du matériel et du temps à Suchong et aux autres pour se consacrer entièrement à la stabilisation du produit. Ou bien... Le produit ne peut pas être stabilisé, les censés cesseront d'acheter, les fous continueront et se tueront et il n'y aura plus personne pour en acquérir. Tout n'est que marché. Le reste n'est que fumée.

Le négociateur n'avait rien à rajouter. Il se retournait pour s'en aller calmement, après avoir salué son interlocuteur. Mais soudain, comme si une balle avait traversé son coeur, il avait cessé sa progression vers la sortie. Il allait dire quelque chose à Ryan, et quelque chose l'en empêcha. Au mur, au-dessus de la porte d'entrée, face au bureau du grand patron, se trouvait l'une de ces statues sous verre, comme il y en avait beaucoup dans les locaux de l'administration. Mais celui-ci n'était pas fait de métal comme les autres.

Sous verre, un gros bloc de glace. Dans le bloc de glace, un cadavre de femme. Elle devait avoir un peu plus de la trentaine. Comme on le ferait d'un animal empaillé, Ryan avait gardé un corps dans son bureau, constamment offert à sa vue. Maintenant que Majd y repensait, lorsque l'administrateur lui parlait, il jetait souvent des coups d'oeil au-dessus de sa tête. Il regardait le visage paisible de cette jolie morte lorsqu'il faisait ses petits discours fous.

Glacé d'effroi, il avait oublié sa question. Il se contenta d'un dernier sourire, et s'extirpa de ce bureau macabre.


_________..._________


« Citoyens de Rapture. Andrew Ryan tient à vous rappeler que cette société fut fondée sur des idéaux de liberté, de juste entreprise et de libre-marché, et qu'à ce titre, le vol est le crime le plus grave qui puisse y être commis ; toute personne reconnue coupable de vol encourt une peine allant d'un mois de prison à la détention à vie, aux travaux forcés, voire à la mort. »



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-Nick.
-Melissa... Qu'est-ce que tu fais là ?
-Je suis venue te retrouver, mon amour.
-Melissa... Tu dois partir. Je ne suis plus l'homme que tu as connu.
-Qu'est-ce que tu racontes ? Je ne te comprends plus depuis que tu as disparu lors de la soirée chez les Longwood.
-Je suis ruiné, Melissa. Ruiné ! Les inspecteurs du ministère ont saisi mes biens, fermé mon entreprise. Les normes d'hygiène, disaient-ils... J'ai toujours tout fait pour la sécurité de mes employés !
-Est-ce la faute de Gladstone ?
-Oui ! Ce chien de syndicaliste a réussi ce qu'il voulait... Son plus grand rêve... Faire tomber un patron.
-Nick... Je ne suis pas avec toi pour l'argent.
-Mais...
-Shhh...

La plantureuse blonde, dans sa robe de soirée, s'approche de son amant. Plan homme et femme devant la fenêtre, paysage de nuit. Les lumières des lampadaires, dehors, forment un contre-jour élégant. On ne distingue que la silhouette des deux personnages. De son sac à main, elle sort un paquet de cigarette. Gros plan sur la lueur formée par le briquet, permettant de voir la marque des clopes bien en évidence pendant trois secondes : « Red Apple ». Avec un certain érotisme, elle met la cigarette dans la bouche de son compagnon, et l'enflamme.

-Nick. Quittons cette ville ensemble. Vend ta maison, reconstruis une usine ailleurs. Je t'aiderai. Je serai là. Tous deux, nous réussirons.
-Melissa...
-Nick. Une autre vie est possible, ailleurs, loin de ces fichus inspecteurs. Loin de ses fichus syndicats. Je l'ai rêvé. Rêve avec moi, Nick.

Générique. La suite au prochain épisode, dimanche à 19h. La ménagère éteint son poste télévisé, et retourne installer la table dans son 16 mètres carré.



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Journal d'Andrew Ryan, 29 mars. Comment dire... Et bien, j'avais raison. Les nouveaux plasmides coûtent trois fois plus cher, mais sont stables. Le journal « Morning Star » titre que désormais, les riches pourront avoir des produits sûrs, les pauvres non. Je répondrais... Évidemment ! On vit à la hauteur de ses moyens. C'est la justice la plus élémentaire. S'ils ne veulent rien risquer, ils n'achètent rien. Et que va faire le marché ? Je sais ce que va faire le marché. Le marché va finir par créer des plasmides sûres, stables, à bas coût. Les pauvres se rueront dessus, et le vendeur gagnera beaucoup. Il n'y a plus qu'à attendre l'entrepreneur malin qui va se jeter sur ce projet. Voilà ce qui arrive lorsque le marché est libre.


_________..._________


Dr... Yi... Suchong. Ahahahah ! Je suis dans une euphorie rare. Je me suis levé ce matin avec une toute nouvelle idée. Quelque chose de fabuleux, mais de très dangereux. Alors je me suis dit « non, voyons, non, ça ne se fait pas ! »... Mais si, ça se fait ! Je suis à Rapture. Je suis dans le seul endroit au monde où des gens qui ont besoin d'argent viennent vendre leur bras. Ou leur nouveau-né ! Bon sang. J'ai immédiatement sorti 8 000 dollars de mon compte et je vais de ce pas dans les hôpitaux pour pauvres. Je suis sûr qu'en négociant bien je peux obtenir deux bébés... Peut-être même trois.


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Brigid Tenenbaum, projet n°189. Journal n° 324.
(Long silence)
Les calculs ont été fait. On atteint presque les 18 millions de dollars. Pour un seul projet. Il n'avait pas menti lorsqu'il avait dit « fonds illimités ». (Court silence) Je crois que j'ai réussi. L'animal s'est réveillé et m'a reconnu. Il devait avoir faim lorsque j'ai ouvert sa cellule de reconstruction, et il a tout de suite marché vers l'endroit où je rangeais auparavant sa nourriture. Mais je l'avais changé de place. Il ne s'est pas fié à l'odeur, mais bien à ses souvenirs.
(La voix est éloignée, semble parler d'autre chose, puis revient.)
J'ai sous les yeux le cadavre congelé du chat que j'ai assommé et égorgé il y a précisément 94 jours. Il lui est semblable en tout point. Sa copie conforme se balade autour de moi, dans le laboratoire. Il est en vie, son cerveau est intact, ses mimiques sont les mêmes qu'autrefois. Il a l'air sain d'esprit.
(Une quinte de toux.)
Dieu n'existe pas. La science vient de ressusciter un mort.
(Nouvelle quinte de toux.)
Je dois immédiatement tester sur des humains. Mais la masse corporelle n'est pas la même. Pour un humain, cela peut prendre deux ans avant que le corps ne se reforme, et que le cerveau ne soit complètement opérationnel.
(Elle se mouche, fait tomber un stylo, qu'elle abandonne rageusement. Un craquement. L'enregistrement se coupe.)


Brigid Tenenbaum, projet n°189, journal n° 325. En vérité, j'ai complètement échoué. J'étais en train de préparer mes outils de prélèvement, j'allais prévenir Andrew que j'allais tenter sur sa sœur, qu'on n'y perdait rien. Et d'un seul coup, je me suis rendue compte de quelque chose. Si je prends ses cellules maintenant, en comptant sur le fait qu'elle n'ait pas trop été altérée par le temps, elle renaîtra non seulement dans deux ans au bas mot, mais au moment où elle est morte : Mourante, donc. Le seul moyen de la faire revivre serait ainsi de l'opérer juste avant son réveil. Ça signifierait la débarrasser de tout un tas de tumeurs malignes dans ses parties vitales alors même qu'elle est en phase de reconstruction, un moment très délicat. J'ai dit dans un précédent rapport que la moindre secousse sur la capsule de reconstruction pourrait définitivement altérer un corps qui s'y régénère, et je suis en train d'évaluer la possibilité de l'opérer. Je deviens folle.


Brigid Tenenbaum, projet n°189, journal 325. Non, 326. J'ai trouvé. Je dois la faire renaître, trouver un moyen de la tenir en vie forcée pendant qu'elle est en train de mourir, l'opérer, elle ne survivra pas longtemps, prélever ses cellules dès le point de non-retour atteint, la laisser mourir, abandonner son corps pour commencer une nouvelle régénération. Si je ne me trompe pas sur l'analyse médicale que m'a fourni Ryan, répéter le processus une nouvelle fois devrait être suffisant. Lorsqu'elle se réveillera une troisième fois, je lui injecte mon super guérisseur. D'ici-là, Yi l'aura stabilisé sans problème. Et la régénération sera sans doute plus rapide ! Elle mourra sans doute avant que ça n'ait fait effet. Je vais devoir recommencer à la ressusciter, et lui réinjecter le médicament. Ça devrait être bon.
(Elle jette quelque chose dans une poubelle, froisse une feuille, la jette aussi.)
Ryan récupère sa sœur dans moins de cinq ans. Je lui prouverai qu'il a eu raison de me faire confiance.


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-MEEEEEESDAMES ET MESSIEURS ! Voici pour vous ce soir le grandiose, l'impétueux, l'inimitable génie du piano, l'artiste numéro 1 de Rapture, j'appelle... Sander... COHEN !

Tonnerre d'applaudissements pour l'arrivée du musicien, face blanchie par le maquillage, fine moustache dessinée au pinceau et queue de pie qu'il soulèvera pour s'asseoir. Un silence tendu s'installe. Il examine l'instrument, bouge les épaules, étire ses doigts.

Ting. Une note, isolée, résonne. Il grimace.
Ting. Une autre, plus centrale. Non, il n'a pas envie de rythmer par ce ton, il va aller dans le plus grave.
Tong. Mieux. Décalage d'un doigt.
Tong.

-Aaah...


Tong. Tong. Tong. Un battement régulier, qui semble n'être qu'une jauge du piano. Il allait faire un speech, mais il n'a pas besoin de mots finalement. Laisser la musique guider les âmes. Par-dessus sa rythmique, il ajoute une petite tierce de notes. Une mélodie naît dans sa tête. Il lui faut rajouter deux notes sur ses basses, accélérer et dé-régulariser sur ses aigus. Ça vient tout naturellement. Les notes s'enchaînent, il semble peindre un décor d'une main, raconter une histoire de l'autre. Sa tête dodeline sur le tempo, emmenée par le courant de la musique. Il accélère, concentré comme pas deux. Plus il égrène les notes et plus il a envie de briser ses chaînes. Il commence à devenir furieux sur son clavier. Les touches d'ivoire subissent sa haine. Sa muse est en rage, et il lui laisse libre court. Un torrent de sons s'abat sur les spectateurs et les noient littéralement. Ils sont happés par la magie de Sander Cohen, le prodige, actuellement en roue libre, dans sa course effrénée vers la folie. Si un esprit sain ne permet pas de s'échapper, alors il faut l'abandonner. Il ne sent plus ses doigts, il ne pense plus. Plus vif qu'une mitraillette, il distribue ses coups, et la mélodie est prodigieuse. Elle arrache une larme à un bourgeois en transe, au premier rang. Après s'être emballée, la machine s'arrête. Pause. On croit que c'est fini, mais non. Quelques notes douces, comme la pluie sur un lac, signalent qu'il a encore de la ressource. Il les caresse avec ferveur, c'est vif et soyeux, et d'un seul coup, un dernier tonnerre, la fureur des dieux qui s'abat sur le théâtre, et il se stoppe pour de bon. Les spectateurs, époustouflés, prennent de longues secondes avant de briser la magnifique torpeur qui s'était installée.

Et les applaudissements. Sa récompense. La gloire.

-Merci, merci... Et ça ne fait que commencer. La suivante n'est pas une improvisation, c'est l'un de mes morceaux préférés. Il est dédié à Andrew Ryan, et s'intitule « L'océan sur ses épaules ».


_________..._________

Ce qu'il préférait, c'était observer les gens. C'était une étude sociologique permanente qu'il menait. D'où sa propension constante à se mêler à la foule, contrairement à Ryan qui restait seul dans son bureau des heures durant.

Aujourd'hui, c'est à la gare qu'il mène ses recherches. Le dos appuyé contre un mur, il regarde passer, dans le grand hall au plafond fort bas, la population de Rapture, vomie par un couloir, aspirée par un autre, dans des flux confondants et informes. Au début, il regarde les jolies filles – comme tout un chacun – mais son regard est vite emporté par les hommes. Pas spécialement leur corps, non, mais leurs yeux. Car eux-mêmes suivent les femmes passer... pas n'importe quelles femmes, et pas n'importe quelles parties d'elles. Aussi, il est amusant de pouvoir se distraire des plus admiratifs de la physionomie féminine, de ceux qui ralentissent pour l'observer, de ceux qui ne prennent même pas la peine de baisser le regard et continuent leur route, et de ceux qui, comme Sinclair, semblent n'être là que pour ça : Le spectacle gratuit.

Mais une figure se démarque de la foule. Tailleur serré et minoir sévère. La rigide. Ses petites lunettes carrées et son air froid en ajoutent indéniablement à son charme, dont on ne devine pas l'origine germanique de prime abord. Aux yeux du juriste, la quarantenaire est plus sexy que n'importe quelle pétasse fraîchement sortie de l'adolescence habillée vulgairement.

Elle s'approche pour lui serrer la main. Sinclair perd son sourire. Il prend cette main néanmoins, et c'est un moyen pour la tirer à lui et lui faire une bise. À la seconde joue, il dérive un peu vers son oreille, et murmure : « Je t'ai tant attendu... » et sa main aventureuse file sur sa fesse. Ni une, ni deux, Tenenbaum fait un léger pas en arrière et lui colle une claque bien sentie.

Elle pense avoir calmé ses ardeurs.

Elle ne sait pas qu'il n'attendait que ça.


_________..._________



Un morceau de jazz enveloppait l'atmosphère pesante du bloc. Un petit tempo entraînant, bien que peu fantaisiste. Tenant une pince, le Dr Steinman, penché sur le visage d'un patient, écarte doucement les deux morceaux de peau qu'il venait de sectionner.

-Ici, Katherine.

L'infirmière se penche, et enfonce précautionneusement une minuscule plaque en fausse chair, un genre de plastique organique, très fine, dans l'ouverture faite par le docteur. Elle ne l'y insère qu'à moitié : le praticien fait le reste. Ses doigts de fée poussent l'objet tout en appuyant quelque peu sur la peau où elle se glisse, pour s'assurer de son maintien. Ensuite, avec un stylo, il tracera quelques points autour de l'incision.

-Paaarfait. Ici, suture.


Pendant qu'une seconde infirmière se rue sur l'anesthésié avec du fil médical et une aiguille, Steinman passe de l'autre côté du visage, s'accroupit, passe le doigt sur son nez.

-Oui... C'est le cartilage, là, comme ça. Et retrousser la peau. J'espère que vous êtes tous prêts.

C'était le genre d'opération risquée qu'il s'apprêtait à faire, pas celle que tous les chirurgiens esthétiques tentaient, surtout à cette époque. Steinman n'a peur de rien. Il regarde le tableau au mur un instant. Une commission. Vénus en gloire, nue, avec tous les héros grecs à ses pieds.

-Changez. Mettez-moi du Ellington.
-Quel album, monsieur ?
-Peu importe. Un tardif.


La musique s'arrête, on change le 45 tours. Dès les premières notes, il reconnut Money Jungle, dont le titre African Flower. Une merveille. Il se redresse, empoigne le stylo de la main gauche, le scalpel de l'autre. Être parfaitement ambidextre a quelques avantages.

-Les noirs font de la musique comme personne... Je ne travaille pas assez sur des noirs. Vous savez, c'est très particulier. La beauté est une question complexe. Est-ce qu'un noir peut être beau ? Bien sûr. Je peux de toute façon rendre tout le monde beau. Le problème étant qu'il n'y a pas de standard de beauté qui transcende les races. Prenez Sinclair, par exemple. Bel homme. Mais si sa peau devenait noire demain, il ne le serait plus. Je devrais tout changer sur lui. De la même façon, Duke Ellington était séduisant étant jeune, mais s'il avait dû être blanc ? Oh non non... Tout est à remodeler. L'autre bon exemple serait notre ami Al-Sour. Il n'est pas beau, pas du tout. Mais peut-être n'est-il pas beau parce qu'il est oriental. Peut-être serait-ce différent si je commençais par le blanchir, ou le noircir... C'est une idée. J'y pense, parfois, quand je vois une personne de couleur... Qu'elle soit belle ou laide. Qu'est-ce que ce serait si elle changeait de couleur ?...

Il avait touché, mesuré, marqué, et incisé. Il avait ensuite pris une lame incurvée, pour faire une section interne, délicate mais profonde, puis une seconde, toute proche. Il murmurait une remarque désobligeante sur la nature du cartilage, puis demandait à ce qu'on injecte le pâte correctrice, pour pouvoir remodeler à sa guise. Et le sang, le sang, épongez-moi ce sang !
« Modifié: jeudi 10 décembre 2015, 19:00:10 par Law »

Andrew Ryan

Humain(e)

Re : I chose Rapture

Réponse 3 dimanche 22 novembre 2015, 22:37:41

Tribunal privé d'Argos, chambre civile, dossier n°325-6.

-... En outre, ses turpitudes morales entachent gravement la façon dont les citoyens de Rapture voient l'honnête commerce de Mr. Cushing. Nous demandons donc naturellement le paiement de 20 000 dollars à titre de réparation, payés par sa famille puisqu'il n'a plus la personnalité juridique, et son emprisonnement pour le reste de son contrat de servitude, à savoir sept ans.
-Bien bien. Inutile de délibérer...
-Monsieur le juge, vous n'allez pas mettre quelqu'un qui n'a plus de droits en prison.
-Si, c'est ce que je vais faire. Les demandes du requérants me semblent tout à fait fondées. Son contrat de servitude n'a pas été respecté, il ne pouvait pas espérer autre chose. Les demandes de nullité du contrat sont rejetées. La famille de Mr. Montillette devra rembourser 20 000 des 30 000 dollars donnés pour la formation de ce contrat de servitude, et Mr. Montillette ira en centre de détention pour le reste du délai contractuel, sans possibilité de libération. Par son autorisation et grâce à la bienveillance d'Andrew Ryan, justice est faite. Vous pouvez sortir.


L'avocat de la demande et son client se levaient, satisfaits. Ils serraient la main à tout le monde et s'en allaient. Le conseil de Montillette, lui, tentait de rassurer son client qui chialait comme pas deux.

À la sortie du bureau du juge, il y avait ce petit hall très en longueur aux nombreux sièges. Ceux-ci étaient autant pour les parties au procès que pour les démarcheurs. Cinq personnes portant l'habilitation du tribunal sur leur veste pour signifier leur droit à soumettre aux condamnés leur proposition. Mais en voyant celui-ci, personne ne se bougeait : Puisqu'il n'était pas une personne pour les sept ans à venir encore, il n'était pas rentable. Aussi, personne ne comptait lui proposer de centre de détentions.

Sauf un homme, qui attendait qu'ils soient sortis pour les interpeller.

-Hep.
-Hey ! Content de te voir. Monsieur, je vous présente Augustus Sinclair. C'est un confrère, et il détient le centre correctionnel de Perséphone. Le plus réputé de tous. Tu viens faire une proposition ?
-Yep. Je sais que les prisons ne se bousculent pas au portillon pour ton client alors on va dire que c'est une bonne opportunité pour moi. Cela dit, vous n'auriez pas dû choisir ce tribunal. Il est clairement pro-propriétaire.
-C'était dans le contrat.
-Une clause, ça se fait sauter.
-Vous avez une place pour moi, monsieur Sinclair ?
-Oui, monsieur Montillette. Et au vu de votre statut de non-personne, il serait dangereux de vous mettre avec les autres détenus. Alors je vous propose une cellule en isolement. Une petite vue sur l'eau. Trois repas par jour. Trois jours par semaine, vous aurez accès à nos infrastructures de sport, de loisir, dont une fois par semaine avec des personnes comme vous. Beaucoup de femmes, d'ailleurs.
-Augustus, mon client n'a pas les moyens de s'offrir un tel niveau de détention.
-Il n'a pas le choix. C'est ça ou la prison de Rapture, autant dire un cachot pour pauvres. Mais ne vous inquiétez pas, je sais que vos revenus ne sont pas grandioses, alors vous aurez d'autres moyens de me rémunérer. Vous ne paierez pas votre séjour.
-... Vous feriez ça !?
-C'est quoi, l'arnaque ?
-Il n'y a pas d'arnaque. Puisque Monsieur ne peut pas fournir d'argent, il fournira du service. Un peu de travail, très peu. Mais ce sera surtout son corps qui sera mis à profit.
-La science, hein ?
-Entre autres.

Deux heures plus tard, le futur détenu examinait le contrat de détention qu'il allait signer, tandis que les deux avocats fumaient non-loin.

-Dis-moi... T'as jamais eu de problème ? Entre le fait que tu sois avocat et que tu diriges une prison.
-Nope, bien au contraire. Déjà, il est prévu dans mes statuts qu'aucun de mes clients ne peut être admis dans ma prison. Ce serait un risque pour eux que je fasse exprès de perdre pour ensuite les voir admis dans mon centre. Attention, je ne fais pas ça pour eux : Je fais ça pour moi. Je n'ai pas envie qu'un client conteste non-seulement mon service d'avocat, mais aussi mon service de prison et remette en cause le jugement entier en faisant croire à une cour que j'ai fait exprès de perdre.

L'autre acquiesce. Tout est logique, jusque là.

-Et ensuite, je ne me prive pas en revanche d'offrir à mes adversaires malheureux une place dans mon centre – à tarif préférentiel, même. C'est naturel : C'est moi qui les fout en taule, il est normal que je fasse un geste commercial. Bon, et puis, après que je réussisses à les faire condamner, ils ne sont pas très enclins à se faire emprisonner chez moi, alors il faut bien les convaincre.

Bref. Un business florissant. Le rêve Rapturien.


_________..._________

-Il faut comprendre la valeur des choses pour pouvoir le marchander. Peu de gens comprennent que qu'on peut donner une valeur à toute chose. J'aime les secrets. Les secrets ont une valeur, mais ça, il fallait le savoir. C'est pour cela que j'ai créé cette société. J'admets que son nom – Mystery Agency – est un peu tape-à-l'oeil mais... Je pense que ça lui donne du crédit. Rien que pour le nom, les gens ont envie de venir. Ils ont envie que je leur vende un secret – ou que j'achète le leur. Le type que j'ai croisé hier, l'avocat, il m'a dit que mes contrats étaient limites. Moyennant une petite somme, il pouvait me les blinder. J'ai dit oui... pas envie d'avoir des problèmes avec la clientèle à cause d'une clause bancale. Bref. J'ai demandé à ce Sinclair s'il voulait profiter de mes services. Il m'a dit « Pas besoin, je sais ce qu'il faut sur qui il faut déjà ». J'suis persuadé qu'il ne les monnaie pas. Non, il fallait avoir l'idée. La bonne idée. Et c'est moi, Richard Starr, qui l'ait eu.


_________..._________



-Hey ! Monsieur ?
-J'ai pas le temps, gamine, je suis en retard au travail.
-Monsieur ! Mon papa !
-Quoi ton papa ?
-C'est mon héros, mon papa ! Et vous savez pourquoi !? Il peut faire naître du feu en un claquement de doigt !
-Petite, je dois vraiment...
-Vous pouvez, vous ? Non ! Je suis sûr que non ! C'est parce que vous n'avez pas commandé votre plasmid chez Fontaine Futuristics ! Fontaine Futuristics fournit les meilleurs plasmids ! Vous pourriez contrôler le feu, la glace, les objets ! Devenir plus fort, plus grand, plus intelligent !
-J'ai vr...
-Prenez cette brochure, monsieur ! Vous pourriez devenir le héros de toute votre famille ! … Hey, monsieur ! Mon papa, c'est mon héros !


_________..._________


La Cour Suprême de Rapture était une institution respectée et crainte. Les modalités étaient prévues contractuellement lors de l'arrivée dans la cité : Chaque citoyen se voyait offrir la possibilité de contester une décision de justice de n'importe quel tribunal devant celle-ci. Les juges étaient choisis par Ryan en raison de leur fidélité, leur dévouement. La fonction de magistrat, ici, n'était pas payée. Le procureur, dont les avis n'avaient qu'un titre purement indicatif, non plus. Situé sous l'immense bulle d'air d'Olympus Heights, non loin de la tour de direction, c'était un grand temple romain démesuré, au frontispice gravé montrant des héros tirer une gigantesque corde. Dans la grande rotonde du hall, au centre, on passait à côté d'une gigantesque statue représentant la Justice. Celle-ci était en train d'arracher son bandeau d'une main ; de l'autre, elle tendait son épée à qui voudrait la prendre. À ses pieds gisaient des dizaines de documents représentant des accords entre personnes qu'elle vient d'examiner. D'ailleurs, c'était symboliquement à cet endroit qu'un commis des magistrats jetait une copie des contrats qui venaient d'être annulés. Aussi, la statue était entourée par un tas informe de papiers, que beaucoup, en entrant pour la première fois, regardaient avec curiosité.

