The Secret World [PV]

Il semblait que Kaori soit trop peu habituée à ce genre de choses. En temps normal, Ayumi l’aurait bien plus ménagé, et n’aurait pas fait toutes ces choses. Mais cette nuit, rien n’était normal … Plus rien. Et, en soi, qu’est-ce qui avait bien pu causer cela ? Le rêve qu’elles venaient de faire toutes les deux ? C’était presque cela … Et Ayumi le comprit quand son regard, choqué, se baissa vers le lit au moment où sa sœur la fuit. Que venait-elle de faire ? De la décevoir, de la choquer … De lui montrer un visage qui n’était pas le sien. Car oui, ce n’était pas son visage. Ayumi n’était pas comme ça. Si une telle chose venait à arriver entre les deux sœurs, l’ainée serait bien plus douce, aimante … Mais pas comme ça ! Qu’est-ce qui lui était arrivé ? Sans voix, cet épisode finit par se conclure d’une drôle de façon.

Un flash blanc, puis, plus rien. Plus rien, si ce n’était une chaleur, douce. Sa vision revint petit à petit. Ayumi était aveuglée par une grande lumière environnante, aux tons chauds. Son esprit émergea à son tour la faisant lentement redresser l’échine. Ayumi se prit le visage entre ses mains, revoyant ces images troublantes qu’elle venait de subir. Mais que s’était-il passé ? Se secouant la tête, elle tenta de chasser toutes ces mauvaises images. La réalité revint dès lors quand son esprit reprit un peu de poids, et lui dit alors que tout ceci ne fut qu’un mauvais rêve. Dans quel monde Ayumi aurait-il osé faire une telle chose à Kaori ? Troublant, très troublant rêve, qui ne lui faisait guère plaisir. Elle grimaça, se demandant comment elle pouvait rêver de telles choses sur sa sœur … Il était vrai qu’elles étaient très proches, pour des sœurs, et qu’outre la fin … Le reste du rêve était, contre tout, agréable.

Mais jamais n’oserait-elle toucher ainsi à Kaori ! C’était … Beaucoup trop soudain, trop bizarre pour le moment. Soupirant, elle regarda l’heure puis s’aperçut qu’il était encore trop tôt pour se lever. Les deux sœurs avaient des examens aujourd’hui, et c’était peut-être le stress qui avait causé un tel rêve. Elle s’essuya une dernière fois le visage, puis entreprit de se recoucher, même si elle devait se lever dans moins d’une heure. Il faisait froid, ce fut pour cette raison qu’elle s’emmitoufla à nouveau dans sa couette, qu’elle partageait avec Kaori. Et, demandant encore plus de chaleur, elle ne put résister à l’envie de se blottir toute contre sa chère petite sœur, qu’elle adorait faire des câlins. Toute occasion était bonne à saisir, après tout !

Ayumi se colla contre elle, dans son dos, et passa son bras par-dessus le sien. Ses jambes se blottirent aussi contre les siennes, alors que ses petits pieds vinrent câliner les siens. Ainsi, toute collée contre Kaori, un sourire s’imprima sur ses lèvres. Lèvres qu’elle ne put empêcher de venir déposer un doux baiser sur l’épaule partiellement dénudée de Kaori. On pouvait se demander pourquoi Ayumi adorait tant se blottir contre sa sœur … Le froid, principalement. Mais aussi qu’elle avait un trop-plein d’affection pour elle, et que la câliner, ça n’avait pas de prix ! Ses yeux se refermèrent petit à petit sombrant à nouveau dans le sommeil, juste avant de murmurer quelque chose à l’oreille de Kaori, qui devait surement dormir. « Je t’aime trop Kaori … » Murmura-t-elle, avant de fermer ses yeux, profitant de la chaleur de sa sœur.

Main dans la sienne, jambes et pieds entremêlés, Kaori et Ayumi avaient une réelle posture d’un parfait petit couple, heureux, mais … Elles n’étaient pas un couple. Du moins, pas comme on l’entendait.

« Hmmmm… »

Kaori cligna lentement des yeux en sentant le corps d’Ayumi contre le sien. Elle soupira silencieusement, et se tortilla dans le lit, se déplaçant lentement, et vit le visage d’Ayumi, tout proche du sien. De la lumière filait délicatement depuis la porte entrouverte, à partir de la fenêtre du couloir. Les volets de la chambre, toutefois, restaient encore fermés, et la femme cligna des yeux, en revenant lentement à elle.

« A… Ayumi… »

La jeune femme soupira lentement, et ne put étouffer un bâillement, en étirant ses jambes et ses bras, venant glisser ses deux mains sous les coussins du lit. Elle cligna ensuite des yeux en la regardant, la tête bien calée, avec son pyjama court, légèrement relevé, dévoilant ainsi son nombril. Ses cheveux bruns filaient dans tous les sens, autour de sa tête, et elle soupira légèrement, avant de cligner les yeux.

« Je… J’ai fait un rêve vraiment bizarre, et je… »

Était-ce vraiment un rêve ? Ou non ? Impossible à dire, Kaori se pinça les lèvres. Elle se rappelait… D’une séance de sexe entre les deux femmes, puis elle se retrouvant dans les toilettes, et ensuite… Ensuite ? Rien ! Est-ce que c’était un rêve ? Ou pas ? Difficile à dire… Ça avait semblé si réel… La jeune femme cligna les yeux à plusieurs reprises, et sa main remonta pour caresser l’une des joues d’Ayumi… Et, alors qu’elle se mordillait les lèvres, Kaori alla l’embrasser, tendrement, et brièvement.

