Le Grand Jeu - Forum RPG Hentai

Bonjour et bienvenue.

Ce forum présente des œuvres littéraires au caractère explicite et/ou sensible.
Pour ces raisons, il s'adresse à un public averti et est déconseillé aux moins de 18 ans.

En consultant ce site, vous certifiez ne pas être choqué par la nature de son contenu et vous assumez l'entière responsabilité de votre navigation.

Vous acceptez également le traitement automatisé de données et mentions légales de notre hébergeur.

Prête-toi au jeu [PV]

Nos partenaires :

Planete Sonic Reose Hybride Yuri-Academia L'Empire d'Argos Astrya Hybride Industry Iles Mystérieuses THIRDS Petites indécences entre amis
Inscrivez-vous

Andrea Leevi

Humain(e)

Prête-toi au jeu [PV]

mardi 04 février 2014, 21:15:23

Alvilda ; l'Ombre

 

Le grand foc claquait au vent alors que des mains puissantes tiraient sur la corde qui retenait la voile de proue. Fièrement, contre l’Auster et son souffle du midi, le tissu chantait et se dressait malgré tout. Dans la moiteur de l’atmosphère, qui faisait suer à grosses gouttes les apparents marins qui passaient à présent à la Civadière, le dressage des voiles faisait penser à l’ascension d’un homme au flanc d’une montagne. Le paysage était pourtant bien différent, puisque la mer s’étendait à perte de vue lorsqu’on se tenait sur le ponton de lattes branlantes. La jeune femme qui s’y trouvait souriait d’ailleurs doucement à la vision des larges bandes de tissus s’élevant sur les nombreux mâts qui fleurissait sur le navire. Pas besoin de se presser ici, ni de se cacher. La ville était fondamentalement corrompue au règne de la piraterie, et les étendards voletaient au-dessus de chaque pont. Le sien remonta enfin, représentant une falaise étendant son ombre sur la mer sombre en contrebas. Cette vision la rassurait et la remplissait d'une indicible fierté. Deux heures passèrent sans qu’elle ne bouge, se contentant d’observer ses subordonnés préparer leur départ. Les provisions étaient chargées à bord, la cave était remplie de rhum et chacun avait pu profiter des plaisirs de la terre. Il était maintenant temps de retourner à leur mère patrie, l’océan. Tous autant qu’ils étaient frémissaient d’envie de sentir le roulis des vagues accompagner chacun de leur pas, de leurs gestes.

Une mécanique bien huilée qui reprenait peu à peu dès lors qu’elle avait annoncé le départ, la veille au soir. Dernière nuit de beuverie et de stupre, de débauche et de jeux. Ils reprenaient la mer, et pour cette simple consigne tous étaient prêts à abandonner chaque plaisir, aussi réjouissant soit-il. Les distractions du littoral ne servaient qu’à leur permettre de mieux apprécier le retour de leur quotidien. Des actes répétés, des fonctions définies qui formaient un tableau merveilleusement équilibré. La capitaine de la Vierge du Cap n’avait pas eu besoin de répéter l’injonction, et depuis l’aube tout son équipage était en activité. Malgré les probables décadences de la nuit, ils étaient opérationnels aux premiers rayons du soleil, impatients sans qu’elle ait eu besoin de donner une heure. Fidèles compagnons.

Alvilda, plus connue comme l’Ombre de la piraterie, ouvrit les brandebourgs de sa lourde veste rouge, laissant le soleil déjà étouffant caresser son corsage. Comme décidée par la brûlure de l’astre, elle se mit en branle et monta deux à deux les marches de la passerelle lui permettant de monter à bord. Traversant le pont, elle alla chercher son plus beau chapeau, celui qu’elle ne manquait jamais de mettre à chaque départ de port. Le vissant sur ses cheveux laissés libres, Alvi vérifia les stocks en compagnie d’Ann, son second. Jetant personnellement un coup d’œil à chaque nœud, chaque voile, chaque détail de la mise en place, elle monta finalement sur le pont supérieur et lança d’une voix claire, toujours chargée d’excitation.

- Camarades. Il est temps de tourner une fois de plus la page d’une de nos escales. Myrajh se souviendra de nous comme les plus belles femmes, les meilleurs buveurs et les plus trouble-fête qu’ils n’aient jamais vu. Je ne peux vous dire où le vent nous conduira, mais peu importe que cela prenne un mois, un an ou un siècle. Car sur la mer jamais nous ne vieillissons vraiment.

Ce ne furent pas des applaudissements qui accueillirent sa tirade, mais des coups de pieds, de poings sur le bois du bateau. Ainsi, la Vierge du Cap elle-même semblait acquiescer. Dans un sourire, Alvilda sauta au milieu de ses pirates, pour couper d’un mouvement de sabre la corde qui retenait encore le vaisseau frissonnant à quai. Une fois libéré, il s’élança, porté par l’Auster, tendu comme un muscle sur le point de craquer. Enfin affranchi de sa prison de cordages, le navire glissa sur l’eau, lentement pour esquiver ses compatriotes, et sortit enfin de l’eau trop calme du port pour enfin effleurer les vagues qui les attendaient.

- Ann, réduit l’Artimon, et toi Samuel, va au gouvernail. Maintient le cap nord-nord-est. Accroche-toi, on va passer les douze nœuds.

Alvilda, quant à elle, s’occupa personnellement de distribuer un goulot de rhum à chacun de ses pirates. Elle fêtait toujours le retour à la mer, et la capitaine passa plusieurs heures à apprécier la morsure du vent sur son visage et son décolleté, jusqu’à ce que son second vienne l’informer qu’un navire était en vue. Un bateau pirate, manifestement. Et ce qu’elle lui dit ne lui plut vraiment pas.

- On dirait le pavillon de Barbe-D’os, Alvilda. Ils viennent droit sur nous. Quels sont les ordres ?

- On ne sort pas les canons. A priori nous n’avons rien à voir avec lui, il n’a pas de raison de nous en vouloir. Tu le connais, Ann, je n’ai pas envie de me frotter à lui si je peux l’éviter. Puisqu’ils arrivent, on va les attendre. Que tout le monde se tienne prêt, au cas où. N’engagez pas le combat.

La jeune femme resserra la ceinture qui maintenait son arme favorite, appuya un peu plus son chapeau sur son crâne et grimpa le long du mât de misaine en serrant ses cuisses autour du bois. Les échelons de cordes l’aidaient à ne pas glisser, bien qu’elle soit devenue habituée de ce genre d’acrobaties. En hauteur, son regard couvant la plaine liquide, elle respira l’air débarrassé des odeurs de cuisine, de rhum et de poudre. On sentait juste le sel et la chaleur du vent. Et au loin, le Storm Rider, tristement connu des pirates comme abritant les quartiers de Nathaniel Cross, alias Barbe-D’os. Gueule d’ange, mais impitoyable et bien connu des légendes qu’on racontait aux enfants. Alvilda n’était pas aussi connue, comme son nom l’indiquait. L’Ombre. Elle se glissait dans votre dos, dans le décor. Se faisant oublier, préférant la discrétion au faste et au déballage d’exploits de ses collègues, c’est comme cela qu’Alvilda avait survécu, et ce depuis son plus jeune âge.

Mais là, au beau milieu de l’océan, comment pouvait-elle espérer passer inaperçu ? Le contact était inévitable. Pourtant, la capitaine préférait de loin éviter ses compagnons de piraterie. Sur l’eau, ils retrouvaient tous leurs instincts premiers, leurs pulsions. Autant dire qu’ils se montraient également plus susceptibles, plus violents. Alvi aimait se battre, mais préférait que ce soit un navire de la marine. Dans un soupir, elle se hissa jusqu’au nid de pie et s’y installa en tailleur, regardant le bateau adverse approcher. Se demandant bien ce que Barbe-D’os pouvait lui vouloir.

En tout cas, quitte à le croiser elle aurait un petit compte à régler avec lui, éventuellement. Au sujet de sa putain de sœur. Un sourire carnassier étira ses lèvres et elle sortit son sabre pour graver quelques dessins sur le bois de son observatoire préféré. Elle rajouta également une barre dans son compte de jours. Elle suivait ce rituel chaque matin depuis qu’elle avait renommé son bateau, après l’avoir récupéré à son ancien propriétaire. 978 jours exactement. Un sacré bout de temps qu’elle était capitaine, pour ses jeunes vingt-cinq printemps. Et pendant tout ce temps, elle avait réussi à esquiver la plupart des pirates de mauvaise renommée pour préserver ses pillages, ses cargaisons et surtout son bâtiment. Son équipage n’avait donc pas beaucoup changé durant tout ce temps, fidèle mais surtout comptant peu de morts. L’Ombre perdurait, se répandait, et peu à peu prenait un pouvoir non négligeable. Alvi préférait une ascension lente mais certaine à une trop fulgurante progression.

- Approche, Cross. Je vais te passer le bonjour d’Héloïse.

Comme pour lui répondre, le vent lui porta un brouhaha diffus provenant du Storm Rider se rapprochant rapidement d’eux. Elle n’en comprit pas un mot, mais se redressa pour se tenir tout en haut de son bâtiment et laisser ses cheveux voler dans les courants chauds, en parallèle de son pavillon fier et tendu comme l’ego des hommes.
« Modifié: jeudi 10 avril 2014, 19:32:18 par Andrea Leevi »
Tomorrow comes to take me away
[Eagle Eye Cherry]

>  On ne devrait pas vivre que pour le plaisir. Rien ne vieillit comme le bonheur.
>  L'émotion nous égare : c'est son principal mérite.
[Oscar Wilde]


Nathaniel Cross

Humain(e)

Re : Prête-toi au jeu [PV]

Réponse 1 mercredi 09 avril 2014, 11:27:34

Il arrivait souvent que la vie à bord d'un navire pirate s'avère calme. Il se passait parfois près d'une semaine ou deux sans que la route d'un galion comme le Storm Rider n'en croise aucune autre. Ni impériaux nexusien contre qui faire tonner les canons, ni navire marchand à piller, ni bâtiment battant pavillon noir qu'il aurait fallut affronter pour affirmer la place de tête de Barbe-d'Os et de son équipage de trompe-la-mort dans les échelons de la piraterie. Rien que le roulis des vaguelettes qui s'écrasaient sur la coque maintes fois éprouvée du Rider dont l'étrave fière taillait dans le vif des océans au rythme des nautiques accomplis. Ce jour là était semblable aux trois qui l'avaient précédé. Calme et tranquille, il était baigné par un soleil d'été qui n'empêchait pas un zéphyr généreux de gonfler les voiles noires si caractéristiques du navire de Nathaniel Cross. La température haute invitait au repos et les pirates s'y adonnaient quand leur quart était achevé, paressant mollement dans les hamacs qui jonchaient les quartiers du gaillard d'avant quand ils ne traînaient pas sur le pont pour discuter en partageant un godet de leur ration de rhum. Ceux qui étaient contraints au travail brossaient le pont, couraient dans les cordages pour vérifer les voiles ou se retrouvaient pendus par un système de poulies au bastinguage pour aller entretenir la coque.

Nathaniel Cross était sur le pont supérieur, à discuter avec Doubhée "la sèche" Tardis. Son long manteau rouge était comme toujours ouvert sur son torse aux dessins musculaires saillants, qui n'avaient pas d'intêret pour son maître d'équipage. La Sèche préférait de loin lécher des chattes que bouffer des queues et Barbe-d'Os n'avait à ses yeux que l'attrait d'être un excellent capitaine à qui il lui plaisait d'obéïr. Tous deux devisaient de la répartition des tâches par équipes pendant que Miss Fortune, la désirable seconde de Cross, vérifiait elle le cap à tenir en compagnie de Jack Daniels, pilote et timonier. Finalement, Doubhée et Fortune se retirèrent ensemble du pont supérieur et Nate se retrouva à échanger avec Daniels quelques propos salés sur le derrière des deux pirates qui venaient de s'éclipser. Pilote et capitaine se gaussèrent sur la relation lesbienne qui allait sûrement occuper la prochaine heure du second et du maître d'équipage quand une petite rumeur parvint jusqu'à leurs oreilles. Souriant, Nathaniel abandonna Daniels pour aller se poster au bastinguage et écouter.

Un des matelots, Canad Adry, avait lancé comme à son habitude une chanson. Les couplets avaient rapidement été repris par l'ensemble du bord et bien que chacun continuait de vaquer à sa tâche avec la même ferveur, tous avaient repris en choeur "Don't forget your old shipmate" et le Riders'était transformé en une chorale presque bon enfant. Le rythme du chant trouvait ses racines sur les coups ponctuels portés sur le bois du navire, qui semblait ainsi participer à sa façon. Même Barbe-d'Os s'était prêté au jeu et sa voix s'était mêlée à celle de ses hommes (et de ses femmes, ne l'oublions pas), multipliant l'entrain de ces derniers à pousser la chansonnette.
Ce fut au cours des deux dernières phrases de l'ultime couplet que Fortune revint précipitamment au pont supérieur pour rejoindre son capitaine. Le corset de cuir qui réhaussait sa poitrine déjà généreuse avait été à moitié ouvert et la chemise au décolleté défait offrait une vue imprenable sur son sein droit dont Nate profita avec gourmandise. Visiblement, Fortune et Doubhée avaient été interrompues.