Il fallait rentrer dans la grande salle principale, et y attendre son affaire. Les magistrats traitaient une vingtaine de demandes par jour, parfois un peu plus. Le délai d'attente était généralement de deux semaines. La justice était rapide. Les débats étaient oraux, peu formels, avec un appui sur les documents. Ici, un bon avocat était primordial. Autant dire que Sinclair connaissait le plancher du prétoire mieux que la moquette de sa chambre.

La chaise du président était très souvent vide. Dans celle à sa droite, un quinquagénaire à l'air austère portait une épingle sur le revers de sa veste, figurant une balance en argent. Autour de lui, deux autres magistrats notaient leurs conclusions.

L'un des avocats était en train de plaider lorsque la porte du fond s'ouvrait. Les perturbations sont fréquentes dans les cours, et personne ne s'en formalise généralement ; mais aujourd'hui l'arrivée d'un bonhomme claudiquant, appuyant régulièrement la moitié de ses pas grâce à sa canne, faisait s'abattre une vague de stupeur dans le tribunal. Le vieux fait taire l'avocat d'un geste, qui n'attendait de toute façon que ça, puis se lève, et annonce avec majesté :

-Citoyens de Rapture, l'honorable citoyen Andrew Ryan.

Il applaudit, et l'ensemble de la cour suit, pendant que l'handicapé se traîne tranquillement jusqu'à la chaise du Président. Il reçoit immédiatement l'épingle argentée que le doyen fait glisser vers lui, Ryan en parant sa veste avec calme.

La plaidoirie reprend. Ryan n'écoute pas. Il est penché sur le dossier qu'un employé lui a apporté. Phase de débats. Le vice-président de la cour souhaite clore l'histoire le plus vite possible : Il fait parler les deux avocats l'un après l'autre, posant les questions essentielles qui l'intéressent, puis porte l'affaire en délibéré.

-Nous allons profiter de la présence du Président de la Cour Suprême pour bouleverser l'ordre des jugements, et allons passer tout de suite au dossier n°13-349, Montgomery v. Sandini.


Tous s'installent à leurs places respectives, indiquées par un huissier diligent. Le vice-président fait un rappel des faits du dossier : Lors d'une altercation, le défendeur porte un coup à une personne, qui tombe dans le coma suite à la chute provoquée par la frappe. La famille n'ayant plus d'argent pour le maintenir en vie à l'hôpital, il sera débranché dans deux jours. Il rappelle ensuite les conclusions du juge Susa, qui retient la circonstance d'accident, rejette le meurtre indirect, celui-ci n'étant que conséquence du manque de moyen de ses proches, et qu'il est possible d'imaginer qu'un plus long séjour à l'hôpital, selon le rapport établi par les médecins, pourrait le voir se réveiller, quand bien même aurait-il des séquelles irréversibles ; finalement, il le condamne à un an de prison et à 10 000 dollars de réparation à la famille. Ce qui est bien trop peu pour la famille, qui demande révision du jugement.

Les plaideurs commencent. Chacun leur tour défendent leur client, puis viennent les débats où ils attaquent mutuellement leurs arguments, dans une bonne tenue empreinte de tension. Le manège dure vingt bonnes minutes, avant que le vice-président demande à l'avocate générale son avis. Celle-ci ne se lève que trente secondes, annonce son intention de confirmer simplement la peine.

À vrai dire, peu savent pourquoi Ryan est là, mais tous vont le découvrir lorsque le vice-président demande à ses collègues magistrats s'ils ont des questions à poser aux parties. Andrew lève lentement deux doigts pour demander la parole, puis regarde les demandeurs au procès, et, après un long moment, leur demande :

-Vous êtes noirs ?

C'est une évidence. C'est sur leur gueule, ont-ils envie de dire. La femme Montgomery se lève, par respect, le salue, et répond d'une voix basse :

-Oui. Oui, nous sommes noirs, monsieur Ryan. Votre honneur.
-Pas de « votre honneur » avec moi. Vous êtes noirs. D'où venez-vous ?
-De Louisiane. Lake Charles.
-Lake Charles... Un coin pauvre, c'est ça ?
-Très pauvre, monsieur.
-Pourquoi êtes-vous venus à Rapture ?
-Nous avons...
-Si ce n'est pour profiter d'une économie florissante ?
-En q...
-Votre famille est venue à Rapture pour sucer le sang de la grande et belle nation, non ? Rapture, la pure, la blanche ? Les noirs ne sont que des parasites, n'est-ce pas ?


La dame Montgomery ne savait quoi répondre. S'ils avaient fui l'Amérique et accepté la proposition de Ryan pour devenir des ouvriers de Rapture, c'était justement pour fuir un pays raciste. Elle était tétanisée. Tout le monde l'était, jusqu'à ce que l'auguste se tourne vers le défendeur.

-Qu'en pensez-vous, monsieur Sandini ?
-Je ne sais pas, monsieur Ryan.
-Si, vous devez savoir. Mon discours doit trouver écho à vos oreilles. Je vois ici que sur terre, vous avez fait partie du Kajun Knights of the Klan, une sous-division de l'illustre Ku Klux Klan. Vous pouvez nous en parler ?
-C'est du passé, monsieur Ryan.
-Est-il vrai que vous avez vécu en Louisiane ? Que vous en avez parlé à la victime juste avant votre rixe ?
-... C'est vrai, monsieur, il a reconnu mon accent Louisain...
-Est-il vrai que, selon le témoignage, vous avez traité la victime Montgomery de « Sale noir ? »
-C'était sous le...
- « Sale nègre », pardonnez-moi.
-C'était sous le coup de la colère. Le ton est monté et...
-Admettez-vous être raciste ?


L'avocat lui fait signe de ne pas répondre, Ryan frappe violemment son bureau.

-REPONDEZ !!
-Je m'en fous ! Je veux juste que les noirs me foutent la paix !


Ryan acquiesce calmement, puis regarde le greffier.

-Qu'il soit notifié que le tribunal retient la circonstance aggravante de racisme. Le jugement est mis en délibéré public. Qui se prononce en faveur de la culpabilité ?

Pris de court, les trois autres juges lèvent la main, hésitant. Ryan fait de même.

-Qui accepte la circonstance aggravante de racisme ?


Idem.


-Le crime de meurtre accidentel est retenu. La sentence est portée à 10 ans d'emprisonnement et à 100 000 dollars de réparation à la famille des victimes.


-En tant qu'avocat de la défense, je me dois de faire remarquer au tribunal que la victime n'est pas décédée. Il n'y a pas meurtre.
-Si la victime se réveille avant qu'elle ne soit débranchée, le jugement sera révisé. Sous réserve de cette condition, la Cour Suprême de Rapture, statuant en pleine capacité, rend définitive sa condamnation. Le condamné est mis en détention provisoire, exceptionnellement, en attendant qu'il ne parvienne à trouver un centre pénitentiaire qui l'accueillera. En l'absence de paiement volontaire des dommages, un ordre de saisie des biens du condamné sera émis.

En bref, la sentence la plus rude qu'une cour peut prononcer. Il frappe sur la table, puis se lève.

-Le racisme est la forme la plus détestable de collectivisme. Elle consiste à prêter un caractère commun à toutes les personnes d'une même ethnie, comme le ferait l'État. Arbitrairement, il distribue des avantages et des inconvénients sur des fondements absurdes, en niant l'individu. Le raciste nie l'individu. Voilà ce qu'il vous en coûte d'oublier qu'un noir est un individu capable, aussi bien intellectuellement que physiquement, et qu'il peut vous être supérieur ou inférieur en-dehors de sa race, mais bien parce qu'il est une personne à part entière. Vous aurez le temps d'y réfléchir en cellule. Que ce jugement soit publié dans les journaux de Rapture à titre de rappel pour tous.

Sur ce, il part du tribunal, s'appuyant sur sa canne, drapé dans sa majesté.


_________..._________


-Ryan nous a r'fait son speech sur la grande chaîne... J'arrive, chérie ! Il nous a refait tout le topo sur le fait qu'on a tous la main sur la chaîne, qu'on tire dessus à hauteur de notre volonté... Et que c'est parce que l'on tire tous dessus qu'elle avance. Mais ce sont des conneries. La chaîne d'Andrew Ryan est en or. La nôtre est du genre de celles avec un boulet au bout, accrochée à notre mollet.

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-Ryan veut sa sœur ?


Tenenbaum remettait calmement son soutien-gorge, assise au bord du lit, tandis que l'avocat restait nu, exhibant son corps qui n'était pourtant pas si olympien que cela, cigarette au bec. La question de son partenaire l'étonnait. Elle se fige, se retourne.

-Nous ne sommes pas censés parler de ça. C'est un secret que je n'aurais pas dû te dire.
-Vu comme je te baise, je ne t'en veux pas d'avoir la langue pendue...
-Surveille ton langage.

Elle se relève, attrape sa chemise au bord de sa chaise, pour l'enfiler pressément. Vient ensuite le tour des lunettes, l'accessoire indispensable de la doctoresse, l'objet sans quoi on ne la reconnaît plus. Une paire de petites carrées, strictes, qui s'accordent parfaitement à son visage fin et sévère.

-Non, mais, je veux dire... Tu te casses ton joli petit cul à essayer de ressusciter les morts, Brigid...
-Il me fait confiance.


À son tour le séducteur se redresse, pose ses pieds sur le sol, agitant ses mains (et donc sa clope) au rythme de ses mots.

-Oui, oui, Ryan fait confiance à peu de monde, tu te sens investie d'une mission sacrée au nom du divin créateur de la cité idéale, etc, je sais. Non, mais, je veux dire... Il veut sa sœur. Et toi tu as réussi à recréer des copies des morts. Mais cela ne marche que pour les morts non-naturelles, comme quelqu'un qui serait tué, parce que dans le cas des morts non-naturelles, le clone est figé dans son état de presque-mort.
-Tout cela prouve que tu m'écoutes parfois. Je dois retourner travailler. Merci de m'avoir consacré du temps.
-Tout un plaisir ma belle, mais tu devrais fermer ta gueule et m'écouter quand je dis quelque chose.


Brigid était outrée. Elle lâche la poignée de la porte, et pince ses lèvres en s'approchant de lui. Elle a envie de le frapper, mais se ravise, mains crispées sur sa jupe.

-Non parce que là je suis en train de batailler pour un truc dont je n'ai rien à foutre, à savoir : Te donner la solution à ton problème.
-Qu'est-ce que je peux espérer de toi ? Que tu me dises d'apprendre à une comédienne la vie de Ryan, de faire changer son visage par Steinman, et de le manipuler ?
-Oh, puis, tu m'emmerdes. Débrouille-toi avec tes cadavres.


Elle s'apprête à partir, décidée, puis s'arrête avant de passer la porte. Elle bout intérieurement. Sa curiosité veut entendre ce qu'il a à dire.

-Tu sais que j'ai raison, Brigid. Tu sais que quand j'ai envie de dire quelque chose, c'est que je suis sûr de moi.
-Parle, Augustus. Dépêche-toi.
-Tu m'as dit que tu avais un clone de sa sœur en route ?
-Parfaitement.
-Tu vas donc avoir la copie conforme et fonctionnelle de sa sœur sous tes mains ?
-Et sur le point de mourir, oui, sans que mes soins n'arrivent à la sauver à temps, parce que son affection est plus que grave.
-Son affection touche son cerveau ?


Elle fronce les sourcils.

-Non. Ça parasite ses organes internes, digestifs et respiratoires.
-Ouaip. Donc tu vas avoir un cerveau de Ryan junior, tout frais, tout neuf, avec les mêmes souvenirs et la même intelligence.


Silence de la part de la praticienne.

-Et tu me dis que t'as un processus compliqué pour la ressusciter, mais que ça te prendra minimum quatre ans. Moi je dis : Profite de ces quatre ans pour inventer le processus de transfert de cervelle d'un corps à un autre sans lésion. Et hell, m'dis pas que c'est impossible : Tu ressuscites des morts, tu permets aux hommes d'allumer leur cigarette en claquant des doigts, et t'as même su modifier un chat pour qu'il parle le langage humain. Très franchement, transférer un cerveau, y a pire. Enfin... Par Dieu, c'est fou ce que Rapture arrive à nous faire dire. Y a vingt ans, qui aurait pu croire prononcer ces mots.

Elle s'était d'abord retenu de rire devant l'absurdité de la solution, puis comme une chute dans un immense amas de plume après une dure descente, elle atterrissait doucement dans une nouvelle réalité. L'idée faisait son chemin. Elle entrevoyait les protocoles, les pistes, les tests, les nouvelles possibilités que la perspective faisait naître.

-Je... je n'avais pas... envisagé...
-Je sais ma grande. Ryan t'a demandé de ressusciter sa sœur et c'est ce que t'essaies de faire. Mais vu la difficulté pour le faire, tu devrais peut-être t'échapper de la contrainte pure de la demande. Quand t'es baisé par le droit, attaque la procédure. Enfin, la métaphore est tordue mais dans ma tête...


L'allemande s'était jeté sur lui pour l'embrasser à pleine bouche, chose qu'elle faisait rarement, même pendant le sexe.

-Tu es génial !
-Hell, je sais que je suis génial, tous n'acceptent pas de le croire.
-Merci, Augustus ! Merci !
-Beh de rien...


Elle avait claqué la porte, sortant en hâte. Lui hurlait ses derniers mots.

-J'vais finir par croire que tu l'aimes plus que moi !



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La bête grogne encore. Elle ne sait faire que ça de ses journées.

Le Dr. Suchong lui dit de patienter pendant qu'il s'injecte son vita-serum. Un moyen de lutter contre le sommeil. C'est sa cinquième injection consécutive, il a sauté deux nuits de sommeil. Un bonheur.

Il s'en retourne vers le monstre, et défait les lourdes chaînes qui l'entravent. Il est seul dans cette partie du laboratoire : Les autres osent à peine regarder par-delà la vitre sans tain. Le sujet est trop affreux, trop immonde. Humanoïde, oui, mais prodigieusement épais, au bas mot dix-centimètres de rayon de peau, de graisse et de muscles par dessus les os de ses membres supérieurs et inférieurs ; un buste potelé, immense, tonneau de chairs et d'organes. Quant à sa face, elle est difforme : Aucune symétrie, les yeux ne sont pas sur la même ligne, le nez est inexistant. Quant à sa peau... Elle est foncée, pas comme celle des natifs d'Afrique mais plutôt comme celle des grands brûlés. Et il pue... C'est léger, mais ça se rajoute au reste. Nous devons mentionner son sexe, plus proche de celui du bœuf que de celui de l'homme. De quoi dégoûter ces demoiselles.

Oleg, le numéro 2 du laboratoire, a écrit en petites lettres « Cauchemar de Steinman » sur la cellule du sujet. D'ailleurs, en-dessous des consignes de sécurité placardées à l'entrée de la salle de test, il a rajouté un « Interdit à Steinman – Risque de crise cardiaque ».

Suchong démarre son enregistreur audio, puis donne des ordres simples à la bête – avancer, reculer, lever un bras, lever une jambe. Il remarque son exceptionnelle obéissance à cet avilissement, mais une lenteur d'esprit palpable, comme si l'information prenait un long chemin avant qu'il ne puisse l'exécuter. Il doit à tout prix remédier à cela.

Il complexifie. On lui demande de choisir un objet rouge dans la pièce, puis de le saisir pour le mettre dans le casier du Dr. Novikov. Chacun de ses pas fait trembler le sol. Il parvient à le saisir, puis à devoir distinguer les lettres sur les rangements pour voir où le poser. Laborieux.

Il teste ensuite ses réflexes. Il doit rattraper des balles lancées au hasard, sauter dès qu'il entend un son précis. Suchong doit noter de nouveau son aptitude à réagir aussi vite qu'un homme normal à ce genre d'exercices. Le problème ne vient donc pas de son temps de réaction, mais bien du temps de compréhension de l'ordre. Il doit donc trouver des moyens plus simples pour lui donner des ordres intelligibles.

Oleg arrive, enfile sa blouse en vitesse. Le monstre commence à grogner. Suchong le calme, lui dit que c'est un ami. Le russe doit s'approcher et lui tendre la main, caresser son épaule, pour qu'il se rappelle de lui. Un gros problème de vue, le monstre. Ils découvriront plus tard qu'il ne voit pas comme les humains : Il distingue juste des formes, des gros amas de couleurs. En revanche, les odeurs lui parlent mieux. C'est en sentant Oleg qu'il l'a reconnu, et au son de sa voix ensuite.

Une fois les tests d'usages terminés, le chinois passe aux tests qui l'intéressent le plus : Voir si il se souvient des tâches complexes qu'il a dû apprendre la semaine passée. Et c'est émerveillés que les deux docteurs constatent que leur sujet parvient à actionner des manettes dans le bon sens et le bon ordre, puis à taper un code à dix chiffres sans faute, et ensuite ranger chaque matériel dans le carton qui lui avait été arbitrairement assigné pour replacer ceux-là dans une parfaite pyramide en fonction du poids de chacun d'eux, les plus lourds en bas.

Suchong lui dit de le nourrir, et de contacter les types de la logistique. Il faut que sa tenue soit finie au plus vite. L'ouvrier idéal de Rapture est prêt.


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-Brigid m'a dit que vous aviez eu l'idée.

Sinclair fumait encore. Irrémédiablement. Ne s'arrêtait-il jamais ? Quant à Ryan, il avait toujours sa fidèle canne. Quel accessoire énervait le plus l'autre ? Sans doute était-ce celui du dirigeant de Rapture. L'avocat ne comprendra jamais, comme des milliers de gens, pourquoi est-ce qu'il ne prenait pas une simple piqûre pour se soigner définitivement. La technologie de la cité le permettait !

Peu importe. Il se contentait d'un sourire gêné, alors que tous deux regardent de l'autre côté de la vitre. Derrière, Tenenbaum, en tenue de chirurgie, accompagné d'un assistant, pratique l'incision d'une boîte crânienne d'un chien anesthésié. À ses côtés trône son frère, d'une même portée. Son cerveau a déjà été ôté.

-Elle vous l'a dit ? Ce doit être vrai.
-Si ça marche, Augustus... Je ne sais pas comment je saurais vous remercier.
-Vous n'êtes pas fâché qu'elle m'ait divulgué votre secret ?
-Je le serais, si ça n'avait pas permis de me laisser entrevoir une nouvelle possibilité de vivre dans un paradis, avec ma sœur.
-Je me dois de vous rappeler que ces quatre derniers mois, elle n'a rien réussi.
-Mais elle avance. Brigid n'a pas de fonction « découragement ». Elle est la travailleuse la plus courageuse, la plus acharnée que j'ai pu croiser. Avec vous, Augustus. C'est normal que vous couchiez ensemble.

Froid.

-Elle vous l'a dit ?
-Je l'ai deviné. Enfin, je remarque surtout certains changements d'humeur après certaines absences. Certains liens se font... Quand j'ai saisi l'éventualité qu'elle avait une liaison, il m'a fallu répondre à deux questions : Pourquoi cache-t-elle cette relation, et quel homme est assez méritant à ses yeux pour qu'elle se permette cela ? Et votre nom répond à ces deux questions. Et puis, je ne la crois pas capable d'amour envers un homme. Cela permet donc de donner la réponse à une troisième question qui vient naturellement : l'aime-t-elle ? Et à savoir que c'est vous qui partagez son lit, l'on comprend soudain que ce n'est que du sexe. Un moment de détente entre adultes consentants.

Bluffé. Après tant d'années passées à ses côtés, Sinclair était étonné de voir que le boiteux arrivait encore à le surprendre. C'était un pur génie. Pas en terme d'intelligence, non : Un autre genre de génie.

-Vous ne désapprouvez pas ?
-Soyons honnêtes, mon ami. Vous êtes agréable à regarder, et c'est une femme tout à fait magnifique. Vous ne vous forcez à rien. Ça n'entrave pas vos forces de travail, bien au contraire ! Non, vraiment, non. Je n'ai rien à redire.

Ayant raté une incision à cause d'une toux, Tenenbaum jette rageusement sa lame à travers la pièce, qui va rebondir sur le carrelage du mur, s'y briser, et tomber en morceau. Après avoir sursauté, l'assistant pose son récipient en métal vide, et se précipite pour aller lui chercher un nouveau scalpel.

-Comment avez-vous eu l'idée ?
-L'idée ? Des cerveaux ?
-Oui.
-Oh, c'est venu comme ça. J'ai pensé à votre sœur, et puis... voilà.
-Vous avez pensé à ma sœur ?
-Monsieur, la décence m'empêche d'en dire plus, car mon honnêteté risque de vous froisser.

Ryan le fixe. Il attend manifestement qu'il parle, et n'en démordra pas.

-Disons simplement que j'étais en train de tringler le docteur Tenenbaum quand je me suis dit que j'aimerais bien me faire votre sœur. Juste pour le symbole. J'ai saisi ses cheveux, ceux du docteur j'entends. Et ça a été comme une illumination.

Le regard de l'autre semble ne pas avoir changé. Il s'attendait à des remontrances, mais aucune ne viendra. Le dirigeant fini simplement par le lâcher des yeux, et s'éloigner, sous les hurlements de teuton de la généticienne, qui pestait dans une langue que seule elle maîtrisait sur l'humidité de l'air, le manque de sommeil et l'incapacité à être bien entourée dans son travail.


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-Oui... Vous voulez voir la victoire de Rapture sur le monde collectiviste de là-haut ? Je vais vous le montrer. Niveau de salaire moyen : +27 % par rapport aux États-Unis. Pouvoir d'achat : +45%. Nos enfants peuvent travailler librement. Nous pouvons travailler librement. 2,3% de chômage. Personne ne nous gouverne et dicte nos vies. Nous sommes tous égaux en droits et en devoirs. Nous sommes en sécurité. Il n'y a eu que 7 décès par maladie l'année dernière. Un niveau de technologie industrielle et médicale que le monde entier nous envierait, s'il était au courant. Nous ne sommes pas en guerre, ni à l'extérieur, ni entre nous. Citoyens de Rapture, le seul point commun entre nous tous... C'est que nous sommes ici par notre propre volonté, mais aussi grâce au bon vouloir d'un homme : Andrew Ryan. Un homme en qui nous sommes tous liés par contrat, un homme qui a sacrifié et sacrifie encore sa vie et son temps de manière totalement désintéressée. Il ne fait pas ça pour être riche, ni pour être puissant... Il fait ça pour que nous soyons libres. Alors je n'ai aucune honte à le dire, devant vous, ce soir : Longue vie à Andrew Ryan. LONGUE VIE ! À ANDREW ! RYAN !



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Ryan tuait son ennui d'une manière unique. Il se rendait à Hephaïstos, le gigantesque complexe industriel de Rapture.

C'était sa plus grande réussite, l'une de ses pièces maîtresses. Si l'ensemble de la cité lui était floue, et que tout fut concrétisé par le génie de ses ingénieurs & architectes, Hephaïstos était parfaitement clair dans sa tête dès le départ. Une ville dans la ville, où pullulait la plupart des usines de Rapture. Des milliers de travailleurs qui formaient le cœur économique de la cité, tant et si bien que Ryan commençait déjà à prévoir les relations commerciales avec la surface. Il aurait fallu pour cela révéler son œuvre sous-marine à la face du monde. Il y réfléchira.

Il mettait un complet, un pardessus, un chapeau, sa plus belle canne, et prenait le métro pour y descendre. Il déambulait entre les nombreuses infrastructures, respirait à plein nez l'air vicié. L'endroit, immense, possédait de grandes cheminées d'évacuation des déchets gazeux, une merveille de technologie qui faisait sortir les fumées sans faire rentrer la moindre goutte d'eau, dont les moteurs vrombissaient à plein son en permanence. Il n'hésitait pas à serrer la main aux ouvriers qu'il croisait et qui le reconnaissait. Il se sentait comme chez lui avec eux. Ces fiers travailleurs, ces surhommes parfaits, sales et suants, représentant pour lui l'idéal humain à quoi tout le monde devrait aspirer ressembler. Il avait longtemps exécré les professions intellectuelles, les pensant oisives ; le contact de nombreux forcenés tels que Sinclair et Tenenbaum lui avaient fait changer d'avis sur eux. Il n'empêche qu'un ouvrier du bâtiment, un métallurgiste ou un bûcheron abattaient un travail monstrueux et primordial pour la survie de toute une communauté, et qui n'était pas valorisé. L'écart de salaire à l'heure était moins grand sur Rapture qu'en surface, néanmoins, les médecins et les patrons travaillaient beaucoup plus longtemps, d'où un chèque bien plus conséquent chaque semaine. Ryan s'en fichait. Il avait personnellement financé la campagne de valorisation des travailleurs d'usine. Un peu soviétique dans l'imagerie, mais il y tenait beaucoup trop pour ne pas le faire. Il passait justement devant l'un de ces posters : un homme et une femme, face à face, l'un avec un marteau et l'autre avec une pince à métaux, s'opposaient, comme dans un duel. Le slogan proclamait le courage des ouvriers, guerriers de Rapture, qui s'accomplissent personnellement dans leur labeur. À bien y regarder, il voyait un peu de collectivisme dans tout cela. Peu importe. Il continuait invariablement son chemin pour s'assurer de la bonne marche de chaque bâtiment.

C'était essentiel. C'était pour sa survie.


