Love Business [Pt. 1] "The Retribution Of A Mother" [Kelly Brooks]

Il y a quelques semaines, Reto avait entendu parler d’un riche héritier, Alex Sanderson, un homme qui avait hérité d’une colossale fortune résultant de son père, magnat de l’immobilier. L’argent était le nerf de la guerre, et, dans celle que Reto et les Russes menaient contre le clan yakuza des Guramu, il avait besoin d’oseille. Il avait donc envoyé sur Alex’ son arme parfaite, son redoutable petit chaperon rouge*, mais ce n’était pas une raison pour s’empêcher d’agir, et pour vérifier s’il n’y avait pas d’autres pistes. Sanderson était tout simplement une belle poule aux œufs d’or, et Reto ne comptait pas la laisser tomber. Il avait ses réseaux au sein de la ville, et c’était de cette manière qu’il avait appris qu’un couple était en train d’agir en affirmant que leur morbac était le fils de Sanderson. Il y avait là matière à agir, matière à réfléchir. Alex n’était pas marié, et, au Japon, les enfants issus de relations extraconjugales étaient très mal perçues, a fortiori dans le monde des affaires, un monde cruel et sévère, un monde où n’importe quelle petite imperfection pouvait vous plomber. Il y avait un coup à jouer, et Reto s’était renseigné davantage. Il avait appris que le mari de Kelly, Joshua, avait été voir un avocat, un certain Milton, fortuné, qui avait pour coutume de ne prendre que des cas susceptibles de lui rapporter beaucoup.

Reto savait que le couple avait des problèmes d’argent, que Kelly était une bonne poulette, et il savait que les femmes n’hésitaient pas à servir de leurs progénitures pour avoir de l’argent. Sanderson était une belle poule idiote qui n’attendait qu’à être plumée, et, sur ce coup-là, Reto n’avait aucun intérêt à envoyer son petit Chaperon. Non, il préférait laisser Doutzen continuer à jouer avec Alex, tandis que lui-même se chargerait de Kelly. Non seulement elle pouvait rapporter beaucoup, mais elle était également d’une grande beauté. Pour Reto, il y avait donc plusieurs coups à jouer, et il entendait bien abattre toutes ses cartes.

L’homme portait une veste noire en cuir avec un débardeur blanc, et grimpait les marches de l’immeuble. Comme c’était un immeuble japonais, l’escalier se trouvait à l’extérieur, menant à des couloirs externes, des sortes de terrasses avec une porte à chaque appartement. Il avançait, observant brièvement le ciel, parsemé de nuages. C’était la fin de la journée, et le soleil commençait à se coucher, donnant une teinte crépusculaire et orangée. Devant, on pouvait voir, au loin, avant le quartier des affaires avec de vastes gratte-ciel, une portion de l’autoroute urbaine, où camions et voitures circulaient rapidement. Il se rapprocha de la bonne porte, et toqua à cette dernière.

Beau et fort, Reto était un homme bien bâti, un véritable loup aux dents pointues et aux griffes acérées. C’était un homme endurci, un criminel qui venait de la Russie, et qui avait dû user de sa puissance physique ainsi que de son intelligence pour pouvoir grimper dans les rangs de Moscou. Il avait commencé comme simple bagarreur de rue dans des arènes illégales, et s’était un jour retrouvé face à un match truqué, où il avait refusé de se coucher. Son manager avait envoyé deux individus pour lui casser les deux genoux, et il les avait tués, puis avait ensuite décidé de prendre son destin en main. Quelques années plus tard, il se retrouvait ici, au sommet du pouvoir. Certes, il n’était pas le Parrain de la Mafia russe, mais il était suffisamment important pour diriger toute une cellule.

L’homme toqua donc à la porte, en attendant qu’elle s’ouvre. Il s’était légèrement renseigné sur le couple. Kelly était la femme, Joshua l’homme… Il attendit que la porte s’ouvre, et un léger sourire éclaira ses lèvres. Il tomba sur la femme, et s’empressa de la saluer :

« Bonjour, Madame. Je m’appelle Reto, et, avant que vous ne me claquiez la porte au nez, sachez que je ne suis, ni un colporteur, ni un démarcheur. Je viens vous parler d’un homme que nous connaissons mutuellement : Alex Sanderson… Le père de votre enfant, si je ne m’abuse. »

Il laissa planer quelques secondes, avant de sortir la phrase typique de n’importe quel mafiosi :

« Je viens vous faire une offre que vous ne pourrez pas refuser. »


* : Cf. RP « Dans la gueule du loup ».

Kelly n’attendait personne. La journée avait été assez habituelle et banale. Elle s’était occupée de Kyle. Cela représentait la majeure partie de son activité. Ensuite, elle avait regardé les petites annonces mais comme souvent, elle avait été déçu. Elle avait sonné trois fois et à chaque fois, dès qu’elle disait qu’elle était mère, cela posait soucis. A croire que c’était la pire des tares dans ce pays. Et quand ce n’était pas cela, on lui reprochait un certain manque d’expérience. Bref, elle était en plein cercle vicieux au sein duquel elle ne voyait pas la fin. C’était frustrant car elle avait la sensation qu’on l’empêchait de respirer ici bas. Elle ne demandait rien hormis la chance de faire ses preuves.

Il y avait bien sûr aussi le cas Alex. Elle avait appris que son mari avait été le voir. Ce qui avait déclenché la colère de la jeune femme. Elle avait la sensation qu’il lui avait coupé l’herbe sous le pied. Elle qui n’avait pas encore vraiment décidé de son angle d’approche avait vu ses efforts complètement ruinés par son attitude grotesque. Tout cela pourquoi ? Pour une sombre histoire de jalousie. Pour elle, c’était cela ; Joshua ne supportait pas Alex pour des raisons d’égo. Elle ne voyait pas cela comme une preuve d’amour ou une tentative d’aide de sa part bien au contraire. Il avait fait cela pour lui avant tout. Et elle ne pouvait pas lui pardonner. D’ailleurs, depuis lors, il dormait dans le divan. Il rentrait le soir, aller voir Kyle mais entre eux, c’était silence radio. Le matin il partait, elle ne savait pas ce qu’il faisait de ses journées. Elle supposait qu’il devait chercher du travail ou ruminer sa rancœur. Kelly avait beau essayer de le comprendre, il avait volontairement désobéi à une demande de sa part. Il avait par cet acte fait quelque chose qui pourrait leur faire du tort à tous les deux. Il ne pouvait pas l’ignorer. Et pourtant, il l’avait fait. Depuis, elle vivait dans la peur de voir Alex débarquer. Il n’avait toujours pas donné signe de vie mais elle supposait qu’il préparait quelque chose. Ce qui était paradoxal, c’était de se dire qu’elle était venue ici pour justement reprendre contact avec lui. Et maintenant, elle le redoutait. D’ailleurs, c’est toute son attitude qui posait soucis et paraissait contradictoire

Alors qu’on frappa à la porte, elle se mit à avoir peur. Cela pouvait être Alex, elle en était certaine. Il avait enfin décidé de se jeter dans la fosse aux lions. Regardant instinctivement Kyle qui jouait seul dans son parc, Kelly balaya d’un bref regard son modeste deux pièces.  Cela faisait franchement pitié mais au moins, il verrait dans quelles conditions ils vivaient. Soulagée aussi de ne pas devoir supporter la présence de Joshua, elle alla rapidement dans la salle de bains vérifier de quoi elle avait l’air. Portant des sandales ouvertes aux pieds, elle avait un jeans légèrement dévalé et un t-shirt bleu ciel un peu basique.  Rien de bien follichon mais cela ne l’empêchait pas d’être agréable à l’œil. Portant son alliance et ses cheveux pendant dans son dos, comme souvent, son attitude montrait qu’elle n’était pas vraiment indifférente à ce qu’il pourrait penser d’elle. Ce qui confirmait les doutes de Joshua à ce sujet

« C’est ton papa Kyle »

 Dans son parc, le bienheureux ne comprenait pas grand-chose. Laissant la télévision en bruits de fond sur une émission de télé realité dont les japonais avaient le secret et à laquelle Kelly ne comprenait pas grand-chose, elle alla ouvrir la porte et ne cacha pas sa surprise. Ce n’était pas le visiteur attendu

«  Vous êtes ? »

L’homme face à elle était bien bâti, plutôt bien de sa personne même.  Surtout, il venait parler d’Alex

« Alex ? »

Comment était-ce possible ?D’où le connaissait –il ? Visiblement intriguée, elle ne l’avait pas invitée à entrer mais on voyait un certain intérêt dans son  regard. Ce qui était déjà un bon début. Surtout quand il parla d’une offre. De quoi pouvait –il s’agir ?