- La vigie annonce une voile, cap'taine. Qui bat pavillon noir.

Barbe-d'Os fronça le sourcil de son oeil valide alors que son second lui indiquait du doigt la direction sur la mer. Nathaniel saisit alors sa longue-vue et prit quelques secondes pour confirmer les dires qui venaient directement du nid-de-pie. Le gabier posté là-haut, Tekila Coca avait l'oeil vif. Le pavillon qui battait au loin n'était pas un jolly roger inconnu de Nate.

- Alvida l'Ombre. En voilà bien une que je ne pensais pas croiser dans ces eaux.
- Il risque d'y avoir de la castagne, à ton avis ? Elle réajusta son corset en parlant.
- Pas son genre, pour autant que je sache. Mais c't'un forban pur jus, alors préparons nous à la saluer selon les règles.

Fortune hocha la tête en guise d'assentiment et laissa là son capitaine. Le Storm Rider avait retrouvé le calme habituel de son pont, même si les conversations quant au navire qui était apparu par-delà la ligne de l'horizon se montraient animées. En bon marins, les pirates de Barbe-d'Os attendaient les ordres de leur capitaine, sachant pertinemment qu'il ne se contenterait pas de croiser au loin d'un autre galion. Nathaniel Cross ne craignait pas l'affrontement ni les autres pirates, deux raisons qui laissaient entendre que les deux navires ne se contenteraient pas de s'ignorer. Quand Fortune se mit en place pour donner les ordres du capitaine, toutes et tous se retrouvèrent perchés à ses lèvres. Dès qu'elle aurait parlé, il faudrait agir en conséquence, vite et bien. Pendant ce temps, Nate ordonnait au pilote de maintenir le cap vers La Vierge, qui se rapprochait toujours un peu plus.

- TENEZ VOUS PRÊTS AU COMBAT, BAISEURS DE SIRÈNES ! MADAME TARDIS, JE VEUX CES SINGES ARMES ET PRÊTS A SE BATTRE ! ON NE FAIT QUE SALUER, MAIS NOUS RÉPONDRONS A CES RATS SI ILS NOUS DÉFIENT ! POURQUOI LES MOUCHEURS NE SONT PAS ENCORE PERCHES SUR LES MATS ? EN PISTE, TAS DE MACAQUES ! VOUS ETES ENCORE A M'ECOUTER ? MONSIEUR RIKARD, RANGEZ MOI CETTE BOUTEILLE DE RHUM OU JE VOUS LA CARRE DANS LE FION !

Fortune criait beaucoup, beuglant ses ordres et ses insultes avec une prestance que le bord appréciait. Elle sauta en contre-bas pour aller s'occuper elle-même de donner quelques coups de triques à quelques matelots trop longs à se mettre au boulot pendant que Cross lui regardait la Vierge du Capqu'il pouvait à présent contempler sans sa longue-vue. Les canons d'Alvida n'étaient pas apparus, mais Nate ne doutait pas que -comme les siens- ils seraient prompts à sortir de leurs trappes pour délivrer leurs boulets. Le branle-bas avait sûrement été ordonné sur le navire adverse aussi, parce qu'aucun bon pirate ne pouvait avoir entièrement confiance en un autre. Néanmoins, Cross et Alvida n'étaient pas en compte et n'avaient apparemment rien qui puisse les pousser à s'affronter.
Mais peut-être que la capitaine de la Vierge avait, elle, une autre vision des choses. Puisque les deux bâtiments seraient très vite à la colle, Nathaniel ne doutait pas être vite fixé quant aux intentions du bord d'en face.

Andrea Leevi

Humain(e)

Re : Prête-toi au jeu [PV]

Réponse 2 mercredi 09 avril 2014, 18:22:53

Le Storm Rider n’était pas la caravelle qu’Alvilda espérait le plus croiser en cette mer. Elle aurait payé cher, sans doute une cargaison entière de rhum, pour ne pas se retrouver forcée de faire la causette à cette crapule de Barde-D’Os. Tout un chacun, dans le milieu de la piraterie, savait que Nathaniel Cross aimait les femmes plus que de raison. Ce parangon de l’homme attirant par excellence alpaguait toutes les paires de seins dans ses couches. Pirates, filles de petites ou de plus grandes vertus, son amour des formes était connu par-delà les sept mers. S’il se plaisait à penser que sa réputation de flibustier faisait régner le respect, c’est surtout par ses exploits par une toute autre sorte d’épée qu’il avait acquis sa petite réputation de port en port. Alvilda redoutait de le croiser, parce qu’elle craignait de son attitude envers son équipage. La capitaine savait qu’il avait à son bord des femmes, et pas des plus laides. Mais, s’il respectait celles à ces côtés, en allait-il de même avec celles qui se trouvaient sur le mauvais navire ?

La Vierge du Cap tenait en effet à son bord une majorité de représentantes du sexe féminin. Alvi avait, dans sa quête pour reprendre la Vierge des mains de son prédécesseur, rassemblé dans son giron des pirates de qualité. Des femmes que l’on reléguait à des tâches ingrates, à peine des matelots bonnes à baiser. Ayant été cette fille bien trop longtemps, Alvilda avait choisi de s’entourer de toutes celles qui aspiraient à prendre la mer. Oh, bien sûr il y avait aussi des hommes à son bord, et pas qu’un peu. Mais la règle était simple : Alvilda commandait, et il n’y avait pas lieu sur ce bâtiment pour quelque débordement que ce soit. Autrement dit, personne ne baisait personne sur les planches de son navire. La pirate refusait tout bonnement de s’embarrasser d’amourettes stupides, de démonstrations de débauche, de nuits de stupre et de félicité. Elle ne savait que trop bien comme la chair est faible et comme il est vain de vouloir diriger un équipage qui agit sous une pression d’échanges de biens et de services corporels. Alvilda faisait souvent des détours en ville pour permettre à tout le monde d’assouvir leurs besoins, et qui plus est son équipage avait tous les droits sur les prisonniers capturés, avant que ceux-ci ne passent par-dessus bord pour sustenter les poissons et autres monstres marins, une fois noyés et gorgés d’eau.

Hommes comme femmes avaient tout pouvoir au sein de son embarcation, et le droit de viol était universel. Ils pouvaient se soulager tout leur saoul, cuvant encore le plaisir comme on digère une cuite trop virulente jusqu’au lendemain. Cela ne les encourageait que plus à donner l’attaque, gagnant à chaque coup d’épée du terrain sur la partie adverse. Autant dire que cette privation leur permettait d’être chaque fois plus passionnés, plus incisifs, plus assurés dans leur quête d’un soulagement bien mérité. Alvilda se tenait avec rigueur à la même règle, malgré les nombreuses avances que les membres de son équipage parmi les plus hardis se permettaient de lui faire. La jeune femme ne s’accordait cet agrément qu’à ses retours au port, passant alors la nuit à chevaucher un serveur ou un corsaire des plus honnêtes. Il n’y avait de plus délicieuse satisfaction que de voir leurs visages stupéfaits et horrifiés lorsqu’elle déclinait son identité. Alvilda jouissait chaque jour de l’avantage de passer inaperçue aux regards peu attentifs, en mer. Se gausser d’avoir pris plusieurs orgasmes à un homme intègre était un de ses petits plaisirs personnels.

Songeant aux pertes qui n’allaient pas manquer de survenir si Cross se décidait au combat, la capitaine de la Vierge grimaça en descendant de son nid de pie. Elle remit pieds sur le pont principal, ajustant son couvre-chef et jetant un coup d’œil aux voiles gonflées par un faible souffle de vent qui n’avait aucune chance de les emmener loin du bateau adverse.

- Capitaine ! C’est bien Barbe-D’Os qui approche ? Allons-nous l’attaquer ? J’ai un compte personnel à régler avec lui.
- Le fait qu’il t’ai ramoné les cuisses ne m’intéresse pas, la Buse. Je vous ai ordonné d’attendre, il me semble.

Alvilda balaya toute répartie de la part de la jeune femme rousse aux cheveux courts et au maquillage ostentatoire. La Buse était encore jeune, et pourtant déjà elle occupait le poste de cambustier. Elle ne sortait que peu de la cale, où la vérification des marchandises lui prenait de longues heures de sa journée. Fine et sèche, la Buse grogna une réplique étouffée avant de reprendre son poste à la vérification des voiles de réserves. Ann s’appliqua à transmettre les ordres de son capitaine, et la seule intonation de sa voix suffit aux éléments les plus incontrôlables, comme Kiddy Jack, à s’exécuter.

Peu de temps après, Alvilda donna un coup de poignet sur la barre afin de faire glisser la Vierge du Cap aux côtés du Storm Rider, changeant de direction au dernier moment pour prendre la même vague et permettre aux deux navires de voguer d’un même élan. Alvi laissa le gouvernail à Ann et, saisissant un cordage, elle se balança pour atterrir de justesse sur le bastingage du Storm. Debout en équilibre, si bien qu’une simple manœuvre suffirait probablement à la faire plonger dans les eaux chaudes qui l’attendaient, Alvilda se fendit d’une révérence moqueuse. Les breloques dans ses cheveux s’agitèrent, tintant aux oreilles de la capitaine qui remit prestement son tricorne sur son crâne.

- Cross, quel mauvais vent t’amène ? Pour une fois que l’on se croise en solitaires, j’en profite pour te dire une chose. La prochaine fois que tu verras ta Putain de sœur, n’oublie surtout pas de la saluer de la part de l’Ombre. Qu’elle vienne me réclamer ma mort, je ne suis plus la petite fille d’avant !

Ce n’était sans doute pas l’approche la plus diplomatique, à bien y penser. Surtout que la jeune femme était en territoire ennemi. Elle tenait pourtant toujours le bout qui lui avait permis de poser pied ici. Un simple signe de tête à Ann, et elle repartirait sur la Vierge sans encombre. En temps normal, Alvilda était plutôt discrète, c’est de là qu’elle tenait son nom. Après tout, une femme capitaine n’est pas dangereuse. Dans un équipage, pourquoi pas. Mais au commandement, quelle idée ! Le monde de la piraterie considérait encore les femmes comme des réservoirs à foutre et de bonnes cuisinières. La présence de femelles sur le bateau de Cross ne signifiait pas forcément qu’il les respectait. Pour Alvi, son sexe était sa force, tout comme celle de son navire. La plupart de ses adversaires ne pensaient même pas qu’elle fût dangereuse, jusqu’à ce qu’elle les envoie par le fond. C’est ce manque de méfiance qui lui avait permis de renverser son ancien capitaine -que le Kraken ronge ses os- et de récupérer ce bâtiment. Sa discrétion. Qui se faisait la malle quand on évoquait de près ou de loin Héloïse de Saint-Ange.

- La Buse, non !

C’est Ned, le pilote, qui avait remarqué en premier la bêtise de leur jeune recrue. Alvilda se retourna à l’injonction, pour voir l’idiote pointer son tromblon vers Nathaniel Cross. Stupide vengeance. Alvi n’eut pas le temps de l’en empêcher, juste celui de déplorer les dérives de la jalousie. La Buse tira, alors que sa capitaine imaginait déjà le bordel que cela allait être, de devoir combattre Barbe-d’Os. Elle n’en avait aucune envie. Et bordel, elle n’était pas vraiment en position pour cela. Il faudrait qu’elle veille à régler ce problème de coucheries intempestives. Sa dernière pensée, lorsque la balle partit, fut une légère fierté quant à son instinct qui lui avait soufflé que cette rencontre avec Nathaniel Cross ne serait pas de tout repos.
Tomorrow comes to take me away
[Eagle Eye Cherry]

>  On ne devrait pas vivre que pour le plaisir. Rien ne vieillit comme le bonheur.
>  L'émotion nous égare : c'est son principal mérite.
[Oscar Wilde]


Nathaniel Cross

Humain(e)

Re : Prête-toi au jeu [PV]

Réponse 3 mercredi 09 avril 2014, 19:59:34

Sous les pas des matelots qui fourmillaient sur le pont comme autant d'insectes à leur ruche, le bois craquait et gémissait du passage. Les uns vérifiaient la charge de poudre de la pistole qui avait été distribuée par un petit groupe dont ça avait la mission désignée -il aurait été stupide de laisser des armes à feu sous les mains de gaillards plus excité qu'une vierge devant sa première queue si on voulait éviter les massacres stupides à la suite d'une querelle bénigne- et les autres prenaient leur poste après avoir cintré un sabre dans leur ceinture et glissé une dague rouillée par l'iode entre leurs chicots noirâtres ou dans le montant d'une de leurs bottes -quand ils en avaient. Les gabiers s'activaient dans la voilure, filant comme d'habile petits singes à travers les cordages entrelacés qui permettaient leur évolution dans les hauteurs du galion. Ils réduisaient les voiles pour que le navire perde en vitesse, lui permettant ainsi d'approche de la Vierge sans risquer de lui rentrer dedans tout en voguant à la même vitesse. On se bougeait aussi dans les entrailles animées du Storm, les canonniers et autres artificiers chargeant leurs pièces de poudre et de boulets pour être prêts à faire feu si le capitaine en donnait l'ordre. Bien que les trappes qui parcouraient la coque pour délivrer les gueules de fonte noire étaient encore closes alors que la distance se réduisait drastiquement entre les deux bâtiments, Pat Paddy le maître-canonnier avait préparé son coup. Un seul ordre de lui et les matelots désignés ouvriraient les battants pour délivrer une première volée de boulets. Dissimulés dans les flancs du Rider, les artilleurs se tenaient prêts à agir. En cas d'affrontement, ils savaient que leur vitesse serait décisive : leurs homologues de la Vierge s'apprêtaient sûrement à faire de même. Le premier équipage à ouvrir le feu prendrait donc un avantage décisif.