_________..._________



-Le citoyen de Rapture est sans conteste meilleur vivant que le reste des hommes. Ryan a créé une société où le travail est roi. Non, Dieu. Le travail est Dieu ici. Et pourtant... Le citoyen de Rapture n'est pas un stressé qui ne pense qu'au travail. Au contraire. Il est un épicurien. Je ne savais pas pourquoi les gens avaient l'air de bien vivre dans cette bulle étouffante avant samedi. J'ai été prendre une fille, au Pharaoh's... Et le plafond des chambres du sixième donnent sur l'eau. Quand j'étais allongé sur le dos, sur le point de m'endormir, j'ai vu toute cette immensité et j'ai pris peur. Comme si je me rendais compte de ce qui pouvait me tuer en un éclair. Je veux dire, j'en suis conscient, on en est tous conscient, mais là, il y avait juste quelques centimètres d'un verre particulier qui me séparait d'une mort instantanée. J'ai pensé à ce moment-là que cette menace permanente, on a appris à vivre avec. Malgré tout, au fond de notre tête, notre inconscient nous dit toujours que ce truc peut nous tuer. C'est comme vivre avec un couteau sous la gorge, sans savoir quand il va sectionner. Alors on est moins enclin à accumuler les emmerdes. On est plus insouciant, tout en se préservant. On se couche, chaque soir, avec une arrière-pensée qui nous dit qu'on va peut-être mourir cette nuit. Et dans cette optique, il faut sourire, tout le temps. Travailler dur pour avoir son argent qu'on va s'empresser de dépenser dans les multiples plaisirs de Rapture, libre de tout. Comme... un état de nature. Comme si la civilisation avait été réduite à son minimum. Nous sommes tous les membres d'une tribu primaire qui faisons notre temps et nous amusons, sans aucune autre considération. Et la vie est belle.


_________..._________



Le Neptune's Bounty était un aménagement gigantesque à l'extrême-sud de Rapture. À cet endroit, les entreprises de pêche pour la plupart profitaient des nombreux sas pour faire partir des sous-marins de taille variable pour attraper les poissons pour nourrir Rapture, ainsi que d'autres denrées, tels le commerce de coquillages ou de peaux. Le niveau le plus supérieur était bien gardé par plusieurs dizaines de militaires estampillés Rapture, sous le contrôle exclusif d'Andrew Ryan. Ils faisaient venir des conteneurs entiers de ravitaillement provenant de la surface, que Ryan achetait pour la distribution gratuite ou la revente en fonction de l'importance des denrées et des contrats passés. C'était aussi depuis cet endroit qu'on pilotait la surveillance des frontières, pour chercher à empêcher le trafic illégal avec la surface.

Pourtant, c'était précisément quelques étages plus bas que Frank Fontaine était en train de négocier le prix d'achat de sa prochaine livraison :

-160 kilos de poudre à soupe
-25,76 kilos de matériel électronique divers
-1 caisse de parfums français
-4 radios longue-portée militaires
-78 bouteilles d'alcool de première qualité
-18 000 feuilles de papier, réparties en 90 ramettes de 200 feuilles chacune
-2 timbres avec Lincoln dessus
-186 icônes de la Vierge Marie et 186 crucifix.
-Des magazines pornos [Autant qu'il pourra s'en trouver sous le manteau]
-3 caisses d'armes automatiques, et leurs munitions

Le tout est réglé en partie en or immédiatement, le reste à livraison. Après signature, les trois comptables chinois et leur interprète islandais mettent les voiles dans un transport déguisé en appareil de pêche.


_________..._________


-Quel est le plus grand mensonge jamais créé ? Qu'elle est l'obscénité la plus vicieuse jamais perpétré sur l'humanité ? L'esclavage ? L'holocauste ? La dictature ? Non. C'est l'outil grâce auquel chacune de ses immondices a été construite : L'Altruisme. Chaque fois que quelqu'un veut que les autres fassent leur travail, ils en appellent à l'altruisme. Peu importe vos propres besoins, disent-ils, pensez aux besoins... de n'importe qui. L'État. Les pauvres. L'armée, le Roi, Dieu ! La liste s'allonge et s'allonge... En revanche, combien de catastrophes ont été lancées avec les mots « pensez à vous-même » !? C'est la foule du « Mon Roi et ma Patrie » qui allume les torches de la destruction... C'est cette grande inversion, ce mensonge ancien, qui a enchaîné l'humanité dans un cycle infini de culpabilité et d'échecs. Mon voyage à Rapture n'était que mon second exode : En 1919, j'ai fui un pays qui avait échangé le despotisme pour la folie. La révolution marxiste a simplement échangé un mensonge contre un autre. Au lieu d'un homme seul, le Tsar, qui possédait le travail de tout le monde, tout le monde possédait le travail de tout le monde. Alors je suis venu en Amérique : Où un homme peut posséder son propre travail, où un homme peut bénéficier des éclats de son propre esprit, de la force de ses propres muscles, la volonté de sa propre volonté. Je pensais avoir laissé les parasites de Moscou derrière moi. Je pensais avoir laissé les altruistes marxistes à leurs fermes collectives et leur plan de cinq ans. Mais alors que les tarés allemands se jetaient eux-mêmes sur l'épée d'Hitler « pour le bien du Reich », les américains buvaient encore et encore le poison Bolshevik, nourris à la cuillère par Roosevelt et ses New-Dealists. Alors, je me suis demandé : Dans quel pays y avait-il une place pour les hommes comme moi – les hommes qui refusent de dire oui aux parasites et à ceux qui doutent, les hommes qui croient que leur travail était sacré et leurs droits de propriété inviolables. Et, un jour, la réponse m'est apparue, mes amis. Il n'y avait AUCUN pays pour les gens comme moi. C'est à CE moment que j'ai décidé... de le construire.
« Modifié: jeudi 10 décembre 2015, 19:11:13 par Law »

Andrew Ryan

Humain(e)

Re : I chose Rapture

Réponse 4 dimanche 22 novembre 2015, 23:47:18


Quelques années plus tard.

-Moi, j'ai une question. Pourquoi le Conseil ne s'est pas réuni depuis plus d'un mois ?
-J'étais souffrant.
-On peut se réunir sans t...
-NON, VOUS NE POUVEZ PAS !!

Le ton était donné. Ils n'avaient pas fini de s'asseoir autour de la table que ça hurlait déjà. Ryan, lui, restait debout, et préférait maintenant se tourner vers la grande baie vitrée, donnant une vue imprenable sur Rapture.

-Il faut qu'on fasse quelque chose pour Fontaine.
-Non.
-Pourquoi ?
-Parce que Frank a compris ce que j'attendais des gens lorsque je proclamais le principe de « liberté ». Il use de sa liberté individuelle.
-Au détriment des autres.
-Tu as des preuves que les autres en souffrent ?
-Les faits sont là. Il possède quatre des plus grandes entreprises de Rapture, dans des secteurs stratégiques : Fontaine Futuristics, Fontaine Investment, Fontaine Fisheries et Fontaine Industries. La moitié de Rapture dépend de lui.
-C'est la faute des autres. Pas la sienne. C'est aux autres de se mettre au niveau.
-Il a des moyens que d'autres n'ont pas, Andrew.
-Peu importe. Chacu fait ce qu'il peut. Regardez-moi : Je suis arrivé en Amérique avec absolument rien, et j'ai bâti tout cela ! Et des parasites veulent remettre cel...
-ANDREW !!

Tenenbaum qui hurle. Un spectacle unique dans une vie. Elle, si froide, si détachée, se permet rarement ce genre de débordement.

-Andrew. Il abreuve le marché noir avec des marchandises qu'il ramène de la surface.
-Nous n'avons pas de preuve.
-Mais nous savons que c'est vrai. Il monopolise le commerce. Il a fait fermer des usines à coup de pression financière dans les quartiers ouest, qui maintenant sont des bidonvilles infects, et ses œuvres caritatives prospèrent. Il passe pour le gentil là où nous passons pour ceux qui les abandonnent ! Tout le monde pense que c'est un héros, les pauvres vénèrent le grand industriel, alors que c'est un type sans morale, sans sentiment, plein de mépris pour eux, un odieux personnage froid et mécanique qui...

Elle s'arrête. Tous la regardent avec étonnement.

-Ce n'est pas personnel. Je ne hais pas Frank Fontaine. Mais je hais ce qu'il fait de Rapture. J'ai cru trouver ici mon espace de liberté, tel que tu me l'avais promis, Andrew. Mais Rapture City... c'est devenu Fontaine City. Il n'est plus possible d'avancer sans croiser son nom. Et nous sommes tous ses jouets. Je ne me sens plus libre. Plus personne n'est libre, même lorsqu'ils le croient, parce que l'ombre de Fontaine planent au-dessus d'eux.
-Brigid... il fait vivre Rapture.
-Jusqu'à ce qu'il veuille la tuer. Et là, d'un simple claquement de doigt, il le pourra.


Ryan réfléchit, soupir, et lève son bras pour le coller à son front, s'appuyant ainsi sur la vitre.

-J'écoute vos propositions concernant le cas Frank Fontaine.


_________..._________


-Aaaaphroooodiiiite ? Hé hé hé !

Il fait des bulles avec sa bouche. Tout seul dans son bloc, Steinman finit de cisailler le deuxième sein de sa « patiente ».

-Ce n'est rien, ce n'est rien. Ils étaient juste un peu trop gros. La réduction mammaire, vous verrez, vous verrez...

Il soulève, découpe, racle. Ça pisse le sang de partout.

-Aphrodite ?

Nouvel arrêt, regardant autour de lui, inquiet. Puis il reprend soudain, déposant dans une bassine sale et rouillée ce qu'il extrait du corps encore vivant de la victime.

-Hmmm. C'est bien, c'est bien. Oui, vous aviez de trop gros seins. C'est disgracieux. Mais ce n'est pas grave, on va s'en occuper. Oh, vous êtes si belle.

Elle a deux coutures anarchiques sur les joues, ses yeux sont maintenus ouverts par de grosses agrafes, son nez a été aminci et la chair apparaît des deux côtés, pareil sur ses doigts.

-Si belle, si belle, Aphrodite... Allons allons, concentrons-nous, un peu de sérieux.

Il finit vite son travail, puis tente de refermer. Lorsqu'il se redresse pour admirer son œuvre, il ne peut s'empêcher de ronger sa lèvre inférieure.

-Non. Non, ça ne va pas... Ce n'est pas symétrique. C'est la faute des... des épaules, oui, parfaitement, regardez, là, comme ça, il faudrait... Ah ! Oui, elles remontent, c'est... C'est tendu, là, voyez, ici...

Il commence par inciser doucement les épaules, puis le scalpel s'enfonce plus profondément, jusqu'à la garde. Il le jette sur le plateau, prend la petite scie, donne des coups rageurs pour lui couper le bras. Flaque de sang sur un sol déjà tâchés d'immondices.

-Ouiiii Aphrodite, parfait ! Regardez, si je vous symétrise maintenant, vous allez voir !

Même chose de l'autre côté, le bras est coupé net. L'os résiste, mais Steinman est plus fort que le corps humain.

-Hop hop hop, on a maintenant des seins qui peuvent être rajustés ici sans contrainte. Là. Une fois debout, vous...

Il porte sa main sanglante à ses lèvres pour se mordre les doigts, perplexes.

-Non... Quand vous vous lèverez, ce ne sera pas bon, pas bon du tout... Pas bon...

Il saisit le scalpel et le plante dans sa poitrine, à vingt reprises, en hurlant « PAS BON ! PAS BON ! » jusqu'à ce qu'elle soit totalement mutilée. Une pince est ensuite empoignée, qui servira à arracher à la barbare toutes les sutures sur son visage.

-Voilà ! Vous êtes de nouveau laide, comme avant ! Bien fait ! Bien fait pour vous ! Pas vrai, Aphrodite ?

Il abandonne ses outils, et retourne effacer les visages qu'il trace sur les murs de métal de sa salle d'opération pour en dessiner de nouveau, des visages d'hommes et de femmes, parfaitement de face, qui le fixent, comme déjà morts.




_________..._________


-Qu'est-ce que ça signifie, mon ami ?
-Ça signifie que certains rapports sûrs nous informent que tu fais de la contrebande, Frank. Ouvrez cette caisse.
-Je ne comprends pas, Andrew.


Fontaine tenait ce fameux sourire, le même que sur les pubs, un sourire très commercial, qui met ce quarantenaire au physique glorieux dans un état de grâce charismatique.

Le dépassant, un soldat de Ryan brandit le pied-de-biche qu'il portait pour briser l'un des côtés de la caisse. Se déversa alors sur le sol vaguement humide... du grain, anthracite et ivoire, en quantité non-négligeable. Le soldat plonge la main dedans, cherchant à vérifier si il n'y avait rien au fond.

-Qu'est-ce que c'est que ça ?
-Des graines, mon bon.
-Des graines de fleur de tournesol.


La plupart des présents se tournaient vers Ryan. Peu d'entre eux avaient une idée de ce que c'était vraiment. Le boss de Rapture fixait Fontaine, qui le fixait en retour. L'un passablement irrité, l'autre visiblement amusé.

-Ces graines sont déclarées. Elles ont été importées ici avec l'aval du Conseil de Rapture. Les papiers sont ici.

Son accent irlandais faisait grincer les dents de Ryan, qui choisissait de s'éloigner, s'appuyant pas après pas sur sa canne, tandis qu'un fonctionnaire vérifie les autorisations tendues par l'homme d'affaire.

Ils n'étaient que deux à avoir compris.

-Chef !

Le capitaine rattrapait Ryan. Pas difficile avec les deux jambes valides.

-Chef... On fait quoi ?
-Laissez-le partir.
-Mais la contrebande...
-Vous ne trouverez rien. Il savait qu'on arrivait. Il savait que JE venais particulièrement. Ces graines, c'est sa façon de se moquer de moi.


Il se souvient alors de tout.


_________..._________


Sa mémoire est prodigieuse. Il se rappelle ces longues heures d'attente dans les couloirs du Komsomol, à attendre qu'un officiel le convoque pour un énième papier qui sera périmé la semaine d'après. Il se souvient du bureau de l'upravdom, au premier étage du manoir sur-occupé dans lequel il était contraint de loger avec sa famille dans les premiers instants. Il se souvient de l'huile un peu rance qu'ils versaient dans une casserole, pour faire frire quelques légumes presque pourris, amputés du noir qui les parasitaient. Il se rappelle aussi, évidemment, de cette fois, la seule fois, où il a frappé sa sœur : Mauvaise journée, mauvaises nouvelles ; alors qu'il retire ses chaussures et ses chaussettes pour s'asseoir devant le poêle brûlant et expier le froid du dehors, il marche sur ce truc, qui lui décharge une douleur inconcevable, le sang venait même à tâcher le parquet.

Ce truc, c'était la coquille sèche d'une graine de fleur de tournesol. Et c'était le point commun de tous ces instants : La graine de fleur de tournesol.

À Petrograd, on en trouvait des cadavres sur tous les sols, de l'huile dans toute les cuisines, et dans beaucoup de mains, des coques encore intactes attendant d'être brisées. Le Tournesol – on en trouvait à perte de vue à la belle saison, et c'était un bon moyen de faire passer le temps agréablement : Prendre une poignée de graine, en piocher une pour la croquer, en extraire la graine, et surtout, la petite peau à l'intérieur, qui sera grignotée avec attention. Les deux moitiés de coquille, soit on les met dans une autre poche (quand on a de la décence), soit on le crache à terre (quand on a envie de donner du travail aux camarades employés au nettoyage).

Des tas de graines. Des tas.

Fontaine se foutait de sa gueule.


_________..._________



Un pesant silence. L'ouvrier avait désactivé son oreillette le temps de cheminer le long du tuyau.

Il aimait contempler l'immensité de l'eau dans sa solitude, surtout quand il s'y baignait. Ça le faisait traîner quelques secondes au travail, mais personne ne lui en tenait rigueur. Un animal marin passe à ses côtés. Il ne saurait pas dire ce que c'est – tout comme sur terre il n'aurait pas distingué le ragondin de la loutre – mais peu lui importe, parce qu'il n'était pas requis de connaître le nom d'un événement pour en apprécier la beauté. En l'occurrence, sa façon de nager, prodigieusement gracieuse, lui donne envie de s'échapper de son travail pour partir dans les flux avec la bête marine. Il la regarde un long moment s'éloigner, et lui-même ayant lâché sa prise, il commence à être emporté par l'eau comme l'apesanteur le ferait s'éloigner du sol, mais dans le sens de la gravité cette fois-ci. Il s'étire malgré sa lourde combinaison, et ferme les yeux.

Par-delà ses paupières, il capte un voyant rouge qui clignote. On est en train de lui parler alors qu'il a volontairement éteint le son. Il appuie pour rallumer son communicateur.

-... érieur de cinq centimètres.
-Répète, j'ai eu une coupure.


Il attrape la chaîne à sa ceinture pour la remonter manuellement, puis se coller contre la paroi du tuyau, et continuer à le remonter, l'eau le rendait bien plus léger.

-Pour l'oxygène. Je sais pas si je devrais noter dans le cahier prévisionnel qu'il faut la grossir.
-Du métro ? Je te dirais ça.

Chaque fois qu'il grimpe, il doit détacher la chaîne en bas pour la rattacher à une autre boucle de métal, plus haut. Celles-ci parsemaient Rapture, et sécurisaient grandement le travail des ouvriers. Arrive enfin le cœur des soucis : Une jonction de tuyau où une espèce de rouille a rongé l'épaisseur du métal. La tâche de pourriture est assez ciblée, et il tend à douter que c'est complètement naturel.

-Je suis au trou. L'état est pitoyable, vraiment. Mais les calculs étaient bons.

À sa ceinture où pendent quelques bouts de métal et des instruments, il détache une grosse plaque en T, ainsi qu'il soudeur fonctionnant sous-l'eau. Très haute pression. Il suffit de le tenir bien près de ce que l'on veut fixer. Il pose l'objet dessus, constate qu'il s'emboîte parfaitement sur la forme de la jonction du tuyau, et fait marcher son engin dessus.

-Commencez l'évacuation d'eau du réseau.
-C'est parti.


Il entend un vrombissement lointain. Il continue sa tâche sans se presser, se permettant même de lever les yeux vers l'immensité aquatique. Quelques minutes plus tard, il lâche le tout, vérifiant qu'il n'a pas laissé un trou dans la soudure.

-Teste la pression.
-... Pression revenue. Ça monte, ça monte... C'est bon. 98%. Niveau normal.
-Je vais voir le métro. Je suis détaché.
-Fais gaffe à toi.


Il défait la chaîne qui le lie à Rapture, puis donne une impulsion de ses pieds vers le côté pour flotter sur quelques mètres, et attraper une attache en y mettant l'index. Il chemine sur le côté comme on escaladerait une montagne, jusqu'à voir, quelques mètres plus bas, le grand couloir de verre du métropolitain, qui joint deux immenses bâtiments. Il lui suffit alors de lâcher prise et de se laisser couler jusqu'à tomber dessus. C'était la ligne entre Hephaïstos et Olympus, une voie de transport très utilisée.

Atterrissage en douceur. Quelques mètres plus loin, il voit l'immense monstre dans sa combinaison sous-marine en train de porter à bout de bras, grâce à trois chaînes épaisses, une poutre de plusieurs centaines de kilos. Il tente de l'amener jusqu'à une séparation de voies, qu'il doit apparemment consolider.

-Ces saloperies vont nous mettre au chômage.
-Qui ? Les gardiens ?
-Ouaip.


Il marche le long du métro de verre, se concentrant sur l'un des trois tuyaux qui le longent. Passé un moment, il s'agenouille difficilement, et examine le métal.

-Franchement, fais-lui un devis. Si ces trucs lâchent pas dans l'année, je renonce à mes primes.
-T'en es sûr ? Pas une charge inutile ?
-Le truc m'a l'air si peu stable... Je crois que je pourrais l'arracher de moi-même.


À ce moment-là, le métro passe. Le sol tremble sous lui, mais il n'en a cure. Toute l'eau autour de lui maintient son équilibre.  Mais il n'avait pas vu l'animal marin qui lui fonçait dessus, probablement aveugle. Il se le prend de plein fouet dans la poitrine et s'échappe du tuyau.

-Mike ? Mike !
-C'est rien !


Non, ce n'était pas rien. La bête revient à la charge. Apparemment, elle est douée de vision, puisqu'elle lui mord la jambe au moment où il commençait à nager pour revenir vers une prise. Il a beau se débattre, elle ne le lâche pas. Elle lui fait à peine mal, mais ce n'est pas ce qui compte : L'important c'est qu'il coule, notamment à cause de sa combinaison, et que s'il va trop loin, il aura du mal à revenir.

-Attends, putain, attends...

Il sort sa soudeuse et le colle sur la tête de la bête. Un bref grésillement et l'importun sursaute, et dégage.

-Tu fais quoi !?
-Je coule, merde.


Il essaie de revenir, mais a l'impression d'être happé par le fond plus vite qu'il ne peut lutter. Il donne des grands coups de bras et de jambes, tente de rester fluide, mais toute la tenue l'entrave bien trop. Il panique quelque peu, hyperventile, ce qui n'est pas bon pour sa réserve d'oxygène. Les lumières de Rapture l'entourent et il en ressent l'oppression, de toute cette vie qui le regarde et qui s'en fout. Il n'ose pas regarder en-dessous de lui si il va tomber sur un fond de pierre assez vite, ce qui pourrait lui permettre de grimper vers Rapture par la force, ou si il s'enfonce dans les abysses.

-Envoie une équipe, je t'en prie... Putain !
-Tu es où ?!
-Sous le métro, euh, là où j'ai regardé !
-Je fais ce que je peux, ils s'habillent déjà.


L'ouvrier fatigue des bras. Bordel. Il lutte pour ne pas rester immobile. Une grosse masse approche de lui. Il croit distinguer le gardien qui descend vers lui pour essayer de le rattraper. Mais celui-ci finit par s'arrêter. Sa propre chaîne n'est pas assez longue.

-Arthur ?
-Mike, on ne va pas pouvoir te reprendre. Sam dit que t'es trop loin.
-Non... Non...
-Je suis désolé, Mike. Je suis désolé.
-Attends, je peux tenter...
-Tu as toujours été un super collègue. Tout le monde te regrettera.

Il continuera de tenter, malgré tout. Parce qu'il ne faut pas se laisser mourir sans avoir jeté tous ses efforts dans la survie.

Son cadavre ira rejoindre les centaines d'autre au fond de l'océan.


_________..._________



-Pourquoi ce truc s'est écroulé ?

L'ingénieur, donnant un coup de chiffon sur sa clé à molette graisseuse, hausse les épaules et répond :

-Qui est Atlas ?


Ryan lui jette un regard sévère, sourcils froncés, ne comprenant pas la question.

-C'est Atlas qui a fait ça ?
-Oh, non, c'est purement accidentel. Vous ne connaissez pas l'expression, monsieur ?


Le directeur se tournait instantanément vers cette affiche d'un homme musclé, aux traits flous, avec un point d'interrogation au-dessus de sa tête, et un slogan « WHO IS ATLAS ? ». Poster servant à dire que toute information pouvant mener à l'identification du terroriste serait grandement utile.

-Non, je ne vous parle pas de cette affiche, monsieur. Je parle de l'expression courante, « Qui est Atlas ».
-Ca signifie ?
-Et bien... Quand quelqu'un vous pose une question à laquelle il n'y a pas de réponse, ou à laquelle la réponse vous échappe tout du moins, vous lui posez cette question en retour. « Qui est Atlas ? »


Ça le faisait sourire. Ryan, un peu moins.

-Qui a eu cette idée idiote ?

L'ingénieur rangeait sa clé dans sa ceinture utilitaire, craquait une allumette pour mettre le feu à sa cigarette, puis haussait les épaules.

-Qui est Atlas ?




_________..._________

-Ca pue. La monnaie qui perd 30 % de valeur en l'espace d'une seule semaine... Et ça n'a pas fini de plonger. Même si les prévisions me disent que la courbe s'aplanit. Je ne comprends pas qui est à l'origine de cela, même si j'ai un doute... mais je ne vois pas l'intérêt qu'il aurait de jouer avec la monnaie de Rapture. Et le type qui s'occupe du calcul des taxes au bureau de la finance est un vrai trou du cul. J'ai dû lui apprendre l'existence de la courbe de Laffer. Je rêve. Il faut suivre les actualités, bon Dieu. Mais je les pardonne, tous ces connards vivent dans de faux paradis étatistes depuis toujours, et découvrent tout juste la Liberté. Bref... Le fait est que ce type m'a dit que le calcul de dépréciation était bon sur tous les points, et qu'il ne comprenait pourquoi le capital foutait ainsi le camp. « Le capital fout le camp » ! Il ne voit pas comme c'est incompatible avec la dépréciation de la monnaie !? J'ai dit que je voyais mal comment on pouvait dégager de telles valeurs dans un espace d'une semaine, et il m'a montré toutes les constantes que la machine enregistrait. Trop compliqué pour que je le prenne à froid, alors j'ai imprimé quelques dizaines de pages des équations et je vais me pencher dessus maintenant. J'en ai pour des heures... J'suis économiste, pas mathématicien, et il y a une immense différence. J'ai qu'un espoir : Que le type qui a composé le calcul soit un con. Et que son calcul soit complètement faux. Sinon... Merde. Non, il faut qu'il soit faux.