Reto entendit la télévision, au fond. C’était un petit studio japonais, qui ne devait pas être très grand. Il ne vit pas grand-chose, la porte étant entrouverte, si ce n’est le beau visage de Kelly. C’était une belle Américaine, avec une longue chevelure et des yeux acérés. Tout disait en elle qu’elle était une battante, une femme qui n’avait pas hésité à aller au Japon poursuivre le père de son fils. Reto appréciait cela. Il aimait les femmes de caractère, encore plus quand, comme Kelly, elles étaient belles à se damner. Il vit le regard de Kelly changer en le voyant, comme si elle s’attendait à quelqu’un d’autre. Sans surprise, elle ne le laissa pas rentrer, mais ne referma pas non plus la porte. Elle répéta le nom d’Alex’. La femme parlait peu, mais suffisamment pour qu’il comprenne où son attention était fixée… De tout ce qu’il avait dit, elle n’avait retenu que la mention concernant Alex Sanderson.

Reto enchaîna rapidement, sans se rapprocher de la porte, afin de ne pas trop effrayer la jeune femme :

« Je sais que tout cela peut vous surprendre, mais je suis un homme assez influent… J’ai mené mon enquête sur la famille Sanderson, et je sais qu’Alex vous a donné un enfant, et ne l’a pas reconnu… Je viens vous proposer mon aide. Je travaille pour des hommes d’affaires russes qui souhaitent renforcer leur influence dans cette ville. »

Ce n’était pas totalement faux. La Mafia russe cherchait effectivement à accroître son influence, et il fallait trouver comment convaincre cette femme de ses bonnes intentions. Reto glissa sa main dans la poche intérieure de sa veste, et sortit son porte-feuilles. Il lui braqua sous le nez sa carte d’identité, ainsi que la carte d’une entreprise au nom russe… C’était une entreprise de façade, une entreprise installée à Seikusu, et qui n’avait que pour but véritable de blanchir l’argent des Russes.

« J’ai engagé un détective privé pour enquêter sur Sanderson, précisa-t-il, et c’est comme ça que votre nom est apparu sur le dossier. J’aimerais, si vous le voulez, prendre rendez-vous avec vous pour discuter plus en avant de ma proposition… Il vous suffira d’appeler à ce numéro. »

Reto devait soigneusement choisir quoi dire et ne quoi pas dire, de manière à éviter que Kelly n’ait l’impression d’être surveillée. Néanmoins, il fallait aussi en dire suffisamment pour la forcer à avoir confiance en lui. Il lui avait remis la carte de la société. Il y avait un numéro de téléphone, et un site Web. Si Kelly avait la curiosité de visiter le site, elle verrait celui d’une obscure société d’import/export se chargeant de transférer des biens dans toute la région d’Asie du Sud-Est, notamment entre la Russie et le Japon, en recourant pour cela à des bateaux que l’entreprise louait.

« Bien sûr, je pourrais discuter avec vous maintenant, mais… Je ne souhaite pas vous déranger ou vous importuner. Sachez juste que nous envisageons une action contre Sanderson… Et, qu’avec votre aide, nous devrions avoir un moyen d’obtenir beaucoup d’argent. »

Il serait surprenant que cette femme veuille ouvrir la porte, et Reto avait fait un pas en arrière, comme s’il s’apprêtait à partir.

« Je vous laisse y réfléchir en paix ? »

À elle de voir ce qu’elle comptait faire.

« Non attendez »

Forcément, elle était intriguée et curieuse suite aux propos du dénommé  Reto. C’était normal. Il avait su dire ce qu’il fallait. Elle ne savait pas évidemment tous les tenants et aboutissants de l’affaire, c’était normal, mais elle avait envie d’en savoir plus. Au fond, il avait l’air de savoir pas mal de choses  Si elle avait bien compris, c’était un type qui bossait dans les affaires et qui voulait s e faire de l’argent sur le dos d’Alex. Sans doute une histoire d’entreprises rivales. Elle avait bien sûr pris la carte , qu’elle avait examiné de près. Cela paraissait officiel, il ne devait pas avoir de magouilles là-dessous. Et de toute façon, il fallait bien comprendre que pour elle, c’était quasi la première bonne nouvelle depuis son arrivée ici. Enfin quelqu’un qui pouvait l’aider, cela ne se refusait pas.

« Je ne sais pas ce que vous attendez de moi, mais c’est vrai Alex est le père de mon fils »

Sur ce point il avait raison. Il était donc bien informé également. Par contre, ce n’était pas non exactement l’histoire qu’il pensait. C’était moins simple qu’il ne pensait car Kelly au fond, n’avait jamais joué franc jeu. Aussi bien avec elle, qu’avec Joshua ou même Alex. Et puis si elle aspirait à une certaine reconnaissance, elle ne cherchait pas vraiment  non plus à nuire outre mesure à Alex. Il était sa poule aux œufs d’or également. Bref, tout ceci méritait une réflexion pour le moins longue et surtout des explications plus claires. Elle avait besoin de savoir si vraiment il pouvait lui venir en aide.

« Entrez Monsieur Reto. Je vais tout vous expliquer.Par contre je vous préviens, je vis modestement »

S’écartant pour le laisser entrer, Kelly avait cru bon de le préciser. Elle était gênée, ce qui  pouvait se comprendre vu à quoi elle aspirait encore une fois. Refermant la porte, il était tout de suite dans le salon. Il y avait le parc de Kyle à côté. Lui faisant comprendre qu’il pouvait s’asseoir, elle  ne lui proposa rien à boire. Tout simplement car elle n’avait rien dans le frigo. C’était clair et limpide. S’asseyant dans  le divan sur la droite du fauteuil , elle commença son histoire

« J’ai rencontré Alex dans un club privé. J’étais une sorte de dame de compagnie. A l’époque j’étais avec un homme depuis 7 ans que j’aimais.  J’étais heureuse avec lui  et je pensais rester avec lui toute ma vie. Alex a alors commencé à me draguer. J’ai bien tenté de lui résister mais il a su mettre les formes et surtout me faire miroiter certaines choses.  Ma vie était banale, sans éclats et il m’avait promis le luxe et la gloire au fond. »

Elle marqua une pause, regardant son fils. Cela lui faisait du bien de se confier comme cela. C’était comme aller chez le psychologue. Au fond, elle avait toujours ce besoin pour se sentir mieux dans sa peau. Mais elle n’avait jamais trouvé la bonne oreille. Avec un inconnu, étrangement, c’était plus facile

«  Pendant quelques semaines cela  été parfait. Je me sentais comme une princesse. Mais il s’est vite lassé et a quitté la ville en me laissant là. Me rendant compte de mon erreur, je n’ai pas su renouer avec mon ex.  Mais ce n’était pas tout. J’ai découvert  que j’étais enceinte. Ce qui était un accident sans en être un »

Elle n’en dirait pas plus mais on pouvait comprendre qu’elle avait en quelque sorte provoqué cet état de fait. Elle avait toujours autant de mal à l’admettre mais elle était en partie responsable de son malheur. A l’époque, elle avait pensé pouvoir assurer ses arrières comme cela.

« Je n’ai rien dit à Alex. A quoi bon. Et puis j’avais Joshua. Il a toujours été là pour moi et le petit, il a fait de son mieux je le reconnais »

C’est vrai elle devait lui reconnaitre ce mérite. Mais malgré tout son amour, ce n’était pas suffisant encore,  car au bout du compte, elle avait voulu retrouver Alex. Officiellement pour son fils mais aussi pour elle. Kelly avait espéré pouvoir de cette façon améliorer son cadre de vie.

« Finalement je suis venue au Japon car je me rends compte que mon fils a besoin de son père. Je n’ai pas encore su comment aborder le sujet mais mon mari s’en est chargé contre ma volonté. Alex sait tout et depuis je sais pas ce que je dois faire .Vous comprenez, je veux juste le meilleur pour son fils.»