Puis elle lui fit un grand sourire.

« On… On a fait l’amour, hein ? Je m’en souviens… Mais… C’est vraiment bizarre… J’ai l’impression de… Euh… »

Fronçant les sourcils, elle chercha des mots à dire, puis lâcha finalement ce qu’elle disait :

« …Rêver d’un souvenir. »

Le réveil de Kaori était toujours un moment qu’appréciait Ayumi. La voir s’éveiller, ouvrir ses yeux sous la lumière naissante du jour était un spectacle qui n’avait pas de prix. Elle était si belle, si radieuse même à ce moment-là … En vérité, à tout moment Ayumi la trouvait belle. C’était sa sœur, comment faire autrement. Ainsi, elle ne put que lui sourire quand celle-ci ouvrit les yeux en lui faisant face, après s’être doucement tortillée contre elle pour se retourner. Ces moments où elles étaient rien que toutes les deux, au réveil, l’une blottie contre l’autre … C’étaient les meilleurs moments dans la vie d’Ayumi. C’était si agréable, si apaisant de sentir sa sœur toute contre elle … Pour rien au monde elle ne voulait changer ça. Etudes, pas études, mariage ou non ! Aussi longtemps qu’elle le pouvait, elle désirait partager son lit avec Kaori, et par extension, n’avoir qu’elle dans sa vie. Elle s’en contenterait ! C’était tout ce qui faisait son bonheur.

Néanmoins, Kaori déclara quelque chose d’étonnant. Apparemment, elle venait de faire le même rêve qu’elle ! Ce genre de phénomène n’étaient pas inconnus aux deux sœurs, qui partageaient souvent leurs rêves, aussi étrange que cela était. Et visiblement Kaori avait rêvé de ça, de cette nuit. Ayumi aurait trouvé ce rêve tellement beau, s’il n’avait pas terminé sur cette touche d’étrangeté. Mais apparemment cela n’entacha pas le sourire de Kaori, qui vint alors caresser la joue de sa sœur, avant de doucement venir l’embrasser. Un baiser de bon matin, sans raison apparente. Ayumi ne pouvait plus se mentir à elle-même, et encore moins à Kaori. Si même en étant sa propre sœur elle en venait à adorer ses baisers, à se sentir toute chose et ressentir un tel bien-être face à cela … C’était qu’elle était tout simplement amoureuse de Kaori.

Si elles ne se l’avouaient pas, c’était par peur, par pudeur, par convenance … Mais au fond, elles le savaient. Ayumi savoura pleinement le petit cadeau de sa sœur, goutant doucement à ses douces lèvres, dont le gout ne cesserait jamais de la ravir. Leur étreinte prit fin, et un sourire heureux orna les lèvres d’Ayumi, qui baissa un moment les yeux face à ce que dit Kaori. La réalité était que, elles n’avaient pas fait l’amour réellement. Tout ceci n’avait été qu’un rêve. La veille, quand elles s’étaient embrassées pour le plaisir, pour la première fois dans leur vie, elles s’étaient endormies. Et c’est là que le rêve les a rattrapés, leur donnant une suite onirique à leur câlin. Ayumi sourit à son tour, et se mit à lentement jouer avec une des mèches de Kaori. « Hélas non … Ce n’était qu’un rêve. Moi aussi j’ai cette étrange impression et, je … Je … » Balbutia-t-elle, hésitant à dire ce qu’elle avait sur le cœur.

Ce rêve avait été si agréable, si doux, qu’elle désirait en faire une réalité. Oui, de bon matin ! Sauf qu’elle ferait tout pour ne pas arriver à la même fin … Ce n’était pas vraiment elle, en fait, durant ce rêve. Pas ses pratiques, en tout cas. « Kaori, je … J’aimerai qu’on en fasse une réalité. Je ne sais pas si … Tu es partante … Ni si c’est réellement bien … Mais c’est ce que je ressens au fond de moi, et je ne peux plus le garder ainsi. » Déclara-t-elle, en passant lentement sa main sur sa joue, la caressant du bout des doigts. « Je t’aime Kaori et … Aimerai-tu qu’on … Concrètise le rêve de cette nuit ? » Lui demanda-t-elle, sa voix hésitante trahissant de sa grande appréhension. Elle savait Kaori et sensible et susceptible, alors lui demander de faire l’amour, maintenant, alors qu’elles n’avaient fait que s’embrasser jusqu’à présent … C’était un pari risqué. Mais visiblement, le rêve de cette nuit lui donnait le sourire, et Ayumi espérait donc qu’elle serait d’humeur pour, enfin, concrétiser leur amour … Qu’elle ne pouvait plus lui cacher.

Un rêve, vraiment ? Kaori était tentée de le penser aussi... Mais elle était convaincue que non, que ça n’avait pas été qu’un simple rêve. Il y avait... Il y avait autre chose derrière, à commencer par le fait que, si c’était un rêve, les deux femmes auraient fait exactement le même, ce qui était impossible. Et les sensations que Kaori ressentait, et celles qu’elle avait ressentie cette nuit... Non, un rêve ne pouvait les simuler. Elle était perturbée, troublée, et vit Ayumi lui dire qu’elle voulait faire de ce « rêve# une réalité. Kaori se mordilla les lèvres en rougissant, et la regarda silencieusement, en clignant des yeux :

« Je... Euh... Je ne sais pas, Ayumi, c’est... Tout ça est si bizarre... »

Elle ne se souvenait pas d’avoir une Ayumi aussi entreprenante, et là... Elle semblait prête à vouloir lui faire l’amour, mais Kaori, elle, n’y était pas. Elle posa donc  ses mains sur les épaules d’Ayumi, et la repoussa doucement.