_________..._________

Le Pink Pearl était situé dans le quartier de Siren Alley, au sud de Rapture. Ce quartier était réputé pour ses maisons de plaisance. La prostitution n'était pas forcément un loisir commun dans la cité, mais depuis que l'économie plongeait, les bordels poussaient comme des champignons à la place de commerce plus respectables. D'abord, les gens y allaient avec honte, avant de l'assumer plus franchement. On y croisait de tout, et c'était sans doute ce qui faisait que ça marchait si bien.

La musique est douce, les danseuses nombreuses. Dans un grand divan en demi-cercle, tout d'un faux cuir noir, un homme en smoking patiente un verre de vin de Champagne en main. Jolie fille qui s'approche, qui s'assied, qui se renfrogne.

-Tu l'as ?
-Oui.


Elle sort un flacon hermétique, du genre médical, de son élégant sac à main. Un fond de liquide blanc et visqueux s'y baladait. Le plastique était froid.

-Ryan baise comment ?
-Mécaniquement.
-Hé hé hé. Tu ne m'étonnes pas. Bon... Je m'offrirais bien tes services, ma jolie.
-Pas envie ce soir.
-Je comprends, tu t'es tapé Ryan, ça a de quoi dégoûter.
-Nan, c'est d'avoir dû te donner... ça.
-Tu ne me demandes pas ce que je vais en faire ?
-Hors de question. Je ne veux rien savoir.

L'homme, plutôt attirant, sourit en se penchant vers elle, posant un baiser sur sa joue.

-Viens. J'ai envie de toi.
-Je te préviens, je te fais casquer plus cher.
-Compris. Par contre, sachant que Ryan s'est laissé aller dans ta chatte, je passerai ailleurs.
-Peu m'importe tant que tu allonges la monnaie, Frank.


_________..._________

Assise sur une chaise grinçante, tout en bois et en osier, un vague sourire aux lèvres, elle arrose quelques plantes en pot. Une délicatesse infinie la saisit lorsqu'elle caresse les feuilles de ce qu'elle considère comme ses enfants ; des contacts presque érotiques qu'elle pratique sur ces inanimés chaque jour, chaque heure. Elle ne lève pas les yeux en entendant les pas qui s'approchent. Elle sait qu'il n'y a que lui pour venir la voir à une telle heure du matin. Et ils sont peu, dans Rapture, à devoir marcher avec une canne.

-Pourquoi ne te fais-tu pas soigner, Andrew ?
-Parce que c'est ainsi.
-Tu as comme nous tous recours aux modifications génétiques. Quel âge as-tu ? Tu ne me feras pas croire que tu n'as que 50 ans.


Il crispe sa main sur sa canne, regardant autour de lui l’œuvre de celle qu'il a fait personnellement venir ici.

-Comment va l'oxygène de Rapture ?
-Tu ne viens pas pour parler de ça. Dis-moi ce que tu veux.


Elle se relève pour s'approcher d'un rosier tout à fait singulier : Sur le même plant, ses fleurs sont tantôt rouge, tantôt blanche, et certaines possèdent ces deux couleurs mêlées, soit en dégradé, soit en tâches informes. Après l'avoir examiné, gracieuse, elle s'éloigne jusqu'à atteindre une fleur carnivore plutôt abîmée, toute petite, mais qui reprend lentement de la vie. Ses nouvelles pousses promettent d'être vigoureuses.

-On m'a informé que tu avançais dans ton nouveau traitement. Je viens pour m'assurer que ça marche.
-Il est là. Regarde.

Ryan remarque qu'elle est pieds nus. Il se sent coupable de marcher sur l'herbe avec ses chaussures ; cet endroit le met mal à l'aise de toute façon. Lorsqu'il lève les yeux au plafond, il voit lianes et lierres y courir, de même pour les murs de métal, couverts de grillages en bois où s'agrègent des dizaines de variétés différentes d'envahissantes espèces apportées ou conçues par elle.

Il consent finalement à s'approcher, et s'accroupit difficilement au sol. Elle lui sourit.

-Tu vois ?
-Je vois. Mais je ne comprends pas.
-Regarde les pousses alentours. Elles sont mortes. La plante était destinée à mourir. Empoisonnée. Ses racines se sont enfoncées dans de la rouille particulièrement corrosive, et cette plante y est très sensible. Dans ces cas-là, elle n'a aucune chance. Mais je l'ai traitée. Et regarde au centre comme elle repousse vite. Une nouvelle vie.
-Quelles sont les applications ?
-Les modifications sont mineures en fonction des espèces à traiter, mais on peut tout soigner. J'ai immédiatement essayé avec le poumon n°7.
-Le mourant...
-Le cancéreux, tu veux dire. La dégénérescence des arbres a totalement stoppé. J'attendais qu'ils reprennent vraiment de la vie pour te prévenir. Je les nourris chaque jour. Je suis inquiet pour eux, Andrew.
-Et moi pour Rapture.


Il se redresse, s'appuyant sur sa canne. Julia ne fait même pas l'effort de l'aider dans cette épreuve. Elle se contente d'arroser un peu la plante carnivore en vidant une fiole blanche se trouvant dans une poche en cuir à sa ceinture.

-C'est ça, ton traitement ?
-Non, Andrew. Ce sont simplement des eaux plus ou moins riches en nutriments précis. Chaque plante a besoin de sa propre eau. Il serait fou de croire que toute eau est bonne pour toute plante.


Elle était peut-être un peu folle, mais elle était diablement douée. Il comprenait la complexité des questions qu'elle avait à traiter et se disait chaque jour qu'il était ravi de lui déléguer, comme il savait le faire dans beaucoup de domaines.

-Je vais devoir envoyer des ouvriers pour vérifier les aérations.
-Je pourrais superviser leur nettoyage ? Qu'ils n'utilisent pas de produits nocifs.
-Je leur dirais. Il faut que rien ne soit obstrué. Rapture doit respirer.
-C'est ce à quoi je m’attelle chaque jour.
-Appelle-moi quand ton traitement sera prêt.



_________..._________


-J'ai quitté Israël parce que j'avais peur de ce que ça pouvait devenir. Les premiers temps étaient idylliques mais la suite...  [longue pause] … Et j'ai l'impression que c'est la même chose avec Rapture. Commander les forces de sécurité de la ville, ce n'est pas de la répression, m'avait-il promis. Alors forcément... Je suis réticente à l'idée d'exécuter l'ordre qu'il vient de me donner. Oh, bon Dieu, je n'ai pas le droit d'en parler. Ma lettre de démission est prête. Je vais devoir faire un choix.


_________..._________


-Permettez que nous nous intéressions à votre dossier ?
-Faites.
-Vous êtes Andrew Ryan, né Andrei Rianovski, à Petrograd, le...
-Pas de date, s'il vous plaît.
-Bien. Petrograd existe encore ?
-Non. Ça s'appelle St Petersburg désormais.
-Vous étiez citoyen russe ?
-J'ai été naturalisé américain.
-Et vous êtes citoyen de Rapture ?


Il soupire.

-Oui.
-Pardonnez-moi cette question, mais la procédure l'oblige... Pourquoi êtes-vous venu à Rapture ?

Sachant qu'il l'avait fondé, c'était une ironie de lui poser, et même le procureur en était conscient.

-Je cherchais une cité où je pouvais être libre. Libre de parler, libre de créer, libre de gagner l'argent que je méritais.
-Et... Bon, oublions cette question.
-Non, posez-la.

Le procureur remet ses lunettes droites, et énonce, perplexe :

-Comment êtes-vous parvenu à Rapture ?
-Les parasites m'ont poussé vers la sortie. Ma sœur m'a montré le chemin de Rapture.


Court silence, avant que le juge ne fasse signe au procureur de passer aux questions concernant le cas qui les amenait ici.

-Quelles sont vos fonctions et emplois ?
-Je suis membre du mal-nommé Conseil d'Administration de Rapture, j'en suis le premier conseiller. Je possède aussi quelques industries ici et sur Terre.
-Vous possédez une armée mercenaire, nommée "Forces de sécurité de Rapture" ?
-Oui.
-Pouvez-vous ordonner l'arrestation d'un citoyen ?
-Il faut normalement une décision judiciaire. Mais dans certains cas d'urgence, il est possible de s'en passer, à condition qu'un juge vérifie la régularité d'une arrestation à posteriori.
-Et comment cela se passe-t-il ?

-Selon les statuts de Rapture acceptés par tous, il suffit d'un vote à la majorité du conseil d'administration. Mais là encore, en cas d'urgence, j'ai le pouvoir de m'en passer, à condition d'avoir l'autorisation de deux autres membres du conseil d'administration qui s'assurent que cette arrestation est justifiée. C'est moi qui ait décidé de cette procédure et je m'y astreins.
-C'est la procédure que vous avez utilisé ?
-Oui.
-Vous avez signé l'ordre d'arrestation ?
-Je l'ai émis et signé, oui.
-Et qui sont les deux autres membres garants ?
-En tant que relation contractuelle, ils ne regardent que moi et eux. Il n'y a qu'au juge à qui j'accepte de transmettre ces noms, en privé, et pas ainsi, en audience publique.


Quelques murmures dans la salle. Un homme se penche vers Sinclair, et lui murmure « Tenenbaum ? » Sinclair hausse les épaules, et lui répond en retour « Sans doute. Quant à trouver l'autre... »

-Monsieur Ryan. Avez-vous donné l'ordre de faire assassiner le citoyen Frank Fontaine ?
-Non. Je ne peux émettre qu'un ordre d'arrestation pour le mettre à disposition de la justice privée.
-Est-il possible que vous ayez dit oralement à vos mercenaires de profiter de l'arrestation pour tuer le citoyen Fontaine, et ainsi faire disparaître cet élément que vous trouviez gênant ?
-C'est possible.


Sinclair se lève.

-Votre honneur, je souhaite préciser ce que vient de dire mon client.
-Votre client est assez grand pour le faire tout seul s'il en ressent le besoin. Continuez, monsieur le procureur.
-Merci, votre honneur.

Sinclair se rassied. Ryan ne le regarde pas. Assurer sa défense seul... pure folie.

-Monsieur Ryan, vous dites que c'est possible ?
-Oui. Puisque vous vous posez la question, c'est qu'il y a possibilité que ce soit arrivé ainsi.
-Est-ce arrivé ainsi ?
-Non.
-Vous n'avez pas dit à vos forces de sécurité de tuer le citoyen Fontaine, sachant qu'il allait résister à son arrestation ?
-Je ne le savais pas. J'espérais qu'il ne résisterait pas. J'aurais préféré le voir devant une cour.
-Vraiment ? Vous le préférez en jugement que mort ?

Le dirigeant de Rapture penche quelque peu la tête sur le côté, fixant le sol un instant, avant de relever la tête vers le procureur.

-Nous, vous avez raison. Je le préfère mort
-Votre honneur, mon client...
-Même remarque qu'avant, maître Sinclair. Laissez parler votre client, puisque celui-ci ne vous a pas sollicité à ses côtés aujourd'hui.

Ryan était impassible. Il a toujours voulu une justice impartiale, et sait qu'il pourrait être condamné aujourd'hui, mais ne s'en formalise pas plus que ça.

-Monsieur Ryan. Comment expliquez-vous que la responsable des forces de sécurité, la citoyenne Leah Kalifi-Shani, à qui vous avez transmis l'ordre écrit d'arrêter le citoyen Fontaine, et peut-être l'ordre oral de le tuer, soit aujourd'hui dans le coma ?


-Une explosion dans sa chambre.
-Ca, nous le savons... Mais la question est : En êtes-vous le responsable ?
-Non.
-N'avez-vous pas cherché à éliminer la seule personne pouvant attester de votre culpabilité ?
-Non. J'aimais beaucoup la commandante Shani. Je la respectais.
-Ne vous décrivez-vous pas comme un « pragmatique à l'extrême » ?
-C'est ce que dit ma biographie.


Rires dans la salle.

-Par pragmatisme, n'auriez-vous pas cherché à vous débarrasser de ceux que vous aimez et respectez, je pense à la commandante Kalifi-Shani, pour êtes sûr qu'elle ne témoignerait pas contre vous ?
-Non.
-Votre ennemi disparaît suite à un ordre obscur, et la personne qui l'a tué pendant qu'il résistait à son arrestation a subi une détonation d'origine criminelle qui fait qu'elle ne peut pas témoigner ici... et vous dites n'y être pour rien ?
-Absolument. Je préfère voir la commandante Kalifi-Shani me trahir devant cette cour plutôt que de la faire assassiner.
-Y avait-il matière à vous trahir ?
-Pas du tout. C'était pour rebondir sur vos suppositions.
-Alors, avez-vous une idée de qui a cherché à attenter à sa vie, et pourquoi ?
-Oui.
-Qui ?
-Frank Fontaine.


Sinclair lève les yeux au ciel. Ryan disait n'importe quoi. La vérité est inutile devant une cour : Seule compte la raison du droit. Il ne voulait pas comprendre ça. Et l'assistance commençait à jaser, sévèrement, le flots des murmures en secouant son calme.

-Frank Fontaine ? Celui qu'elle a tué ?
-Oui.
-Comment aurait-il pu, plusieurs jours après sa mort, lui faire ça ? Alors même qu'il n'y a que quelques jours que nous avons pu attester que c'était elle qui lui avait tiré dessus, et qu'elle-même avait dit dans un journal audio « ne pas être sûre d'avoir été celle qui a abattu Frank, vu la confusion qui régnait » ? Comment pouvait-il savoir à l'avance qu'elle allait l'abattre, elle, et pas un autre ? Peut-être pouvons-nous l'expliquer par le fait qu'il savait sa vie en danger, qu'il savait que la commandant Kalifi-Shani était une soldate hors-pair qui vous était fidèle ?... Sinon, avez-vous une autre éventualité plausible ?
-Je ne sais pas comment il a pu faire ça.
-Alors, pourquoi dire que c'est Frank Fontaine ?
-Parce que les explosions sont son péché mignon. Parce qu'il est plus intelligent que nous tous ici. Et parce que...
-Parce que ?


Ryan souriait aux magistrats.

-Parce que je suis accusé.



_________..._________


-PEUPLE DE RAPTURE !! La Justice a fait libérer l'assassin, Andrew Ryan, l'annonçant innocent de son crime ! Mais est-il innocent de tout ? Combien de meurtre a-t-il perpétué ? Combien de temps allons-nous vivre sous sa tyrannie ? Révoltez-vous ! Rejoignez Atlas ! Pour une justice libre ! Pour un peuple libre !*




_________..._________

-Je me souviens bien d'une faille que j'avais trouvé. C'était un petit truc mais ça se défendait aisément. Il est écrit dans les statuts de Rapture que la citoyenneté ne sera accordée qu'à la signature contractuelle d'avec le dirigeant de Rapture, Andrew Ryan. Ce qui signifie que Ryan ne peut pas être traîné devant les tribunaux communs de Rapture, puisqu'il n'en serait donc pas citoyen de droit. De fait, oui, sans doute. Il a menti à ce sujet au tribunal. Peu importe. Donc, je voulais soutenir qu'un tribunal commun n'était pas fondé à le juger, et que seul un tribunal pénal spécial lui conviendrait. Hors, les statuts de Rapture là encore prévoient que les tribunaux spéciaux sont institués et dirigés par... Andrew Ryan. Impossible de le faire juger dans tous les cas. Faille du système. Immunité juridique pour le boîteux. Et quand je lui ai dit ? Ben évidemment. Il a refusé. Parce que c'est Andrew Ryan. Ouai, bon. Je sais pas pourquoi j'ai proposé aux juges d'allonger la monnaie. C'est la première fois, je crois, que je me prends d'affection pour quelqu'un de cette manière. Il n'est pas au courant que j'ai fait ça. Il me tuerait. Il est comme ça. N'empêche... Ça m'aurait ennuyé de l'avoir comme client, autrement que pour mes services d'avocat.


_________..._________


-Mademoiselle Lamb...
-T-t-t. Asseyez-vous donc.
-Ecoutez... Je n'ai pas besoin d'évaluation.
-J'ai pourtant un ordre signé de votre main... Attendez... Ici. « Tous les membres du conseil seront soumis à un suivi psychologique de la part du docteur Sofia Lamb. ». Vous êtes un membre du conseil ?
-En effet.
-Alors... Allons-y. Parlez-moi. Décrivez-vous.
-Vous savez ce qu'il faut savoir sur moi.
-Oui, mais le plus intéressant est de savoir ce que les gens pensent d'eux-mêmes, savent d'eux-mêmes, et veulent transmettre en premier. Par exemple. Je suis Sofia Lamb. Chef du département de psychologie de l'hôpital central de Rapture. Nationalité britannique. J'ai commencé en aidant les populations d'Hi...
-Je sais, tout ça, je sais.
-... Et c'est monsieur Andrew Ryan qui m'a faite venir dans cette belle cité. Voilà. À vous de parler.

Il se renfrogne.

-Je m'appelle Andrew Ryan. Je suis membre du conseil de Rapture. Je n'ai aucun diplôme, aucune formation. Pas de famille. J'ai créé Rapture pour me sentir libre.

Au fur et à mesure, elle écrivait. Elle avait devant elle le personnage qui la fascinait le plus au monde.



_________..._________

Journal du Docteur Lamb, 19 août. Ryan n'est plus réticent à mes séances. Je crois lui faire du bien. Je suis... sidérée par ses positions. Il ne se rend pas contre que son idéologie ne fait que rendre les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Il suffit de regarder Rapture pour voir que seule la corruption et la déviance morale permet aux plus démunis de s'en sortir. Les autres... restent dans le même marasme dans lequel ils baignaient en arrivant. Ryan les traite de parasites. C'est facile. Il ne se rend pas compte que Rapture a les moyens de les aider. Je le détruirai. Je l'ai juré. Terminé.


_________..._________


Deux hommes, taillés comme des armoires, traînent l'inconscient dans un couloir, esquivant leurs collègues au passage. De ce que ses yeux captaient lorsqu'il parvenait à les ouvrir, ce semblait être un local de service. De nombreux corridors très étroits, fournis en tuyaux, de nombreux panneaux que son œil flou ne lui permet pas de lire distinctement. Il a mal aux genoux ; probablement à cause de la position dans laquelle on le manipule.

Il entend ses deux ravisseurs hausser le ton. Ils se disputent sur un « point de détail » selon l'un d'eux, l'octroi d'une prime pour une nuit de travail. L'autre semble considérer la chose d'importance. Ils finissent par capter qu'il est éveillé, ils en rient, prétendent qu'ils sont bientôt arrivés.

Ils ne mentent pas. Deux minutes plus tard, il est abandonné sur une chaise, lourdement laissé comme un bagage dans un aéroport. Il tente de distinguer la personne qui lui fait face, mais c'est impossible : Il se cache derrière une épaisse vitre teintée. Il a l'impression de se trouver au guichet d'un fonctionnaire. Des petits points permettent de faire passer les voix.

-Vous êtes...
-Mon nom n'a pas d'importance. Je suis la voix du peuple. Ma personne est inutile, ce sont les idées que je porte qui comptent.

Il entendait un accent de l'est, quelque chose qu'il n'a entendu que rarement, surtout à Rapture. En fait... Il avait l'impression d'entendre Ryan parler.

-Vous êtes Atlas.
-Atlas n'est rien. Je ne suis rien.
-Qu'est-ce que vous me voulez, bordel...
-Je veux libérer Rapture du joug de Ryan. Vous pouvez m'y aider. Vous devez être conscient de ce qu'il est. Un tyran, masqué derrière un drapeau aux couleurs de la liberté.
-J'suis plombier. J'en ai rien à foutre de tout ça. Je prends mon chèque à la fin de chaque semaine et c'est fini.
-Vous êtes l'ingénieur personnel de Ryan, Bill.
-C'est un client comme un autre.
-Vous savez que non. C'est ce qu'il fait croire. Se faire passer pour un homme normal lui permet de teindre ses oripeaux de dictateur d'une couleur plus plébéienne. Mais Ryan est un asservisseur comme les autres. Il fait venir sur sa propriété, exploite, soutire... En nous faisons croire à notre consentement.
-À notre consentement ? J'ai signé un contrat, vous aussi, pour venir ici.
-Il y a vice. Il a menti sur le contrat. Vous n'aviez pas prévu d'être un esclave au service du tout-puissant dirigeant de Rapture.
-Vous rêvez, Atlas. Et quand bien même vous auriez raison : Je vis mieux que sur terre. Je fais un travail qui me plaît. J'ai une famille, des amis. Le reste, je m'en tamponne.
-Il vous nourrit avec des illusions. Votre véritable condition est celle d'un serf.
-Je n'ai rien à redire, vous êtes dans votre délire. Tuez-moi qu'on en finisse.


Un silence. L'ouvrier regarde le sol, ne bouge pas. Mais le révolutionnaire en face s'étale dans son siège, et ouvre de nouveau la bouche un bref instant avant de parler enfin.

-Je n'ai rien signé.
-Pardon ?
-Je n'existe pas pour Rapture. Ryan a fait rechercher parmi la liste des citoyens de Rapture, fait traquer chaque personne pour vérifier que tout le monde était dans la légalité. Il ne m'a pas trouvé. Je n'existe pas pour cette ville.
-Vous êtes venu clandestinement ?
-Considérez... qu'en effet, je suis un clandestin.




_________..._________


-Certains ont dit que c'était une épuration idéologique. Et si les salariés renvoyés avaient été incapables ? Déficients ? Est-ce que certains auraient été aussi hypocrites, hurlant qu'ils pouvaient garder leur poste quand bien même ils accumulaient les erreurs ? Non ! Et c'est ici précisément la même chose : Ces mêmes salariés n'étaient pas capables de travailler en bonne intelligence avec leurs collègues, car leurs convictions politiques les empêchaient de mener à bien les ordres de la hiérarchie. Ils ont été remerciés de leur travail. Rien n'est plus simple. Et il est normal, absolument NORMAL !... que les tribunaux valident ce licenciement.


_________..._________



-C'est aujourd'hui.
-Je sais.


Il l'avait rarement vue aussi excitée. Depuis quelques mois, son travail l'intéressait beaucoup moins. Il captait bien que Tenenbaum prenait sa tâche maîtresse comme une corvée. Généticienne, la neuro-chirurgie et la neurologie l'ennuyaient plus que d'autres domaines qui la passionnent bien plus. S'intéresser à ce qu'ils ont dans la tête, c'est s'intéresser à eux en tant qu'humains. Elle qui tente de s'en détacher, la tentative transfert de conscience (et donc l'étude psychologique des cobayes ratés) était un véritable calvaire.

Mais plus ces derniers temps. Elle dit avoir réussi, réessayé et réussi de nouveau. Le taux de validité de son dernier schéma est de 96,4 % (le reste est dû à une erreur regrettable d'un praticien qui a échoué lors de la cinquième étape du transplant). Ryan ne venait plus voir comment tout avançait. Ryan s'était terré dans sa tour. À Hephaïstos, on ne l'avait plus vu depuis cinq semaines. Quelque chose de rare.

-Tu ne viens pas ?
-Non.
-Augustus. Tu es ce qu'il a de plus proche d'un ami.
-Je ne viendrais pas. Ryan n'en a rien à foutre de moi, et c'est tant mieux ainsi. Il a intérêt à bien te récompenser pour ce que tu as fait.
-Tu sais qu'il ne le fera pas. C'était le contrat. Il me paie, je travaille pour lui rendre sa sœur.

Comme d'habitude, elle avait raison. Le boss avait cette propension à être sans fantaisie aucune.

-Va dormir avant de te lancer.
-Non, Augustus. Si je dors, je risque de ne pas me réveiller. Tu connais les effets secondaires.


Elle soupire, et s'apprête à s'injecter une nouvelle dose de Vita-Serum. Sinclair se lève de son siège, lui attrape le poignet.

-Arrête, bon sang. Tu n'as pas dormi depuis au moins... vingt jours !?
-Je travaille.
-Je sais que tu travailles ! Mais bon dieu, Brigid, regarde-toi ! Regarde !

Il jette la seringue et l'oblige à se lever pour se mettre devant le miroir. Ses traits ont vieilli. Tout le monde sur Rapture (ceux qui peuvent se le permettre) se gave de produits de jouvence, destinés à stopper le cycle de vieillesse. Non seulement Tenenbaum ne s'en est pas accordé depuis longtemps, mais son abus d'énergisants la coupe de tout sommeil, et donc de tout moyen de redonner à sa peau, entre autres, un moyen de se reposer.

-Le temps a de l'emprise sur moi. C'est l'ordre naturel des choses, Augustus.

Elle se détache de lui pour retourner s'asseoir, reprendre sa seringue.

-Et puis... Tu continues à me « baiser ». Mon corps doit encore être à ton goût.

Il est abasourdi d'entendre ça de sa chère amante. Ca ne ressemble pas à sa façon de dire, de faire. Elle a beaucoup trop changé à son goût. Il cherchera à s'allumer une clope, pour se calmer.