Voilà, elle avait été la plus complète possible, en omettant de trop en dire sur elle et certaines choses. Car Kelly voulait toujours préserver son image de victime dans cette affaire. C’était plus confortable pour elle

Il allait devoir jouer serré. On avait beau dire que rien au monde n’était pire que la vengeance d’une femme, Reto connaissait suffisamment le beau sexe pour savoir que ce dernier pouvait parfois être surprenant. Fort heureusement, Reto s’était toujours considéré comme quelqu’un à l’esprit assez fin, et ce même s’il n’était, fondamentalement, rien de plus qu’une brute épaisse. Il avait appâté Kelly, et la jeune femme avait mordu à l’hameçon, et le laissa rentrer.

« Je vous remercie, Madame Brooks. »

Il rentra rapidement. Un petit studio sommaire, avec un bébé dans un parc, dans le coin salon, près d’une télévision. L’ensemble était meublé à l’occidental, avec des chaises, confirmant les origines sociales de la belle et jeune femme devant lui. L’homme ne put s’empêcher de loucher brièvement sur ses fesses quand elle se retourna. Elle avait un superbe cul, moulé à la perfection par son jean, que Reto avait toujours considéré comme un appel inconscient au viol. Brièvement, l’idée de violer Kelly devant son fils lui traversa l’esprit… Mais les affaires étaient plus importantes que la satisfaction de son plaisir personnel, et cette belle paumée pouvait être utile à autre chose qu’être un sac à foutre. L’endroit sentait la misère, et il savait que cette femme était financièrement exsangue.

S’asseyant sur le divan, il la laissa parler, essayant de se faire tout petit… Chose difficile à faire quand on était, comme lui, massif et costaud. Elle lui confia alors son histoire, et Reto ne dit rien. Il était souvent fasciné de voir à quel point les gens se confiaient aisément face à des étrangers, plutôt qu’envers leurs proches. Elle parlait rapidement, expliquant clairement ce qui s’était passé avec Alex’, et lui hochait lentement la tête, mains bien à plat sur ses cuisses. Kelly avait appris ensuite qu’elle était enceinte, mais, plutôt que d’avorter, avait choisi de conserver cet enfant. Reto était suffisamment cynique pour comprendre que l’amour de Kelly envers son fils n’était pas totalement désintéressé… Il représentait aussi un moyen d’obtenir de l’argent de la part de son père biologique, à condition de prouver la paternité devant une cour de justice… Si on suivait strictement la loi, bien entendu. Elle lui parla ensuite de son mari actuel, Joshua, et quelque chose, dans le ton de voix de la femme, ou dans son regard, mit la puce à l’oreille de Reto… La manière dont elle avait introduit son mari… « Et puis il y avait Joshua »… Comme si l’homme n’était rien de plus qu’une roue de secours. Il comprit vite que cette femme n’était pas vraiment une sainte, une jeune adolescente abusée par un riche homme. Comme toujours, le tableau doré et manichéen se brisait pour révéler ses craquelures pourries.

Kelly voulait le meilleur pour son fils… Mais aussi pour elle. Reto hocha légèrement la tête.

« Je comprends, et c’est tout à fait dans votre honneur. Une mère doit savoir se battre pour les intérêts de son enfant, surtout quand il est aussi mignon. »

Des platitudes sans importance. Il regarda l’enfant en hochant légèrement la tête. De fait, Reto n’aimait pas les chiards et les morbacs, qui étaient constamment une source d’emmerdements, mais aussi, quand il avait des ennemis, un très bon moyen d’obtenir ce qu’il voulait. Les gens perdaient tout discernement face à un gosse… Comme si, passé un certain âge, ils admettaient inconsciemment qu’un être humain ne pouvait pas être autre chose qu’une merde pourrie qui, dans un certain sens, mesurait toute la merde qui lui tombait dessus.

« Avez-vous entendu parler du centre commercial Tennō, Madame Brooks ? C’est un projet de rénovation urbaine lancée par la Mairie, et qui doit avoir lieu dans l’une des anciennes usines industrielles du Quartier de la Toussaint. »

Glissant à nouveau sa main dans sa poche, l’homme sortit un papier froissé, et le tendit à Kelly. Il s’agissait d’une carte aérienne du Quartier de la Toussaint, avec une zone entourée par un cercle rouge.

« Ce projet s’inscrit dans le cadre de la reconstruction du Quartier de la Toussaint, et est en chantier depuis maintenant quelques temps. Le conseil municipal de la ville l’a voté, et a obtenu des subventions du gouvernement. Cependant, le terrain appartient à la famille Sanderson. »

Le lien était fait, et Reto poursuivit :

« Plus précisément, la propriété du terrain relève de la mairie, mais l’exploitation a été confiée aux Sanderson par le biais d’un bail commercial qui arrive prochainement à son terme… Or, la Mairie espère faire rehausser le prix du loyer que Sanderson doit verser, en estimant que la construction du centre commercial va augmenter la valeur du terrain. Sans vouloir vous embêter par trop de détails, la Mairie a le droit, soit de renouveler son contrat, soit d’y mettre terme, le contrat arrivant à échéance dans les quelques mois. Moi et mes associés aimerions beaucoup mettre la main sur ce contrat, et c’est là, Madame Brooks, que vous intervenez. »

Il se tut un peu, s’humectant les lèvres, et reprit :

« L’un des responsables du projet de rénovation urbaine, et qui se charge de ce bail commercial, est Hideyo-san. Or, Hideyo est quelqu’un qui est très attaché aux valeurs familiales, et, comme vous avez dû vous en rendre compte, sur ce point, le Japon est un pays très conservateur… »

Reto était en train d’exposer toute sa stratégie à cette femme, tout en devant jouer avec les nuances qui la caractérisaient. Elle voulait vivre avec Alex’, ou, plutôt, goûter à de l’argent, mais elle ne tenait pas à le détruire.

« La famille Sanderson survivrait au rachat de ce terrain, alors vous n’avez pas à vous en faire pour votre fils, ou pour son père. Là où je veux plus précisément en venir, c’est sur le fait que nous pourrions élaborer une stratégie consistant à mettre en jeu, d’un côté, les intérêts patrimoniaux d’Alex, de l’autre, ses intérêts vis-à-vis de vous et de son enfant. Nous avons les moyens de le poursuivre en justice, ou, à défaut, de dire aux médias qu’il a un enfant… Le genre de détails qui passent très mal auprès du public, et qui ruineraient sa réputation auprès de gens comme Hideyo. Vous comprenez ? Soit il accepte de renoncer à ce contrat pour vous et votre enfant, soit nous l’attaquerons. Je vous propose d’être avec moi sur ce coup-là… Bref, de devenir ma partenaire d’affaires. Si vous acceptez… »

Il sortit alors d’une autre poche de sa grande veste un chéquier, et un stylo.

« …À titre d’acompte, je vous signe ce chèque, et je mettrais dessus le montant que vous souhaitez. »

Kelly avait essayé de comprendre. Certes, elle n’était pas stupide, mais il y avait quand même pas mal d’informations à comprendre et assimiler. D’après ce qu’elle avait pu percevoir, ce Reto avait un intérêt affirmé pour un terrain qui appartenait à la famille d’Alex. Le lien avec son affaire serait donc tout trouvé. En gros, elle s’occupait de convaincre Alex de laisser le terrain  et Reto lui garantissait son aide pour obtenir ce qu’elle voulait avec son fils. Cela avait l’air alléchant mais cela paraissait un peu trop beau pour être vrai. Méfiante, elle ne comprenait pas trop finalement pourquoi le fait de l’aider sur une question de terrain pouvait faire avancer son projet. Attention, elle ne lui prêtait pas de mauvaises intentions, mais le voir débarquer comme cela était pour le moins interpellant. Elle ne pouvait pas s’empêcher de se dire qu’il en disait pas tout. C’était plus fort qu’elle. Car finalement, si c’était juste une question de territoire, pourquoi viendrait-il se mêler de cela ? Pourquoi vouloir l’aider dans une histoire privée ? Le plus surprenant c’est qu’il était même prêt à lui donner de l’argent.Là comme cela. Non, si elle voulait garder la tête froide, il fallait se poser les bonnes questions sans hésitations

« Je comprends un peu mieux »

Une pause, assez longue, Kelly avait déjà le sentiment d’être entreé sans le vouloir dans quelque chose qui la dépassait.Elle avait une drôle de sensation, comparable à celle qu’on pouvait ressentir quand on savait qu’on faisait quelque chose qui pouvait vous retomber dessus par la suite

« Concrètement je devrais faire quoi ? Vous savez je n’ai plus vu Alex depuis plus de deux ans et vu ce qu’il vient d’apprendre, je ne pense pas qu’il ait forcément envie de m’écouter. Je ne sais même pas ce qu’il va faire. »

Ce qu’elle disait était tout sauf faux. Elle ignorait totalement ce qu’il avait en tête. Et à partir de là, comment adopter une conduite cohérente ?