« Je... Ce n’est pas que je veux pas, Ayumi, mais... Tout ça, c’est trop bizarre... »

La pauvre sœur était déboussolée, et se redressa donc, s’extirpant du lit. Elle avait besoin de marcher, et elle sortit donc de la chambre. La jeune femme trottina dans le couloir de la maison, en pyjama, après avoir enfilé ses pantoufles, et rejoignit la cuisine, où elle ouvrit le frigo. Elle attrapa du jus d’orange, et s’en servit un verre, avant de préparer, ensuite, les petites tranches de pain dans le grille-pains. Elle soupira ensuite.

Ils avaient une cuisine américaine, avec un bar, et, dessus, il y avait le petit mot de leur père, leur disant qu’il pensait très fort à elles, et qu’il reviendrait le plus vite possible. Tenant son verre à la main, Kaori se rapprocha ensuite du coin à manger, et ouvrit  le rideau de la terrasse. Elle ouvrit ensuite la porte, et avança sur la terrasse, qui donnait directement sur une petite forêt. La maison se situait à l’extrémité de la ville de Seikusu, le long de la forêt, ce qui offrait de magnifiques vues le matin.

Mais l’esprit de Kaori continuait à se troubler, en repensant à tout ce qu’elle avait fait avec Ayumi cette nuit.

*Ce n’était pas un rêve... J’en suis sûre, ce n’était pas un rêve.*

Quelqu’un avait effacé leurs souvenirs, et elle ferma les yeux, en se concentrant fort... Et se rappela d’être dans les toilettes, perturbée, confuse... Mais, ensuite ? Ensuite, elle se réveillait dans le lit, avec... Et bien, il y avait toujours un trou quand on dormait.  Kaori n’avait jamais réussi à se rappeler les derniers moments précédant le sommeil, même en se forçant. Elle dormait, et, quand elle se réveillait, elle n’avait que quelques souvenirs diffus. Mais là, là... Là, c’était différent. Et, sans pouvoir se l’expliquer, plus elle y repensait, plus elle pensait à... À sa mère.

*Mais qu’est-ce qu’elle vient faire là-dedans ?*

Cette histoire n’avait aucun sens, et Kaori en était... Toute troublée.

Le grille-pains sonna alors, annonçant que le pain était prêt, et Kaori alla les récupérer, puis commença à les tartiner...

...L’esprit plein de confusion !

Conne ! Mais quelle conne faisait-elle, en lui ayant dit une chose pareille. Kaori s’extirpa du lit sans demander son reste, expliquant simplement que tout ceci était trop bizarre. Inutile de dire que Ayumi se sentait mal, très mal. D’une part car elle venait de se prendre un râteau, mais aussi et surtout, car l’après-coup était douloureux. Mais qu’est-ce qui lui avait pris de lui proposer une chose aussi indécente ? Bon sang, elle était sa sœur ! Comment pouvait-elle imaginer des choses aussi … Sales ! Elle s’essuya le visage, soupirant son désespoir. (Quelle conne que tu es décidément ! Pourquoi tu lui as dit un truc pareil …) Pensa-t-elle, s’auto-punissant de cet échec. Elle prit son oreiller et se le colla sur son visage, comme pour bouder à tout le monde.

La confusion devait être maximale pour Kaori, ça Ayumi le comprenait bien. Mais elle parvenait à mieux accepter cette situation que sa sœur, visiblement. Ou bien était-ce parcequ’elle était tout simplement plus perverse. Elle ne savait pas, et la seule chose qu’elle avait envie de faire, à ce moment-là, c’était de tout oublier. Cette nuit, ce rêve, ce réveil, tout ! Elle aurait bien voulu que rien de tout cela n’arrive. Soupirant à nouveau, elle finit par décider à sauter de son lit, pour rejoindre sa petite sœur en bas, dans le salon. Ou plutôt dans le coin cuisine, vu que la maison était équipée d’une cuisine américaine.

Là, elle aperçut sa sœur, en train de se faire des tartines. Elle ne l’avait pas attendu pour déjeuner … Alors que d’ordinaire, elles faisaient tout pour partager ce moment ensemble. Signe que Ayumi avait bel et bien tout foiré. Muette, honteuse, elle s’approcha comme si de rien n’était du frigo et prit alors le soin de se servir du jus d’orange, qui lui rafraîchit d’ailleurs bien la gorge. Pas un mot circulait à ce moment-là, et les deux sœurs finirent par se retrouver face à face. Ayumi se fit aussi quelques tartines, calmant ainsi sa faim petit à petit. Mais vint un moment où le silence ne pouvait régner plus longtemps, et où Ayumi avait besoin de s’excuser. « Ecoutes Kaori je … Je suis désolée. Je sais que tu dois être trèèèès confuse, comme je le suis. Et ben … Je ne sais pas ce qui m’a pris. Ce rêve, tous ces rêves même, c’est trop étrange. Je ne voulais pas t’en rajouter, sincèrement et … Je suis encore désolée. » Dit-elle, les joues rouges de honte.