-Tu sais quoi ? Quand tu disais que j'étais ce que Ryan avait de plus proche d'un ami. Sache que toi, tu es ce que j'ai de plus proche d'une épouse. Je ne t'aime pas, soyons clair, tu sais que je n'aime que moi. Mais tu es une femme merveilleuse. Et je t'adore d'abord pour tes qualités, autres que physique. Elles m'attirent chez toi comme... peu d'esprits réussissent à m'attirer. Mais en fait, depuis quelques temps, tu commences franchement à moins me mettre la trique. Tu deviens inintéressante, Brigid. C'est tout. Tu m'emmerdes plus que tu ne m'amuses. Et ça, franchement... Ça c'est triste. C'est le truc le plus triste que j'ai pu voir à Rapture, et bloody hell, j'ai vu des trucs immondes ici. Je me tire. Tu sais où me trouver.

Alors qu'il claque la porte, elle réprime ses larmes, pousse le liquide dans sa veine, puis se prépare mentalement à l'opération la plus importante de sa vie.


_________..._________


Le gratin des chirurgiens de Rapture. Il manquait Suchong, mais Tenenbaum l'a écarté avec diplomatie, car elle a des doutes sur son allégeance et les informations qu'il détient concernant le pourquoi de tout ce cirque. En revanche, elle a demandé son second, dont le talent n'est plus à démontrer. Magnétophone démarré. Caméras démarrées.

-Dr. Brigid Tenenbaum. Projet numéro 001, protocole 66. Journal numéro... 3287. Le cerveau du sujet Alpha va bientôt être implanté dans la volontaire n°1112. Pour préparer ce grand moment de science, tous ici ont accepté de prendre un vita-serum, hormis le Dr. Oleg Kakarov, qui préfère se reposer sur ses capacités propres sans amélioration aucune. Vous confirmez, Dr. Kakarov ?
-Je confirme, Dr. Tenenbaum.
-Il est temps maintenant d'écrire une nouvelle page de l'histoire de Rapture. Chacun ici sait ce qu'il a à faire, selon le plan d'organisation enregistré sur le nom de plan 66-13. Nous allons commencer.

Tous commencent à s'organiser. Oleg, lui, reste dans sa position initiale, le poing gauche posé contre sa paume droite, au niveau de son plexus. Lorsque l'allemande passe près de lui, il l'arrête par le bras, et lui murmure à part :

-Allez-vous me dire un jour ?
-Quoi ?
-Qui c'est.


Tenenbaum regarde ladite « sujet Alpha ». La 8ème clone de la sœur de Ryan, maintenu en vie artificiellement sans organe. Elle avait longtemps pensé aux transplants intégraux pour remplacer tous ses organes rongés par les tumeurs, mais se rendait compte que son sang posait aussi problème. Tant et si bien que l'idée de Sinclair avait toujours parue être plus simple. Les progrès de Rapture ne sont apparemment pas infinis. Ainsi, une quasi-morte gît, sans conscience, n'était plus qu'un réceptacle à cervelle qu'ils allaient s'empresser de vider.

Elle regarde le russe, et lui sourit.

-Un jour, vous saurez tout. Je vous le promets. Vous saurez que vous avez eu raison de m'aider.


Derrière les deux immenses vitres qui entouraient le bloc, plusieurs professionnels médicaux étaient invités, mais pas que. On trouve parmi eux des assureurs, des magistrats, des investisseurs... parmi eux, évidemment, Sinclair, resté dans l'ombre. Tous pensent qu'il a déjà une idée du business qu'il compte faire avec cette nouvelle technologie. Personne ne remarque que c'est l'allemande qu'il surveille, comme un père sur sa nouveau-née. Il a peur qu'elle échoue. Il a peur pour elle.

« Modifié: jeudi 10 décembre 2015, 19:27:00 par Law »

Andrew Ryan

Humain(e)

Re : I chose Rapture

Réponse 5 lundi 23 novembre 2015, 00:06:47

Bonus « In Darkest Seas » : Harald E. Askeladden

_________ Harald _________


-Je peux voir le capitaine ?
-Bien sûr... KAPTEIN !
-Ja !?
-Noen vil gjerne møte deg !
-J'arrive...

Un homme à la barbe fournie saute du haut de son conteneur, abandonnant le tirage de corde qu'il effectuait à l'un de ses subordonnées. Au passage, il lui fallait reprendre l'épais manteau de fourrure abandonné sur une caisse. Se calant devant l'officiel en costume et beau pardessus rembourré, il s'agenouillait. Signe d'allégeance ? Que nenni. Il refaisait l'un de ses lacets, à trois mètres de lui.

-Allez-y, parlez, je vous écoute.
-Ah, hm. On peut entrer au chaud ?
-Personne du gouvernement ne met un pied sur mon bateau, normalement. Vous êtes déjà allé trop loin en dépassant la passerelle. Vous êtes du gouvernement, hein ? Soyez heureux que je ne vous dégage pas de mon pont. Qu'est-ce qu'il vous faut ?

Lorsqu'il se redresse de toute sa hauteur pour s'approcher enfin, l'officiel se rend compte de son gabarit. Un beau morceau qui faisait presque ses deux mètres, et dont les nombreuses couches de vêtements rendaient sa stature bien trop imposante. Ses cheveux épais, blonds cendrés, tirés en arrière, tranchaient avec sa barbe plus foncée, tirant vers le roux ; parmi cet amas pileux fourni se trouvait des petits yeux perçants, plus sévère que sournois. Ajoutons à cela le pic à glace qu'il venait de prendre, comme une menace envers son interlocuteur, qui avait un bref mouvement de recul.

-Je... comment dire... vous partez ?
-J'appareille, oui. Une livraison pour Sao Paulo.
-Les autorités de Wells ont interdit tout départ ce soir. Ordre du gouverneur du Maine.
-Dites à votre gouverneur de se foutre son ordre au cul. J'appareille, j'ai dit.
-Une amende vous sera infligée, monsieur.
-Est-ce que j'ai l'air d'en avoir quelque chose à foutre ?


Ils se toisaient un instant, avant qu'un matelot n'arrive avec un cageot plein de glace qui venait d'être grattée des cheminées. Il devait jeter le tout à l'eau, mais avait finalement décidé de le déverser aux pieds de l'officiel, qui sursaute alors, puis recule.

-Bien. Je reviens.
-Vous allez chercher les flics ?


L'encostardé interrompt instamment le demi-tour amorcé, pour regarder le capitaine.

-C'est la procédure standard. Je n'ai pas le choix. Ce ne sera qu'une inspection... de routine. Ne vous en faites pas, je...

Il arrête ses balbutiements malhabiles lorsque le barbu s'approche d'un pas lent, agitant doucement le pic à glace dans sa main, comme s'il s'apprêtait à frapper avec.

-Dites à vos flics de venir armés. Dites-leur bien. Armés et casqués. Parce que je vise la tête. Chacun de mes hommes vise la tête. Et vous êtes sur une propriété privée. Le flic qui pose le pied ici sans un papier signé d'un putain de juge devra subir le déluge de balle que mérite tout représentant de l'Etat violant un droit fondamental. Et si je vous retrouve... Je vous arrache le cœur et plante votre corps à l'avant de mon vaisseau en guise de gallionsfigur !

L'autre ne sait pas vraiment ce qu'était un gallionsfigur, mais le devinera aisément, et s'éloignera dès la fin de la menace, et il ne le reverra pas. Pas même de policier, non plus. Le capitaine, suivi par d'autres matelots, l'aura insulté de huglausi lors de sa fuite. Il n'aura pas cherché à savoir ce que c'est, non plus.

L'heure suivante, après avoir hurlé gloire à Njörd et Wotan, le bateau se mettait en route malgré les vents puissants, et la mer déchaînée. Ils n'allaient pas du tout à Sao Paulo ; Bien au contraire avaient-ils pour destination l'Islande, plus particulièrement un phare à quelques kilomètres de ses côtes.


_________ Williams _________


La profession de détective privé subissait son inexorable déclin.

Williams a eu ses heures de gloire. Des jours où les romans et les films noirs donnaient la part belle à ces ersatz de flics travaillant dans l'ombre, il a su se créer un réel prestige. Mais les années ont passé, la plaque en bronze sur l'immeuble a vieilli ; on ne voit plus les détectives privés comme des héros de l'ombre, mais comme de véritables fouineurs, raclant la merde au fond des poubelles en échange du moindre denier.

Oh, il ne se plaint pas, il a su économiser. Pas assez, cela dit. Manque de nez creux : investissements pour moderniser son commerce, et échec. Ce n'était pas qu'une question de moyen, c'est l'ensemble du corps professionnel qui devait s'adapter et changer. Il ne l'a compris que trop tard. Ses méthodes à l'ancienne valaient très peu désormais. Alors il comptait sur ses sous mis de côté pour survivre le plus longtemps possible.

Il avait bien sûr des commandes, encore, mais bien moins qu'avant. Et plus de veuve éplorée en bas-résilles (il n'a pas le souvenir d'en avoir déjà vu une dans son bureau de toute façon), mais beaucoup de vieux clients, la fidélité fait presque tout, et l'infidélité fait le reste. Un petit chèque contre une preuve que Monsieur ou Madame trempe son biscuit ou se fait ramoner la craquette, et un léger bonus, parfois, grâce au divorce qui en résultera.

C'est passé les quarante balais qu'il avait commencé à changer, en tant qu'homme. Avant baroudeur sombre qui écumait les ruelles avec rien que sa débrouillardise et son flingue, comme dans les fictions, il avait profité de l'ennui résultant des désertions de sa clientèle pour arrêter de fumer, lire à foison, s'investir dans la communauté : L'association St. Paul de lutte contre les maladies comptait beaucoup sur son soutien ! Ses membres distribuaient des tracts, organisaient des réunions, frappaient aux portes des quartiers les moins aisés de Chicago pour les informer de leurs droits, de leurs possibilités, des différents tarifs, et pour rappeler que même indigent, les affections n'étaient pas des fatalités.

C'était donc un jour normal. Il n'ouvrait plus dès 14h jusque très tard le soir, comme le voulait l'obscure tradition : Désormais, c'était 9h – 19h, sauf s'il y avait du travail à l'extérieur. Le voilà donc, vers 11h30, beau soleil au-dehors, il est sur un recueil de nouvelles ayant pour thème la vie après la mort. Du fantastique. Et on frappe à la porte.

Une belle femme. Elle avait une jupe très courte et serrée, et des bas, dont il devinait la dentelle par la fente du vêtement sur le côté de sa jambe ; satin, pas résilles, mais ça fera l'affaire. Son fantasme de détective privé venait d'entrer, et avec la larme à l’œil je vous prie. Elle s'assied sur son invitation, regardera longtemps l'horloge, puis baissera la tête.

-Mon mari a disparu. J'aimerais que vous le retrouviez.

Et c'est comme ça que je me suis retrouvé – enfin, Williams – sur l'histoire la plus barrée de ma vie.


_________ Harald _________



-Navire en vue, Kaptein !
-Préparez le canon.

Les escouades Kvöl et Thurs se préparaient au combat : Chacun de ses membres enfilait sa tenue de choc, prenait son fusil et ses munitions, répétait avec les autres un mantra guerrier. Au poste de communications, Harald demandait à ce que soit transmis le message d'assaut traditionnel :

« La liberté vient reprendre ce que la tyrannie a volé. Nous prenons d'assaut votre navire. Toute résistance sera punie de mort. Ceux qui ne s'opposeront pas à nous auront la vie sauve. Si l'assaut est impossible, votre bateau sera coulé, purement et simplement. Aucun secours ne pourra rien pour vous. Abandonnez-nous votre cargaison. »

Passé en boucle, il était censé faciliter l'attaque. Quatre transports à moteur finissaient à l'eau, avec ses mercenaires lourdement armés à leur bord. Ils approchaient de leur cible, grimpaient aux échelles et harponnaient le pont en divers endroits pour monter un à un. Les marins n'étaient pas des combattants, juste des petits employés, et ne résistaient généralement pas à la vie des pirates aux airs de forces spéciales qui les menaçaient. Certains d'eux inspectaient la cargaison des conteneurs, tandis que les autres gardaient leurs otages à vue. Le navire d'Harald s'approchait le plus possible, pour que d'immenses câbles d'aciers soient tirés, permettant à de grosses nacelles mécanisées de faire des allers-retours entre les deux ponts, et ramener, pendant une bonne demie-heure, de grande quantités de marchandises qu'ils volaient impunément.

Sur les bons de commande qu'Harald était venu chercher en personne, il trouvait en effet des tampons du gouvernement brésilien.

-Tu parles anglais ?
-Évidemment.
-Tu comprends pourquoi nous faisons ça ?
-Vous êtes des pirates.
-Mieux que ça : Des pirates avec un but.


Le capitaine basané craignait pour sa vie. À trois portes de là se trouvait sa cabine, où il aurait dû prendre son arme s'il en avait eu le courage. Il regrette. Il a envie de courir. Il a peur de la mort.

-Ta cargaison va au gouvernement brésilien. Elle est payée avec l'argent du peuple brésilien, pour satisfaire les intérêts de l'Etat.
-Je ne suis qu'un transporteur. Je ne m'occupe pas de ces détails.
-Je sais. C'est bien pour ça que je ne touche pas à l'intégrité de tes hommes, ni la tienne.
-Et vous allez rendre ces marchandises au peuple ?


Harald sourit sous sa barbe, puis s'éloigne vers la sortie, retrouver l'air libre.

-Vous n'êtes que des pirates alors. Des voleurs.

Le morceau de bravoure n'atteindra pas le norvégien, qui parvient à ses hommes pour leur demander d'accélérer le mouvement, car ils partent bientôt. Il monte d'ailleurs dans l'une des nacelles pour retourner sur son propre bateau.

Comme promis, ils ne feront pas de mal à l'équipage. Ils se contenteront de jeter tout ce dont ils ne veulent pas à l'eau, déversant des centaines de kilos de marchandises. Lorsqu'ils ne peuvent pas transporter le contenu d'une caisse dans l'eau, de par son poids trop imposant, ils posent des petits pains d'explosifs pour en endommager assez la substance. Une fois la basse besogne terminée, la frégate lourde disparaît au loin, laissant le cargo brésilien dans une étrange stupeur.

_________ Williams _________


L'arme privilégiée du détective, c'était la patience. D'accord, c'était un lieu commun, mais un détective n'a pas à être original. J'étais seul, sur ce foutu banc en métal. L'administration faisait des pieds et des mains pour que ses locaux paraissent peu accueillants, et je suis sûr que c'était fait exprès : On n'a pas envie de voir ses administrés. Quand ils viennent, c'est qu'ils ont un problème, et fatalement, s'occuper des problèmes des autres coûte des sous.

Cependant, j'ai toujours trouvé étrange que les employés des administrations soient désagréables : Que leur boulot soit merdique n'empêche pas qu'ils ont tout intérêt à voir la « clientèle » revenir, puisque sans elle, le bureau ferme, et ils n'ont plus de salaire. Sans doute doivent-ils considérer que de toute façon, gueule renfrognée ou sourire jovial, l'administré reviendra, parce qu'il aura toujours des problèmes – l'administration a fait en sorte qu'il soit paralysé s'il ne règle pas ses affaires au plus vite.

Gwladys était une jolie fille, que la vieillesse commençait sérieusement à atteindre. Ca et ses deux gosses. Moi, j'ai pas de gosse. Elle ne voulait pas lâcher ce que je lui demandais.

-C'est juste un papier cette fois. Une photocopie. Ça reste entre nous, comme d'habitude.


Obligé d'allonger les billets pour qu'elle lâche ce que je lui demande. Heureusement, l'hôtesse d'accueil payée 1,57 dollars de l'heure n'est pas chère à soudoyer. L'opération est notée dans mon carnet de frais, noir sur blanc, sera facturée à la jolie cliente. Après une bonne heure à attendre que Gwladys puisse subtiliser le document demandé et m'en faire un double, je repartais avec six pages d'un registre de disparitions récentes.

C'est que les disparus dans le coin, on doit leur annuler quelques papiers, quelque fois que ceux-ci se retrouvent dans de mauvaises mains. Comme il est compliqué de corrompre les flics (non pas qu'ils soient difficiles à corrompre, mais ils ont la frousse de se faire choper plus que d'autres), je fais généralement le tour des services de permis de conduire, des bureaux d'enregistrement de comptes bancaires, et toutes les possibilités que m'offraient les Etats où je devais enquêter.

Parce que mon type, là, avait vraiment disparu : Plus aucune trace, d'aucune sorte. Volatilisé du jour au lendemain. Aucun de ses proches ne l'a revu, toutes ses affaires sont restées intactes, ses comptes ne sont plus utilisés que par sa femme. Je n'ai rien remarqué d'étrange dans ses mouvements d'argent sur les six années précédant sa disparition. Je ne pense pas qu'il ait mis du pognon de côté pour disparaître. On privilégie donc dans ces cas-là, et les flics l'ont fait avant moi, l'hypothèse criminelle. Du coup, je me retrouve à éplucher la liste des disparus du coin pour espérer retrouver une similarité, quelque chose de commun entre tous, qui me permettrait de dégager une piste. Une entreprise vaine d'avance, mais je suivais les habitudes standards.

J'aime bien les habitudes.

_________ Harald _________



Dans une petite rade, au sud de Dakhla, le navire principal d'Harald et l'un de ses bateaux annexes avaient appareillé. Le Sahara Occidental avait l'avantage d'être plongé dans un chaos conséquent depuis que les espagnols étaient partis : Deux pays en revendiquaient l'appartenance, militairement ou diplomatiquement, et une guérilla d'indépendance lutte pour que le pays soit libre. « Libre »... Pour des bâtards de rouge, grogne le pirate, c'est une ironie sans nom.

L'avantage des lieux à gouvernement fluctuent, c'est qu'il était aisé d'y écouler sa marchandise au noir. Harald y était donc souvent passé, ces dernières semaines, afin de lâcher tout ce qu'il avait pillé dans les mers plus au nord. Des acheteurs au gros se feraient un plaisir de revendre tout ce qu'il leur livrait. La clientèle grossissait à chaque débarquement. Mais aujourd'hui, tout ne se passerait pas comme d'habitude... Alors que les transactions allaient bon train, et qu'au milieu du navire d'Harald, les différents partenaires étaient réunis pour discuter des prix tandis que les employés du port et les marins déchargeaient la cargaison, quelques jeeps armées approchaient.

-C'est quoi, ça ?

Un lieutenant du norvégien avait déjà empoigné ses jumelles.

-Des Sarhaouis. Les chiens Polisario.
-Fais chier !


Ils débarquaient sur la rade à une vitesse impressionnante, commençaient à déployer leurs armes autour des travailleurs pour leur ordonner d'arrêter. Ils demandent à qui sont ces nombreuses caisses, veulent inspecter les papiers.

-Ils vont saisir...
-Ou taxer. Dans les deux cas, ils n'auront rien. Toutes les unités en position de combat. Vous vous déployez à mon signal.


Il fait signe à quatre de ses hommes de l'accompagner, empoigne un fusil d'assaut qu'il range à son dos, et plonge torse nu du côté mer, bientôt suivi par sa troupe. Ils nageront ainsi jusqu'à côté du port afin de prendre les envahisseurs par-derrière. En approchant, il constate que ses marins se sont déjà regroupés en deux équipes, le pistolet en main, baissés, prêts à en découdre face aux socialistes en uniforme, armés de AK, qui ordonnent qu'on leur amène un responsable. Le second du capitaine est venu parlementer, arguant simplement en anglais qu'ils n'ont rien à faire ici. Ils doivent leur laissent faire leur business tranquille. Un gueulard du Polisario leur dit que tout leur trafic est illégal, et qu'ils doivent se tirer maintenant en abandonnant tout.

-J'abandonnerais rien.

À distance respectable, Harald et ses quatre pirates se sont terrés au coin d'un bâtiment. Le norvégien laisse dépasser la moitié de son corps, juste de quoi parlementer.

-Vous allez vous tirer, vous. Ou nous vous massacrons. Il n'y a pas d'alternative.


Une trentaine d'hommes armés de fusils d'assaut soviétiques, tous en grappe, ne devraient pas faire le poids face aux mercenaires surentraînés du nordique. Néanmoins, il craint les mitrailleuses lourdes montées en tourelle sur leurs transports.

-Vous êtes qui ?
-Le chef de ces bateaux, et propriétaire de ces marchandises. Je vends. Vous n'avez rien à me dire.
-Vous êtes sur notre territoire. Vous vendez sans autorisation.


Putain de socialistes, pestait-il, avant de sortir de sa cachette, H&K directement vers eux. Il murmure au type derrière lui de se déployer dans trente secondes, précisément.

-Vous allez partir, maintenant, ou nous vous abattons sans sommation.
-Vous attentez à la souveraineté...
-Ferme ta putain de gueule. Tu dégages. Ou je te massacre. DEPLOIEMEEENT
!

Et, après son cri puissant, plusieurs dizaines d'hommes sortaient des navires et descendaient les rampes de débarquement pour se répartir sur le pont, prenant les hommes du Front Polisario au dépourvu. Ils commencent eux-mêmes à paniquer devant la puissance de feu déployée.

-Si vous nous tirez dess...
-TU TE TIRES ! MAINTENANT ! J'ai pas la patience de t'expliquer ta connerie, bâtard de rouge ! Tu dégages de mon commerce !


Le militaire voudrait tirer, juste pour l'affront, mais il se sent cerné et submergé par le norvégien. Ses hommes commencent à sortir derrière ce dernier, un à un, armés et prêts à tirer eux-aussi. C'est la goutte d'eau : Les soldats se voient ordonner de remonter dans leurs jeeps et de partir. Un à un, les transports démarrent, et leur commandant, en passant à deux mètres d'Harald, hurle à travers la fenêtre de son véhicule qu'il reviendra.

-Répète !?


Pas de réponse. Les jeeps passent devant un capitaine furieux.

-Répète, fils de pute ! Bâtard socialiste ! Reviens si tu l'oses ! Bouffeur de merde !

Le reste sera en norvégien. Il a beau s'évertuer à hurler, les visés continuent de s'éloigner. Il s'éloigne alors vers son bateau au pas de course, ira régler les transactions au plus vite.

-Faites dire partout que je serais ici dans une semaine, à cette même heure, et qu'ils vont manger mes balles, je leur garantis.


_________ Williams _________



J'avais une piste. Une unique piste. Mais celle-ci était... relativement bancale. En fait, j'ai découvert que la plupart de disparus étaient récemment au chômage. Oui, il y a quelques travailleurs, mais dans l'ensemble, énormément de sans-emplois. Je me suis demandé ce qui motiverait un tueur, un kidnappeur ou autre criminel à s'attaquer uniquement à des gens qui n'ont pas de travail. Certains étaient en couple et se sont volatilisés ensemble. Que d'interrogations.

Puis j'ai cherché du côté des associations, et des services d'aide à l'emploi, ce que la police n'avait pas fait. La plupart était connus d'eux, certains avaient même eu des propositions qu'ils avaient refusés avant de partir. Ainsi, la piste m'orientait plus vers la disparition volontaire : Une disparition concertée, collective. La pensée de la secte me traversa, je dois l'avouer. C'était naturel... Et j'ai cherché en ce sens, une bonne semaine, avant d'oublier par manque de traces concrètes.

J'ai donc été voir les familles des disparus, la plupart en tout cas. Ca a été long, et éprouvant, de traverser tout le comté voire au-delà, de bout en bout, afin d'expliquer l'enquête que je menais – et de proposer mes services moyennant rémunération. Il ne faut pas me blâmer : Business is business. Et si je retrouvais tous les disparus d'un coup, je me faisais un joli pactole, de quoi être tranquille au moins une année sans souci. L'enjeu en valait de plus en plus la chandelle.

Les moins réticents ont accepté de me donner les derniers relevés de compte de leur proche évanoui dans la nature, et après une heure à chercher des coïncidences, j'ai mis le doigt sur quelque chose : Tous, avant leur disparition, ont souscrit une assurance auprès de la compagnie Living LLP. Contactée, la société n'a rien voulu me dire quant à ses clients, prétendant qu'une fois leurs comptes en banque suspendus, ils avaient simplement clôturés leur dossier et n'avait plus entendu parler d'eux. Mais quand on est détective – et je suis détective – on s'accroche farouchement à ce genre de coïncidences, puisque c'est elles qui mènent à la résolution de l'enquête.

C'est là que j'ai commencé à fouiner chez Living LLP, et, je dois l'avouer, sans trop y croire, mais je n'avais bien que ça.

_________ Harald _________



Au large de l'Islande, les marins étaient habitués aux températures basses, mais les fourrures chaudes étaient de rigueur néanmoins. On chantait une chanson en norvégien – bien que les équipages soient cosmopolites, l'apprentissage de cette langue était un impératif absolu. Harald lui-même fredonnait, assis sur son pont, grignotant un morceau. Ragoût de légumes. Le tout a été volé au Mexique. Il adore cette pensée.

On lui tendait l'un de ses talkies.

-La commandante Sowell.


Lydie Sowell était chef de l'un des navires de la flotte pirate. Une femme admirable : Refusée à l'université pour sa couleur de peau, elle protestait avec une association de défense des droits civiques lorsque passa Harald près d'eux. Il se moqua ouvertement de leur combat. Il ne s'attendait pas à ce que la claque vienne d'une femme. La police, qui veillait, ne fut pas tendre avec elle. La suite appartient à une histoire qui ne concerne qu'eux deux.