« Je veux juste qu’il assume sa paternité et qu’il assume ses devoirs. Je ne veux pas lui faire la guerre »

Kelly se gardait bien d’accepter son argent. Ce serait se mettre en position de faiblesse même si elle en avait grandement besoin. Et puis elle trouvait important de préciser qu’il ne fallait pas  aller au conflit. Elle n’était pas folle. Alex était sa meilleure chance d’atteindre une certaine position sociale. Se le mettre à dos, c’était en quelque sorte jouer avec le feu. Et perdre le contrôle d’une situation qu’elle ne controlerait plus.Le but premier de tout ceci était retrouver une place dans la vie d’Alex par la force ou pas. Elle tenait à suivre ce but et elle voulait que Reto le comprenne. Elle ne fermait pas la porte pour autant. Seulement , elle marchait sur des œufs. Et comme on disait, mieux valait se ménager une porte de sortie. D’autant qu’elle ne connaissait pas encore vraiment son visiteur

« Je ne veux pas accepter votre argent. Je me sentirai redevable avant même de commencer »

La belle Américaine hésita longuement. Ce chèque allait-il l’engager ? Était-ce un simple cadeau désintéressé, ou un pot-de-vin ? Reto ne rompit nullement le silence qui s’instaura entre les deux. Pensive, la jeune femme semblait peser le pour et le contre, analysant tout ce que l’homme venait de dire. Il n’allait pas parler plus, car le faire aurait amené Kelly à devenir méfiante, à voir un piège, à se demander où étaient les lignes en petits caractères dans le texte. Reto restait donc silencieux, et la femme finit par parler. Elle demanda ce qu’elle devait faire, lui certifiant qu’elle ne voulait pas la guerre, simplement amener le père à assumer sa paternité… Et aussi qu’elle ne voulait pas accepter son argent, dans la mesure où elle aurait le sentiment de lui être redevable.

« Comme vous le souhaitez, M^me Brooks, fit-il en rangeant son chéquier. Pour le reste… Navré de vous le dire, mais vous n’amènerez pas Sanderson à admettre sa paternité sans combattre. »

Il fallait bien que Kelly en prenne conscience, car ce n’était qu’à partir de ce postulat que la femme accepterait de travailler pour lui.

« Quand bien même l’homme voudrait reconnaître cet enfant, le fait est que vous êtes mariée, et lui non… Or, comme je vous l’ai dit, le Japon reste un pays très à cheval sur les valeurs familiales. Rien à voir avec ce qui se passe dans votre pays. Beaucoup d’entreprises proposent des agences matrimoniales, et la filiation légitime est socialement privilégiée par rapport à la filiation naturelle. Si Alex’ reconnaît publiquement votre enfant, sa réputation en pâtira… Et c’est ce qui se passera, sauf si vous décidez de me suivre, et s’il est suffisamment clairvoyant pour nous suivre, et pour comprendre qu’il est en train de rater des choses importantes en vous négligeant. »

Reto expliquait calmement les choses, et poursuivit. Il savait qu’il fallait parler maintenant, afin de rassurer cette femme, de la convaincre qu’elle pouvait lui faire confiance, que sa vie pouvait s’améliorer, sans que celle d’Alex’ ne se détériore.

« Entendez-moi bien, M^me Brooks, je n’ai nullement envie de vous sacrifier. Je souhaite ce terrain, mais je souhaite aussi que le père de votre enfant admette son rôle. Ce que je vous explique, c’est que, pour amener Alex’ et ses avocats à admettre une filiation, il vous faudra avoir les reins solides, et de solides avocats… Pas des branleurs comme Milton, mais de vrais avocats, qui savent se battre, qui travaillent leurs dossiers, mais qui facturent beaucoup. Voilà le scénario tel que je l’envisage, M^me Brooks… »

Conscient qu’il allait désormais dire quelque chose d’important, allant désormais au cœur de toute sa stratégie, l’homme se mit à parler, poursuivant rapidement :

« Vous intenterez une action en justice afin de déposer une requête en vue d’obtenir qu’un test de paternité soit établi entre Alex Sanderson et votre enfant commun. Les avocats répliqueront en contestant le bien-fondé de la requête, tant en droit qu’en fait, très certainement en soulevant qu’il n’existe aucun lien entre vous et Alex’ qui soit susceptible de procéder à une analyse, et ils feront certainement une demande reconventionnelle afin d’être indemnisé. Vos avocats répondront, les jeux de conclusions s’échangeront pendant des mois, et, pendant ce temps, nous mettrons sur le tapis le bail commercial qui approche à échéance, afin d’obtenir à une transaction. Soit nous continuons le procès, et Alex’ perdra tout, soit nous nous accordons pour qu’il reconnaisse volontairement sa filiation. La nouvelle de la conclusion entre mon entreprise et la sienne d’un accord visant à rénover le cœur de la Toussaint absorbera sans problème vos problèmes familiaux. Les médias n’en parleront pas trop, et la réputation de Monsieur Sanderson n’en pâtira que de manière moindre. »

Il laissa planer quelques secondes supplémentaires, son regard pénétrant plongé dans celui de Kelly, et il reprit :

« Ceci n’est qu’un scénario possible, mais il me semble être le mieux. Alex’ reconnaîtra votre enfant par le biais de cette transaction, n’aboutissant ainsi à aucun jugement. La confidentialité sera conservée, votre enfant aura un père, j’aurais mon terrain, et Alex’ aura son intégrité préservée. »

C’était la stratégie officielle, celle qu’il pouvait dire… Elle était la plus instable, car une transaction, surtout en droit, n’était jamais sûre d’aboutir. Cependant, il ne pouvait pas dévoiler ses véritables plans pour l’heure. Pour ce faire, il faudrait que Kelly lui fasse confiance… Ce qu’il était précisément en train de faire en ce moment.

Kelly essayait de tout comprendre. Encore une fois, elle n’était pas stupide, mais il y avait quand même pas mal de termes techniques à assimiler. Il fallait être certain de bien tout maitriser pour prendre la meilleure des décisions. Ainsi, il était clair pour elle que Reto avait en tête de ravir le terrain d’Alex en jouant sur sa réputation. C’était donc cela le lien entre elle et lui. En y pensant, ce n’était pas bête du tout. C’est vrai, Alex avait sans doute intérêt à ne pas faire trainer les choses. Sur ce point, il y avait moyen de faire pression. Il était clair que sa réputation et le nom de son entreprise allaient être mis à mal. Et puis il n’avait rien à gagner dans quelque chose qui pouvait durer des mois. Par contre, elle n’était pas tout à fait d’accord, quand il disait que la seule issue était de se battre. A vrai dire, elle ne savait même pas ce qu’il pensait de tout cela. Le soucis c’était déjà cela. Comment être certaine de ce qu’elle devait faire si  elle n’avait même pas un angle d’attaque. Pour elle, avant même de songer à attaquer,il fallait mesurer les forces en présence

« Votre plan me parait pas mal. C’est vrai que cela pourrait nous aider à gagner du temps et à trouver une solution à l’amiable. Personne n’aurait à gagner dans une procédure longue et pénible. Et nos intérêts peuvent converger au même endroit. Mais tout cela me semble prématuré non ? Qui me dit qu’Alex va forcément refuser d’assumer sa paternité ? Je veux dire, il a des défauts mais avant de sortir l’artillerie j’aimerais savoir ce à quoi il pense. Je vous remercie de votre intérêt mais  j’ai toujours donné une priorité à une résolution à l’amiable. Si jamais il souhaitait reconnaitre son fils, les soucis d’image et de réputation pourraient facilement être résolues si je divorçais. »