Fortune avait terminé ses sermons et était revenue sur le pont principal pour affiner ses ordres, aidée en cela par Doubhée qui alpaguait ses équipiers avec morgue. Hommes et femmes s'affairaient sur un pied d'égalité au sein du navire aux voiles noires, punies et félicitées sur un pied d'égalité. Le fait que plusieurs donzelles occupaient des rôles d'importance au sein de l'équipage renforçait ce dernier, puisque les femmes savaient que leur travail était plus méritoire que la cambrure de leurs reins. Les hommes quant à eux se montraient hardis à la tâche, leur machisme refusant de céder un seul once de terrain à leurs compagnes de bord. Et si dissensions il y avait parfois, elles ne portaient que très rarement sur le sexe : les marins de Nathaniel Cross avaient intégré depuis longtemps le fait que l'appareil génital ne faisait pas la valeur d'un pirate, du moins à bord du Rider. Quant aux hormones, leurs montées étaient réprimées avec sévérité pour éviter tout débordements et ne s'exposaient que quand le capitaine l'y autorisait (cela arrivait rarement en mer, toutefois) où lorsque les protagonistes étaient assez malins et discrets pour s'ébattre sans se faire prendre. Dans le cas contraire, ils goûtaient à la trique. Et pas celle qu'ils auraient préférée. La punition était aussi rude que les récompenses étaient douces, lorsque l'on servait sous le pavillon de Barbe-d'Os.

Les navires se retrouvèrent au même niveau au moment où Fortune retrouvait sa place la plus habituelle, soit le côté de Cross. La seconde avait d'abord été la plus fidèle amie du pirate et ses compétences avaient toujours prévalu sur sa plastique dans l'esprit de Nate, bien qu'il aimait à profiter des deux à égale mesure. Mais à la différences des parties de baises âprement disputées, Nathaniel n'aurait voulu d'autre partenaire qu'elle pour commander à son bâtiment. Fortune était une pirate fiable, qui connaissait mieux la mer que certaines femmes les replis de leur intimités. Cross ne fit pas de geste particulier quand elle le rejoignit, le borgne préférant garder son attention sur Alvida. L'Ombre s'était saisie d'un cordage pour aller se balancer de son pont à l'un des garde-fous du Storm Rider, sur lequel elle veilla à rester perchée. D'un bord à l'autre, les équipages se toisaient et les lames n'attendaient qu'un déclic pour glisser hors des passants de cuir élimés qui les retenaient.
Cross répondit au salut d'Alvida de la même façon moqueuse, gardant son sourire narquois tandis qu'elle lui passait son message.

- Allons, Alvida ! Les impériaux ne chassent que les véritables pirates, pas équipages de cul-rouges comme le tien. Voilà pourquoi elle n'est pas venue réclamer ta mort, fillette ! Viens donc à mon bord et je te montrerais la vie de forb...
- La Buse, non !

Ce ne fût pas tant l'injonction qui coupa Cross que la poussée que lui infligea Fortune. La rousse avait réagit en un éclair quand elle avait vu le mousquet pointer son capitaine et elle n'avait pas tardé à le percuter pour l'envoyer sur le côté quand le coup de feu claqua férocement dans l'air sec. La bille d'acier perfora l'épaule du second du Rider qui s'effondra en arrière sous le tir, les pirates sous son commandement regardant la scène avec des yeux médusés. Ils ne pouvaient attaquer sans un ordre direct du capitaine, qui ne tarda pas à vociférer d'une voix vibrante de colère. Puisque Alvida voulait la guerre, Nathaniel Cross lui apporterait la fureur barbare de la bataille.

- A L'ABORDAGE ET PAS DE QUARTIERS ! ENVOYEZ MOI CETTE COQUE DE NOIX PAR LE FOND !

Il n'en fallut pas plus pour déchaîner l'excitation de pirates qui étaient restés plusieurs jours inactifs, sans compter que Fortune était un officier apprécié. Dure mais juste, le second était respectée sur le navire qu'elle aimait tant et personne à bord du Rider n'imaginait un seul instant laisser sa blessure -peut-être fatale, pour ce qu'ils en savaient- rester impunie. Manzana tira le premier coup de feu, avant même que les crochets d'abordage ne soient lancés depuis le Storm. Le moucheur avait dirigé son fusil depuis longtemps déjà sur La Buse et n'avait attendu que le signal pour presser la détente. Elle toucha sa cible et se mit à recharger aussi vite qu'elle le put depuis sa position haut-perchée sur le mât, réservant sa prochaine gousse de poudre pour Alvida. Toujours abattre la tête en premier, même si elle avait voulu venger Fortune avant tout. Manzana savait très bien que son capitaine ne lui reprocherait pas son manquement à une règle élémentaire.
Les autres matelots avaient lancés grappins et cordages pour s'élancer à l'assaut de la Vierge du cap en brandissant leurs sabres et en donnant de la pistole pour éclaircir les rangs. Les premiers d'entre eux déferlèrent sur le navire ennemi pour y rencontrer le début de la résistance adverse, qu'il comptait bien faucher.

Plus bas contre la coque, les trappes des canons s'ouvrirent dès les ordres transmis, soit quelques très courtes secondes après que Cross les eut aboyés. Dans un bruit mât s'étaient relevées les ouvertures pour dévoiler les canons et leur oeil d'un noir menaçant. Trente-trois pièces d'artillerie, soit toutes celles qui couraient le long de ce côté du Rider- se mirent alors à faire feu quasiment en simultanée et la première volée de boulets allât percuter la coque opposée qui éclata par endroits dans un déluge de bois arraché à son ensemble. Le bruit de la cannonade avait été semblable à celui d'un orage crépitant, sans que cela ne semble déranger personne.
Sur le pont supérieur, Cross avait été rejoint par Beth le mousse, qui eut pour ordre prioritaire de traîner Fortune au médecin de bord. La brune acquièsa et chargea sa supérieure sur l'épaule avant de tenter de se frayer un chemin sur le capharnaüm guerrier et sauvage qu'était devenu la surface du Rider, bien évidemment abordé lui aussi. Dans le tumulte, Nathaniel se saisit lui aussi d'un cordage comme l'avait fait Alvida et avait dégainé son sabre en se lançant dans le vide pour atterrir sur la Vierge. L'avaient suivi entre autres Ed la Barbouze et le nain Rikard, qui avait troqué sa bouteille contre une épée effilée afin de monter à l'assaut à la suite de son capitaine, beuglant un "Yaaaaaaaar !" qui promettait à ceux et celles qui se trouveraient devant lui de belles plaies sanguinolentes.

- L'Ombre est à moi, garçons !
- Aye, cap'tain !

Et Nate fonça sur le pont de la Vierge qui venait de le recueillir, ses bottes filant sur le bois esquinté et ruisselant de sang alors que déjà ses canonniers rechargeaient leurs armes. Sa lame ouvrit des ventre et des gorges tandis qu'il remontait vers Alvida, que son oeil unique ne se résolvait pas à perdre de vue. Comme ses hommes, Nathaniel Cross était au combat un chien enragé qui comptait bien profiter du manque de pitié annoncé par ses ordres pour faire payer à Alvida l'attaque de La Buse. Et puisque cette petite pouliche d'Ombre se faisait de plus en plus reconnaître à travers les ports qui battaient le pavillon noir orné d'os, Cross allait en profiter pour calmer un peu son ascension.
Sur ses arrières, les jumeaux Cola et Limonade s'assuraient qu'il n'y aurait pas de forban pour le prendre à revers. Le tumulte de la bataille qui se jouait là équivalait à la colère qui brûlait dans le ventre de Cross.

L'Ombre serait bientôt tâchée de sang pour sa traîtrise et la blessure de Fortune, Barbe-d'Os le jurant sur le nom de tous les océans.

Andrea Leevi

Humain(e)

Re : Prête-toi au jeu [PV]

Réponse 4 mercredi 09 avril 2014, 22:30:57

Le regret, tout à coup. Que La Buse soit aussi stupide, inconsciente. Qu’elle les mette tous en danger pour une histoire de fesses. Qu’elle privilégie une vengeance stérile à la survie de leur bâtiment et équipage. Qu’elle les compromette tous. Pourtant, quelque part, Alvilda aurait jubilé que cette balle atteigne sa destination. Offrir à Héloïse son frère sur un plateau d’argent pour ensuite le tuer devant ses yeux, quoi de mieux ? Elle avait tant entendu parler de Nathaniel Cross qu’elle semblait pouvoir s’octroyer le droit de lui faire regretter jusqu’à son existence même. Etant bien plus jeune que lui, elle avait eu le temps de côtoyer sa sœur il y a quelques années à peine. Héloïse qui avait œuvré en son sens, qui avait cru sauver sa vie. Alvilda lui reprendrait cette certitude à coups d’ongles et de dents. Elle piétinerait cette conviction stupide de ses plus belles bottes. Et Alvi en profiterait pour lui rendre la monnaie de sa foutue pièce. Tout son parcours l’avait menée là, aujourd’hui, à affronter le frère de sa seule cible. C’était elle, la raison de la prise de la Vierge et son baptême, effaçant « Le forban bleu » pour donner à la caravelle un patronyme plus adapté. Alvilda n’attendit pas de voir ce qu’il résultait de cette détonation. Elle siffla, et se laissa tomber du bastingage. La chute fit voler ses cheveux, tandis que son manteau vermeil formait comme un cocon autour de sa silhouette s’abandonnant au vide.

Mais Ann avait prévu le coup, et ordonné à ce que l’on pousse le canon de l’écoutille qui se trouvait juste sous l’Ombre, qui s’y glissa en tombant. Alvilda entendit le hurlement de Cross du haut de son navire. Elle avait donné le premier coup. Elle était responsable de ses hommes –et femmes- et n’avait aucune excuse. La capitaine était accroupie à la place du monstre de ferraille qui semblait la regarder, pupille insondable d’un noir de suie. Elle se redressa aussitôt, se saisit d’une torche éteinte pour la plonger dans le feu allumé par les canonniers du navire. Sans même se soucier des détonations qui explosèrent à quelques mètres d’eux et aux éclats de bois et de poudre qui volaient autour d’elle, Alvilda mit le feu à la première de ses bombardes. Ce fut un ordre muet qui ébranla toute la Vierge du Cap. L’équipage se mit en branle aussitôt, se débarrassant d’une torpeur qui avait habité leur surprise d’une offensive si brusque et inattendue. Alvi remonta l’allée bordée des lourds mastodontes de fer forgé qui reculaient sous chaque impact lancé par l’équipage, tirant à chaque fois sur les lourdes chaînes qui les retenaient à la charpente de bois de la Vierge qui, canardée d’aussi près, souffrait. La capitaine sentait son cœur se serrer, d’abord du sort de son bâtiment qui, à chaque tir, s’affaiblissait. Sa seule satisfaction était de savoir que chaque coup était rendu à Cross. Ils avaient peut-être moins de pièces, mais plus d’hommes pour chacune d’entre elles. Le ballet était parfaitement mené, chacun avait sa place et les monstres étaient plus légers, donc plus maniables. Les tirs n’en étaient que plus précis.

Mais c’est surtout l’excitation qui reprenait le dessus. Au-delà du regret, surpassant de loin ses sentiments pacifistes. Alvilda sentait l’adrénaline se déverser dans ses veines. Elle remonta l’escalier qui la ferait se dresser sur son bâtiment, fière sous son pavillon qui jamais ne tomberait. La progression lui permit d’assurer soutien à son équipage, alors que tout semblait s’accélérer autour d’elle. Un boulet de canon frôla son manteau, dont elle se débarrassa, le laissant se faire souffler par l’impact. En plein dans la cambuse, réduisant leur stock de rhum à sec. Sans même parler des charcuteries de choix pillées dans leur dernier abordage. Alvi s’en énerva d’autant plus, dégainant alors sa fidèle lame qui chuinta dans l’air alors qu’elle adoptait un pas de course pour bondir sur le pont. Quelque chose comme la fin du monde était en train de se dérouler juste autour d’elle. Le pont était raclé de griffes d’acier, les grappins étant lancés sur le bateau assailli. Le bastingage était amputé de certaines de ses rambardes, violemment arrachées par endroit devant la sauvagerie de l’assaut. Autour d’elle, des éclats de bois virevoltaient comme une danse aérienne savamment répétée. Des morceaux de la Vierge qui, trop proche de son adversaire, recevait chaque coup directement, de plein fouet. Mais son navire se défendait bien et les hommes ne rechignaient pas à la tâche. Chaque pirate tombé était remplacé par un autre, et les tirs ne cessaient guère que le temps de recharger une machine ou l’autre.