Elle le pensait réellement. C’était insensé de vouloir coucher avec Kaori ! Elle était sa sœur, et c’était … Immoral. Tout simplement. Elle ne savait pas qu’elle mouche l’avait piqué pour qu’elle fasse un rêve comme cela, ou pour qu’elle lui fasse une telle proposition. Elle soupira et baissa les yeux, la honte et la gêne la gagnant complètement. Elle aurait tant voulu que tout ceci ne soit qu’un mauvais rêve, mais cette fois-ci, c’était bel et bien la réalité.

Il fallait bien garder à l’esprit que Kaori restait encore plus jeune qu’Ayumi, et qu’elle n’avait donc pas acquis la dose de perversion naturelle que tout élève, tôt ou tard, finissait par apprendre à Mishima. Ayumi finit par arriver dans la cuisine, et un silence gêné et pesant s’installa entre les deux sœurs, Kaori n’osant pas trop la regarder. Ayumi finit malgré tout par le rendre, en s’avouant désolée, et Kaori se mordilla les lèvres, avant de se retourner pour la regarder, gênée, les joues rouges.

« Non, tu... »

Kaori soupira en fermant les yeux, et se mordilla les lèvres, puis détourna la tête, avant de la regarder à nouveau.

« C’est... C’est moi, Ayumi, je... J’ai besoin d’un peu de temps pour... Pour me faire à tout ça... »

Elle était plus jeune qu’elle, ce qu’il ne fallait pas oublier, et, en l’occurrence, c’était cette jeunesse qui faisait défaut à l’appréciation de ce moment... Ça, en plus de leur rêve étrange. La jeune femme se pinça donc les lèvres, avant de relever lentement la tête, et de poursuivre ses explications :

« Je... J’adore tes baisers, Ayumi, ce... Ce n’est pas la question, mais... J’ai besoin d’un peu de temps pour... Pour assimiler tout ça... Et puis... Et puis, il y a l’histoire de ces rêves en commun qu’il faut expliquer. Je... C’est pas normal qu’on fasse les mêmes rêves ! »

Et, en ajoutant à ça sa sœur qui passait son temps à tenter de lui sauter dessus, on pouvait comprendre qu’elle soit déboussolée. Elle se fit donc ses tartines, nerveusement, en se déplaçant un peu, la démarche un peu raide, mal assurée, trahissant sa nervosité du moment.

« Il faut qu’on mette les choses au clair avant de continuer, Ayumi, mais... »

Kaori baissa les yeux, avant de lui faire un petit sourire légèrement gêné, et d'avouer :

« J’ai adoré ton baiser... »

Ayumi constatait bien la nervosité de sa sœur, et ne pouvait qu’en être désolée. Mais elle avait aussi l’impression qu’elle ne faisait que lui en rajouter avec ses … Avances. À la base il n’était guère dans les intentions de la jeune fille de la saouler avec ça, ou de lui donner l’impression qu’elle était là aux aguets. Néanmoins, elle sentait que c’était le cas, et ça, c’était tout simplement inadmissible. Ayumi se sentait tellement mal vis-à-vis de cela, et dans son esprit, la meilleure solution était de tout simplement oublier ça. Oublier et changer, ne plus tenter quoique ce soit envers sa sœur, pour la laisser tranquille de ce côté-là. Peut-être qu’en fin de compte elle avait raison, ce n’était pas normal. Bien sûr que ce n’était pas normal, mais jusqu’à présent, Ayumi avait tout fait pour en faire abstraction, se laissant porter uniquement par ce qu’elle ressentait envers sa grande sœur.

Elle soupira et regarda sa sœur lui expliquant qu’elle avait besoin de temps. Temps pour comprendre ces rêves en communs, pour se mettre les idées au clair, etc. Ayumi hocha doucement de la tête, ne pouvant qu’être d’accord avec cela. Ayumi ne cherchait plus à comprendre pourquoi faisait-elle des rêves en commun avec sa sœur ; c’était comme ça, point barre. Certes l’envie de découvrir les raisons était là mais … Pourquoi comprendre une telle chose ? En réalité ce n’était pas qu’elle n’avait plus envie, mais plus que, inconsciemment, elle avait peur. Qu’est-ce que cela cachait, tous ces rêves. Silencieuse, le regard d’Ayumi se perdit sur ses tartines qu’elle beurrait, tout en écoutant sa tendre sœur, qui conclut en lui disant qu’elle avait tout de même adoré son baiser.

« C’est gentil Kaori, t’es un amour … Mais je ne veux que tu me vois comme celle qui ne pense qu’à forcer les choses de ce côté-là. Je pense que tu as raison, et qu’il vaudrait mieux se pencher sur nos rêves en commun avant toute chose. Ce n’est pas normal, mais ça fait depuis qu’on est gamine qu’on fait des rêves comme ça. Moi, je m’y suis habituée, même si je trouve ça toujours aussi bizarre. » Déclara-t-elle, en croquant dans sa tartine briochée. « Ça doit forcément vouloir dire quelque chose. Y’a rien qui se fait au hasard moi je dis ! » Ajouta-t-elle. La petite douche froide de ce rêve, et de ce matin avait eu au moins pour bon effet de remettre les idées en place chez Ayumi, et de lui faire retrouver le sens des priorités.