Dans l’absolu c’était à souhaiter. Mais ce plan était bien trop idyllique. Au fond, Kelly était assez grande que pour se rendre compte qu’il y avait peu de chances que cela se déroule comme cela. Et elle ne tenait pas non plus à se voiler la face

« Je sais aussi qu’il pourrait tout nier ou tenter purement et simplement de s’accaparer l’enfant. Là est tout le soucis, j’ignore ses intentions. C’est ce qui me fait le plus peur dans l’état actuel des choses. Il faudrait pouvoir le contacter et discuter avec lui tout en lui faisait comprendre que j’ai de quoi résister en cas de conflit »

Et c’est là que Reto était au point. Kelly voyait en ce type sa planche de salut. Certes, il débarquait un peu de nulle part, elle s’en rendait compte. Il était sans doute dangereux de ne pas trop se poser de questions sur lui. Après tout, elle ne pouvait pas lui faire confiance ou tout au moins ne savait pas si elle avait une raison de le faire. Mais elle n’avait pas non plus le choix des armes et beaucoup de solutions devant elle. Il fallait croire en sa bonne étoile et jouer au poker. Le jeu en valait la chandelle elle en était persuadée

« On pourrait peut être se voir et vous seriez présents pour me soutenir. Cela permettrait de se dire tout de manière claire et nette. Qui sait nous n’aurons peut être pas à nous disputer. Et si jamais les choses tournaient mal, on pourrait toujours faire comme vous le préconisez

Kelly essayait de faire ce qu’il y avait de mieux pour Kyle et elle. Et elle ne voulait se fermer aucune porte. Au fond, elle ménageait les intérêts de chacun en essayant de les rendre compatible avec les siens. Peut être Reto pouvait l’aider, peut être pas. Mais ce qui était certain c’est que seule,elle avait moins de poids. Elle ne cherchait même pas à le nier ou à discuter cela. Voilà pourquoi elle ne fermait pas la porte à cet inconnu qui venait d’entrer dans sa vie. Même si elle se doutait que sans doute, il ne lui disait pas tout , comme elle ne lui avait pas tout dit.

Le plus important était de ne pas lui donner l’impression d’être une poire en train d’être manipulée. Elle était belle, mais pas de cette beauté dont on faisait les greluches. C’était une femme forte, déterminée, qui s’était mariée, non par amour, mais par nécessité, afin que son fils puisse avoir un enfant, et qu’il soit plus facile de passer pour une bonne mère aux yeux des autres, ce qui était particulièrement vrai au sein de la société japonaise. Elle était suffisamment intelligente pour comprendre qu’il n’était pas dans son intérêt de guerroyer contre Sanderson, mais plutôt de se réconcilier avec lui. Reto ne disait rien. Il ne voulait pas briser les espoirs de la femme, et voulait vraiment être son allié… Surtout parce qu’elle était belle. L’entendre évoquer très simplement le divorce était une bonne chose, une information que Reto nota dans un coin de son esprit. Elle pouvait toujours resservir.

La femme voulait opter pour une réconciliation, pour une sorte de tentative de conciliation préalable avant d’entamer les choses sérieuses. L’homme hocha lentement la tête, comme pour dire que c’était une bonne idée… Et ce même si ce n’était pas le cas. Reto était trop cynique pour croire que ce plan servirait à quelque chose, mais il ne pouvait pas le dire comme ça à Kelly, sous peine de voir la jeune mère de famille se braquer automatiquement.

« J’ai une idée qui pourrait aller dans ce sens, M^me Brooks. Dans le cadre de la renégociation à venir du bail commercial, le conseil municipal a lancé un appel d’offres. C’est ce que prévoit la procédure, car il s’agit d’un marché public, qui intéresse les investisseurs. Dans le cadre ce programme, je vais inviter Sanderson à venir en discuter chez moi… Et, naturellement, vous pourrez y être. En revanche, je ne garantis pas que Sanderson viendra seul. Il est probable qu’il viendra avec un avocat, et, auquel cas, il faudra se débrouiller pour que vous ayez une conversation avec lui, sans l’un de ces horripilants hommes de loi qui hurlera à la manipulation et à une tentative de piéger ou d’abuser de la confiance de son client. »

De fait, il n’était pas vraiment dans les intérêts de Reto qu’Alex’ reconnaisse l’enfant de Kelly. En faisant ça, il prenait un risque, car il amènerait sa cible chez lui, et Alex’, moins bête que ce qu’on pouvait penser, en profiterait sûrement pour se renseigner. Reto avait beau avoir couvert ses arrières, sa maison restait malgré tout l’une des plus importantes planques de la Mafia russe de Seikusu. Autrement dit, est-ce que le bilan « risques/avantages » en valait la chandelle ? Il estima que les beaux yeux de Kelly et cette poitrine qu’il devinait généreuses le valaient amplement.

« Ma maison est une grande propriété, qui abrite aussi le siège social de mon entreprise, expliqua-t-il. Du moins, le siège de la partie japonaise de l’entreprise. C’est une grande maison, dans laquelle vous et votre enfant serez les bienvenus… Ainsi que votre mari, cela va de soi. »

Cela allait certes de soi, mais il avait sagement choisi de ne pas inclure ce dernier, comme pour signifier qu’il y avait Kelly et son enfant et le mari… Et ce parce qu’elle avait bien signifié qu’elle comptait divorcer de lui si c’était requis. L’homme était une bonne poire, confirmant qu’il avait affaire à une manipulatrice, une femme qui, sous ses airs d’ange, était prête à jouer avec des cœurs pour obtenir ce qu’elle voulait. Plus que jamais, il se demandait si l’amour que Kelly ressentait pour son fils était lié au prénom de ce dernier ou à son nom… En somme, voyait-elle en lui un enfant avec qui elle pourrait fonder une famille, ou le fils d’un Sanderson, susceptible de lui offrir une vie luxueuse ? Dans le second cas, Reto pouvait faire quelque chose. Aussi talentueux et vicieux soit-il, l’homme avait aussi ses propres pulsions, et, même s’il couchait souvent avec des adolescentes et des étudiantes, les femmes fortes et mâtures n’étaient pas pour lui déplaire. Plus il restait dans cette pièce, et plus il avait envie d’arracher les vêtements de cette femme, et de copuler bestialement et sauvagement avec elle.

« Vous pourriez même vous faire passer pour ma secrétaire… De cette manière, le rendez-vous ne ressemblerait pas à un piège concocté pour permettre à Sanderson de revoir un passé qu’il préfère peut-être oublier. Qu’en dites-vous ? Vous avez le droit d’y réfléchir, bien entendu, mais, comme vous n’avez pas l’air d’avoir beaucoup d’argent, je pense que cet emploi pourra vous être utile, et ce surtout si votre fierté américaine vous interdit de recevoir des dons. »

Un sourire généreux orna ses lèvres, légèrement moqueur. Reto rajouta rapidement, afin que Kelly, avec cette suspicion typiquement occidentale, ne prenne pas sa sympathie pour une sorte de duperie.

« Je dois vous paraître extrêmement familier, M^mme Brooks, mais votre histoire… Elle me rappelle la mienne. Ne cessez jamais de croire en l’espoir, M^me Brooks. Ma mère… C’était une femme forte, qui avait trop bu un soir de fête à Moscou, et s’est retrouvée avec un bébé dans le ventre. Mes grands-parents avaient toujours refusé qu’elle avorte, car ils étaient de fervents orthodoxes, et elle a accouché de moi. Elle… Elle se droguait. J’ai grandi dans la rue, en usant de mes poings et de mes muscles pour taper ceux qui disaient du mal de ma mère, et pour essayer de la protéger. J’ai commencé dans des combats de rue… Et j’ai réussi à finir ailleurs, à m’offrir une nouvelle vie. Tout ce dont la vie a besoin, M^mme Brooks, c’est d’un petit coup de pouce pour repartir… Et beaucoup de volonté. »

Ce qu’il disait était entièrement vrai… Il omettait juste de dire qu’il s’était engagé très rapidement sur le crime, traquant les dealers et surtout les clients envers qui sa mère se prostituait, les attaquant violemment, voyant en chacun d’entre eux ce père qu’il n’avait jamais eu, cette figure paternelle sauvage et bestiale… Et, par une sinistre ironie dont seul le Destin avait la raison, il était progressivement devenu le même portrait que son père. Reto n’avait jamais été particulièrement croyant, et estimait que, si Dieu existait, il devait avant tout être un grand comique.