Sur le pont, Alvilda passa à côté du corps inerte de la Buse. Sans doute morte, pour ce qu’elle en voyait. Alvi ne prit pas la peine de s’appesantir ou de pleurer cette perte. Elle avait manqué à son commandement, avait bafoué son autorité. Elle n’aurait rien mérité d’autre que la planche, de toutes les manières. Et l’équipage autour d’elle ne paraissait pas s’en soucier davantage, conscients que la rixe qui les opposait au capitaine Cross n’était pas gagnée d’avance. Que leurs pertes seraient causées par cette écervelée, sans doute trop jeune pour prendre la mer. Trop fragile pour connaître la vie et ses travers. La Buse s’était effondrée en plein vol, et personne ne la pleurerait ce soir. Alvilda continua d’avancer, comme insensible au chaos qui se propageait autour d’elle. Le bruit était étourdissant, entre explosions, cris d’agonies, hurlements de douleur et crissement du métal des sabres s’entrechoquant. Les détonations étaient violentes, assourdissantes et la capitaine de la Vierge du Cap sauta à bas du gaillard d’arrière et se plongea dans l’enfer. A bord de son bâtiment, Alvilda rejoignit Burn, son maître d’équipage. C’était elle qui assurait le lien entre elle et le reste de ses hommes. Elle mettait en œuvre les ordres d’Ann, son second. Burn motivait les hommes, organisait les troupes et coordonnait leurs actions. Elle avait donc toute légitimité à rester au cœur de l’action.

Burn et elle avancèrent dos à dos, faisant plus de dégâts dans les rangs ennemis que le reste de l’équipage. Alvilda ne cherchait pas forcément à tuer, mais elle tranchait des mains, coupait des tendons, sectionnait une artère. Elle compensait son manque de force brute par une agilité soignée. Ici, aucun homme ne se laissait distraire par son sexe, et rien que pour cela, Alvi appréciait l’instant. Cela faisait trop longtemps qu’elle n’avait pas pris part à une telle boucherie. Dégainer son espingole, tirer dans le tas. Toucher quelqu’un, le savoir d’un cri avant de retourner à sa prochaine cible. Son sabre, court et adapté à son poids et sa force, savait toujours quand s’interposer entre elle et le fil d’une lame. Burn la couvrait, et dans ces moments-là, Alvilda se sentait invincible. Elle saisit pourtant le regard de Cross, l’ignorant pour embrocher un de ses hommes, avant d’y revenir tandis que Thomas Goodwill, son quartier-maître, les rejoignait près du grand hunier.

- Cap’taine, les pertes se font sentir des deux côtés à égalité.

Il dut crier pour qu’elle l’entende, trop occupée à ne plus quitter du regard Cross qui se frayait un chemin jusqu’à elle. L’Ombre hocha la tête, acquiesçant une vérité déjà acquise. Barbe-d’Os se rapprochait. Elle rengaina soudainement son arme, et se hissa à la seule force des bras le long des supports de la grand-voile, D’une rapide ascension dans les hauteurs de son bâtiment, Alvilda libéra quelques voiles, en tempérant d’autres. Essayer de prendre le vent de travers qu’ils volaient au Storm Rider, il n’y avait que cela pour espérer se détacher et quitter cette lutte infinie de celui aurait le plus de coups de canon à son actif. Alvi manœuvra comme elle put, tandis que Crimson tentait de garder à distance toute lame s’approchant du mât, donnant du temps à son capitaine. Le temps nécessaire. Elle sentit la brise favorable les prendre de travers, et la proue de la Vierge dépassa légèrement celle de son homologue. Il ne restait plus qu’à se débarrasser des grappins…

- Thomas, les cordages. On prend le vent !

 Alvilda voulait la confrontation. Elle désirait plus que tout mettre à mal Nathaniel Cross. Mais leurs pertes étaient déjà importantes, et surtout ils avaient besoin de reprendre de la vitesse pour échapper aux canons dévastateurs qui les réduiraient bientôt en miettes. Il fallait reprendre l’avantage, et si possible détacher Cross de son navire. Alvi chercha Ann du regard, la trouva. Tandis que Thomas tentait de se frayer un chemin jusqu’aux amarres qui les retenaient prisonnier, comme enlacés avec le Storm, le second de l’Ombre hocha la tête et rejoignit le quartier-maître. Alvilda, quant à elle, se laissa tomber sur le pont, atterrissant sur un des matelots de Cross, lui brisant la nuque entre ses cuisses. Une fois de retour sur le ponton, alors que la moitié des grappins étaient sectionnés net, Thomas persévérant malgré une sale blessure au flanc, un cri s’éleva dans le vacarme ambiant. Etonnamment clair. Alors que Crimson et plusieurs de ses hommes tentaient de retenir Nathaniel loin de leur capitaine, Alvilda reconnut l’alarme de la vigie. Perchée sur le nid de pie, celle-ci n’avait pas bougé depuis le début du combat. Burn relaya l’information en courant jusqu’à Alvilda, égorgeant au passage un pauvre pirate qui se trouvait au mauvais endroit.

- Alvilda, un autre bâtiment approche à toute allure. On dirait qu’il a le vent pour lui.
- Quel pavillon ?
- C’est Jambes Rouges, Cap’taine.

La jeune femme pesta et cracha de dépit. Jambes Rouges, rien que ça. Est-ce que quelqu’un pouvait la laisser se défouler sur ce satané Cross en paix ? Jambes Rouges.

- Burn, vérifie le stock de munitions. Dis à Ann de se tenir prête pour une autre salve à encaisser. Modifie notre cap, offre notre meilleur profil à ce nouvel invité. Qu’il n’ait que le Storm Rider en ligne de mire.
- Compris Cap’taine !

Le pavillon maudit, redouté par la plupart des pirates. Jambes Rouges, pirate devenu fou. A moitié humain seulement, le pire cauchemar des enfants effrayés par les contes de leurs géniteurs. La moitié du corps en moins, et un esprit totalement aliéné, incontrôlable. Beaucoup de rumeurs existaient à son sujet, aucune n’avait été vérifiée. Pas un seul équipage n’avait survécu à sa rencontre, pas même les plus vils forbans et crapules existant en mer. Cela n’augurait rien de bon. Surtout en l’état actuel des troupes et des bâtiments. Alvilda chercha Cross du regard, le trouva en train de menacer beaucoup trop sérieusement Crimson. Elle ne réfléchit pas plus et se précipita vers lui, arrêtant son sabre du sien, glissant son corps entre celui de Barbe-d’Os et de la pirate. Elle lui offrit un sourire bien plus apaisé que son esprit ne pouvait l'être, en pleine ébullition.

- Et alors, tu es devenu avare de conversation ? Je profiterai bien du vent qui tourne pour te faire visiter la sentine. Avec les rats, tu t’y plairais. Mais on a un autre problème. Sud-ouest, le pavillon de Jambes Rouges. Tu sais pourquoi il s’appelle comme ça. Et ce n’est pas l’envie qui me manque de te faire bouffer l’océan par le fond, mais on ne sera pas trop de deux face à lui. On aura le temps de s’étriper sagement après.

Alvilda espérait surtout que Cross ne soit pas assez stupide pour refuser. Sa lame appuyait de toutes ses forces contre la sienne, retenant la rage qu’elle voyait dans ce visage figé, barbare, reflet du sien qui appelait le sang sur son sabre jamais rassasié. Seulement, là il y avait plus urgent. Est-ce que cet imbécile s’en rendrait compte ?
Tomorrow comes to take me away
[Eagle Eye Cherry]

>  On ne devrait pas vivre que pour le plaisir. Rien ne vieillit comme le bonheur.
>  L'émotion nous égare : c'est son principal mérite.
[Oscar Wilde]


Nathaniel Cross

Humain(e)

Re : Prête-toi au jeu [PV]

Réponse 5 jeudi 10 avril 2014, 11:23:16

Le Rider était un navire ancien au bois éprouvés par maints affrontements nautiques. Ses capitaines successifs avaient veillé à toujours entretenir ce galion d'exception à la coque renforcée et aux canons puissants, n'hésitant pas à passer une bonne partie de leur butin dans les travaux de rénovation et d'amélioration du bâtiment. Cross avait accepté cette charge en même temps que son tricorne et n'avait jamais manqué à son devoir de capitaine, s'occupant du navire comme du marmot geignard au cul couvert de merde qu'il n'aurait jamais. Ainsi, le Rider était rarement prit au dépourvu lors d'une bataille et la robustesse qui faisait la fierté des marins le manœuvrant avait très largement contribué à la légende d'insubmersibilité qu'on prêtait au navire, qui tirait son nom de sa prétendue capacité à littéralement chevaucher les tempêtes. Racontars enjolivés par les marins, ces histoires avaient pourtant un fond certain et bien réel de vérité que l'équipage de la Vierge du cap allait pouvoir constater. Les salves de canonnades s’échangeaient à présent avec férocité entre les deux bords, les boulets crachés par les queues de fontes attachées à la Vierge emportant à chacune de leur éjaculation poudreuse des morceaux de bois. Les planches s'écrasaient sous la puissance des boulets qui faisaient gémir la coque du Rider. Certaines meurtrières à canon avaient été emportés par des tirs précis de l'adversaire, détruisant une pièce d'artillerie ou deux dans un fracas apocalyptique de fragments boiseux arrachés à la cohérence de la construction. Le souffle et le choc avaient emporté plusieurs marins de l'équipage de Cross, mais les artilleurs du Rider rendaient avec plus de force les outrages qu'on leur faisait. Les gueules canonnières de Barbe-d'Os était puissantes et bien utilisées, leurs boulets rendant chaque coup à la vierge avec encore plus de volonté de destruction. Oui, les volées vomies par le Rider étaient moins rapides que celle de son ennemi. Mais elles causaient bien plus de mal quand elles fracassaient le flanc du bateau de l'Ombre. Leurs dommages s'équivalaient presque, mais le maître-canonnier Paddy comptait bien prendre l'avantage. Là-haut, ses compagnons et son capitaine se battaient avec l'ardeur d'un jouvenceau perforant sa première chatte. Il était pour lui hors de question que ses artificiers ne leur rendent pas hommage.

Au-dessus de la tête de Pat Paddy et de ses manœuvres de canon, les hommes de Cross continuaient de s'acharner pour la défense de leur navire et de leur honneur. C'était une cacophonie abrupte et presque compacte de sons rageurs qui s'entremêlaient sous les hurlements des canonnades et de leurs impacts, tandis que les pirates des deux bords s'affrontaient avec la même hargne. Les sabres d'abordage se retrouvaient à grincer lames contre lames quand ils ne meurtrissaient pas un corps et les pistoles surgissaient des ceintures pour délivrer leur unique projectile. Aucun marin n'avait la possibilité de recharger et n'utilisait son coup de feu qu'avec parcimonie et discernement, au risque de littéralement griller sa cartouche et un pourcentage de survie non-négligeable. Les moucheurs qui officiaient sur le Rider étaient peu nombreux -six en tout- mais bien entraînés. Armés des meilleurs mousquets, ces tireurs étaient perchés sur les mâts et enchaînaient les cartons sur les hommes du bord opposés. Manzana, entre autres, avait prouvé au capitaine que les moucheurs avaient leur intérêt à la bataille. Excellente tireuse, elle couvrait tout autant Nate que les autres officiers qui échappaient parfois à la mort de l'instant juste parce que la rouquine avait aligné un forban passé dans leur dos.

Dans l'équipage de Nathaniel Cross, tous étaient égaux. Ainsi, les femmes se battaient avec une rage équivalente à celle des hommes. Comme par exemple Malibu Cocotte qui faisait danser ses deux sabres longs au gré de ses cris qu'on aurait par moment cru semblables à des hululements de bataille. A l'instar de la basanée, Pasoa faisait jouer avec une allégresse non dissimulée la multitude d'arme qu'elle se plaisait à avoir sur elle. Mais il n'était pas uniquement question de sexe. Différentes races étaient représentée à bord du Rider et on pouvait voir des terranides mâles et femelles user de leurs attributs naturels pour décimer les rangs d'Alvida, leurs cris d'animaux sauvage trouvant écho dans les répercussions sonores des coups de canon qui faisaient trembler les deux navires. On s'affrontait dans les cordages ainsi qu'au fil des étraves étroites, on trébuchait sur le cadavre de compagnons quand on ne s'enfonçait pas avec quelques comparses dans les entrailles du navire adverse pour aller déloger les rats qui s'y terraient. Un groupe mené par ce fou-furieux de Briquet-de-tempête avait d'ailleurs cherché à rejoindre les cannoniers de la Vierge pour les passer par le fil de l'épée et ainsi épargner la coque du Rider mais était tombé sur une résistance inattendue à mi-chemin.