« Mais tu seras d’accord avec moi sur le fait qu’il vaudrait mieux réussir nos exams avant de se lancer dans nos recherches … Je te rappel que ça commence dès ce matin ! » Dit-elle finalement, en avalant d’une traite son verre de jus d’orange. Effectivement, elles avaient des examens aujourd’hui, et ce pour les trois prochains jours. C’étaient les examens terminaux, ceux qui allaient déterminer si elles pouvaient, ou non, passer à l’enseignement supérieure. Il valait mieux se concentrer là-dessus qu’ailleurs, il en allait de leur avenir. Le petit-déjeuner se poursuivit mais ne dura pas longtemps, car le temps pressait. Finalement, Ayumi débarrassa pour sa sœur, et quand tout fut remis en place, elle lui sourit puis lui donna un petit bisou sur le haut de son front, dans sa belle chevelure. « On a … Maths et chimie aujourd’hui, c’est ça ? » Lui demanda-t-elle, ne se souvenant plus vraiment sur quelles matières allaient porter les examens d’aujourd’hui.

C’était... Troublant. Sincèrement. Kaori avait adoré le baiser d’Ayumi, mais... Tout ça, ça faisait juste... Trop pour elle. Cette relation compliquée avec sa sœur, leurs rêves en commun, et les épreuves qui approchaient. Père avait promis de revenir le plus vite possible pour les aider, car il savait que c’était un moment très important dans leur vie. Tout lycéen angoissait énormément à l’idée d’affronter les concours universitaires à la fin du lycée. Ils étaient la consécration de tout le système extrêmement compétitif japonais, où on en finissait pas par une épreuve nationale, mais par des concours universitaires. C’était quelque chose d’extrêmement sélectif, et, partant de là, de très difficile.

Kaori préféra donc revenir sur leurs rêves.

« Je m’étais jamais posée la question, Ayumi, mais... C’est pas normal qu’on fasse exactement les mêmes rêves. Ce n’est pas seulement une ou deux fois... C’est pas normal, c’est pas ça, un rêve ! »

Kaori s’était beaucoup renseignée sur les rêves. La théorie la plus communément admise, depuis l’essor de la psychanalyse, était que le rêve était un message émanant de l’inconscient, et qui cristallisait un désir. Dès lors, leur rêve signifiait leur désir de retrouver leur mère... Mais, pour Kaori, ça ne tenait pas, car, si on suivait cette logique, elles ne devraient pas rêver des mêmes éléments. Or, à chaque fois, le rêve qu’elles faisaient était toujours le même. Le plus troublant, en l’état, c’est que les rôles s’étaient inversées. Généralement, en effet, c’était Ayumi qui disait à Kaori que ce rêve signifiait quelque chose, et elle qui rétorquait par une réponse réaliste, scientifique, alors même qu’elle savait pertinemment que ce n’était pas normal.

Comme quoi, il fallait croire que le baiser avorté et les tentatives de séduction d’Ayumi avaient eu quelques effets sur Kaori.

« Mais oui... On s’occupe de nos examens, puis on mettra un terme à ces rêves. Je ne sais pas ce que cela signifie, mais... Ça ne peut plus continuer ainsi. »

Kaori se refusait cependant à dire ce qu’elle pensait... Que le seul moyen de résoudre ce problème, ce serait d’aller là où leur mère était partie.

Mais, d’abord, les examens.

Ensuite... Kaori aviserait.

Les examens d’abord. Ces épreuves étaient en réalité des concours universitaires, extrêmement durs et compliqués à mener. Seuls les meilleurs y parvenaient, d’où la rudesse du système éducatif Japonais. D’un autre côté, celles et ceux qui passaient étaient donc les meilleurs, et cela garantissait donc un niveau minimum des plus adéquat. Ayumi était toute stressée à l’idée de commencer ces épreuves aujourd’hui et, en toute honnêteté, n’avait pas envie de se soucier de l’étrangeté de ses rêves communs avec sa sœur, pour le moment. Ce n’étaient pas ses rêves qui allaient la faire entrer à l’université ! Et Kaori devait bien le comprendre aussi. Certes il devenait important de comprendre à quoi c’était dû, mais … Pas maintenant. Et cela inquiéta Ayumi de voir sa sœur se préoccuper autant de ces rêves, au lieu de penser à ses examens.

Face à ce que déclara sa sœur, Ayumi ne dit rien, mais n’en pensa pas moins. (C’est quoi alors ? Si ce n’est pas un rêve, c’est une vision ? Une prophétie tant qu’on y est ? C’est insensé Kaori … Le surnaturel, ça N’EXISTE PAS !) Pensa-t-elle, sans grimacer et sans donner le moindre détail sur le fait qu’elle pensait cela. Elle se contenta de hocher de la tête, puis lui sourit quand elle sembla enfin revenir à la raison, et affirmer qu’il fallait s’occuper des examens. Ayumi ne pouvait qu’être d’accord, et après un petit moment, parti donc se préparer. Les deux sœurs avaient pour habitude de faire leur toilette et leurs rituels quotidiens au même temps, squattant ainsi la salle d’eau à deux. Même cela, elles le faisaient à deux … Alors dormir ensemble dans le même lit, cela n’avait plus quelque chose d’étonnant. Elles finirent donc par se préparer et purent ainsi se mettre en route vers leur lycée. Ces examens s’annonçaient très lourds et très durs …

- - -

Il était 15h30, et les deux sœurs rentraient donc chez elle. Il n’y avait eu effectivement que deux épreuves la journée. Longues certes, mais comme il n’y en avait que deux, Ayumi et Kaori purent ainsi rentrer assez tôt. Une fois rentrées, Ayumi jeta son sac et déchaussa ses chaussures, venant se lancer sur le canapé en soupirant grandement. « Ouah, c’était costaud ma parole ! On a bien fait de revoir notre algèbre la veille ; j’aurai eu un petit blocage sur cette récurrence structurelle sinon … » Déclara-t-elle en souriant nerveusement, en s’essuyant le visage entre ses mains. Elle s’était donc affalée sur le canapé, à moitié allongée. Pour dire ; les examens avaient effectivement été très lourds et conséquents. Et encore, ce n’était que le début !