Non ?

Kelly continuait d’y voir plus clair grace à Reto. Certes, cela restait assez provisoire pour le moment, tout n’était pas encore fixé mais en quelques minutes, elle avait désormais un angle d’attaque. D’ailleurs c’était un peu fou de se dire que cet inconnu qui était debarqué chez elle avait finalement de quoi l’aider mieux que quiconque. Cela pouvait faire peur car dans un sens, elle avait toutes les raisons du monde de se méfier de cela. Pourquoi diable cet homme tenait tant à la soutenir ?Ce genre de comportement était rare et si il avait expliqué avoir une raison précise, Kelly restait méfiante. Après tout, vu son historique avec les hommes, il y avait de quoi. Rien ne pouvait lui garantir que Reto tienne ses engagements une fois qu’il aurait ce qu’il voulait. Tout comme rien ne garantissait qu’Alex fonctionne comme il le souhaitait.

 Cela ne voulait pas  dire qu’elle refusait son offre ou son aide. Elle n’en avait pas le luxe. Seulement, elle voulait  aussi garder une certaine indépendance.Et Kelly était assez maligne que pour ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Autrement dit, elle allait faire en  sorte de toujours avoir un coup d’avance, du moins elle l’espérait

« Je vous remercie de votre aide et de votre soutien. Vous êtes un peu comme un cadeau tombé du ciel. Je commençais à me dire que j’étais maudite avant votre visite. Et je tiens à vous témoigner toute ma gratitude. Mais je ne veux pas non plus abuser de votre bienveillance. Comprenez-moi, vous allez déjà m’épauler pour que mon fils puisse avoir un meilleur avenir, je ne veux pas aller vivre chez vous que vous m’offriez un emploi. Bien évidemment je sais que vous le faites de bon cœur mais je me permets de refuser. J’ai eu dernièrement une rentrée d’argent en faisait un petit travail comme modèle et en cas de réelle crise, je peux toujours puiser là-dedans. Et même si ce lieu est tout sauf un palais, c’est mon chez moi »

 Il y avait aussi une raison pour laquelle elle refusait. Son mariage avec Joshua piquait du nez et elle n’était pas certaine du fait que d’aller vivre ailleurs chez un inconnu puisse les aider. Il fallait qu’elle prenne une décision. Elle ne voulait pas blesser Joshua mais elle se rendait compte que cela ne pouvait pas durer comme cela. C’était invivable pour chacun des partis. Là aussi, il y avait une certaine urgence à régler. Mais pour le moment, il y en avait pas mal dans sa vie

« Je suis content de voir que vous avez réussi à surmonter des coups durs. Sans me plaindre, moi aussi j’ai pas mal vécu déjà. Sans doute que nous avons des points communs en effet »

Cette confession qu’il venait de faire, Kelly ne savait pas quoi en penser. Il n’avait pas l’air de mentir et donc, cela laissait supposer  qu’il avait un lourd passif.Une mère droguée, des combats de rue, elle n’allait pas lui dire mais pour un homme d’affaires c’était assez spécial.Ce qui renforçait le fait qu’elle préférait éviter de trop lui en dire ou de trop lui faire confiance d’entrée de jeu. Cet homme était certainement bien plus que ce qu’il disait être. Mais pour le moment Kelly y voyait un certain intérêt. Ce qui l’encourageait à poursuivre dans cette voie.En espérant bien sûr qu’elle n’ait pas à regretter cette conduite. Mais cela, elle ne le saurait que plus tard.

L’homme et la femme se tenaient face à face, et Kelly continuait à refuser les avances de Reto. Est-ce qu’elle était sincère, ou est-ce qu’elle se devinait instinctivement que les motivations de Reto étaient différentes de ce qu’il disait ? Comment savoir ? L’homme, malheureusement, n’était pas télépathe, et, en l’état, il devait donc se contenter d’essayer de deviner. La tâche n’était pas aisée, mais il ne pouvait pas se permettre de laisser partir ce filon. Outre les avantages purement matériels et financiers qu’il y avait, Reto sentait aussi ses hormones se réveiller, au fur et à mesure qu’il côtoyait cette femme. Il la voulait, et se reprocha d’avoir été trop direct en proposant de la loger. Évidemment, qui accepterait de loger chez un illustre inconnu ? Ses ardeurs avaient parlé avant son cerveau, et la réaction de Kelly était naturelle. Ce refus était imprévu, mais Reto estimait avoir encore le contrôle de la situation. En ce moment, il raisonnait un peu comme ce que, fondamentalement, il estimait être : un mâle-Alpha. Il était le Grand Méchant Loup de Doutzen, et ce n’était pas sans raison. L’homme agissait et pensait comme un fauve, comme un prédateur, voyant les autres mâles comme des concurrents à broyer, et les femelles comme des objets à posséder, des trophées à afficher et à exploiter au mieux pour servir les intérêts de sa tribu. À n’en pas douter, Reto était un homme dangereux, calculateur, mais il n’était pas froid et impassible ; il était aussi plein de passion et d’énergie, plein d’une fougue qu’il ne demandait qu’à délivrer chez les autres. Kelly était en ce moment dans son viseur, et il ne comptait pas la laisser partir si facilement.

Kelly avait travaillé comme modèle, ce qui ne le surprenait pas, et lui offrait même quelques pistes supplémentaires. Réfléchissant rapidement, son cerveau tournoyant à la vitesse d’une turbine d’avion, il finit par poursuivre :

« Je vois, et je comprends tout à fait votre crainte à déménager, vous et votre famille, chez un individu qui n’est encore, qu’à vos yeux, un illustre inconnu. Néanmoins, ne croyez pas que j’agis uniquement par charité gratuite. Je reste avant tout un homme d’affaires. Vous êtes venue au Japon, et vous avez le courage nécessaire pour vous rapprocher d’un homme puissant. J’admire votre courage, j’admire votre bravoure et votre ténacité. »

Il ne mentait pas, sur ce point. Cette femme avait un sacré caractère, et il aimait bien ça… En d’autres circonstances, elle aurait pu être un parfait petit Chaperon rouge, mais les choses étaient différentes. Kelly était admirable, et l’homme ne regrettait clairement pas d’être venu en personne.

« Mon activité se développe, et je recherche effectivement des jeunes talents. De plus, conformément à notre stratégie, il est dans notre intérêt mutuel que vous ayez un emploi chez moi… Vous viendrez dans mes locaux le temps de travailler, et vous pourrez retrouver ensuite votre famille. »

Voilà sa proposition, mais ce n’était pas la seule. Il fallait toujours avoir plusieurs cartouches dans son chargeur.

« Par ailleurs… Ce que je vais dire va vous paraître déplacé, mais, si vous ne voulez pas d’un emploi fixe qui vous séparerait de votre enfant, je peux aussi vous proposer d’être modèle… Ma société est en contact avec une société de lingerie faisant des catalogues, et ils recherchent des modèles. Vous ne viendriez que quelques heures par semaine, et recevrez en retour de l’argent. »

Il multipliait les offres, dans le but de pouvoir se rapprocher d’elle… Pour l’heure.

Kelly sentait bien que l’homme face à elle était intéressée par son cas. Et elle n’était pas assez naive que pour se dire que c’était uniquement par noblesse de cause. Ce n’était pas un reproche, elle savait très  bien que dans ce monde, personne ne faisait rien pour rien. Chacun avait ses intérêts et ses motivations. Elle-même était bien placée pour le savoir. Seulement Reto devait aussi comprendre une chose : elle n’était pas stupide et surtout, elle n’en avait pas encore fini avec Alex. Ce dernier restait sa priorité, pour son fils comme pour elle. Kelly n’avait pas encore renoncé complètement au projet de se faire sa place dans sa vie. Elle le connaissait et savait comment le prendre. L’idéal serait de former une belle et grande famille pour Kyle. Certes, c’était le cas avec Joshua, mais ce dernier n’était pas le père biologique. Et malgré tout son amour, il ne pourrait jamais leur offrir une vie agréable et facile. Ce n’était pas injuste de la part de la mère de famille qui raisonnait selon des principes particuliers mais clairs dans sa tête. Joshua avait été un mari et un père de remplacement parfait  mais elle ne l’aimait pas. Du moins pas comme une femme doit aimer son mari.