Barbe-d'Os se taillait une voie dans le sang et les blessures, évoluant sur la Vierge à travers les rangs de marins de cette dernière qui cherchaient à lui barrer la route. Cross avait bien des défauts, qui ne se retrouvaient pas dans le feu de la bataille. L'homme se prétendait aussi habile avec son sabre qu'avec sa queue et vu la démonstration qu'il faisait du premier en ôtant la vie des malheureux qui estimaient pouvoir l'arrêter, il y avait fort à parier qu'il fut effectivement un excellent reproducteur. Sa lame filait dans l'air pour ne jamais rencontrer que de quoi trancher. Gorges et torses se scindaient dans une giclée rouge quand il frappait d'estoc et de taille, piquant de la pointe acérée de son arme quand il ne tranchait pas. Son sillage n'était que blessures et gémissements d'agonie, ces dernières parfois abrégée par un des marins qui couvraient le capitaine. Son but à lui n'était autre que l'Ombre et Cross ne s'était attendu à aucun moment que ce soif facile. Alvida comptait -comme lui- sur un équipage fidèle qui connaissait son affaire. Ainsi aucun pirate ne lui aurait laissé le champ libre et s'était par la force qu'il devait progresser vers la jeune femme. Son oeil unique ne la quittait pas et son attention focalisée sur elle était protégée des profiteurs par la brute épaisse qu'était le cambusier, Einekken. Le terranide avait quitté ses réserves pour sortir l'ancre tâchée de sang avec laquelle il exprimait sa rage. Ayant rejoint le capitaine qui comptait déjà sur Rikard et La Barbouze pour le couvrir, la bête poilue s'en donnait à coeur joie.

Cross ne manqua pas de voir Alvida se faufiler dans ses voilages comme un petit singe sur une attraction de cirque. Ses intentions lui semblèrent claires comme de l'eau de roche, le poussa à agir en conséquence. C'était une manoeuvre intelligente de la part de l'Ombre, des plus dangereuses pour Barbe-d'Os. Il apostropha le premier marin venu, lui ordonna dans une vocifération d'aller trouver le maître-d'équipage pour lui faire manœuvrer le Rider de façon à ce qu'il reste au plus près de l'ennemi. Le pirate acquièsa et prit le chemin vers la Sèche, son avancée couverte par Rikard. Hors de question de laisser l'ordre se perdre au bout d'une lame rouillée !
Retrouver et mettre au pas la capitaine devenait néanmoins pour Cross et ses hommes une nécessité absolue. Lui, Einekken et La Barbouze accélérèrent donc la cadence pour arriver au pied du mât. Le groupe fut peu à peu disloqué par l'insistance des marins d'Alvilda à protéger leur capitaine, si bien que Cross se retrouva seul face à une Crimson toute disposée à lui tenir tête. Et la garce s'y entendait, menant jeu égal avec un Cross qui ne se déboutait pas. Leurs armes se rencontraient au prix de passes qui, si elles s'étaient achevées correctement, auraient été certainement des plus meurtrières. L'échange se fit de plus en plus intense, fatiguant Crimson. Sa légère baisse de régime ne pouvait échapper à un Cross survolté, qui s'apprêtait à anéantir sa défense pour lui perforer la poitrine au moment où une troisième lame s'interposa, sauva la femme au grain de peau caramel.
Le sourire d'Alvilda rencontra son pareil sur le visage tâché de giclures ensanglantées de Nate.

- Et alors, tu es devenu avare de conversation ? Je profiterai bien du vent qui tourne pour te faire visiter la sentine. Avec les rats, tu t’y plairais. Mais on a un autre problème.
- Je m'apprêtais justement à t'faire découvrir le discours de ma lame, mais tu as joué les petits macaques fuyards. Tu avais la merde au cul en te retrouvant face à véritable mâle, fillette ? Une fois enchaînée dans ma soute à te balancer au bout d'ma queue, tu goûteras au roulis d'l'océan.
- Sud-ouest, le pavillon de Jambes Rouges. Tu sais pourquoi il s’appelle comme ça. Et ce n’est pas l’envie qui me manque de te faire bouffer l’océan par le fond, mais on ne sera pas trop de deux face à lui. On aura le temps de s’étriper sagement après.

Cross fronça l'oeil, jaugeant Alvilda. La gamine ne semblait pas mentir, pour ce qu'il lisait sur ses traits. Sa petite bouche à barbouiller de crème virile ne pissait pas le mensonge et le capitaine tendit l'oreille de son mieux. Sa vigie sifflait, tentant péniblement de se faire entendre par-delà le fracas du combat dont l'intensité n'avait aucunement faiblit. On signalait l'arrivée d'une nouvelle voile depuis un moment et une présence sur le côté des deux capitaines dont les lames se léchaient vint confirmer à Cross les dires de son pendant féminin. Béatrice, un de ses matelots, était parvenue jusqu'à lui pour lui délivrer le message oral de la vigie. Ce qu'elle fit après une seconde à récupérer le souffle qui lui manquait.

- Le pavillon de Jambes Rouges, cap'taine ! Il fonce vers nous ! Le maître d'équipage attend vos ordres !

Barbe-d'Os avait gardé son oeil valide dans le regard d'Alvilda, jaugeant à présent davantage la situation qui s'amorçait que la véracité des propos de l'Ombre. Lui aussi connaissait Jambes Rouge et son navire. Le danger que représentait cet enfant de putain à l'apparence aussi sinistre que la réputation aurait put être correctement affronté dans des conditions normales, mais le Rider était blessé de la bataille qu'il livrait. Les voiles tarderaient à prendre le vent, puisque la Vierge s'était positionnée de façon à l'en priver pour en jouir... Mais la Vierge ne serait jamais assez rapide pour fuir Jambes Rouges et Alvilda le savait aussi bien que Cross. Les deux étaient pris au piège et visiblement contraints de présenter front uni. Autour d'eux, le tumulte du combat s'était un peu calmé : la nouvelle de l'arrivée de Jambes Rouges avait fait prendre conscience aux pirates des deux pavillons que l'heure était plus grave que ce simple règlement de compte. Nate cracha à terre avant de donner une impulsion sur sa lame, repoussant l'Ombre en arrière. Il n'attaqua toutefois pas et préféra beugler ses ordres. Béatrice était pourtant tout à côté, mais tous les marins présents devaient comprendre que l'heure n'était plus à la guerre. Plus entre eux, pour le moment au moins.

- DÉTACHEZ LE RIDER DE CETTE PUTAIN ! QU'ON ARME LES CANONS DE L'AUTRE FLANC POUR SE TENIR PRETS A SALUER JAMBES ROUGES PAR UNE BORDÉE DE BOULETS ! A LA MANŒUVRE, GARÇONS, PRÉPAREZ VOUS A COULER UNE LEGENDE !

Béatrice hocha vivement la tête avant de filer à toutes jambes en direction de son navire tutélaire, prête à transmettre les ordres de son maître de bord à l'officier qui remplaçait temporairement Fortune. Les autres pirates de Cross se retiraient du combat avec prudence, considérant qu'Alvilda n'avait pas encore ordonné les manœuvres de son propre équipage. Un coup en traître restait envisageable, bien que Cross l'estimait assez intelligente pour ne pas saborder dans l'oeuf leur alliance momentanée. Vu l'état de son navire et de ses hommes, l'Ombre n'avait pas de réelle chance d'échapper à la menace dont l'étrave fendait les flots avec assurance, sa voilure de plus en plus visible annonçant le malheur imminent. Pas plus que le Storm Rider, pour tout dire. Il se retourna vers Alvilda.

- Je vais t'donner le temps de te placer sur son autre flanc, petit singe. Une fois ce rat d'cale envoyé par l'fond, je t'apprendrais à faire obéïr ton équipage. Et si t'es bien attentive à la l'çon, je te fourrerais bien profond. Sans attendre sa réponse, Cross fit volte-face pour se retrouver face à son navire. A VOS POSTES, ENFANTS DE PUTAINS !

Et les pirates de Barbe-d'Os de s'éxécuter pour de bon, rejoignant la sûreté relative du navire qui représentait leur petit univers. Ils furent tous prompts à rebrousser chemin, s'aidant des grappins et des cordages ballants pour échapper à la Vierge qui n'était heureusement pas trop éloignée du Storm Rider. Nate les imita après avoir abandonné la proximité d'Alvilda, atterrissant sur le pont supérieur de son navire d'où il put clairement discerner sans longue-vue la voilure menaçante du bâtiment de Jambes Rouges, dont le grand-mât était orné de son pavillon noir. Il ne s'attarda pas davantage et fit une fois encore retentir sa voix puissante, ordonnant que les derniers grappins soient récupérés et que les blessés soient évacués dans le local du doc. Les corps seraient mis dans les cales pour que le tri en soit fait plus tard, le pont devant être dégagé au plus vite pour que les marins puissent manœuvrer sans être gênés.
Le Rider allait constituer la première cible de Jambes Rouges puisqu'il était positionné pile sur sa trajectoire et Cross était tout à fait conscient que l'assaut -mené ou supporté- serait des plus périlleux. Il allait falloir malgré tout compter sur la Vierge du Cap pour se sortir de ce mauvais pas, ce qui fit maugréer Barbe-d'Os.

Se fier à un autre pirate relevait autant du suicide que de la bêtise.

Andrea Leevi

Humain(e)

Re : Prête-toi au jeu [PV]

Réponse 6 jeudi 10 avril 2014, 21:12:45

Chaque boulet de canon qui traversait son navire était comme une égratignure sur le corps d’Alvilda. C’était comme si une lame particulièrement affutée revenait encore et encore faire des accrocs dans sa peau brûlée par le soleil, entaillant la chair peu à peu pour enfin faire saigner et marquer l’épiderme. Attaquer son bâtiment, sa Vierge, c’était l’attaquer elle. Et malgré son assurance, l’Ombre sentait que chaque projectile affaiblissait un peu plus le vaisseau. C’était comme si en se tenant simplement droite sur le pont, Alvilda sentait les tourments du bois qui craquait, l’affliction des planches qui cédaient sous l’agressivité des assauts. Ce fut un coup de trop lorsque la figure de proue vola en éclat. La femme gravée dans le bois le plus pur était à présent défigurée. Alvilda venait de finir de la payer, le travail de l’artiste ayant demandé du temps et des fonds. La Vierge du Cap était notamment connue pour ce distinctif élégant, précis et original. Là où nombreuses des donzelles méritant cette place abordaient seins nus à l’avant des navires, celle-ci croisait des bras résolus sur sa poitrine qu’on devinait ronde, mais menue. Le visage était tourné sur le côté, un sourcil relevé alors que l’on semblait presque deviner une étincelle de provocation dans son regard. Ses jambes finissaient légèrement pliées, comme alanguies sur le bois ciré du vaisseau. On devinait ses courbes plus que l’on ne pouvait les voir, et elle paraissait aussi inaccessible que séduisante. Une réalisation exceptionnelle qui avait suscité des heures de réflexion hésitante chez la capitaine. C’était un investissement, et elle avait dû le prendre sur ses propres parts de butin, se contentant alors de plaisirs chiches à terre sans jamais se déverser dans le faste qu’elle répugnait de toute façon à approcher. Elle lui préférait nettement une bonne taverne, du rhum, et les rires gras des pirates et marins qui se mêlaient quand l’alcool se mettait à couler suffisamment pour effacer les appartenances.

Tous, à terre, portaient une trace de leur fidélité à un bâtiment. Boucle d’oreille, foulard, ceinture gravée ou tatouages pour les plus sûrs d’entre eux, qui ne songeaient pas à quitter le pont qui les avait vu tuer le plus de marchands et d’impériaux. Ann abordait ce genre de marques, évidemment. Sur sa poitrine, on pouvait lire le nom du bâtiment auquel elle avait juré entière dévotion, et Alvilda elle-même revendiquait son titre. Au creux de sa cuisse gauche, sur la peau fragile et charnue, son pavillon avait été imprimé à l’encre, gageant de son nom et de sa nature. Pirate, par excellence. Bien que vierge, elle ne le soit plus depuis longtemps, la difficulté de la faire plier lui valait bien la reconnaissance d’un patronyme adapté à son bâtiment. Alvilda était de ces femmes qui choisissent et refusent d’agir par dépit. Il en valait de même pour les hommes. Alvi passait le plus clair de son temps à terre à revendre sa cargaison, menaçant, soudoyant ses « amis » de longue date. Son sexe et son âge ne suffisaient pas à lui fermer les portes, qu’elle enfonçait d’un grand coup d’épaule. Une fois les affaires terminées, elle allait volontiers chercher un partenaire d’un soir. Mais c’est elle qui décidait où, quand, avec qui. Les malotrus qui avaient tentés de la prendre par surprise, de posséder ce corps tout en rondeurs, avaient regretté leur initiative. On comptait plusieurs eunuques à Myrajh, dernier port investi par l’Ombre. Alvilda n’hésitait jamais au moment de trancher une queue malvenue ;  le hurlement de douleur et l’accablement du pauvre hère ne faisaient que la satisfaire un peu plus. Certains de ses hommes murmuraient derrière son dos, comme quoi Alvilda garderait les verges sectionnées dans sa cabine, comme preuve de son implacabilité et souvenir de son parcours. La faiblesse d’une femme, qui ne l’atteignait pas. Qui ne la concernait plus depuis de nombreuses années. La Buse aurait mieux fait de s’en remettre à ce caractère détaché, de la femme qui prend l’homme comme elle prend la mer. De la femme qui épouse les vagues aussi habilement qu’elle chevauche un sexe érigé pour elle. Et qui se fond dans l’océan pour oublier l’homme et ses murmures emplis de promesses.