-Ici Harald.
-Kaptein, on a un vaisseau en vue. Militaire.
-Qu'est ce qu'il fout là ?
-On me dit qu'il est soviétique, Kaptein. On sait pas ce qu'il fait là. Il a dévié de sa trajectoire et se dirige droit vers le phare.
-Bordel. Seul ?
-En surface, oui, il semblerait. Nous ne savons pas pour les sous-marins.
-Transmettez les coordonnées, on va le distraire nous-même. Couvrez le phare si jamais.


Branle-bas de combat général. Le navire de guerre se mettait de nouveau en branle, prenant plein nord afin de croiser l'appareil rouge et espérer croiser son chemin avant qu'il n'y parvienne. Une liaison radio était établie. L'accent nordique du capitaine fera l'affaire.

-Ici le navire Aegir. Numéro 6-8-2-1-5-8-5. Votre vaisseau est sur la zone maritime islandaise. Vous violez la souveraineté de l'Islande. Veuillez faire demi-tour.

Quelques gazouillis de la radio, un long silence au bout de la liaison, avant qu'une voix en russe ne réponde.

-Ici l'Otchayanny. Nous ne sommes pas en territoire islandais. Votre localisation est fausse. À vous.


Un marin épluchait la liste des bateaux de la planète, jusqu'à tomber à la page des bateaux de l'URSS, et cherchait celui qui venait d'être nommé. Lorsqu'il tombait dessus, mauvaise surprise : Un engin lourd, adapté à la chasse anti-navire, et qui pourrait faire de considérables dégâts à la flotte d'Harald. Un engagement direct est temporairement exclu.

-Otchayanny, cette parcelle de mer est un territoire islandais. Si vous ne faites pas demi-tour, vous serez considéré comme violant la souveraineté du peuple islandais, et nous n'aurons le choix que d'entamer les hostilités. À vous.


Encore une fois, un long silence. Harald perd notoirement patience. On l'informe au passage que les canons sont prêts à faire feu.

-Aegir. Nous sortons de votre zone. Terminé.

Cela ne le rassure pas, pas du tout. Trente secondes plus tard, l'oeil braqué sur les radars, il constate que le navire n'a pas changé de direction. Il croisera le phare dans quelques minutes.

-Nos consignes sont claires désormais. Abattez-le.

Tout d'abord, il fallait désamorcer un éventuel conflit mondial.

-Otchayanny, ici le prétendu Aegir. Nous ne sommes pas un navire islandais. Vous vous dirigez tout droit vers l'un de nos bateaux en rade. Nous allons devoir employer la manière forte pour lui laisser le temps de repartir avant que vous ne l'atteigniez.
-Aegir, déclinez votre identité.
-Pas besoin, Otchayanny. Nous n'avons pas d'identité. Sachez que nous vous avons laissé une chance. Terminé.


Il fait signe de couper toute communication, puis se rue sur le pont afin de donner l'ordre d'abattre la foudre de Thor sur eux.

_________ Williams _________



Living, LLP avait un fonctionnement beaucoup trop opaque pour être honnête. Petite société créée il y a une dizaine d'années, elle avait des bureaux dans chaque état d'Amérique. Chaque fois une petite succursale. En me faisant passer pour un inspecteur de l'hygiène, j'ai pu constater que chacune des minuscules officines présentes dans les capitales ou alentours était peu fournie en matériels et en dossiers. Il y avait des questions à se poser. Naturellement, les employés feignaient de ne rien savoir sur les « disparus » que je leur présentais, si ce n'est qu'ils étaient d'anciens clients.

Il m'a fallu faire l'une des choses que je détestais le plus : M'infiltrer. Je détestais ça parce que c'était particulièrement illégal, et que dans ma branche, contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, nous savons rester dans la légalité – ça nous oblige à être astucieux. Mais me planquer dans les toilettes en attendant la fermeture, c'est laid.

J'ai choisi la plus grande succursale, celle d'Annapolis, qui faisait semblait-il office de siège. La société prenait deux étages d'un immeuble de sept. J'ai indécemment flirté avec la femme de ménage, une petite brune un peu boulotte et toute mignonne, qui m'a assuré qu'elle était très disponible le samedi, vu qu'elle ne travaillait pas ce jour-là : Elle arrivait tôt le lundi matin à la place. Ainsi, je me suis rendu chez Living, LLP le samedi après avoir demandé un rendez-vous avec son directeur dans l'après-midi. Je me suis entretenu avec un cadre. J'ai ensuite été dans les toilettes, où je me suis enfermé dans une position inconfortable pendant deux bonnes heures. Quand j'étais sûr que le bâtiment était vide, je suis sorti.

Les ascenseurs répondaient à un badge et les escaliers étaient fermés à clé. J'allais passer deux nuits ici. Largement le temps de fouiller. Et j'ai fouillé. J'admets avoir forcé quelques serrures, j'avais mon matériel pour ça. Dieu merci, aucune alarme n'a retenti. Les vivres que j'avais apporté n'allaient pas être suffisantes, et la nuit de dimanche, j'étais tiraillé par la faim.

Heureusement, toutes les informations que j'avais trouvé valaient de l'or – et elles étaient si folles que j'ai dû les relire plusieurs fois pour parvenir à y croire.

_________ Harald _________



-Kaptein ?
-Ja, entre, entre.

La jolie subsaharienne pénétrait dans la cabine du nordique, qui jouait aux cartes avec deux de ses hommes. En plus de l'argent misé, on mettait volontiers en jeu des armes, des dettes en pourcentage sur les prochains butins, des vivres, des bijoux... Un jour, complètement défait, un membre d'équipage avait misé la réalisation d'un tatouage ridicule sur son corps s'il perdait. Qu'on se rassure, il a remporté la manche.

-Je dois vous parler de notre petite affaire.
-Oui, bien sûr. On fait une pause ?


Chez Harald, aucun ne penserait à protester : La discipline était forte. Qui plus est, ils n'avaient aucun problème à laisser leur main sur la table, sachant très bien que l'honneur proscrit à quiconque de tricher en jetant un œil aux cartes : Les laisseraient-ils face découverte que le capitaine n'y regarderait pas.

Il lui fait prendre le siège de l'un des partants. La belle porte en bois lourde, finement ouvragée en son sommet par deux corbeaux et à sa base par deux loups, est close. Enfin, elle se décide à parler.

-Les hommes sont particulièrement inquiets.
-Et alors ? C'est le lot d'un pirate, je le rappelle.
-Nous savons tous ce qu'est la vie d'un pirate. Elle est courte et brutale.
-Mais intense. C'est la contrepartie d'une vraie vie. On ne peut pas vivre à fond et espérer vivre longtemps, en paix.
-On a attaqué un bateau de guerre de l'URSS. On avait déjà la moitié du monde à notre cul, mais au moins les américains étaient loin de nos bases. Là c'est les soviétiques. Le mauvais côté du monde, Harald.
-Les soviétiques sont limités par l'Europe, et c'est tant mieux. Tu dois avoir confiance.


Le varègue paraissait particulièrement détaché, là où la nubienne tentait désespérément de dire ce qu'elle pensait. Il lui fallait réfléchir précisément à ses mots, et chaque fois qu'elle imaginait la réaction d'Harald à ceux-ci, elle se refusait à les prononcer.

-Nous avons dû semer sept navires depuis l'événement. Et un sous-marin. Ca commence à être disproportionné. Et tu ne penses pas qu'on risque d'attirer l'attention sur Rapture ?
-Et nous défendrons Rapture avec toute la hargne de mes ancêtres. Jusqu'à la mort.
-Certains ne veulent pas mourir, Harald.
-Personne de censé ne veut mourir. Personne. Surtout pas pour quelqu'un d'autre. Mais on fait des choix, on prend des risques, et en échange de l'exaltation et de la liberté, parfois, il faut mettre sa vie sur la table, et espérer que les cartes nous soient favorables, et ce n'est pas toujours le cas, Lydie.
-Une partie de mon équipage veut aller à Rapture. Ils estiment avoir payé leur temps. Certains ne veulent pas le dire, mais c'est le cas sur les autres vaisseaux, même le tien.


Silence. Pour Harald, c'est un coup dur : Cela signifie la défection.d'un bon tiers de ses hommes, peut-être la moitié, plus, qui sait ? Lui qui est au faîte de sa puissance doit nécessairement tomber. Ces derniers jours il s'est souvent dit qu'il n'avait jamais été aussi grand : Être au sommet, c'est ne plus avoir de marche à grimper, et être obligé de redescendre.

Elle avouerait qu'elle s'attendait à un refus, voire à une colère homérique de la part de son commandant, qui, lyrique et emporté, aurait craché le feu des dragons du nord sur elle, brisant quelques objets et brandissant l'accusation de trahison. Pourtant, le pirate se lève lentement, cherchant sa bouteille d'alcool. Il ne propose pas de verre à son adjointe, sachant qu'elle ne boit pas.

-Et toi ?
-Moi ? Si je veux aller à Rapture ?
-Oui.


La culpabilité la rongeait, mais elle ne pouvait lui mentir : ç'aurait été contre ses intérêts propres, et contre l'honneur.

-J'ai envie de vivre, Harald. Je veux découvrir cette cité que nous avons tant défendu. Ce n'est pas contre toi, soyons clair. Cette vie m'a apporté plus que n'importe quelle autre, et je ne changerais mon passé pour rien au monde. Mais j'ai peur que toute cette haine ne finisse par nous emporter.
-Très bien.
-Harald... Tu m'en veux ?
-Non. Tu fais tes choix. Tu les exerces en toute liberté. Je n'ai pas le droit de t'en vouloir pour ça.


Suivant précisément le dogme de Ryan, celui auquel il croyait profondément, le norvégien était tout de même amer de perdre ainsi l'acolyte avec qui il a toujours si bien travaillé – sa pirate, sa pourfendeuse des tyrans. Elle se lève et se rapproche de lui, et le prend dans ses bras, d'une étreinte fraternelle sans la moindre équivoque, à laquelle le blond peine à répondre.

-Je peux te poser une question idiote ?
-Fais donc.
-Je ne suis pas ton genre ? Tu ne m'as jamais dragué. Tu dois être l'un des seuls hommes de l'équipage à n'avoir jamais essayé de...
-Toi, tu ne m'as jamais dragué.


Lydie sourit à son capitaine, et embrasse sa joue.

-Harald Askeladden. Ton nom restera dans l'histoire.
-L'histoire est faite par l'Etat. Je crains que nos noms à tous n'en soient effacés. Mais laisser une trace dans l'histoire est inutile.
-Tu as tort. Si Andrew Ryan ne laisse pas de trace dans l'histoire, ni Harald Askeladden, vers quel idéal se tourneront ceux qui refusent la tyrannie ?
-Leur propre vie. Ta vie est un idéal. Ta liberté et ta personne. Rien d'autre ne doit être idéalisé.


_________ Williams _________


Simoni Jacoppo parlait d'un « paradoxe du masque ». En termes simples, il se décompose en deux opposés, nécessairement complémentaires : Une personne décide de porter un masque. D'un côté, il y a ses raisons, on les comprend assez naturellement : Il y a volonté de cacher son identité, généralement afin d'accomplir un acte que l'on ne voudrait se voir attribué. Il peut servir le bien mais généralement, il s'agit d'un acte malfaisant ou considéré comme malfaisant. D'un autre côté, le fait de porter un masque rend la personne particulièrement visible. Le meilleur agent secret, après tout, est celui qui parvient à ressembler à un individu normal. Le porteur d'un masque se différencie de l'agent secret qu'il s'apprête sans doute à commettre l'acte susnommé en public, à découvert, ou tout du moins qu'on va pouvoir le voir, d'où la nécessité du masque. Voici donc le paradoxe : Celui qui veut protéger son identité, en la protégeant, rend sa personne physique particulièrement visible, et ce afin de commettre une exaction au vu de tout le monde. Au sens propre, il n'y a pas paradoxe, mais plutôt dualité.

J'ai été surpris de constater que John Angeli acceptait de me rencontrer. Ce magnat des mines, fils d'expatrié sud-américain, avait fait fortune en exploitant les entreprises de son père. Il les avait fait fructifié comme son géniteur avant lui, et son propre géniteur avant lui. Une croissance exponentielle qui, pour le petit John, avait fait passer sa transnationale respectable en troisième société d'énergie américaine – derrière Exxon Mobil et General Electric. Une prouesse.

Du coup, il se permettait des folies. Il vivait comme un playboy milliardaire, et sous la récession et la médiocre présidence démocrate, ça avait été très mal vu. Il se fichait bien de la mauvaise publicité que certains journaux de gauche lui faisaient : Il dilapidait autant en fêtes qu'en œuvres caritatives, versant des millions en réaction aux catastrophes en Amérique du Sud, contre la pauvreté endémique et les famines qui en frappait ses habitants. Il disait volontiers qu'il faisait plus pour le peuple chilien qu'Allende et Montalva réunis, et que Castro était un mythomane compulsif, car il croyait sincèrement en sa générosité envers les Cubains, ce qui relevait de la maladie psychique. Par ailleurs, son serrage de main et les accords miniers passés avec le gouvernement Pinochet finissait de lui aliéner les progressistes, et même les républicains avaient du dégoût de voir le businessman s'acoquiner avec un dictateur, quand bien même celui-ci était en voie de rendre l'économie de sa nation plus puissante que jamais.

Et pourtant, n'étaient-ils pas nombreux à le suivre dans ses projets fous ? Angeli allait quelque part, une troupe d'investisseurs le suivait, brandissait les billets. Il construisait des mines et développaient des projets, et, pas chien, faisait toujours appel à des fonds extérieurs. « C'est mon côté rouge : J'adore partager ». Et la rentabilité était forcément à la clé.

Pourquoi est-ce que je parle de lui ? C'était évident, voyons.

-Living, LLP. Ca vous dit quelque chose ?

Dos à sa baie vitrée avec vu sur le Nouveau-Mexique, il s'assied, et pousse un soupir de réflexion, rajustant son costume. Relativement jeune encore, il avait une classe folle et une négligence dans les gestes qui participaient à son image de nanti insouciant.

-Une compagnie d'assurance.
-J'ai découvert que vous en étiez propriétaire, sous un pseudonyme.


Sa tête sursaute, ses yeux s'écarquillent. Puis il rit.

-Vous vous êtes trompé. Je ne fais pas dans les assurances. Moi ce que j'aime... c'est le métal, et la pierre. Le cuivre, mon ami, le cuivre !


Il tapote une petite statuette représentant un gros copeau, tout en cuivre, d'une brillance inégalée pour ce métal. De mon côté, je mettais ma mallette droite sur mes genoux, et en sortant un gros dossier d'où j'extrayais documents après documents – des copies – que je lui présente au fur et à mesure. Des enregistrements de sociétés, des documents fiscaux au pseudonyme mentionné plus tôt.

-Non. Je ne me trompe pas. Roberto Alessandro est le nom d'un homme d'affaire italiano-vénézuélien qui possède quatorze sociétés dans le monde, du moins, de ce que mes amis en Italie ont pu me dire. Trois au Royaume-Uni, deux en Italie, deux en Espagne, une en France, une en Islande, et deux aux Etats-Unis, dont Living, LLP. Mais surtout, une au Venezuela et une au Chili. C'est là que ça m'a pris plus de temps.

Je n'avais aucun papier pour appuyer mes assertions, et il me fallait être sûr de moi.

-En cherchant un peu, j'ai découvert que Roberto Alessandro avait quitté l'Italie il y a quelques temps pour vivre au Venezuela. C'est d'ailleurs là-bas qu'il crée sa première entreprise, sous Jimenez il me semble mais la date est incertaine.
-Je ne sais même pas si j'étais né à cette période, vous savez ? Si vous essayez de me dire que votre Alessandro c'est moi...
-Précisément, précisément, mais attendez un peu. J'ai fait demander à ce qu'on visite les locaux de ladite société, et, magie : Il n'y a rien. Evidemment, je n'ai pu obtenir aucun registre du personnel, aucun numéro où m'adresser... La société est entièrement théorique, mais elle continue apparemment à exister et à payer ses impôts. C'est ici que les faits deviennent plus touffus.


J'ai son attention. Il se penche sur le bureau, croise les mains, avec tout le sérieux du monde.

-J'ai découvert que, contrairement à ce qui est mentionné dans une interview donnée dans un journal lombard, Alessandro n'est même pas né en Italie. Il le clame, mais ce n'est pas le cas. Il a fait une demande de nationalité, car il est d'abord vénézuélien. Et comme le Venezuela ce n'est pas les Etats-Unis, je n'ai pas pu chercher de trace de lui dans l'administration. Pratique, non ?
-Vous ne parlez pas de moi, depuis tout à l'heure.
-J'y viens. Roberto Alessandro est donc, pour l'instant, une personne à l'origine floue. Penchons-nous sur ses sociétés, voulez-vous ? Création coïncidente à quelques mois près dans tous les pays où elles sont implantées. Plus de quinze ans ans après la création de celle du Venezuela. Elles éclosent, comme ça. Toutes des sociétés de service, assurance, crédit bancaire, etc. Des succursales partout. Mes infos affirment toutes qu'elles n'ont presque pas de clientèle. Pourtant elles sont en bonne santé, leurs comptes sont à un bon niveau, généralement à peu près le même partout. D'où vient-il donc ? Et grâce à l'amitié d'un fonctionnaire britannique, j'ai découvert que la trésorerie était alimentée depuis... le Chili.
-Vous allez me parler de mes amitiés avec Pinochet, vous aussi ?
-Oui, mais ce n'est pas ma preuve principale. Absolument toutes les sociétés en question ont été créées juste après votre toute première visite au Venezuela. Quelques années plus tard, votre première visite au Chili. Juste après l'accession au pouvoir du dictateur. Là coïncide le début de l'arrivée des fonds provenant du Chili, qui auparavant venait de... je ne sais pas, je n'ai pas trouvé.
-C'est donc tout ce qui tient votre petite histoire ?
-Admettez au moins que ça a de la gueule.

Le businessman le concède par une petite moue, puis s'étend enfin sur son siège. Je croyais lire du soulagement dans son attitude. Il regarde un instant par-dehors, puis en revient à moi en souriant.

-Recollez les morceaux pour moi, je vous prie. Je me fais passer pour un homme d'affaires italien... ?
-Vous avez créé l'identité d'un homme d'affaires vénézuélien grâce à vos contacts dans la dictature,pour ensuite demander la nationalité italienne. Ainsi, vous pouvez créer aisément des sociétés dans toute l'Europe. Ces sociétés sont fictives, au sens où elles n'ont pas de vrai but. Elles ne dégagent que peu de liquidités et vous êtes obligées de les alimenter avec votre argent personnel pour ne pas qu'elles tombent en banqueroute. Fausse comptabilité, fausses factures, tout y passe, et tout le système perdure.
-D'accord... Vous êtes donc en train de dire que John Angeli, couverture du Times de novembre dernier je vous le rappelle, maintient exprès des sociétés déficitaires ?
-Vous avez autre chose en tête. Quelque chose de plus important.
-Je vous écoute.
-Je ne sais pas. Je comptais sur vous pour me le dire.


Et je l'ai vu rire de bon cœur, se moquant ouvertement de moi. Je me suis demandé si je ne faisais pas fausse route à ce moment : J'imaginais d'abord que le fait de m'écouter jusqu'au bout était une preuve de culpabilité, avant de me dire qu'Angeli serait du genre à me laisser tout déballer même si j'étais dans le faux, dans l'unique but de se payer ma tête.

-C'est ainsi que vous coincez les coupables ? « Vous êtes coupables, avouez » ? Voyons, voyons.
-Living, LLP est une société dont tous ses clients sont fictifs. Ses employés sont trop bêtes pour s'en rendre compte, mais pas moi. C'est évident en voyant les contrats. Ils ont tous les mêmes écritures. Celles des directeurs de succursales. On dit aux comptables que c'est parce que les clients ne rédigent pas les contrats, mais se contentent de dire à leur interlocuteur ce que celui-ci doit écrire, si j'ai bien compris. Ce serait plausible si des personnes entraient parfois dans leurs bâtiments, mais c'est rare. Chaque succursale envoie une cinquantaine de contrats par semaine, alors que seules trois nouveaux clients y entrent. Et étrangement, parmi les vraies personnes qui contractent avec Living LLP, la moitié disparaît du jour au lendemain de la surface de la terre pour ne jamais réapparaître. C'est la même chose chez vos courtiers, vos agences immobilières, partout... Vous faites disparaître des gens et je veux savoir pourquoi. Ce n'est pas uniquement pour l'argent ?... Ça vous coûte plus cher que ça ne vous rapporte, si mes calculs sont bons.


Il reste interdit un court instant, ayant retrouvé son sérieux, puis je le vois me montrer la porte.

-Je ne peux donner suite à cet entretien. M'accuser d'un montage financier est quelque chose, m'accuser de kidnapping ou de vol est autre chose. Veuillez sortir.
-Je prends cela comme un aveu, monsieur d'Angeli. Sachez cependant que toutes ces informations ont été confiées à quelques personnes de confiance et, si je venais à disparaître, toutes mes conclusions deviendraient publiques. D'autres vont sans doute m'être fournies d'ici-là.
-Vous pensez que je vais tenter de vous tuer ?
-Je ne sais pas ce que vous faites à ces gens. Qui sait ce que vous me ferez à moi ?
-Sortez. Sortez !


_________ Harald _________



Quelques jours plus tard, une imposante cargaison de cuivre provenant d'Afrique, principalement de Zambie et du Congo, se fit aborder par des pirates dans l'Atlantique, et coula par le fond. Plusieurs milliers de tonnes déversés au fond de l'eau, tous les cargos étant percés par des explosifs, sauf un où avaient pu se réfugier les équipages. Les agresseurs avaient laissé un message de révolte, où ils accusaient ce cuivre d'être tâché du sang du peuple africain, extrait dans des conditions d'esclavage avec la complicité des gouvernements corrompus qui exploitent leurs citoyens opprimés.

La radio déversait les nouvelles de la hausse spectaculaire du cours du cuivre suite à cet abordage, mais aussi à cause de la nationalisation forcée des deux nouvelles mines de cuivre ouvertes par Angeli au Brésil. Après avoir défié le gouvernement et avoir forcé pour les ouvrir, le Parlement avait voté la nationalisation, et ces mines avaient été entièrement récupérées par l'Etat brésilien. Ce n'était pas tant ça qui avait fait grimper le cours que l'annonce faite par le gouvernement brésilien peu après : Ces mines sont vides. Le potentiel d'extraction est quasi-nul. De ces suites d'événement, l'action Angeli a chuté, et les entreprises d'Angeli ont modifié leur tarif. Crise du cuivre dans le monde. Et les autres métaux commençaient à en être impactés.

Un journaliste économique espagnol débitait ces nouvelles lorsqu'on signalait à Harald qu'au loin, plusieurs camions de troupe approchaient. Ils étaient plus que la dernière fois. Les acheteurs étaient partis il y a longtemps, il avait pu décharger sa cargaison.

-Le Polisario ?
-Aye, Kaptein. Je pense qu'ils sont... Au moins une centaine.


Sur le port, c'est plus de deux-cents soldats armés jusqu'aux dents qui posaient les rangers. L'observateur avait sous-estimé la capacité des camions. Harald, restant sur le pont, souriait. Il était de nouveau torse nu, pour ne pas suer dans ses vêtements, et avait ôté ses bottes de fourrure, naturellement. Un gradé se pointait avec porte-voix et pistolet.

-Rendez-vous. Vous devez être jugé pour vos crimes.
-Le commerce libre, c'est un crime ?
-Le meurtre en est un plus grave.
-Non, l'entrave au commerce est plus grave. Je réponds par la proportion.


Harald riait, et ses hommes aussi. Oui, à leur dernière visite, avant de partir, ils avaient été près du grand port de Dakhla, la principale ville du pays, pour faire tirer au canon sur des baraquements du Polisario sur la côte. Nul besoin de dire à ses marins de se préparer à l'affrontement : Ils étaient déjà équipés depuis plusieurs minutes. Les soldats africains finissaient d'évacuer la petite rade de ses employés : C'était précisément ce que voulait le norvégien.

-Il n'y a plus un civil sur la zone, Kaptein.
-Bien, parfait.


De nouveau, l'officier lui hurlait dans son porte-voix, dans un anglais dégueulasse :

-Si vous ne vous rendez pas, nous couleront votre navire et capturerons tous les survivants pour qu'ils soient jugés.
-J'ai une autre proposition : Et si vous alliez vous faire foutre ?


Alors que l'officier fait signe à ce qu'on fasse tonner du lance-roquette sur la coque du navire, Harald fait signe à son artificier, qui se contente d'appuyer sur une commande sur un dispositif radio. La rade explose, trois détonations successives qui balaient toutes les infrastructures, et massacrent au passage la plupart des rebelles Sahraoui. La vague de chaleur agite les pirates. Leur capitaine fait ordonner le départ. Avant cela, on lui donne un porte-voix.