« Je vous remercie de votre empressement à me donner ma chance. J’ai conscience de la chance que j’ai et je ne la nie pas.Bon nombre souhaiterait ma place je m’en rends bien compte.Je vous demanderai juste un délai de réflexion. Comprenez moi je ne peux pas me prononcer comme cela sur un coup de tête et si rapidement. Et puis il y aussi certaines choses que j’aimerais régler en priorité »

Elle le regardait, alors que Kyle continuait d’être merveilleusement calme. Cet enfant était un ange et avait déjà les yeux de son père. Kelly ne pouvait s’empêcher d’y penser en les voyant

« Vous avez dit pouvoir m’aider. Dans un premier temps je veux divorcer. Joshua mérite mieux que cela. Vous pourriez vous charger de cela pour que cela aille vite ?je ne sais pas si j’aurai la force de le faire car honnêtement je sais qu’il va être blessé et c’est un homme bien. Vous pourriez lui offrir un emploi sans qu’il ne sache que cela vient de moi ?Et puis en étant seule, je pourrai montrer à Alex que si il le veut, il pourra jouer un rôle dans la vie de son fils. »

Kelly avait lâché le morceau. Elle agissait de la sorte pour  amadouer Alex aussi. Peu à peu, elle dévoilait son jeu de cartes. Et Alex Sanderson en était le roi. Tant est si bien que sans le savoir, elle amenait sans doute Reto à un constat : s’il voulait la séduire, il avait tout intérêt à ce que Doutzen reste dans le giron proche du jeune homme. Une véritable partie d’échecs était donc entrain de se jouer car il allait devoir jouer sur plusieurs tableaux.

« Vous avez engagé un détective vous dites. Qu’a-t-il découvert sur lui ? Vous ne savez pas s’il a quelqu’un dans sa vie ? Si il continue de vivre comme avant ?S’ il compte rester ici un moment ? »

La mère de famille était clairement entrain de se renseigner dans un but très précis. Elle était quais certaine qu’il continuait de passer de femmes en femmes comme la presse aimait le raconter. Ce qui pour elle était bon signe car cela voulait dire que personne n’avait encore réussi à le dompter. Sachant très bien qu’elle avait les moyens de le faire, elle disposait de ses charmes et de son fils. Et maintenant d’un sérieux allié en la personne de Reto

Reto avait plusieurs cartes devant lui, plusieurs éléments dont il devait tenir compte, avec plusieurs objectifs à la clef. Que cherchait-il, fondamentalement ? L’argent de Sanderson ? Oui, mais pas uniquement... L’argent, les Petrovski en avaient beaucoup. La Russie était un pays réputé pour son haut taux de corruption, et, grâce aux gisements pétrolifères, les mafieux avaient de quoi s’en mettre plein les poches. Non, ce n’était pas tant l’argent que Reto cherchait que le carnet d’adresses de Sanderson, et l’accès aux archives de la société. Sanderson était le propriétaire de multiples terrains et immeubles de Seikusu, des zones qui servaient de plateformes pour les Yakuzas. Il fallait découvrir qui dirigeaient les sociétés fantoches placées là, et les informations se trouvaient dans les registres de sa société, dans les classeurs de son cabinet d’avocats. Voilà, fondamentalement, ce que Reto était venu chercher ici... Mais, maintenant, un autre objectif le tiraillait. Un objectif beaucoup plus classique, digne de tous les contes de fées : la belle Princesse. Reto avait lui aussi ses secrets, des atouts dans sa manche qu’il n’avait que très rarement développé, notamment sur sa véritable nature... Pour l’heure, il se contentait de l’observer, de l’écouter. Kelly commençait déjà à faire ce qu’elle savait faire de mieux : manipuler les hommes s’intéressant à elle pour tirer au mieux ce qu’elle voulait... À savoir se débarrasser de son mari, puis récupérer l’autre. Reto, lui, serait juste le dindon de la farce... Mais, si la petite se débrouillait bien, lui aussi n’était pas totalement dénué d’actions. Reto était également un redoutable manipulateur, et ce malgré ses pulsions primaires.

Elle termina en posant une question sur les relations d’Alex’. Il retint un sourire, et hocha lentement la divorce.

« Je peux engager mes avocats sur votre divorce, mais, si vous voulez qu’il aille vite, il vus faudra l’accord de Joshua, non seulement sur le divorce en lui-même, mais aussi sur les effets... La garde de l’enfant, l’attribution du logement familial, de vos biens... Je peux accélérer la procédure avec mes avocats, mais, si vous n’êtes pas d’accord, la procédure n’en sera que plus retardée, et pourra facilement durer des mois, si ce n’est des années. »

Se prenant pour un homme de droit, il lui parla alors d’un article du Japan Times sur le divorce. La durée moyenne était de deux ans, car les époux peinaient à s’accorder. La justice japonaise avait une vision bien différente du divorce que la justice occidentale. Là où le juge occidental voyait le divorce comme une manière de rétablir la paix publique en séparant deux individus ne pouvant plus vivre ensemble, le juge japonais avait une vision plus sexiste, plus machiste, en voyant la femme souhaitant divorcer comme une femme souhaitant défier son mari, minimisant alors le divorce à une simple dispute entre époux, si ce n’est à une simple humeur féminine. Bien entendu, rien de tout cela ne transparaissait dans les textes et les décisions de justice, mais c’était bien l’expression de la mentalité japonaise, pays encore très marqué par un sexisme larvant. Le machisme était, de fait, si implanté dans le Japon, qu’il en devenait un frein sérieux pour l’économie nationale.

« Encore une fois, je vous invite à réfléchir à ma proposition, Madame Brooks. Je comprends tout à fait que vous ayez besoin de réfléchir, mais le monde des affaires avance vite, et je ne pourrais pas maintenir votre offre ad vitam aeternam. »

C’était une manière, pour lui, de rappeler à la jeune femme qu’il n’était pas un simple larbin accomplissant docilement et sans réfléchir les quatre volontés de la femme.

« Concernant Joshua, dépendant de ses qualifications, il est possible de lui confier un emploi... De mon point de vue, vous devriez accepter de lui laisser ce logement. Autrement, le procès en divorce risque de durer, surtout si Joshua souhaite se voir accorder des droits de visite et d’hébergement sur votre enfant... Mais je ne veux pas trop m’avancer dessus. Je ne suis pas expert en droit, juste un simple néophyte. »

Autrement dit, il fallait l’amener à prendre contact avec l’un des avocats de Reto, et donc la rapprocher un peu plus de lui.

« Le détective qui enquête sur Alex’ a pris des clichés... Significatifs... De lui. Je pense que Monsieur Sanderson va souhaiter rester ici, car Seikusu est un pôle très actif dans l’immobilier. Il a été récemment revu assez fréquemment en compagnie d’une seule femme. J’ignore quelle conséquence en tirer, compte tenu du passé de l’homme... Si vous voulez en voir plus, il faudra voir mon avocat. Les photos sont consignées dans son cabinet. »

Reto en savait évidemment bien plus que cela. Cette femme qui tournait autour d’Alex’ n’était autre que Doutzen Kroes, sa fille adoptive. Autrement dit, Reto allait devoir jouer sur deux tableaux, en manipulant plusieurs personnes à la fois, et en jouant de son Petit Chaperon rouge. Le plus important était d’éviter que Kelly ou Alex’ ne fassent le lien entre elle et lui.

« Toujours sur votre divorce avec Joshua, vous pouvez partir de votre appartement avec votre fils, et laisser mon avocat, et donc le vôtre, se charger de discuter avec lui... Mais, si vous tenez à lui, je pense qu’il sera encore plus dévasté de revenir dans un appartement vide, avec pour seul contact un homme de loi. »

Cette proposition était un piège, un moyen de voir si les larmes de Kelly pour Joshua étaient des larmes de crocodiles, ou si elle était sincèrement peinée de sa situation, et du fait qu’elle allait probablement le dévaster. Reto ne savait rien de ce Joshua, mais il imaginait déjà une menace potentielle... Un rival, oui, mais aussi un animal blessé... Or, Reto savait que l’animal à la jambe brisée était très dangereux, car il pouvait parfois se débattre avec une vigueur exceptionnelle pour espérer se sortir d’une situation mal engagée.