La journée était loin d’être terminée, en plus. Loin d’être fatiguée, Ayumi avait bien envie … D’une grosse tartine de pâte à tartiner ! Oh oui, un casse-croute comme cela pour lui redonner un peu des couleurs. Elle savait toutefois que sa sœur n’étaient aussi hautes en couleurs qu’elle, visiblement encore et toujours troublée par leurs rêves communs, malgré ses examens. Elle lui sourit donc, puis lui proposa quelque chose. « On se prend un bon casse-croute, et que dirai-tu après qu’on se colle à nos recherches ? » Lui dit-elle avec un petit sourire.

Kaori pensait ne pas réussir à se concentrer pour les examens. Elle avait tout simplement trop de choses en tête qui venaient la tracasser. Sa mère, ces étranges rêves, et sa relation avec Ayumi. Elle lui avait dit qu’elle n’était plus vierge, qu’elle avait déjà fait l’amour, et elle avait tenté de lui faire l’amour hier soir. Et ça, Kaori avait beau se forcer à se dire de ne plus y repenser, son esprit, comme figé, bloqué sure cette case, ne cessait de revenir dessus. Elle ne cessait de revenir à ce moment où les deux femmes s’étaient embrassées. Est-ce qu’elle regrettait de l’avoir poussé ? Est-ce que, dans un coin de son esprit, elle se disait qu’elles auraient dû continuer, et que Kaori avait, sous couvert d’une gêne, juste laissé parler ses peurs enfantines ?

Bien sûr ! Elle ne reprochait rien à Ayumi, mais à elle-même. Elle avait adoré chacun des baisers d’Ayumi, mais, quand cette dernière avait commencé à parler de sodomie, et à envisager d’explorer ses fesses, là… Là, Kaori avait craqué. Avec le recul, elle estimait qu’elle avait flippé, car ça avait fait trop pour elle. Et elle, elle était sûre de ne pas avoir rêvé ce moment, ce qui soulevait une autre question, qu’elle reliait à leur vision commune. Que s’était-il passé, ensuite, cette nuit ? Comment avait-elle fait pour se retrouver des toilettes au lit, sans aucun souvenir entre ces deux évènements ? Certes, certes, Kaori savait que, quand on dormait, on ne se souvenait pas des derniers instants précédant le sommeil. On pouvait essayer, Kaori l’avait souvent fait… Tenter de se rappeler, précisément, du moment où le corps sombrait dans l’inconscience… Mais c’était impossible. On avait beau triturer la chose dans tous les sens, on se souvenait tout juste du moment où on allait dans le lit, ou des multiples mouvements où on tourne dans tous les sens quand le sommeil, taquin, se refuse à venir, mais, quand ce dernier vient, la mémoire s’en va.

C’était visiblement quelque chose de similaire qui était arrivée aux deux filles, mais… Kaori ne pensait quand même pas s’être endormie sur le pot des toilettes, si ? En tout cas, elle était alors bien trop perturbée pour, à son sens, être victime de sommeil instantané… C’est donc qu’il y avait quelque chose de pas net, et, de manière très étonnante, cette nuit improbable avait réveillé, chez elle, son envie de comprendre toutes ces phases d’ombre. Autrement dit, les rôles, entre les deux sœurs, s’étaient inversés.

Et, pour l’heure, les examens…

L’examen n’avait pas lieu au lycée Mishima, mais dans un bâtiment proche : un amphithéâtre de l’université de Seikusu, ladite université étant située dans la même zone que le lycée, sur une sorte de grands campus scolaire à l’américaine. Les places étaient déjà attribuées, mais, comme c’était par ordre alphabétique, Kaori et Ayumi se retrouvèrent ensemble. Deux épreuves aujourd’hui.

Le système des épreuves était très compliqué au Japon. Ce qu’il fallait en retenir, c’est qu’il était difficile, et surtout très anxiogène. Kaori n’avait qu’à tourner la tête pour voir la nervosité, palpable. C’était le jour fatidique, un jour qui, pour certains, était préparé dès l’âge de six ans. Il existait, en effet, des écoles spécialisées, conçues uniquement dans le but de cet examen, qui entraînaient les enfants de 6 à 15 ans. C’était une préparation supplémentaire aux cours obligatoires, rallongeant les journées. Kaori sentit donc très vite toutes les autres questions disparaître au profit de la nervosité de l’élève qui était en train de risquer sa vie.

Chaque université proposait son propre concours, mais il y avait aussi, parallèlement, un concours public, destiné aux universités japonaises publiques, le « Daigaku Nyūshi Sentā Shiken », que Koari et Ayumi étaient, de fait, en train de passer. Les étudiants se rassuraient en se disant que ces épreuves avaient baissé de difficulté, car, du fait du faible taux de natalité japonais, les universités étaient face à un gros problème : un manque d’élèves, et donc, par conséquent, un budget réduit. Or, à moins d’espérer une nouvelle génération de baby boomers au Japon, ce qui était fort peu probable, vu le taux de morosité et une croissance qui frôlait la déflation, le meilleur moyen restait encore de diminuer la difficulté des épreuves, et d’accepter plus d’élèves.