Durant tout le temps où Cross la dévisageait, cherchant sans doute une trace de fourberie de sa part, Alvilda révisa un peu son jugement sur la Buse. Elle était trop jeune pour résister à ce corps, à cet air acéré et féroce qui faisait monter en elle des désirs contraires. L’envie de réduire à néant, d’abord. Le besoin de briser cet aplomb, cette audace qu’il affichait sans la moindre humilité. Mais aussi celui de goûter à sa peau salée par les embruns. La réputation de Cross n’était pas infondée, et tous les pirates connaissaient les rumeurs, contaient les exploits de Barbe-d’Os. Impitoyable, véritable pirate dans toute sa dénomination. Alvilda se demandait combien de femmes avant elle avaient songé à cet instant. Elle, capitaine émérite d’une  caravelle hissant pavillon noir, songeait sans peine que Nathaniel Cross serait le seul capable de la réduire au silence. La force dans son bras qui la repoussait soudainement laissait présager du plaisir qu’il aurait à s’exécuter. Alvi le voyait déjà, le sentait presque la transpercer de sa lame. Plongeant en elle, le sabre écarterait ses chairs les plus profondes. Il insisterait, donnant un coup plus précis pour atteindre son objectif. Cross ferait tourner en elle le dard fièrement redressé, la remplissant soudainement entièrement. Toute son existence ne se résumerait plus qu’à ce moment, où il pourrait dessiner les astres sous ses paupières. Peu sensible à l’apparence clinquante de Cross, l’Ombre sentait pourtant son corps recouvrir sa volonté, endormir la vigilance de son esprit. Les lignes sombres des muscles saillants dansaient devant ses yeux, tandis que le rictus affiché sans honte laissait entendre le plaisir qu’il aurait à le faire. Elle comprenait mieux la Buse, prenant conscience du magnétisme que dégageait ce forban qui pillait le plus profond de son âme et de son cœur, qui anéantissait bout à bout son bâtiment.

Mais, contrairement à nombreuses de ses femmes, Alvilda ne voyait pas le sexe comme une soumission. Et si, dans l’effervescence du combat qui faisait rage autour d’eux, l’Ombre sentait un tout autre désir naître en son sein, elle se promit une chose. Elle le ferait jouir, putain ! Ne serait-ce que pour venger la Buse, et lui prouver qu’elle n’était pas qu’un sac à foutre comme il l’envisageait de toutes les femmes. Le sexe était un choix. Et bordel, cet homme serait son amant de gré ou de force. Cela promettait un tout autre combat, et Alvilda prenait conscience qu’elle envisageait d’écarter les cuisses sur le responsable de ce tonnerre à ses oreilles, du massacre de son navire qui perdait son éclat de minute en minute. Mais dans son monde, chaque combat a son issue, son dénouement. Et celui-ci en était un autre.

La rupture du bois pourtant rigide et difficile à atteindre de la Vierge en proue du navire brisa les dernières retenues d’Alvilda. C’était sûrement un coup anonyme, raté pour son lanceur. Un éclat de canon qui avait échappé à la maîtrise d’un matelot de Cross. Une erreur. Des mois du salaire qu’elle se versait, merde ! Si la Vierge s’en sortait, si jamais sa caravelle revoyait un jour les grandes eaux de l’Océan Venteux, la capitaine se promit de reconstituer cette figure qui faisait sa fierté. Le navire lui était plus précieux que n’importe quel être humain croisé au cours de sa vie, et elle ne voyait pas d’autres raisons de dépenser son butin, à part dans les beuveries et les festins qu’elle s’octroyait parfois. Et au passage, elle se jura de passer par-dessus bord les canonniers de Barbe-d’Os, lavant la Vierge de cet affront. Aveuglé, le vaisseau était comme amputé d’une voile. Elle réagit donc enfin quand il la repoussa, le sang bouillonnant de plus belle jusque dans ses tempes, animant ses mouvements avant même qu’elle ne les pense. Délaissant soudainement Cross, Alvi saisit la balustrade la séparant du gaillard d’arrière et de son gouvernail légèrement fendu sur le devant. Prenant une impulsion, elle le gravit d’une foulée et reprit la barre en main. Serrant les queues de bois comme si elle voulait empêcher un homme de se répandre sur ses doigts, elle tourna la barre avant même que Cross ne se décide. Il lui fallait prendre le large pour passer en travers et récupérer le vent. Elle ne douta pas une seconde de la décision du pirate ennemi, à partir du moment où il l’avait repoussée. Ils œuvreraient ensemble d’un même bras vengeur, anéantissant par la même une menace sur les mers qu’ils ne voulaient plus voir voguer sereinement.

Devant l’inconscience de son capitaine à tourner le dos à Babe-d’Os et ses comparses, Thomas avait couvert les arrières de l’Ombre, en vain. Cross agit exactement comme elle l’avait prévu, ordonnant à ses gars de rejoindre le Storm Rider et de changer de visée. Elle laissa exploser sa joie de le voir dégager de son pont, lui répondant pour la peine alors qu’il s’éloignait déjà et ne l’entendrait pas.

- On verra qui de nous deux apprendra sa leçon, Cross. Tu ne vaux guère mieux que ta putain de sœur, et il est temps qu’on te montre qu’une femme n’est pas ta propriété. J’attends ta queue et une fois que j’en aurais fini avec, je l’arracherai avec les dents.

C’était une première pour l’Ombre, et sans doute pour son pendant masculin également. Œuvrer de concert avec un autre navire au pavillon sombre, c’était de la folie. Et pourtant, dès qu’elle fut libérée, la Vierge bondit en avant. On eut dit un arc bandé jusqu’à entamer la peau des doigts de son maître, pouvant enfin se relâcher. Le navire, plus fin et plus maniable que le Rider, se propulsa sur les vagues, saisissant le vent qu’Alvilda l’avait forcé à prendre en jouant des voilages et des cablures.

- Crimson, jette les morts par-dessus bord. On a pas le temps pour les pleurer. Plus on sera légers plus on pourra baiser ce monstre qui vous a tous pris un frère ou un parent. Dégagez-moi tout ça, et en vitesse ! Burn assure-toi que les canons sont prêts. Oui, personnellement, j’ai vu Patte-Folle tomber devant moi. Bougez vos culs, on a une bataille à gagner !

- Cap’taine, et Cross ? Il va revenir à la charge.

- Troué comme il est, ce gruyère ne pourra pas rivaliser. On frappe moins fort mais on avance plus vite, Ann. Contre Jambes Rouges, on a aucune chance. Ce forban de Barbe-d’Os n’est qu’une formalité. On reprendra le vent avant lui, crois-moi. Maintenant, à ton poste.

Alvilda ne prit pas un instant pour s’occuper de trier les morts et les blessés. Son chirurgien, ou son assistant si celui-ci avait été victime d’une attaque de Cross, s’en chargerait. Elle avait une manœuvre délicate à effectuer. Et quelque part au fond de son esprit, restait la solution facile. Prendre le large, profiter du vent et glisser hors de portée des canons des deux bâtiments. Douce utopie de penser pouvoir échapper à Jambes Rouges et son navire, l’un des plus rapides qu’elle connaissait, un parfait équilibre entre force de frappe et capacité à voler sur l’eau sans tenir compte du remous qui chasse et combat à chaque instant le bois flottant en son sein. L’image la séduisit un instant, et pourtant Alvilda la chassa rapidement. Pour regagner le cœur de ses hommes, elle entama un chant païen qui fit fleurir des sourires sur toutes les bouches, soudainement avides et affamées du sang de Jambes Rouges. Toute peur avait quitté leurs visages confiants, et plus rien ne pouvait empêcher leurs sabres de chuinter dans l’air, s’aiguisant sur les cadavres du ponton de la Vierge.

- PLUS FORT, MES BONS. Que votre voix porte jusqu’aux oreilles pourries de ce monstre qui fonce droit sur notre ennemi d’hier. Celui qui lui arrachera les couilles aura triple dose de rhum en rejoignant le prochain port ! Montrez-moi la fierté de la Vierge du Cap, triples buses ! Et ne me décevez pas, cette fois. Que cela vous serve de leçon !

Malgré l’aspect pitoyable de son bâtiment, Alvilda ricanait, jouissant d’une fierté sans pareille à mettre à bas ce monstre des mers qui prétendait rivaliser avec eux, pirates. Cette abomination méritait d’être envoyée par le fond. Son seul désir, à présent ? Pouvoir s’en vanter, plutôt que de laisser la gloire à Nathaniel Cross. La Vierge se rapprochait dangereusement, tandis que les canons étaient rechargés, et les mousquets prêts à tirer. Il allait falloir œuvrer de concert avec Cross, et Alvi surveillait son avancée du coin de l’œil. Laissant à Ned le soin de tenir la barre droit sur le flanc adverse, Alvilda se posta à la proue de la Vierge, remplaçant la figure qui y trônait auparavant. Elle ne laisserait pas un canon détruire l’image de son vaisseau. Jambes Rouges allait savoir que l’Ombre était sur lui, et que sa mort l’accompagnait sous les traits d’un pirate à l’œil unique injecté de la soif de sang. Remplaçant à la perfection la sculpture à présent détruite, Alvi laissa sa voix sortir en un cri retentissant, sans mots, manifestant juste toute l’adrénaline et la sauvagerie qui venaient de reprendre possession de son corps.

A son ordre précis et attendu, les canons reprirent les détonations si chères à son cœur, éclatant dans le tapage des cris de ses hommes qui s’étaient mêlés au sien. Alvilda n’avait plus peur de rien, et elle profita de sa maîtrise des voiles pour flirter avec le navire ennemi, s’éloignant pour manœuvrer et revenir. Elle avait l’avantage du vent, et donc de la vitesse étant donné que le mastodonte que commandait Jambes Rouges fonçait droit sur le Rider, incapable de dévier de sa trajectoire. Alvilda et sa Vierge semblaient voleter comme un moustique agaçant, tentant de réduire les forces d’attaques de l’ennemi, d'inverser l’écart de puissance, et surtout de remettre les comptes à zéro en termes de pertes. La détestable silhouette de Jambes Rouges éclatait dans le ciel découvert, laissant deviner sa répugnante apparence. Alvilda pouvait presque entendre la claudication et le tintement du crochet sur la ferraille encadrant les voiles et le gouvernail.

- Viens réclamer ta pitance, abomination. Cette journée sera ta dernière, foi d’Alvilda !

L’excitation était à son comble.

Alvilda en tremblait presque d’impatience.
Tomorrow comes to take me away
[Eagle Eye Cherry]

>  On ne devrait pas vivre que pour le plaisir. Rien ne vieillit comme le bonheur.
>  L'émotion nous égare : c'est son principal mérite.
[Oscar Wilde]


Nathaniel Cross

Humain(e)

Re : Prête-toi au jeu [PV]

Réponse 7 jeudi 10 avril 2014, 23:23:08

Les pirates de Cross étaient tous blessés, certains plus gravement que d'autres. Pourtant, aucun d'eux ne se plaignait alors qu'ils retrouvaient leurs postes respectifs à l'instar de fourmillants marionnettistes qui s'attelaient à actionner un titan de bois aux entrailles de fontes et de boulets rouges. Ils ahanaient avec force et profondeur, tirant sur leurs poumons esquintés par les relents de poudre noir, crachant sur le pont et à l'eau des glaviots épaissis par le sang qui remontaient dans leur bouche. Certains geignaient avant de tuer la fin de leur plainte d'un juron immonde sorti d'un port plus pourri qu'une jambe de bois et se redonnaient de l'assurance en faisant jouer leurs muscles. Ceux qui tombaient de fatigue ou fauchés par une mort tardive étaient remplacés par des marins un peu plus valides qui ne manquaient pas de glisser dans les flaques rougeâtres qui s'infiltraient entre les planches éprouvées du pont. Tous risquaient d'y passer, tous manqueraient plus ou moins de se tuer à la tâche pour seulement faire tenir au Rider son cap suicidaire. Faire front à un navire aussi solide que celui de Jambes Rouges quand l'un des flancs de votre propre navire venait d'être balayé par les tirs d'un tierce bâtiment, c'était partir à la guerre avec une dague profondément fichée dans l'estomac.
L'espace d'un instant, un doute flotta au-dessus de l'équipage tout entier. Barbe-d'Os se livrait il à un baroud d'honneur désespéré pour prouver à tous qu'il avait des joyeuses plus conséquentes que celles de tout son équipage après avoir été mit à mal par une femme, tout capitaine pirate qu'elle fut ?