-L'idéologie rouge vous mènera à la mort, tôt ou tard. Vous y repenserez avant d'extorquer d'honnêtes commerçants.


_________ Williams _________


Et donc, c'est là qu'on se croise pour la première fois, je crois. Vous vous souvenez ?

-Excusez-moi ?

Je vous ai appelé, peut-être était-ce vous, non ?... Non, bon.

-Vous êtes ?
-Je peux parler au capitaine ?
-Capitaaaaaaaaaaine !


Et alors a surgit une fauve, magnifique, la peau pure, un ivoire noir, une taille élancée, les cheveux tenus en arrière par un large bandeau, et une tenue un peu lâche qui laissait deviner quelques charmes, sans trop en dévoiler – enfin, vous me comprenez. J'ai été surpris par ses bottes, je dois l'admettre, un peu XVIIème siècle. Elle s'est approchée de moi et m'a interrogé froidement du regard.

Je ne lui ai pas dit qui j'étais réellement. Je me suis prétendu inspecteur des douanes, que je voulais jeter un œil à sa cargaison. Bizarrement, j'ai vu tout l'équipage se crisper comme si j'avais prononcé le nom du diable. Peut-être aurais-je dû dire la vérité. Elle s'est tournée et a demandé combien de temps il faudrait pour repartir, et l'un de ses subordonnés a dit qu'il faudrait minimum une heure. Alors elle m'a fait venir dans sa cabine, exaspérée.

Tandis qu'elle me donnait un inventaire de ce qu'elle transportait, je sentais la présence du marin qui nous avait suivi dans mon dos. Il me mettait particulièrement mal à l'aise. J'inspectais distraitement les stocks, puis lui rendait avec un sourire assuré, prétextant que tout allait bien.

-Vous avez des problèmes ? Vous voulez qu'on fasse venir quelqu'un ?
-Pas la peine. Nous réparons tout nous-même. On a ce qu'il faut pour.
-Je peux voir ?


Elle m'emmena deux niveaux en-dessous, m'expliqua qu'un machin était complètement noyé, qu'ils le purgeaient de son eau et le consolidaient avant de repartir vers leur port d'attache, où l'on s'occuperait de faire des réparations en dure. Autour de moi puait l'hostilité des marins. Je décidais de ne pas rester plus longtemps et repartais. Une fois sur la passerelle qui me ramenait au port, cependant, je ne pouvais m'empêcher de me retourner pour poser une dernière question.

-Vous connaissez John Angeli ?


Elle semblait interpellée par ma question, mais me répondit sur le même ton que le reste.

-Il nous arrive d'écouter la radio.
-Ahah, oui, la radio. Mais vous avez des relations avec ?... C'est un fournisseur, un client ?...
-Le transport de métal n'est pas très sûr ces temps-ci. Je ne pense pas accepter un jour un contrat de livraison venant de lui. C'est quelque chose qui nous risquerait la disparition en mer. Comme la curiosité trop prononcée.
-La curiosité, oui... Bonne journée.
-C'est ça, bonne journée.


_________ Harald _________



Rien de pire qu'un risque de mutinerie. Harald, nourrit aux histoires de pirate, le savait.

Alors il avait cédé. Il avait demandé à ce que tous les marins de ses équipages qui désiraient quitter la flotte et rejoindre Rapture viennent le voir personnellement.

-Tu ne comptes pas les punir, n'est-ce pas, Harald ?
-Je n'ai qu'une parole, Lydie. J'ai dit que je les libérerais.


Rendez-vous avait été donné à la commanderie, leur port d'attache dans une petite île abandonnée au nord de l'Islande. Une longue file d'attente était déployée dans le froid, devant le bureau en hauteur du capitaine. La neige tombait, fine, et un vent la poussait quelque peu, mais le temps était supportable pour les marins habitués à pire.

Un à un, ils passaient, expliquaient leurs motivations, et repartaient avec leur nom noté sur un petit registre tenu par la seconde du commandant, impressionnée par le nombre de personnes qui s'étaient ainsi décidées. Lui se réjouissait de savoir qu'il allait avoir assez d'équipage pour tenir deux vaisseaux et la commanderie. Il allait falloir recruter.

-Tu es conscient que tu ne reverras plus jamais la surface ?
-Oui, Kaptein.
-Ni terre, ni mer. Rapture sera définitivement ta nouvelle maison.
-Nous nous sommes battus pour la protéger, elle en vaut forcément le coup.
-Bien. Tu peux disposer, fais entrer le suivant.

Sur chaque bateau avait été organisé un banquet qu'ils mangeraient tous de bon cœur, mais pendant le repas, une alerte retentit dans le grand bâtiment de contrôle. Un marin décide d'y courir. Il transmet par radio à Harald qu'on signale l'approche d'un navire du port. Il ne serait pas très imposant, probablement désarmé.

-Je prends la vedette. Cinq hommes avec moi.

_________ Williams _________



Autour du grand feu dressé en plein milieu du port, dans une grande cuve de pierre, se trouvait une quarantaine de pirates qui se réchauffaient. Tous étaient silencieux pour écouter le détective parler. Harald, assis sur une chaise de pêcheur, celles en tissu, était au milieu, comme un seigneur, toisant le fouinard de l'autre côté de l'âtre.

-Et c'est ainsi que tu nous as trouvé.
-Tout à fait.
-Avec un mouchard. Satellite.
-Tout à fait. C'était cher mais ça en valait la peine. Et ce n'est pas très discret, je suis content d'avoir réussi à le cacher.


Sowell était consternée de s'être fait avoir par le détective, gardait la main sur sa bouche depuis qu'il avait raconté ce passage. Elle aurait envie de le tuer.

-Kaptein, je suis désolée...
-Tais-toi. Plus tard, les excuses. Nous avons d'autres problèmes. Williams... Tu vas me dire que quelque part, des types détiennent l'emplacement de cet endroit et qu'il est prêt à le livrer à la police ?
-C'est ça. Si, en tout cas, vous ne me laissez pas partir.
-Mais si je te laisse partir, tu emportes d'autres secrets. Moi, les bateaux, les armes. Tu me seras encore plus nocif.
-Pas vraiment. On peut arriver à un compromis, tous les deux.
-Je ne suis pas un homme de compromis.
-Je ne te connais pas, mais je suis sûr que tu seras prêt à m'écouter. Dis-moi ce qui est arrivé des disparus sur lesquels j'enquête et je m'arrange pour en dire le moins possible sur vous. Après tout, je n'en ai pas besoin. Tout ce qui m'importe, c'est de résoudre l'affaire.


Harald se retourne vers ses hommes, comme s'il attendait une approbation, mais personne ne réagit, et c'est tant mieux. Il ricane un peu. Fait demander à ce qu'on remplisse le verre du détective, qui ne dit visiblement pas non.

-Tes disparus vont bien. Mieux. Ils ont changé de vie.
-Et quelle est-elle ?
-Je ne peux rien en dire.
-S'ils laissaient un message aux proches qu'ils ont abandonné...
-Non. Il leur est interdit de communiquer avec leurs anciennes relations.
-Vous les retenez en otage ?
-Ils sont venus de leur plein gré. Et ils n'ont pas envie de partir.


Williams avait un cas de conscience. Harald semblait honnête, malgré son apparence d'ours en rogne. Il caressait souvent sa barbe, et les deux bijoux qui s'y trouvaient, surtout lorsqu'il réfléchissait, et il avait été tout à fait courtois depuis la capture, écoutant le récit de son « prisonnier » avec intérêt, comme tous les autres.

-Juste un unique message. Signé de leurs mains. Moi je me fais payer, sachant que mes finances vont très mal à cause de toutes mes recherches sur vous, et tout le monde est content. Et je n'ai pas d'intérêt à vous balancer. Je suis un type honorable, je fais juste mon travail, pas plus, pas moins.


Le lendemain, Williams était sorti de la cale où on lui avait fait passer la nuit. Conduit auprès d'Harald, on le faisait asseoir. Le capitaine portait un fin sourire sous son épaisse barbe.

-Vous avez dit que vos finances étaient mauvaises.
-C'est la vérité. Le métier de détective privé ne paie plus autant qu'avant. Et j'ai consacré tout mon temps à cette affaires...
-Je vois tout à fait. Nous sommes tous deux les héritiers d'une vieille tradition tombée en désuétude. Je suis pirate.
-Pirate ?... Vous pillez donc des bateaux avec un drapeau noir ?
-Entre autre, oui... Soif ?
-Je veux bien boire quelque chose, oui.


Le norvégien sortait deux verres d'une petite armoire à côté de son lit, faisait choisir à son hôte entre un whisky ou une eau-de-vie.

-Du coup, je ne comprends pas trop. Quels sont vos rapports avec Angeli ?
-C'est un ami. Un collègue, dirais-je même. Nous avons le même employeur.
-Et vous coulez sa cargaison et faites plonger ses actions ?
-Parfaitement.
-Pourquoi ?
-Selon vous ?
-Je ne sais pas. Il spécule ?
-Pas du tout. Je vais vous expliquer... Après quoi, je vous ferais une proposition, et votre réponse changera le reste de votre vie.
-Je vous écoute.


Harald finissait d'une traite son verre, brûlant délicieusement sa gorge.

-C'est l'histoire d'un homme. Il est né plus intelligent, plus malin, plus vif, plus doué que les autres, peu importe son talent. Cet homme décide qu'il pourrait mettre son talent à son profit, et décide donc de le faire fructifier. Pourquoi pas en créant sa société. Il travaille dur, longtemps, plus que n'importe qui, et à force de persévérance, sa fortune grandit. Mais tout le monde n'est pas aussi motivé que lui, tout le monde n'est pas aussi talentueux. Et les autres sont jaloux. Ils inventent des accusations : Accapareur de richesses, exploiteur, concurrent déloyal, et tout ce qui va avec. Mais leur aigreur est sans limite, et ils cherchent un moyen de voler l'argent de cet homme. Ils crient assez fort, jusqu'à ce qu'une entité surnaturelle, mafieuse et injuste les entende. Cet entité, c'est l'Etat. Et l'Etat fait des lois, crée des impôts, utilise son armée afin de prendre l'argent pour nourrir les autres, les jaloux, les imbéciles, les parasites.


Il remplit son verre, propose à Williams de faire de même pour lui.

-L'homme trouve ça injuste, mais face aux nombres des profiteurs, il ne peut que se taire. Alors le système perdure. Des mois. Des années. Des siècles, même. Tout un système fondé sur l'appropriation des biens des plus riches afin de nourrir des gens incapables de le faire eux-même. Tous ne sont pas incapables, mais tout le système de vol et de redistribution les rend dépendants. Ils sont des drogués en manque et ne peuvent s'en départir. Pire : Ils finissent par penser que l’État est leur bienfaiteur, et que le riche à qui on prend l'argent est le méchant. Mais un jour...


Une pause, nécessaire afin de mettre de l'emphase.

-Un jour, l'homme est fatigué de cette situation. Il est fatigué de suer pour les autres et d'être insulté pour ça. Alors il disparaît. Lui et ses richesses. Pouf, envolé. Et il entraîne les autres avec lui. Les courageux et les travailleurs. Et d'un seul coup, les parasites ne trouvent plus de sang à sucer. Ils se déchirent, accusent les disparus d'égoïsme, et finissent par sombrer dans leur médiocrité. Leur monde construit sur le vol organisé et parfaitement légal s'effondre.


Harald sort de son dos un pistolet, qu'il braque sur le crâne de Williams. Celui-ci, pris au dépourvu, réagit à peine.

-Vous comprenez où sont ceux que vous cherchez ? Vous comprenez qui est John Angeli, qui je suis ?
-Je ne comprends pas tout, mais je devine des choses...
-Oui, vous devinez. Normalement, je devrais vous tuer, simplement, et jeter votre corps dans les eaux froides de l'Atlantique. Mais mon employeur a demandé à vous rencontrer.


L'arme est posée sur la table.

-Si je vous disais que le paradis se trouvait sous l'eau ?

« Modifié: jeudi 24 décembre 2015, 23:48:57 par Law »

Andrew Ryan

Humain(e)

Re : I chose Rapture

Réponse 6 lundi 23 novembre 2015, 01:13:13

Clac.
Lourd silence.
L'immensité de l'eau.
La profondeur de l'océan.
L'éternité face au génie humain.

La boule venait de s'écraser dans son socle. Il posait son club de golf pour se retourner vers l'immense baie vitrée.

La mer... qu'il voit danser...

Il pourrait la contempler des heures. Le grand bureau ne lui donne pas l'impression d'être en cage, comme certains le prétendent.

Il vit reclus depuis des mois. Ne paraît que pour les grands événement. Sinon, on passe dans son bureau.

Douze jours que personne n'était venu.

On frappe à sa porte. Deux paires de coup. Son domestique attitré. Il ne répond pas. Celui-ci a l'habitude, il ouvre donc la porte sans autorisation.

-Mr. Ryan ? Une visite.
-Pas de visite.
-Le Dr. Tenenbaum est très insistante.


Il prend une pause, sans se retourner. Peignoir bordeaux aux broderies ocres, cheveux bien coiffés en arrière.

Il a pris des rides depuis la dernière fois qu'il s'est regardé dans le reflet cruel de sa vitre, qui le sépare des milliers de kilotonnes d'eau.

-Elle est avec Sinclair ?
-Non. Elle est avec une femme. Elle dit que c'est très important. Primordial.


Andrew Ryan haussa les épaules.
Andrew Ryan haussa les épaules.

-Qu'elles viennent.

C'est le moment le plus important de sa vie, et il ne le sait pas encore.

C'est le moment où Andrei Rianovski meurt.

_________..._________


Dans l'ascenseur, la plus jeune était apeurée.

-Comment a-t-il fait ?
-Pour ?
-Construire tout ça.
-Votre frère est quelqu'un de grandiose. Il n'est sans doute pas le plus intelligent du monde – pardonnez-moi de dire ça...
-Je vous en prie.
-Mais... C'est un visionnaire. Son regard porte loin. Je n'avais pas vu de vues si portées depuis...


Un arrêt.

-Depuis longtemps.
-Je suis assez d'accord avec vous.
-Ah oui ? Il a donc toujours été comme ça ?
-Oui. Andrew était... déterminé. J'ai parfois pensé que c'était de l'inconscience, mais avec le recul, c'est comme si... comme si son instinct comprenait l'avenir avant nous. C'est idiot de dire ça comme ça...
-La formulation est mystique, donc bancale. Je préfère penser que votre frère est tout simplement ce qui se rapproche le plus du génie, non pas au sens du savoir mais au sens du pouvoir. Il a le pouvoir d'avancer, de diriger, d'agir, de comprendre... Ryan est la p...


Les portes de l'ascenseur s'ouvraient. Le domestique était là. Il leur faisait signe de se taire, puis regardait la demoiselle. La trentaine. Brune. Assez belle.

-Vous êtes...
-Alissa Ryan.


L'idée glaçait d'effroi l'employé, qui sentait tout le froid de l'océan brûler son dos. Il dû se mordre la lèvre pour faire taire un éventuel cri. Ses tripes le soulevaient. Après de longues secondes, il regardait Tenenbaum. Elle confirmait.

Au même moment, Ryan changeait de club, pour un tir plus long, en deux bandes.


_________..._________



C'est elle qui verse la première larme. Elle était tenaillée par l'appréhension : Elle se souvient parfaitement de l'hôpital, de ses derniers instants. Son frère est près d'elle, lui tient la main. Une infirmière arrive, précédant un médecin. Il dit que tout est prêt. Les papiers sont signés. Il leur a graissé la patte. Elle va recevoir une dose massive de morphine. Ses organes sont en train de lâcher, elle souffre terriblement en temps normal, et plane à moitié à cause des anti-douleurs. Il ne lui reste plus, prétend-il, que quelques heures à vivre.

Ils se disent une dernière fois au revoir. Ils se disent qu'ils s'aiment. Il lui dit qu'il fera tout pour la rendre fière.

Elle ferme les yeux.

Quelques secondes plus tard, elle ouvre les yeux dans un bloc opératoire. Une quinquagénaire élégante en blouse lui sourit derrière des petites lunettes carrés. Elle lui demande son nom.

-... Qui êtes-vous ?
-J'ai besoin de votre nom.
-Ryan. Alissa Ryan. Qui êtes-vous ?


La praticienne a hurlé un mot en allemand, de joie.


_________..._________

-Andrew ?

Il se retourne, ne la reconnaît pas. Retenue du mépris. Il déteste les familiarités venant des inconnus. Il s'en retourne donc à sa balle de golf.

-Andrew !
-Andrew, c'est ta sœur.


Il relève les yeux juste avant de pousser le globe blanc avec son fer 9. La balle n'ira pas du tout là où elle devait aller. Il lève les yeux au-dessus des têtes des deux femmes : Le cadavre est toujours là, emprisonné dans la glace, dans sa quiétude merveilleuse.

-Ce n'est pas Alissa.
-C'est elle. Tu te souviens ? J'ai transféré son cerveau.
-Andrew, c'est moi. J'ai vu tout ce que tu as fait, en chemin. C'est... Merveilleux !


Ils s'observent en chien de faïence, sans oser faire un pas vers l'autre.

-Le docteur a dit que je n'avais plus de cancer. Je suis le clone du corps d'une... je sais plus. Une délinquante ?
-Elle a commis un vol, oui.
-Et... Je suis là !... J'ai l'impression qu'il n'y a pas de temps qui est passé. Je veux dire... Pour moi c'est encore comme si c'était hier. Je suis si fière de tout ce que tu as fait... Je t'aime toujours, Andrew...

Elle parvient enfin à s'avancer, d'abord lentement, puis accélère. Alors qu'un sourire déforme son visage, lui serre les dents, recule, et lui assène un puissant coup de club dans le crâne. Sa sœur s'écroule au sol, grognant de douleur.

-ANDREW !!!
-Brigid ! Qu'est ce que tu as fait !? Tu cherches à me vendre une fausse ? Une actrice !?


Tenenbaum repensait aux mots d'Augustus à ce sujet. Elle allait se jeter sur Alissa, mais elle se trouve paralysée lorsqu'elle voit le fer s'abattre sur le visage horrifié de la ressuscitée, lui défonçant la face. Et il recommence, accélérant, comme dans une frénésie, pris dans une folie meurtrière. Il tue sa sœur, il la tue avec une ferveur infinie. Il faut l'intervention de son domestique pour le stopper enfin, le faire reculer, lâcher son club. Il halète, furieux, reprend l'arme pour la jeter sur sa baie vitrée qui tremblera à peine, puis il disparaît dans ses quartiers.

Il faudra un long moment à l'allemande pour récupérer de sa stupeur. Elle regarde les morceaux de cervelle éparpillés ; tout son travail anéanti. Oh, elle pourrait recommencer, maintenant que le processus est définitivement stable, ça ne lui prendrait que deux mois pour avoir de nouveau une Alissa.

Mais quelque chose vient de se briser en elle. Elle part seule.

C'était la dernière fois que Ryan et elle se voyaient.

_________..._________


-SPLICERS !! Dans la troisième cuve ! Gaffe où vous tirez, putain !
-Stewart, t'es dessus ?
-J'y vais, lieutenant !


L'un des soldats saute par-dessus la barricade, son coéquipier le suivant. Fusils d'assaut levés, ils avancent prudemment jusqu'à la salle suivante, où ils trouvent, entre les installations de traitement d'eau et les nombreux tuyaux qui en découlent, une escouade de collègues qui balaient la salle sombre de leurs lampes.

-Vous les avez vu où ?
-L'entrée à deux heures. Ils étaient trois minimum.


Faisceau lumineux les précédant, ils progressent prudemment. Un mouvement dans l'ombre. Ils braquent. Ils entendent distinctement des pas, mais l'écho empêche d'en trouver la provenance. Puis l'un des monstres est surpris par la lumière, se stoppe. Sans attendre, les soldats le mitraillent. Plusieurs rafales qui l'abattent net. Trois autres apparaissent alors, profitant du trouble pour se jeter sur eux. Les militaires, rompus à l'exercice, tirent avec précision, faisant quelques pas doucement en arrière, la gâchette sûre, sans trembler.

-J'ai dit gaffe où vous tirez !!


L'un des ouvriers fait remarquer au responsable d'escouade que la pression descend soudainement, signifiant sans doute qu'une balle a percé un tuyau.

-Bordel... Stewart ! T'as touché quelque chose !
-On fait ce qu'on peut.


Plus un bruit, si ce n'est les sons grinçants et tapants des travailleurs, protégés par les soldats, en train de remettre la machine de pompage en état.

-Je pense que ça va le faire.
-Il faut réparer la tuyauterie.
-Les splicers ont entendu les tirs. Ils vont se ramener à plusieurs.
-L'eau fuit. On a pas le choix. On bouge.


Se déplaçant dans la grande salle, les ouvriers suivent diligemment les soldats déployés autour d'eux, qui surveillent de leurs lumières les entrées, jusqu'à arriver près des tirs.

Ils trouvent un couple aller / retour de tubes qui ont été atteint à 5 reprises. Un cadavre de splicer encore chaud est juste à côté. Ils disent ne pas avoir les bons outils. Ils vont fixer tant bien que mal, et reviendront.

Mais des râles approchent. Par une autre entrée. Stewart et son coéquipier s'y précipitent, et lorsqu'ils brandissent leurs lampes dans le large couloir, les nombreux mouvements ne les rassurent pas.

-Lieutenant, on a une invasion.
-Risques pour les installations ?
-Zéro. Les murs sont blindés.
-Feu à volonté alors.


Ils tentent d'abord la mesure classique : Hurler aux zombies d'entendre raison et de faire demi-tour. Ils progressent. Accélèrent, même. Le sergent claque des doigts, et les deux fusils se déchaînent alors en balles. Ils abattent ce qu'ils peuvent. Un troisième homme les as rejoint. Pendant qu'ils rechargent, il tire pour les couvrir. Deux grenades incendiaires maison sont jetées. Plus ils tirent, et plus d'autres arrivent.

-Bientôt à court de balles.
-On vous relève.


Mais... non. Une autre entrée est aussitôt prise d'assaut. Les soldats sont surpris, shootent à tout va.

Ils décident finalement d'un repli, refermant la porte derrière eux. Ils reprendront la salle et les réparations deux heures plus tard, avec une dizaine de miliciens prêtés par al-Sour. C'est que lui aussi aimerait que ses hommes aient de l'eau. Et comme tout le monde à Rapture : Il n'agit que si ses intérêts personnels sont menacés.


_________..._________

Tenenbaum n'a pas arrêté de courir depuis qu'elle est levée. Comme tous les jours. Il faut accueillir, soigner, opérer sans cesse. Elle dirige l'hôpital central de Rapture d'une main de fer. Elle a investit tout son argent dans le maintien de cet endroit, et a demandé aux autres médecins de faire de même.  Les tarifs ont été revus à la baisse, quitte à soigner à perte. Les plus pauvres bénéficient des actes basiques gratuitement. Les employés travaillent sans pause pendant parfois plus de dix heures par jour. Il faut assurer le maintien de la vie dans la cité.

Un jour, des militaires sont arrivés. Pas pour soigner l'un des leurs cette fois : Ils ont menacé le personnel de leurs armes, fait mander des médicaments, et qu'il soit réquisitionné médecins et infirmiers afin de leur garantir des soins sur le terrain. Tenenbaum, prévenue, leur avait barré la route. Elle s'était mise devant leurs fusils, et ils s'étaient vus opposée une fin de non-recevoir. Ils avaient hurlé qu'ils prendraient de force. Impératif militaire ! Et l'allemande était restée ferme et impassible, disant que personne ne les soignerait s'ils faisaient ça, et que s'ils osaient toucher aux médicaments, on leur tirerait dessus. Ils s'étaient battus verbalement. Quelques objets avaient été cassés. Et ils sont repartis.

C'était ce jour qu'il avait été décidé d'instaurer des forces de sécurité pour l'hôpital. Avec des bouts d'uniformes et de matériel récupérés dans les réserves, on avait garni les entrées de volontaires bénévoles, parmi eux des patients qui pouvaient tenir debout. Les médecins étaient désormais armés.

Une autre fois, des mercenaires étaient venus, d'anciens fidèles de Fontaine, venus pour tuer l'un des patients. Un ennemi. Les médecins avaient fait bloc. Fusillade dans les couloirs. Tenenbaum avait été la première à ordonner à ce qu'on soigne les blessés, enterre les cadavres, et que le travail reprenne.

Mais aujourd'hui, une puissante fatigue l'avait saisie. Il lui fallait s'isoler, un peu, se reposer, et pleurer. Son moral est à bout. Son corps aussi. Dans le registre mortuaire de cette nuit, elle venait d'y trouver le nom d'Augustus Sinclair.


_________..._________


-J'ai reçu un gros paquet de fric, accompagné d'un mot m'informant que je devais me payer avec ça le meilleur avocat de tout Rapture. Je sais pas qui m'a envoyé ça, bordel. J'ai engagé le pingouin qui a fait libérer mon père. Une crème, il va me faire ça vite fait. Il m'a dit qu'il avait déjà trouvé deux erreurs de procédure... Je suis sûr qu'il pourra faire quelque chose.