Cinq épreuves composaient la journée : l’épreuve de citoyenneté (100 points par chaque sous-matière), se subdivisant en quatre sous-épreuves pour une durée d’une heure, l’épreuve de géographie et d’Histoire (100 points par chaque sous-matière), pour une durée d’une heure également, l’épreuve de littérature japonaise (200 points, 80 minutes), puis, dans l’après-midi, la compréhension écrite des langues étrangères (200 points, 80 minutes), et la compréhension orale (50 points, 30 minutes). Le gros morceau avait donc lieu le matin.

Les examens débutèrent, et, comme à chaque fois que Kaori réfléchissait, on pouvait la voir sucer, entre ses lèvres, le bout de son crayon, un geste qui, à en croire Ayumi, ne manquait pas d’une certaine sensualité. Concentrée, elle se plongea dans l’épreuve de citoyenneté, puis aborda ensuite le reste des épreuves.

La journée qui défila fut donc très studieuse, même pendant la pause, et ce ne fut qu’une fois à la maison que Kaori se mit à soupirer.

Ayumi lui proposa ensuite, non pas de faire d’ultimes révisions, mais de retourner à leur recherche.

« Oh, euh… Oui, ça me semble une bonne idée !

Il fallait qu’elle pense à autre chose que les examens, et repenser au mystère de la disparition maternelle semblait être une bonne façon de le faire. Se déplaçant donc, Kaori commença par retourner dans leur chambre, et alla saisir, dissimulé dans leur placard, un gros classeur, qui comprenait l’enquête personnelle des deux filles sur la disparition de leur mère. Si la police avait dû, depuis longtemps, oublié cette histoire, Kaori, elle, n’avait jamais lâché prise, et avait constitué, avec Ayumi, un solide dossier autour de sa mère, de son passé, lui cherchant des ennemis, ou se renseignant sur ce parc. Revues de presse, blogs, ce classeur était une compilation d’années de recherche, mais sans aucune conclusion… Car il n’y en avait aucune à fournir.

Kaori retourna dans la salle à manger, et posa le classeur au milieu de la table… Puis son portable sonna.

« Oh ! C’est Papa ! »

Elle mit le haut-parleur, et prit l’appel.

« Salut, Papa !
 -  Salut, mes chéries ! Alors, ces examens ? J’ai pensé à vous toute la journée, j’ai même prié devant un kami ! »

Il n’y avait que lui pour honorer cette vieille tradition superstitieuse…

Ayumi était contente de voir que Kaori n’avait pas démordu de son envie d’élucider ce mystère. À vrai dire, elle aussi avait hâte de lever le voile sur la disparition de leur mère. C’était quand même un vrai manque dans leur vie. Jamais n’avaient-elles eut de réponse plausible quant à cette affaire. Même leur père semblait avoir jeté l’éponge ! Alors qu’elles, deux sœurs, n’en démordaient guère et s’étaient donnés quelques moyens pour dénicher des informations. Kaori fila dans sa chambre et partit chercher son classeur contenant les recherches qu’elles avaient menées. Pendant ce temps-là, Ayumi ouvrit son sac à dos et en sortit son ordinateur portable. Elle l’alluma et se brancha instantanément sur internet, un des meilleurs supports pour leurs petites recherches. Bien que, il n’en était pas le principal. Contrairement à ce que l’on croyait, on ne trouvait pas tout sur le net ! Ainsi donc, elle l’ouvrit et se prépara, attendant sagement le retour de sa sœur.

Kaori finit donc par revenir, classeur entre les bras, puis reprit place à côté d’Ayumi, qui s’était installée autour de la table à manger. Elle lui sourit puis alors qu’elles allaient commencer, le téléphone portable de Kaori sonna. La jeune fille le prit et indiqua alors qu’il s’agissait de leur père. Il n’avait apparemment pas oublié ses deux filles, et ne manqua donc pas de les appeler le premier jour de leurs examens. Un sourire ravi apparut aux lèvres d’Ayumi dont entendre la voix de son papa lui fit très plaisir. « Salut papa ! » Répéta Ayumi après sa sœur, avant que leur père ne réplique et leur demande comment s’étaient déroulés les examens. Il leur informa aussi qu’il avait prié devant un kami toute la journée, afin de leur porter bonne chance. Cela fit sourire Ayumi qui estimait, comme n’importe quel jeune de son âge, que ceci était plus une tradition qu’autre chose.

Mais, à vrai dire, avec toutes ces histoires paranormales qui leur tombaient dessus depuis un bout de temps, le doute commençait à s’installer. Ainsi donc, Ayumi prit la parole et entreprit de lui raconter un peu les examens qu’elles avaient passés … Sans trop entrer dans le détail, cela dit, pour ne pas le barber. « Ça s’est … Bien passé. Enfin je l’espère ! On a bien révisé la veille et je pense que ça va payer. Tu as devant toi deux futures ingénieures papa ! » Lui déclara-t-elle, d’une voix enjouée. Les examens la stressaient peut-être, mais cela n’entachait en rien sa volonté de réussir. Et puis, il fallait le faire pour enlever la joie présente en Ayumi. Elle regarda sa sœur qui prit aussi la parole, et conclut ainsi la question de leur père. La discussion continua un petit temps, au terme duquel leur père leur souhaita la meilleure chance que possible, en leur déclarant qu’il allait essayer de prier chaque jour où elles allaient avoir examens.