Nathaniel avait passé son sabre à sa ceinture dès que ses bottes avaient retrouvé le bois du pont supérieur de son si précieux navire. En quelques enjambées, il avait retrouvé le pilote qui avait fièrement défendu la roue de son gouvernail. Jack Daniels avait été attaqué alors même qu'il actionnait l'échine du Rider pour ne pas que la Vierge parvienne à le distancer, mettant sa vie en jeu tout en continuant à diriger la fierté de son vieux compagnon de mer. Et il avait tenu bon, bien que son torse dénudé eut à compter de nouvelles estafilades qui deviendraient bien assez tôt de disgracieuses cicatrices. Sa joue gauche entre autre avait été fendue en deux jusqu'à l'oreille par le fil d'une dague dont il était parvenu à désarmer son possesseur pour la lui planter dans les couilles avant de l'égorger de son sabre. Quand Cross était arrivé à son niveau et l'avait interrogé du regard, Daniels s'était contenté de dire qu'il aurait du mal à mâcher pendant quelques temps et son capitaine s'était esclaffé de bon coeur. Pas le temps de l'envoyer au doc' et, de toute façon, le navigateur aurait refusé tout net.
D'un coup d'oeil en arrière, Nate s'était rapidement assuré qu'Alvilda était bien sur ses talons et la garce avait prouvé qu'elle ne manquait pas de tripes. Son vaisseau était à l'agonie mais elle l'avait lancé aux côtés du Rider, s'apprêtant à prendre Jambes Rouges en tenailles. Laissant là la vision de l'étrave de la Vierge défigurée, il allât se poster contre le garde-fou qui surplombait le pont principal.

- Ne mollissez pas ! Si vous devez mourir aujourd'hui, garçons, crevez ! Mais emportez avec vous dix des hommes du Rouge ! C'est votre dette envers moi, tas de fils de pute : dix têtes pour une seule des vôtres ! Gardez les à la main quand vous irez serrer la poigne du Diable, que les Enfers gardent à jamais en mémoire la sauvagerie des pirates du Storm Rider !

- VOUS AVEZ ENTENDU LE CAPITAINE, MACAQUES ? ACTIVEZ, LÉCHEURS DE FENTES, TRANSPIREZ ! JE VEUX POUVOIR BAISER SUR LE CADAVRE DE JAMBES ROUGES PENDANT QUE VOUS VOUS BAIGNEREZ DANS SES RÉSERVES DE RHUM !

Comme une créature de légende surgie dans un halo lumineux, elle s'était dressée sur le pont au milieu des hommes et des femmes. Sa tenue de cuir était partiellement maculée de larges sillons de sang et le blanc de sa chemise arborait la teinte de sa crinière d'un rouge volcanique obsédant. Presque obscène. Le tissu alourdi sculptait ses seins ronds et fermes dont le volume était souligné par l'étoffe poisseuse qui y reposait. Son bras meurtri était en écharpe dans un morceau de linge crasseux, pourtant ça n'affaiblissait pas son aura dantesque. Telle une valkyrie descendue d'un ciel noirci par l'orage pour récupérer les âmes des Einherjar, Miss Fortune avait surgit hors du ventre du Rider comme un as de la manche d'un tricheur. Sa voix avait cinglé l'air à la suite des propos de son capitaine et leur avait conféré un poids encore supérieur. Comme si ses invectives avaient été des cris de guerre, ils galvanisèrent l'équipage qui fit résonner sur l'océan un "AYE, CAP'TAINE !" lancé à la force de plusieurs centaines de poumons. Dès lors, plus aucun doute ne fut à même d’appesantir le coeur des marins. Rien n'était impossible pour le capitaine Cross et Poséidon lui-même avait à le craindre lorsqu'il se trouvait aux côtés de son second.
Nate accorda à Fortune une œillade fière et complice, qu'elle lui rendit avec insolence alors que la voix d'une Doubhée déchaînée éclaircissait leurs ordres. Face au Rider fonçait la masse inquiétante du navire du Rouge, qui ne sembla presque plus qu'un détail. Ce dégénéré boiteux n'était pas l'adversaire, oooooh non. Il était juste l'entracte dans le combat mortel qui opposait le Storm Rider à la Vierge du Cap, un acteur inutile dans une pièce où il n'avait pas de rôle. Ainsi, il était plus que temps de le sortir de scène.

- Madame Fortune, je veux ma première bordée frontale ! Anéantissez moi la proue de cet enfant de putain ! Monsieur Daniels, préparez vous à virer, je veux son flanc !

- A BÂBORD, PARES A TIRER A MON COMMANDEMENT ! ARTILLEURS, SORTEZ LES PIÈCES DE PROUE ! PREMIÈRE BORDÉE, FEU A VOLONTÉ !

Le Rider avait pour avantage huit canons des plus particuliers, très peu courants sur les mers de Terra et d'ailleurs. Huit pièces placées non pas sur les flancs du navire avec les autres mais à la proue et à la poupe du bâtiment. Quatre pour chaque direction, des plus petits modèles que les autres. Plus difficiles à manœuvrer et recharger au vu de l'emplacement exigu dans lequel ils reposaient, ces canons n'étaient dévoilés qu'en certaines et rares occasions. Toujours utilisés pour créer la surprise, ces pistoles impitoyables se dévoilaient quand s'actionnaient les trappes dérobées qui leur étaient dédiées. Sous l'ordre de Fortune efficacement relayé aux artilleurs déjà prêts à l'action, les gueules d'un noir de fond de mine surgirent sous la figure de proue du Rideur. Le squelette moqueur aux oripeaux troués qui dévoilaient ses côtes et ses hanches décharnées sembla sourire de plus belle quand les boulets foncèrent, annoncés par le quadruple coup de tonnerre de leur déflagration. Sous les projectiles chauffés au rouge, l'avant du navire de Jambes Rouges explosa en une myriade folle d'éclats de bois qui semblèrent suspendus en l'air quelques courtes secondes avant qu'ils n'aillent percer la surface tumultueuse des eaux, quelques mètres plus bas.

Cross avait misé sur la chance et des réactions prévisibles : il avait eu raison. La sortie des canons avant avait incité le navire opposé à dévier légèrement de sa trajectoire pour minimiser les dégâts, que le Rider n'avait pas cherché à rendre réellement handicapant. La proue était une partie solide que des boulets d'un calibre moyen n'avaient que peu de chance d'entamer, mais le navire de Nate avait besoin d'un coup de pouce pour passer sur le flanc de Jambes Rouges avant que ce dernier ne le percute en manquant de l'envoyer saluer les marins qui baisaient avec les algues des grands fonds. Dès que les canons avaient fait feu, Nathaniel avait ordonné à Daniels de virer de bord et le navigateur avait su profiter de l'ouverture de cap pour faire en sorte que la coque du Rider vienne lécher celle moins esquintée de sa jumelle démoniaque.

 - PAR LE FOND, avait vociféré Cross à la seconde où la distance avait été suffisante. PAR LE FOND !

- FEU A VOLONTÉ !

Plus encore que contre la Vierge du Cap, la poudre se mit à parler. Elle ne murmura pas, non. Elle hurla à plein poumons, délivrant un vacarme apocalyptique par la bouche des armes dans laquelle on l'avait entassée. Les canons du Rider n'avaient pas été les seuls à délivrer leur impitoyable sentence. Les marins avaient eu le temps de s'armer de mousquets rechargés par une équipe prévue à ce seul effet, qui n'avait eu le temps d'acter qu'entre le moment de la séparation avec le bord de la Vierge et l'arrivée sur le navire de Jambes Rouges. A la suite des ordres d'une Fortune qu'aurait dit ressuscitée, les fusils avaient été distribués et pointés vers le pont de l'assaillant. Toutes les manœuvres avaient été abandonnées pour que l'équipage se livre comme un seul homme à un tir simultané. Les cracheurs de fonte vomissaient leurs projectiles pour détruire le navire, les mousquets le faisaient eux pour réduire à néant les hommes. Nathaniel savait que cette passe d'arme serait décisive. La distribution des cartes avait fait que le Rider avait présenté à Jambes Rouges son profil le moins abîmé et donc le moins vulnérable, mais aussi qu'il serait contraint de virer une fois l'échange achevé. Pour éviter de rencontrer la route de la Vierge, Cross devait accomplir un demi-tour qui exposerait son flanc douloureusement balafré. Ainsi, même si les canons de ce bord dévoré par l'avidité d'Alvilda se tiendraient prêts à cracher à leur tour, le capitaine savait pertinemment que le Rider ne supporterait pas une nouvelle charge de ce bord. Il devait donc impérativement museler son ennemi pour espérer l'achever sans plus de dommages supplémentaires.

La vraie bataille, ce n'était pas contre lui que Cross estimait la livrer.

Andrea Leevi

Humain(e)

Re : Prête-toi au jeu [PV]

Réponse 8 lundi 14 avril 2014, 14:06:06

Jambes Rouges était un vilain de la pire espèce. Autrefois jeune corsaire fier et fidèle à son commandement, il écumait les mers sans aucune crainte. Les pirates n’étaient devant lui que de petits obstacles dont il ressortait entier grâce à la splendide coque de bois confiée par sa Reine. Ce bateau ne semblait avoir aucune limite, ne redouter ni le manque de vent, ni les tempêtes ou autres monstres marins. Toutefois, lors d’un voyage aux confins du monde connu qu’on lui avait chargé d’explorer, l’homme avait disparu. Les mois s’étaient écoulés, tristes jours sans nouvelles du héros. Les funérailles avait été organisées, certains que personne ne reviendrait finalement des limites de l’univers dont nul marin n’avait réussi à dresser une cartographie. L’on savait simplement que se rendre par-delà la barrière de corail située derrière la crique de la manticore n’était pas une bonne idée si l’on aspirait à une vie confortable et raisonnablement longue. Une veuve perdue dans son chagrin, un fils laissé au port. Jambes Rouges, qui était mort aux yeux de tous comme Jacques de Sores, appelé communément l’Invincible par ses hommes et ceux qui le connaissaient comme royal pourfendeur de pirates, n’était plus. Le temps passa, jusqu’à un an et demi à faire le deuil. Et un jour, alors que le navire « Calico » n’avait plus été vu depuis des lustres, un marin de basse extraction jura ses grands dieux l’avoir aperçu sur la mer où il péchait en eaux profondes. Au vu de son affection des bouteilles de rhum et autres tord-boyaux, personne ne le prit au sérieux et la rumeur de bar resta au stade de chuchotis oublié. Jusqu’à ce qu’un navire de sa majesté ne croise soudainement la route d’un bâtiment en touts points identiques. Avec à son bord une vision de l’Enfer.

Un homme tout habillé de rouge, au faciès dément peint en blanc. La face était livide, de par cette peinture si rare que l’on extrait des coquillages. Les yeux et les lèvres étaient teints d’une déclinaison de carmin, allant du plus foncé au plus clair. Les dents semblaient comme aiguisées en pointues armes de corps à corps, comme si l’animal s’en était servi pour ronger les os de ses victimes. L’habit était le même, ce fier costume rougeoyant qui faisait autrefois la fierté de la marine royale. Les galons ornaient fièrement le tissu de velours rubis, jusqu’aux épaulettes dorées qui élargissaient une silhouette trop fine. Le capitaine tenait son sabre en affichant un air conquérant mais dépourvu de toute raison, alors que sa voix suraigüe et perçante tranchait l’air pour commander ses hommes. Un équipage sortit de nulle part, que personne ne connaissait mais qui était resté à l’identique depuis. Jacques de Sores, parce que malgré tout c’était lui, semblait avoir été amputé de la moitié de ses membres. Une jambe artificielle remplaçait sa guibole droite, laissant une étrange tige de fer équilibrer sa posture. Son mollet paraissait soudé à cette orfèvrerie d’argent, et l’homme qui ne faisait rien pour cacher l’abominable vérité avait déchiré son collant couvrant la jambe droite, laissant apparaître sa mutilation. Le membre supérieur avait manifestement subi le même sort, à présent remplacé par un crochet d’argent bien plus sophistiqué que prévu, avec son mécanisme rotatif et sa capacité à s’allonger pour agrandir sa portée. Un corps modifié, un regard fou, Jacques de Sores était bien mort et c’est Jambes Rouges qui l’avait remplacé.