_________..._________


À l'audience finale, Sinclair y avait été de sa plus belle plume. Il avait même fait de la pub pour ce procès, s'était arrangé avec la Cour Suprême pour virer les bancs et ainsi faire rentrer plus de monde. Il avait mis toute sa verve dans sa plaidoirie, et l'audience entière avait été subjuguée – si ce n'est les juristes, que ce soient les juges, le procureur ou les avocats de la défense.

C'était une sombre histoire. Alfred Stevenson avait violé et tué une enfant. C'était la troisième en vérité, mais les deux autres n'avaient pas été retrouvées. Celle-ci était une adoptée de l'Orphelinat St. Mary, car ses parents étaient stériles. Il aimait imaginer qu'il privait à tout jamais des parents incapables d'enfanter de la progéniture qu'ils avaient acquises, car pour lui, les enfants ne devraient pas être adoptées – lui-même l'avait été et en a souffert. C'était avec une facilité déconcertante qu'il avait tout raconté au conseil d'élite (« On peut tout dire à son avocat »), et Sinclair lui avait dit qu'il l'aiderait à s'en sortir. L'histoire avait été médiatisée, et plusieurs juristes avaient trouvé des failles dans la première audience criminelle, notamment deux preuves disconcordantes. Fumant un cigare au « 16th », le club pour riche le plus huppé de toute la cité, il avait participé à une conversation entre avocats de haut vol, ceux-ci prétendant que, pour le prestige, ils défendraient volontiers le criminel si celui-ci en avait les moyens, car il serait aisé de gagner, et on y décrocherait un coup de pub gratuit.

Personne ne s'était étonné, donc, qu'on annonce dans les journaux que Stevenson avait viré son corbeau minable pour prendre le légendaire Augustus Sinclair à la place.

La cour, donc, avait été étonnée lorsqu'elle entendit plaider l'avocat. Ce que le public prenait pour de l'audace, les magistrats voyaient ça comme du suicide. Le dossier qu'il avait rendu pour soutenir sa défense était incomplet, incohérent. Il avait appuyé que c'était bien la version définitive et qu'il n'avait pas à le modifier. Le bureau des juges avait donc enregistré ses liasses sans plus réfléchir.

D'un air grave, le soir-même, le juge confirma la sentence, et la salle en fut stupéfaite et soulagée. Le condamné  paniqua : Il croyait que c'était gagné d'avance ! Mais Sinclair ne fit que se lever en entendant que la peine serait maintenue et que la séance était terminée : Il serra la main à son client, l'air neutre, lui dit qu'il lui enverra demain matin ses employés pour qu'ils lui proposent une place en prison gratuite (« c'est la moindre des choses »), et s'en alla sous les regards médusés de l'assistance. Beaucoup pensèrent que ce n'était que justice : Qu'un salaud comme Sinclair, aussi doué soit-il, décide de défendre encore un malfaiteur des plus odieux ne signifiait pas qu'il pouvait gagner, et il était bon de se dire que, parfois, les criminels vont en prison et les excellents avocats perdent quand même. Tout n'est pas qu'une question d'argent, mais aussi de justice. Rapture rentrerait donc dans l'ordre ? Oh, si des zombies décérébrés n'avaient pas pris des quartiers entiers de la ville, on pourrait le croire, oui.


_________..._________

-Journal d'Augustus Sinclair. Celui-ci t'est dédicacé, Brigid. J'ai pris mes dispositions pour que, si je meurs, tu les aies tous. C'est mon dernier journal audio, et la dernière confession que je te ferais. Elle te brisera le cœur. Je te conseille de l'écouter, mais sache qu'elle concerne notre fille... celle-là même que nous avons abandonné en nous jurant de ne jamais chercher à apprendre ce qu'il lui arrivait. Sache que je n'ai pas su m'y résoudre. Mais la confession ne s'arrête pas là, Brigid...

_________..._________


Quelques années plus tard.

Et si le paradis n'était qu'un enfer en devenir ? Rapture est tombé en morceaux. Les richesses ont été accumulées entre quelques mains, et les pauvres se sont multipliés. De grands quartiers, tels qu'Hellespont, Delphi et Attica sont devenus des centres résidentiels délabrés, bidonvilles sous-marins où la criminalité est courante. La zone industrielle Hephaïstos ne fonctionne plus aussi bien : La moitié des usines ont été fermées, l'autre survit tant bien que mal.

L'approvisionnement en nourriture ne souffre pas de difficultés, et pour cause : La démographie chute considérablement. Les morts par maladie s'accumulent. L'effondrement de la protection du quartier Corinth a réduit la population de 3%. Et surtout, les splicers se multiplient.

Splicer, c'est le nom donné aux zombies drogués à l'Adam, rendus accros par celui-ci, à tel point qu'ils en ont oublié leur humanité. Les splicers sont des hommes et des femmes, généralement malingres, faméliques, sales, aux pas traînants et aux râles annonciateurs, qui traînent en groupe et cherchent à se nourrir des humains afin de se repaître de leur chair et de leur sang, et espérer en drainer la substance. L'odorat très sensible, ils repèrent tout humain porteur d'Adam à plusieurs mètres et se jettent sur lui à plusieurs, et le démembrent avec leurs armes, leurs mains et leurs dents.

Le splicer était au départ considéré comme un malade mental léger, qu'on internait, parfois à sa demande, afin de le traiter. Lorsqu'ils sont devenus trop nombreux, ils ont été regroupés, isolés dans des ghettos, où les médecins osaient encore aller, accompagnés par quelques militaires de Rapture afin de tester des traitements. Mais le manque les transforma en monstres sanguinaires, et bientôt mis en quarantaine totale, la qualification de « Splicer » par un médecin entraînait immédiatement une perte des droits de citoyenneté, et le splicer pouvait ainsi être abattu par n'importe quelle personne.

Un certain jour de l'an tourna au cauchemar pour Rapture. Lors de la grande fête annuelle, où tout le gratin de la cité s'était rendu dans le penthouse gigantesque de dix étages de Ryan à Olympus Heights, en l'absence remarquée du maître de la ville (et ce depuis plusieurs années), les Splicers se sont infiltrés dans les beaux quartiers afin de bouffer du bourgeois. Usant des couloirs de métro, des centaines d'entre eux ont cherché à envahir la ville entière. Les forces de sécurité publique et privées furent déployées afin de juguler l'invasion. Réussite partielle uniquement.

Rapture n'est plus qu'un gigantesque mouroir. 75 % de la ville est abandonné, ou aux mains des splicers. Le reste, où vit la population encore saine, tente de survivre malgré la loi martiale, les nombreuses incursions des zombies dans leurs zones, les accidents d'infrastructure et le manque de ressources.

_________..._________


Sous Rapture, une immense étendue de béton, avec un plafond très bas. Comme l'un de ces grands parkings souterrains qui se développaient à la surface. Il y avait peu de lumières encore en marche, et elles grésillaient. Les quelques courageux qui s'aventuraient ici semblaient être des formes spectrales qui apparaissaient au gré d'une ampoule moins défectueuse que les autres, puis disparaissait dans l'ombre. Pour tous, il suffisait de suivre les trois lourds projecteurs alimentés par des groupes électrogènes qui encadraient une porte gardée par plusieurs soldats.

Les errants venaient d'anciens tunnels de métro encore entiers, tous malades, boîteux, hagards. Quand ils approchaient, les soldats les faisaient s'arrêter à plusieurs mètres sous les faisceaux. L'un d'eux vient le fouiller. « Pas d'arme ? Pas de drogue ? » Et après l'inspection sommaire, ils étaient sommés d'entrer. Ils devaient traverser un long tunnel et subir un autre contrôle, avant de finalement pouvoir pénétrer dans l'hôpital.

Les débordements des splicers étaient généralement bien contenus par les hommes en arme. Les grognements qui faisaient écho les mirent sur leurs gardes. Bien que faibles et peu nourris, ils ne ressentaient pas la fatigue, prêts à en découdre. Mais le déferlement par centaine les submergea avant qu'ils n'aient le temps de comprendre ce qui leur arrivait.

On avait fait évacuer l'hôpital en hâte jusqu'à Olympus Heights, non loin, dernière citadelle encore sûre. Les quelques quartiers d'habitations qui subsistaient encore allaient bientôt subir le même sort, se dit-on. Il vaut mieux se réfugier là où se trouve la plus grosse concentration de militaires de Ryan. Sa tour est encore debout, son sommet dépassant de l'immesurable bulle d'air où se trouve la plupart des bâtiments qu'on aurait qualifié sur terre d'officiels. Et bien évidemment, dans le tumulte, la fureur et le désespoir, on prend d'assaut cette tour.

C'était un groupe d'ouvriers qui avait hurlé afin qu'on assaille et tue Ryan pour se venger, et ceux-là portaient le badge de la révolte d'Atlas. S'étant armés et débordant les hommes du maître de Rapture, ils avaient menacé le vieillard majordome afin qu'il active l'ascenseur ; le professeur Abraham, l'un des bénévoles auprès de la fondation d'Atlas pour les pauvres, était monté. Lorsqu'ils arrivèrent en haut, les portes ne s'ouvrirent pas. Ils les forcèrent avec le pied-de-biche que l'un d'eux avait trouvé et emmené au cas où.

Ils trouvèrent un bureau entièrement vide si ce n'est un unique mot à l'écriture brouillonne.

« À l'attention de Brigid, d'Augustus, de Louis, de Sofia et même de Frank. »


La mention de Frank, qui ne pouvait être que Frank Fontaine, les surprit tous, puisque celui-ci était mort depuis des années – mais on savait Ryan fou.

« Vous avez gagné. J'ai perdu. Le premier code est 50912020. Le second est Alissa. Le troisième est 54918060. Le dernier est le nom d'Atlas. J'ai mis du temps à le comprendre. Il a été meilleur que moi. Le contrôle de Rapture lui revient. »

Wiston, un type qu'on disait grand brûlé au visage toujours couvert de bandages et d'une capuche, avec une démarche incertaine, se précipita vers une salle adjacente pour y trouver un grand ordinateur aux écrans vieillis, qui marchait cependant toujours. Il se précipita sur l'un des deux claviers, et sur un minuscule moniteur adjacent, on lui demandait un mot de passe.

-Abraham, répète.
-5...0...9...


Wiston tape au fur et à mesure. Une deuxième demande se succède, il tape le nom de sa sœur. Un troisième, il enchaîne le second nombre. Et enfin. Un moment d'attente. Humbert, un des sbires, se tourne vers Abraham :

-Le prénom d'Atlas ? Qui connaît le prénom d'Atlas ?
-Personne. Il faudrait lui demander.


Fébrile, Wiston tape simplement « Atlas », mais l'ordinateur refuse et revient au premier écran. Alors il recommence depuis le début la procédure.

-Laisse tomber. Il faut que le patron lui-même vienne ici.
-Non. Pas la peine.
-Tu connais le nom du patron ?


Wiston laisse un temps d'attente, puis tape un prénom. « Frank ». Et l'ordinateur valide.

-Ryan croyait qu'Atlas c'est Fontaine ?
-Ryan avait raison, bande de larves. Au moins une personne intelligente en cet endroit, mais je n'en ai jamais douté.


Et Wiston retire ses bandages, et si ce n'est un banal maquillage autour de la bouche et des yeux, il n'y a pas la moindre trace de brûlure sur son beau visage sévère. Il n'a plus besoin de tout ça. Les écrans s'allument un par un et montre les différents endroits que l'ordinateur peut contrôler.

Frank Fontaine exulte. Il a gagné. Et il voit même, quelque part, la bathysphère officielle, celle qui permet de rejoindre la surface sans mal, et qui n'est dirigée que par cet ordinateur.

Il a gagné. Cette lutte était inutile, mais si glorieuse. Il a réussi à tuer le maître de Rapture et à voler sa propriété, l'une des plus glorieuses réalisations humaines jamais réalisées. Il n'a plus à se cacher. Il a été plus fort, plus malin, plus patient. Il a l'impression d'avoir vaincu un dieu, et ça fait de lui un dieu.

Puis les écrans s'assombrissent, et trois mots apparaissent à la place.


Et au fond de l'eau, des lourdes explosions retentissent l'une après l'autre.



« Modifié: lundi 23 novembre 2015, 20:15:30 par Atlas »

Andrew Ryan

Humain(e)

Re : I chose Rapture

Réponse 7 vendredi 11 décembre 2015, 23:27:49

Augustus Sinclair
Sexe : M
Profession : Avocat / Gérant d'entreprise (3) / Courtier

Henry Ford appelait Sinclair « Mister Nice-Guy ». Sa réputation sulfureuse n'entravait en rien cette qualité qu'on lui donnait volontiers : Il était gentil, serviable, une agréable compagnie qu'on ne manquait pas d'inviter lors de toute sorte d'événement, pour se donner un peu de crédit... et il répondait bien souvent présent. En plus d'être plutôt avenant, il était tout à fait charmant : Il possédait ce magnétisme désuet, passé de mode mais toujours efficace. Il n'était pas rare de le voir dans son bureau, ayant enlevé la veste de son costume, avec des bretelles à la place de la classique ceinture, cigare au bec, branché sur la radio la plus ringarde de Rapture. Pourtant, Sinclair est clairement un fils de pute. Attiré par l'argent, manipulateur, insensible, insouciant, il a tous les défauts des nantis. D'une intelligence probablement supérieure à la moyenne, c'était un brillant juriste qui gagnait souvent. Il n'était pourtant pas le meilleur des avocats, mais il n'avait pas son pareil pour truquer les cartes à son avantage. Il avait vite compris que l'illégalité permettait de liquider vite fait un procès pour son profit. Il est propriétaire du Centre de Détention Perséphone, complexe pénitentiaire de taille industrielle.


Brigid Tenenbaum
Sexe : F
Profession : Généticienne, Chirurgienne, Généraliste

Née dans un quelconque pays slave d'une famille juive d'origine allemande, la jeune Brigid a traversé l'horreur des camps de concentration et d'extermination... sans la moindre égratignure. Assistante forcée lors des expérimentations nazies, elle s'est vite découvert une passion pour tout le travail effectué par les Hippocrates de la mort. Dépassant son rôle de porteuse de plateau, elle a vite commencé à s'impliquer avec brio dans les tests cruels que subissaient ses congénères. Pas encore majeure, elle était déjà froide et indifférente lorsqu'il fallait injecter du carburant dans les veines des prisonniers, ou leur arracher des bouts de muscles sans anesthésie. Elle se dirigea aussitôt vers des études dans ce domaine à la fin de la guerre, et devint l'une des généticiennes les plus brillantes du monde. Elle était néanmoins bridée par la morale scientifique en temps de paix, et tant mieux : Ayant découvert l'ampleur des crimes nazis, elle s'était promis de ne plus recommencer auprès des sujets vivants. Mais les recherches étaient beaucoup plus lentes sur les animaux, ou les cadavres. La proposition de Ryan de retrouver la liberté scientifique lui fit prendre conscience de son besoin de recommencer, « comme au bon vieux temps ». Avec ses nouvelles compétences, elle devint la plus importante chercheuse de Rapture, découvrant nombre d'avancées dont la surface n'entendra parler qu'une centaine d'année plus tard. Mais elle continue d'échouer inlassablement dans la seule tâche pour laquelle Ryan a mis tous ses espoirs en elle : Ressusciter les morts. Déçue de la tournure qu'a pris Rapture, elle s'est reconvertie comme chef-urgentiste de l'hôpital central de Rapture, puis ses propriétaires l'ont investi directrice.

Louis « Goldie » Newton /  Ludovik Kriegmann

Sexe : M
Profession : Économiste

Louis n'était pas destiné à quoique ce soit. On sait peu de chose sur ce descendant de juifs polonais immigrés aux États-Unis. Petit employé de bureau affecté aux archives dès ses 17 ans, il se retrouve par le fait du hasard à devoir déposer plusieurs plis importants à la bourse de New York. C'était comme une révélation : Les chiffres ont défilé, par centaines, sur un tableau aux nombreuses abréviations et aux virgules chaotiques, qui auraient sans doute noyé le profane. Mais Louis a cru voir les corrélations entre chacun d'eux, comme si ils étaient reliés par des milliers de fils invisibles formant une dense toile dont lui seul aurait le secret. Il demanda, candide, au trader qui prit les enveloppes de lui apprendre l'économie. Celui-ci lui rit au nez, signa le reçu, et lui dit simplement que dans le doute, il fallait miser sur les pertes.
Le minable larbin d'entreprise apprit des livres, paria en bourse, et gagna à tous les coups. Plus le temps avançait, plus il apprenait ; Il n'oubliait rien, devinait les liens secrets à chaque variation des flux.
Sans charisme et sans goût du risque, il ne pouvait que prétendre à engranger de l'argent dans son coin. Il fut néanmoins repéré par Ryan, qui lui demanda de créer les bases de l'économie de Rapture.

Frank F. Fontaine
Sexe : M
Profession : Chef d'entreprise (8)

Fontaine est d'abord un truand. Des cours de théâtre  à son adolescence lui donnèrent un réel talent pour la dissimulation. Après avoir quasiment racketé un homme sur une hypothèque truquée, s'arrogeant la possession de son bar sur les docks, il s'impliqua dans les paris sportifs, manipulant à loisir les résultats. La mafia le contacta pour utiliser son local comme garde-meuble pour les transactions transitant par le port, ce qu'il accepta sans problème : Il put ainsi apprendre sans trop de mal quels étaient les flux de marchandises, les acheteurs et vendeurs et les points de passage, et pu faire concurrence aux mobsters juste sous leur nez. Un marin dans son bar lui appris la mort de l'un de ses équipiers en haute mer, lors d'une construction titanesque dont il savait peu de choses. C'est ainsi qu'il découvrit l'existence future de Rapture, et se renseigna le plus possible dessus, jusqu'à le trouver. Il fallait fuir la terre, où il n'était plus en odeur de sainteté, et entra clandestinement dans la ville sous-marine pour se refaire une nouvelle réputation d'honnête businessman.
Mais il trafiquait des marchandises terrestres pour les importer dans la ville, et pouvait ainsi aisément manipuler les tarifs grâce à ses contacts avec l'économie externe. Il prospéra ainsi pendant des années, investit à foison dans les nouvelles technologies et pu blanchir son argent sale. Le Conseil de Rapture décida de le faire arrêter ; il fut tué en résistant aux forces de sécurité venues pour le mettre aux arrêts. Sa mort provoqua le premier procès impliquant le leader de la ville, Andrew Ryan, à la barre des accusés.

Oleg Ivanovich Kakarov
Sexe : M
Profession : Chirurgien thoracique, viscéral et cardio-vasculaire.

Le docteur Kakarov est une montagne de muscles et de dévotion à son travail. Travaillant à Léningrad puis à Moscou, il montra de brillantes capacités pour les opérations les plus difficiles grâce à un moral d'acier et une précision sans pareille. Peu intéressé par la politique, il ne voyait l'URSS ni en bien, ni en mal ; cependant, sa non-adhésion au parti, et son talent inné, lui attira les foudres de deux de ses supérieurs, qui le firent stagner pendant des années à un rang subalterne, loin de la gloire qu'il aurait pu désirer. Lorsqu'Andrew Ryan lui propose de devenir chirurgien principal de sa cité, il n'hésita pas une seconde. Taciturne mais bon camarade, il est devenu l'adjoint dans les recherches de Suchong.

Harald E. Askeladden
Sexe : M
Profession : Scientifique, pirate.

Harald était, des mots de ses professeurs, « l'un des trois esprits les plus brillants de cette planète ». Parlant déjà à 14 ans couramment anglais et russe en plus de sa langue natale, le norvégien, il s'exila grâce aux ressources parentales en Amérique où il put étudier la biologie et obtenir un diplôme pour devenir chercheur. Puis il fit la rencontre d'Andrew Ryan, d'une manière totalement impromptue, et son regard sur le monde changea. Il décida d'abord de tout quitter pour faire le tour de la planète sur un navire engagé dans la lutte contre la chasse à la baleine, puis s'offrit son propre navire et remit au goût du jour un métier oublié depuis longtemps dans les eaux atlantiques : La piraterie. Son rôle premier est désormais de défendre Rapture, mais sa flotte de rebelles parcourt les mers pour brutaliser les étatistes. Il se fait une fierté d'être sur la liste des FBI Most Wanted.


Williams
Sexe : M
Profession : Détective privé

Williams sait ce qu'est la vie. Grand brun (quoiqu'il grisonne), écumant les bars et les rues, ce détective privé a fait ses classes avec les plus grands, tels que Popman et Starr. Après avoir rapidement travaillé pour l'agence Pinkerton, il s'est établi à son propre compte où il a connu son heure de gloire, avant que le métier ne devienne presque obsolète. Il est à ce jour la seule personne à avoir sciemment découvert Rapture de son propre chef.

Sofia Lamb
Sexe : F
Profession : Psychologue

Le docteur Sofia Lamb fut publiquement discréditée après que son essai « Comportement de l'individu : L'esprit de groupe par l'initiative personnelle » ait été démonté par la critique. Il faut dire qu'elle y abordait des sujets délicats, comme la responsabilité pénale de l'enfant dès le plus jeune âge, la culpabilité de chaque allemand et même américain dans la montée du fascisme et la seconde guerre mondiale, la négation de la personne humaine inhérente à toute guerre et surtout la nécessité de réformer la pratique de la psychologie thérapeutique vers un volet plus agressif. Ryan, ayant lu son essai onze ans après, la rencontra pour lui proposer une place de choix à Rapture. Mais entre temps, la praticienne avait bien changé : D'un esprit farouche et glacial, elle refuse d'admettre d'avoir tort, mais après onze ans de mise au ban, elle est étrangement devenue collectiviste. Ryan ne s'est pas aperçu qu'il admettait une étatiste au sein de Rapture, et que celle-ci, haïssant désormais l'individualisme qui formait ses premiers idéaux, avait juré de détruire cette cité.

Cassidy Green

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Re : I chose Rapture [Validation réservée]

Réponse 8 samedi 12 décembre 2015, 11:53:08

Bienvenue ;D
Voici mon topic pour découvrir mes autres comptes. Veuillez aussi me contacter sous ce compte pour mes autres personnages, vu que je suis plus souvent connecter avec Cassidy Green qu'avec les autre ;D

Machin

Dieu

Re : I chose Rapture [Validation réservée]

Réponse 9 samedi 12 décembre 2015, 19:45:56

Bienvenu O_O
Les admins vont avoir du boulot xD


Hm ! Je me suis jamais intéresser à cette partie de l'histoire et mon joueur à pas lu donc je sais pas trop ce que ça dit mais quoiqu'il en soit je m'incline devant la taille de cette fiche ! 

Andrew Ryan

Humain(e)

Re : I chose Rapture [Validation réservée]

Réponse 10 samedi 12 décembre 2015, 20:36:10

Merci Cassidy.

Merci Lucifel, il y a beaucoup d'invention donc tu vas découvrir des choses.

Antares/Pleione Lilianstar

Terranide

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    Antares et Pleione sont les filles nekos du plus grand magnat de l'énergie terranide. Elles sont lesbiennes et amantes secrètes. Elles voyagent à travers l'univers pour se trouver des partenaires.

Re : I chose Rapture [Validation réservée]

Réponse 11 samedi 12 décembre 2015, 23:41:21

C'est la plus longue fiche que j'ai jamais lue.

Respect et bienvenue ;D

Venez découvrir mes DC sur ce topic

Canillia Mc’Winth

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    Description
    Kiuubitsune, et Tekhanne par adoption.
    
    Manie parfaitement la magie de modification corporelle (peut être comparer à du polymorphisme, mais à plus base échelle), mais qui ne dure que 2 jours maximum, et la magie mémorielle, qui ne permet, de manière déffinitive cette fois, d'effacer certains souvenirs chez d'autres personnes, sauf elle même.

Re : I chose Rapture [Validation réservée]

Réponse 12 dimanche 13 décembre 2015, 00:24:52

Etant fan de Bioshock, et malgré la longueur MON-NU-MEN-TALE de la fiche, je l'ai lu de bout en bout. Et franchement, même si y a beaucoup d'invention, j'ai adoré. ^^

J'me demande ce que va faire Ryan, maintenant que son rêve a disparu... :/

Bref, bienvenue !!! ^^

Merci à Tryzox pour le kit. ^^

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Andrew Ryan

Humain(e)

Re : I chose Rapture [Validation réservée]

Réponse 13 dimanche 13 décembre 2015, 00:44:37

Merci beaucoup tous les deux.

Le fait que certains parviennent à lire ma fiche c'est déjà un immense compliment en soi, si vous aimez c'est encore mieux, et si vous êtes fans de Bioshock au départ alors là...

Il me reste encore beaucoup de choses à raconter de Ryan, de son passé notamment mais bien sûr de son avenir.

(La fiche n'est d'ailleurs pas complète, il me manque des tas d'additions et de petits bonus HS à rajouter dans le dernier post :3)

Canillia Mc’Winth

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Re : I chose Rapture [Validation réservée]

Réponse 14 dimanche 13 décembre 2015, 01:08:27

Oh bah j'ai hâte de lire la suite, alors. ;)

Si j'ai bien compris ce que j'ai déjà lu, Ryan est bien plus vieux qu'il n'y parait, non ?

Merci à Tryzox pour le kit. ^^

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