« Aller … Ne stressez pas trop. Je vous aime très fort mes puces ! Je serai de retour à la maison la semaine prochaine, ne vous inquiétez pas pour ça. Je vous dis à très bientôt ! » Dit-il en concluant la discussion, avant que les deux filles ne lui disent au revoir, puis que la conversation se termine. Ayumi raccrocha après son père, puis sourit à Kaori, après un petit silence. « Bon bon bon … Nos recherches ! Alors avant tout, on en est où … Ça fait un moment qu’on a pas mis le nez là-dedans donc il serait judicieux de faire un point sur notre avancement. » Déclara Ayumi, en sortant son PC de sa veille. Elle laissa le temps à sa sœur de sortir à son tour les documents de son classeur, puis feuilleta le tout avec elle. « Le parc … La disparition … Notre dernier rêve … Tient, j’ai une idée. » Déclara Ayumi, qui se mit alors à pianoter sur son clavier pour rechercher des éléments de leur dernier rêve, sur internet. Des bourdonnements d’abeilles, un arbre géant, immense … Les recherches ne faisaient que commencer !

Ce n’était pas surprenant ; Père les appelait tous les jours quand il s’absentait. Il savait que Kaori et Ayumi étaient très autonomes, mais, pour autant, il était très peiné, à chaque fois, de devoir les laisser. Pour autant, Akira n’était pas un père démissionnaire. Suite au décès de leur mère, il avait redoublé d’ardeur pour s’occuper d’elles, ce qui avait eu des conséquences sur sa vie professionnelle. Au Japon, le monde du travail était très instable. Si le pays n’avait pas de chômage, ou un taux de chômage extrêmement faible, l’instabilité professionnelle faisait que, le pays était au bord de la récession. Il était facile de trouver un emploi, mais l’emploi était tellement précaire qu’il était encore plus facile de le perdre. Ce faisant, les employeurs japonais étaient particulièrement rigoureux, et ce d’autant plus que le Japon était baigné dans la philosophie confucéenne, une philosophie  qui faisait du travail une vertu cardinale. Autrement dit, pour ne pas tout perdre, Akira avait dû retrouver un emploi, et s’était absorbé dans le travail pour noyer son chagrin, avant de réaliser que ses filles étaient très autonomes. Les précédentes années n’avaient pas été très simples, et, maintenant, Akira avait trouvé un emploi qui nécessitait régulièrement qu’il voyage à différents endroits du Japon.

Kaori laissa Ayumi lui parler, tout en se demandant ce qu’Akira savait vraiment sur la disparition de leur mère. Officiellement, il avait toujours dit qu’il fallait s’en tenir au rapport de la police, et arrêter de remuer le passé, mais Kaori était sûre qu’Akira avait poursuivi l’enquête de son côté. Cependant, leur père refusait d’en discuter, et parler de leur mère était l’une des rares fois où il pouvait s’énerver, en disant à ses filles qu’il fallait laisser le passé de côté.

Ce soir, il s’inquiétait juste pour les examens, et les filles lui assurèrent que tout allait bien, puis il leur assura qu’il reviendrait d’ici une semaine, mais qu’il essaierait de boucler le séminaire plus tôt.

« À bientôt, Papa ! »

Leur père raccrocha, puis Ayumi se rua ensuite sur son ordinateur portable, tandis que Kaori sortit son classeur. Il y avait une compilation d’articles de journaux, ainsi que les procès-verbaux dressés par l’enquête de la police.

« Alors, qu’on récapitule... Maman a disparu il y a des années, quand on passait des vacances au parc national de Yoshino-Kumano. »

Ouvert en 1936, le parc était articulé autour du Mont Yoshino, et était connu pour abriter cinq chemins de pèlerinage dans les forêts du Mont Kii. Le long de ces chemins, on y trouvait des sanctuaires shinto. C’était un endroit important du passé traditionnel japonais, et beaucoup de touristes s’amusaient à remonter le long des cinq sentiers Le mont Yoshino, lui, était connu pour le nombre très important de cerisiers qu’il abritait. L’automne, quand toutes les pétales roses s’envolaient, le spectacle, disait-on, était magnifique. Quoi qu’il en soit, leur mère avait disparu un soir, près d’un refuge dans lequel la famille s’était installée suite à une forte pluie, les tempêtes étant fréquentes en cette zone.

Akira ignorait pourquoi sa femme était sortie. La tempête faisait rage, et lui veillait sur les enfants, qui pleuraient. Il avait expliqué que le groupe électrogène avait sauté, et sa femme était alors sortie pour le remettre en marche. Cependant, elle n’était jamais revenue. La police avait pu reconstituer des horaires précis. Le courant avait sauté à 20h32, après qu’un coup de tonnerre ait frappé dans la région. Le temps de se rendre vers le groupe électrogène, en tenant compte de la tempête, il fallait bien 5 à 10 minutes. Autrement dit, leur mère avait rejoint le groupe électrogène vers 20h40, et le courant avait effectivement été rétabli... Mais elle, elle n’était jamais revenue.

La théorie de la police était que leur mère avait dû tomber dans une crevasse, et, dans cette région très montagneuse, les secouristes n’avaient pas pu la retrouver. Une autre théorie était que son corps avait été emporté par un cour d’eau, pour disparaître ensuite dans les profondeurs des monts Kii.

Mais, parallèlement à ça, les monts Kii étaient un endroit chargé de mysticisme.

« Hum... Alors, c’est quoi ton idée ? »