Nul ne sut vraiment ce qu’il s’était passé à la lisière du monde connu, et les rares victimes qui demandèrent à l’ancien corsaire comment il était devenu comme cela se voyaient répondre par un rire de crécelle, avant de sentir leur tête se détacher de leur corps. Jambes Rouges ne semblait même plus parler, il aboyait sur ses hommes des sons indescriptibles afin d’attaquer chaque navire croisé. Pirates, corsaires, impériaux, rien ne l’arrêtait. Il ne semblait plus être que destruction, et s’était perfectionné d’autant plus avec sa nouvelle apparence. Impitoyable, destructeur. Le monstre de l’océan dont le navire était à présent synonyme de terreur, là où pour les honnêtes gens il avait toujours été un réconfort, une protection.

Alvilda savait que tomber sous le sabre de Jambes Rouges, c’était risquer l’esclavage durant quelques mois, avant de mourir de la main du capitaine sans aucune raison. C’était se réveiller chaque matin avec le soulagement d’être encore en vie et la peur que cette journée soit la dernière, selon l’envie de l’ancien corsaire. Et la fière pirate refusait cette destinée de servitude et de peur. Elle préférerait encore se donner la mort elle-même. L’Ombre ne laisserait personne lui passer sur le corps, et ce salaud revenu d’entre les morts ne ferait pas exception.

Les canons continuaient de tonitruer dans le calme les environnant, dénotant violemment avec la passion de la bataille. Pourtant, les navires continuaient d’avancer, et Alvilda jeta un coup d’œil du côté du Storm Rider. Son meilleur flanc venait de finir son assaut. Il lui faudrait bientôt se retourner et risquer de finir au fond de l’océan en offrant à Jambes Rouges son moins bon profil. Alvi jubilait à cette idée, et hésita un instant. Alors qu’elle finissait également la salve de projectiles, seules les dernières pièces d’artillerie de son bâtiment faisant leur office, Alvilda revint à la barre pour amorcer la manœuvre de demi-tour. Mais, alors que la capitaine allait suivre son idée première et risquer, tout comme Cross, d’abandonner la Vierge blessée aux coups du Calico, Alvilda tourna violemment la barre, faisant grincer le bois endolori et amoché de son navire, reprenant le cap pour finalement tourner autour du bateau de Jambes Rouges. Elle espérait simplement que Barbe-d’Os serait suffisamment aguerri pour la suivre, éviter la Vierge et se glisser entre elle et leur ennemi commun. La lourdeur du Storm Rider serait-elle compensée par sa puissance ? Ils pouvaient tout aussi bien tous y passer. Elle n’avait ni le temps ni le luxe de prendre ce virage suffisamment large pour assurer un confort à son adversaire, et Alvilda garda ses yeux rivés sur les courants et ses voiles, passant de justesse auprès du Storm, le bois soutenant l’artimon frôlant le cul du bâtiment de Cross. Elle crut même entendre un raclement entre les deux navires, mais n’y prêta pas attention. C’est comme si les deux bâtiments flirtaient après s’être autodétruit, comme s’ils venaient se caresser au cœur d’un combat acharné. Alvilda sourit et vira de bord à nouveau, reprenant la place occupée par le Storm. Cette manœuvre eut pour résultat de protéger leurs flancs blessés respectifs, gardant la tête haute et le bateau fier pour combattre le Calico.

C’est donc la Vierge qui se trouvait à l’endroit occupé par Cross peu de temps avant. Elle s’offrit le luxe de venir coller leur ennemi, gueulant par-dessus le capharnaüm ambiant pour se faire entendre.

- Thomas, balance-moi ces grappins ! On est exposés plus que jamais alors allons-y, bordel de Dieu ! Les honneurs nous attendent si l’on en finit avec cette légende maritime qu’était ce corsaire pouilleux !

Le Calico n’attendait pas son approche, et encore moins ce changement de positions entre les deux navires. Impatiente de croiser le fer, Alvilda abandonna de nouveau le commandement alors que les premières cordes étaient jetées pour l’abordage. En attendant de pouvoir en saisir une, la capitaine jeta un coup d’œil sur ses troupes. Bien clairsemées, et pourtant toujours vivaces. Aucune peur n’était lisible malgré la réputation de leur cible. Ils avaient tous une confiance totale en l’Ombre, et étaient prêts à offrir leur vie si elle le leur demandait sur un coup de tête. Soudain, l’odeur âcre du sang emplit ses narines. Le liquide épais et rougeâtre s’était infiltré entre les planches du pont, colorant celui-ci, l’humidifiant. Les planches ne craquaient plus comme avant, et surtout les cordes étaient rendues glissantes par les projections qu’elles avaient subies. La Vierge puait, embaumait comme un homme en train de mourir les tripes à l’air. Elle dégageait cette pestilentielle fragrance de mort, et il émanait d’elle un sentiment de dangerosité, de finalité. Un relent putride qui galvanisait tout le monde, et qui permit à Thomas, Burn et Crimson en tête de s’élancer aux trousses de leur capitaine.

Alvilda sauta sans hésiter sur le pont du Calico qui pensait mener la bataille à coups de canon –et il l’aurait probablement perdue, à deux bâtiments sur lui-. Mais Alvi n’était pas comme ça, et elle préférait attaquer de front. A peine eut-elle posé  le pied sur son navire, elle s’élança sur Jambes Rouges. Écartant, sans même prendre le temps de les tuer, certains membres de l’équipage adverse, l’Ombre balança son poignet à la rencontre de l’ancien corsaire. Sa lame en rencontra une autre, et elle s’en sépara bien vite pour repartir à l’assaut. Toujours, pourtant, son sabre trouvait un reflet identique. Alvilda utilisait pourtant ses meilleures parades, feintes et coups d’estoc. La jeune femme se baissait, tournait au dernier moment, s’enroulait autour du bras de Jambes Rouges pour tenter de venir plus près de lui afin d’assurer un coup… Mais toujours, l’abomination réagissait et esquivait presque facilement. Son visage rendu blême se tordait sous les expressions difficilement identifiables, entre la joie et la peine à maintenir le rythme du combat. Ses yeux noirs, fixes, ne clignaient pas un seul instant. Alvilda se demandait s’il ne profitait pas qu’elle le fasse pour enfin humidifier ses pupilles immobiles. Sa bouche se tordait, révélant ses dents improbables alors qu’il grognait, poussant des râles pour exprimer sa joie. Alvi avait l’impression de faire l’amour à la lame du capitaine rougeoyant, la caressant, la frappant parfois. Le crissement du métal quand elle allait et venait contre elle de son sabre la faisait frissonner, alors qu’elle combattait un mort. Il avait l’air fou, le regard fuyant parfois avant de revenir la dévisager. Des spasmes réflexes agitaient ses épaules, faisant vibrer les franges de ses épaulettes, tandis que ses dents s’entrechoquaient. Jambes Rouges ne semblait plus humain, tout juste animé d’une volonté céleste qui en ferait un pantin prêt à tuer, éventrer, soumettre à la mort chaque navire croisé, chaque équipage vaincu.

Alors que son arme ripait soudainement sur la sienne, Alvilda grimaça. Le crochet de l’ancien corsaire s’était allongé et avait griffé sa cuisse, déchirant la chair en une estafilade heureusement peu profonde. Le tissu de son pantalon de toile ne résista pas, et tout une partie se retrouva pendante sur sa cuisse. Alvilda, de rage et de douleur, rendit le coup en tranchant le flanc rendu accessible dans l’attaque. Sacrifiant sa chair, elle venait de percer la sienne, lui causant une douleur plus profonde encore. L’Ombre profita de cet instant pour déchirer tout à fait le tissu couvrant sa jambe gauche, arrachant une partie de son pantalon pour laisser la peau apparaître nue, découvrant son tatouage à qui regardait bien. Son épiderme frissonna du manque de protection, mais c’est fièrement qu’elle repartit à l’assaut, à égalité avec cet ancien corsaire de sa majesté qui avait comme elle une guibole à l’air. Leurs forces paraissaient égales, Alvilda compensant la puissance de Jambes Rouges par son agilité, tout autant qu’elle le faisait face au Storm Rider. La capitaine devait rester concentrée pour ne pas risquer plus de blessures, véritables théâtres d’infection et surtout handicaps risquant de l’affaiblir et de lui faire laisser la vie sur le pont du Calico. Elle ne pouvait pas vraiment se préoccuper de l’équipage du navire assailli, qui menaçait parfois de la prendre en traître. Heureusement qu’elle pouvait compter sur ses hommes pour la couvrir. Son attention était entièrement dédiée à son combat, et elle ne put que galvaniser l’attaque, alors qu’elle se laissait tomber sur le pont, échappant à un coup fouetté particulièrement mortel.

- BURN ! JE VEUX AUTANT DE PAIRES DE COUILLES AU DINER DE CE SOIR QUE CELLES QUE TU COUPAIS DANS TA FERME NATALE ! ENVOYEZ-MOI CE NAVIRE PAR LE FOND AVANT CROSS !

Il n’y avait plus que cela qui comptait. Remontant à nouveau, évitant un nouveau coup pour en lancer un qui n’eut pas plus de succès, Alvilda évoluait au rythme de la marche funèbre orchestrée par les canons des trois navires au coude à coude. Tout le pont du Calico était secoué par les boulets qui, sous ses pieds, déchiraient le bois, perçaient la coque en tentant de finir leur course le plus profondément possible. Les dégâts étaient imaginables, et l’Ombre espérait juste que la Vierge du Cap allait tenir encore un peu. Juste un peu. Un projectile atterrit juste à côté d’eux, faisant trébucher Jambes Rouges qui s’était coincé l’appendice en argent qui lui servait de pied dans une rainure du bois. Alvilda en profita pour se jeter en avant, sacrifiant toute sa défense et sa vie si l’attaque échouait. Elle sentit pourtant sa lame trancher la chair, s’enfonçant dans le flanc déjà endommagé du corsaire déchu. Alvilda tourna d’un coup sec, sentant une excitation nouvelle croître dans son ventre. Aucun organe vital n’était sans doute touché, mais il se viderait de son sang au vu de la largeur de la blessure qu’elle venait de lui causer. Retirant son sabre, la capitaine de la Vierge du Cap s’attendait à voir s’effondrer son ennemi pour pouvoir l’achever. Il n’en fut rien. Au contraire, Jambes Rouges reprit avec plus de hargne encore, enchaînant les attaques sans qu’elle puisse riposter, se contentant de contrer au maximum. Alvilda fut contrainte de reculer, jusqu’à sentir le bois dans son dos. Elle était acculée au bastingage, impuissante. Le capitaine du Calico eut une frappe plus forte que les autres, faisant voler l’arme d’Alvi sur le pont. Désarmée, rendue presque sourde par les détonations des boulets de canons qui faisaient vibrer l’air autour d’elle, la jeune femme prit appui sur la rambarde pour projeter son talon vers son visage. Il esquiva, une fois de plus. L’Ombre ricana, s’esclaffant face à sa mort prochaine. Ce ne serait finalement pas Cross qui prendrait sa vie, décidément très disputée aujourd’hui. Bande de chiens.

Partout autour d’eux, Burn, Thomas, Crimson et tous ses hommes étaient engagés dans un combat. Alvilda ne pouvait que fixer la lame de Jambes Rouges, ne surtout pas la quitter des yeux. Observer le regard fou de son adversaire ne lui sauverait pas la vie, ne lui permettrait pas de trouver la faille. Malgré la gravité de la situation, la capitaine de la Vierge avait une étonnante bonne appréhension de l’environnement. Ses ordres étaient suivis. Les voiles du Calico étaient déchirées, immobilisant la coquille de bois à présent inutile car incapable de naviguer. Ses marins avaient fait du beau travail en grimpant dans les cordages ennemis pour saboter la puissance de glisse du navire. Le gouvernail était brisé, la coque entamée par les canons. C’était la fin du Calico, et Cross arriverait bien à achever son capitaine. Elle avait fait ce qu’elle avait pu…

Et c’est sans doute ce qu’elle se serait dit si l’Ombre était du genre à abandonner, à tirer un trait. Mais, alors que la lame arrivait sur son cou, Alvilda plongea entre les jambes de son adversaire. Elle se saisit de la quille argentée qui remplaçait le membre inférieur droit de l’abomination, pour rouler entre elles et le tirer sur la fin pour le faire trébucher. Elle réussit, et Jambes Rouges dut se retenir au bastingage, plantant son crochet dans le bois. Cela lui donna assez de temps pour se relever et se mettre en garde au moment où il se retournait vers elle. Sa jambe nue et blessée vers l'arrière, la jeune femme s'appuyait sur la droite qui soutenait son poids. A l'affût, elle guettait le moindre mouvement de son adversaire. Alvilda était désarmée, mais pas vaincue. Elle ne laisserait pas ce monstre prendre sa vie. Après tout, elle était loin d’en avoir fini avec Nathaniel Cross. Elle comptait bien lui offrir une petite leçon. Femme pirate n’est pas simplement femme !
Tomorrow comes to take me away
[Eagle Eye Cherry]

>  On ne devrait pas vivre que pour le plaisir. Rien ne vieillit comme le bonheur.
>  L'émotion nous égare : c'est son principal mérite.
[Oscar Wilde]



Répondre
Tags :