En somme, Reto allait devoir ne négliger aucune piste.

Kelly devait faire fonctionner son cerveau à plein régime. Reto avait soulevé pas mal de choses qui pouvaient poser soucis. Elle se rendait compte qu’il avait tout d’une personne assez calée dans ce qu’il faisait. Ce n’était pas un amateur et elle se disait que son impression sur lui était la bonne : il n’était pas forcément ce qu’il disait être. Il donnait la sensation d’être un homme influent et important. Kelly le savait d’autant plus qu’elle en avait fréquenté pas mal dans le passé. Et si effectivement il pouvait être utile, elle savait aussi que c’étaient les hommes les plus dangereux. Il fallait donc s’en méfier et la mère de famille avait bien conscience de jouer dans la cour des grands. Mais elle n’était pas non plus femme à s’écraser ou à s’avouer facilement vaincue non plus

« Si Alex accepte de jouer son rôle de père, je en sais pas si Joshua aura encore légalement un quelconque role à jouer. Il n’a pas reconnu Kyle et ne l’a pas adopté. Il fait office de père pour le moment mais hormis un droit de visite plus que léger, je ne vois pas trop ce qu’il pourrait obtenir. J’aimerais cependant qu’il puisse toujours voir Kyle. Ce serait bien de trouver un arrangement. Il a toujours été super avec lui. »

Elle marqua une pause. Au fond, ce serait sans doute mieux d’avoir une franche discussion avec lui. Il le méritait. Kelly n’avait pas envie de faire cela comme une voleuse derrière son dos. Reto avait raison quand il disait que mieux valait  dire les choses en face.Et trouver un arrangement

« Je vais lui parler dès que possible. Lui expliquer les choses. »

Il lui faudrait dès lors trouver un logement si jamais elle partait d’ici. Elle ne voulait pas rester ici et il fallait attendre de voir la réaction d’Alex. Reto pouvait à ce niveau l’aider et en femme très habile, elle ne tarda pas à retomber sur ses pattes.

« Je veux bien travailler comme modèle pour vous ou quelque chose de ce genre. Mais il me faudrait une avance pour m’offrir une chambre d’hôtel en attendant de voir ce que ma situation donnera. Vous comprenez que vu le contexte, je ne peux pas aller vivre chez vous. Cela pourrait nuire à mon divorce et à mon souhait de voir le père de mon enfant jouer son rôle. Mais merci de votre offre. »

Kelly savait décidemment manier les mots pour obtenir ce qu’elle voulait sans forcément blesser la personne en face d’elle. C’était son leimotiv, peser chaque décision, chaque expression pour éviter qu’elle ne se retourne contre elle.

« De toute façon il faudra voir votre avocat rapidement. »

On sentait dans sa voix un certain agacement cependant. Reto lui avait dit qu’alex était ces derniers temps vus avec la même femme. Cela ne lui ressemblait pas trop de s’éterniser avec la même conquête. Ce n’était pas sa façon de faire. Elle ne les avait que trop bien elle qui l’avait cotoyé de près. Qui était cette fille dès lors ? Qu’avait elle qui justifiait le fait qu’alex la revoie régulièrement ? Kelly ressentait ce qui était une  forme de jalousie. Cette fille pouvait venir perturber ses plans. Et cela, il en était hors de questions

« Je veux savoir si cette femme peut être utile pour lui si jamais il voulait me prendre Kyle, si Alex compte l'épouser par exemple ou se voit à long terme avec »

 C’était pas vraiment ce qu’elle pensait. Mais elle ne se voyait pas dire que  cette fille l’énervait déjà. Ce serait dévoiler son jeu de cartes un peu trop vite. Et cela, il en était hors de question.

La question du divorce s’évacua rapidement, au profit de celle, plus compliquée, de la mystérieuse femme... Et Reto le comprenait. Toute la stratégie de Kelly reposait sur le fait de revenir s’immiscer dans la vie d’Alex’, de devenir sa femme... Ce qui serait très difficile si le jeune homme voyait déjà quelqu’un. Reto, malheureusement, et il admettait ici son erreur, ne s’était pas suffisamment renseigné sur la relation entre son Chaperon rouge et Alex’. Pour lui, Alex’ n’avait été qu’une des nombreuses proies faciles de Doutzen, et, partant de là, de lui. Un simple homme un play-boy traitant les femmes avec dédain, comme des objets, en les croyant trop idiotes pour jouer un double jeu. Il savait que Doutzen et lui avaient continué à se voir, et il avait autorisé cela, car les informations obtenues sur l’ordinateur-portable d’Alex’ avaient été insuffisantes pour cerner son réseau et ses relations. Sanderson était plus prudent que ce que Reto pensait, et conservait soigneusement tout ce qui faisait sa fortune. La relation entre les deux avait donc continué, et Reto ne s’y intéressait pas trop. Il surveillait la vie de sa fille, bien sûr, mais pas autant qu’il le faudrait sur certains points.

Concrètement, il n’avait aucune réponse à fournir, mais il sentit le changement, que ce soit dans le ton de Kelly, dans la voix, ou même dans la formulation. Elle passa des questions, des remarques qu’elle justifiait immédiatement, comme celle de séjourner à l’hôtel plutôt que chez lui, à un ordre... Tout simplement. Kelly voulait savoir. En d’autres circonstances, Reto aurait souri. Les hommes viennent de Mars, et les femmes de Vénus... Mais, parfois, il semblerait bien que les femmes aient fait un petit détour sur la planète rouge. Mettez-en deux ensemble autour du même homme, et ce n’était pas juste quelques étincelles que vous verriez, mais un véritable feu de forêt, du genre à brûler des hectares entiers sur des centaines de kilomètres à la ronde. Toute la finalité des démarches de Kelly n’avait que pour but d’occuper auprès d’Alex’ une place qui était peut-être déjà prise, un fauteuil sur lequel une autre croupe était déjà posée.

Encore une fois, Reto allait devoir sagement manœuvrer ses cartes. Dans ces histoires, dans ces relations qui se tissaient, il était le marionnettiste, car il contrôlait l’un des éléments centraux, et venait de rejoindre le deuxième. C’était comme une équation avec une grosse inconnue (Alex’), un nombre connu (Doutz’), et une autre inconnue qu’il était en train de résoudre. Il allait devoir sagement déplacer ses pions et ses chiffres pour que l’équation se résolve de la manière souhaitée. Un véritable défi intellectuel, quelque chose qui flattait son orgueil.

« Mon avocat pourra vous recevoir dans les plus brefs délais. Je vais vous donner son numéro. Je vous conseille de l’appeler ce soir, en lui disant que vous venez de ma part. Il vous prendra de manière exceptionnelle. »

Habituellement, il fallait bien attendre une bonne semaine, mais, si Kelly appelait vite, le rendez-vous pourrait même avoir lieu demain.

« Quant à la chambre d’hôtel... Je peux vous fournir ça, je connais quelques amis qui dirigent une chaîne d’hôtels à travers tout le Japon. Vous savez comment c’est... Entre Russes, on se comprend. »

Inutile d’en préciser davantage. Si Kelly n’avait pas encore compris que Reto était un homme dangereux, et qu’il avait des liens avec la Mafia russe, soit c’est qu’elle était idiote, soit, et c’est ce que Reto pensait, elle était suffisamment maligne pour ne pas poser la question. La grande règle de la Mafia était celle de l’omerta, qu’on retrouvait partout, et pas uniquement en Sicile : la Mafia n’existait publiquement pas. Il y avait tout un culte du secret autour des organisations mafieuses, et c’était ici la même chose. En parler, c’était prendre le risque de se réveiller au petit matin avec une tête de cheval décapitée dans votre lit.

Reto se remua un peu, comme s’il était prêt à partir.

« Je me renseignerais sur les intentions de Monsieur Sanderson, Madame Brooks. Quand vous irez voir mon avocat, ce dernier pourra peut-être vous en dire plus, et, à défaut, il sera en mesure de vous donner une chambre d’hôtel pour la durée de la procédure. »

Inutile de trop insister, ou Kelly finirait par se braquer. C’est ce qui amena Reto à jouer la carte de la prudence, car il savait qu’elle allait se préparer à une discussion visiblement houleuse avec son mari :

« On fait comme ça, Madame Brooks ? »