Tu relèves à peine la tête, légèrement. Tu préfères ne pas croiser son regard, qu'il ne lise pas si facilement dans ta gêne et ton cœur déjà trop largement ouvert à son sourire charmeur, à son parfum de domination. C'est délicieusement dangereux pour ta liberté, pour ta noblesse, pour ta piété et par-dessus tout pour ta morale. Tu dois rester quelqu'un de pieux, ne pas trahir la confiance que ton mari t'as donné le jour de votre mariage, ne pas le tromper avec un inconnu. Il n'est rien. Il ne doit pas te faire cet effet. Il lit un peu ? Et bien alors, cela ne fait pas de lui un intellectuel ! Ton cher mari lit bien, et il est pourtant aussi ennuyeux qu'une page blanche. Il est vide, il sonne creux, ses doigts sont tremblants, sa moue trop bienveillante, son haleine putride quand il a trop bu, ses yeux tellement mielleux .. Alors que lui. Tu esquisses un sourire pour toi toute seule, perdant ton regard sur la nappe de la table, soupirant longuement dans tes pensées. Lui .. Il représente la jeunesse, la vivacité, la sûreté. Il est tout ce qu'une femme peut aimer chez un homme. Tellement sûr de lui qu'on le bafferait, mais terriblement désirable.
Il est dangereux. Il faut que tu arrêtes de t'exciter comme ça. Tu t'fais du mal. Tu ne coucheras jamais avec lui. Ne te l'imagines pas nu, Ophélia. Tu n'iras jamais dans son lit. Il doit toutes les avoir à ses pieds, il doit toutes leur faire ce même effet. Tu ne dois pas tomber dans le piège, tu n'es pas une femme facile, tu n'es pas une prostituée. Tu es la Marquise du Vivier. Alors, il est temps de calmer tes hormones, aussi beau, aussi intelligent et cultivé soit-il. Il pourrait te faire fondre avec un regard mais il a l'intelligence de ne plus te fixer, de ne plus te regarder. Voilà. Ecoute Ruloc, fait semblant ou intéresse toi à lui, tu n'en as cure. Tant que tu ne brûles pas intérieurement de partir d'ici pour t'enfermer dans ta chambre et te toucher en pensant à lui. Ah, seigneur, comment peux-tu en être arrivée là ? Tu iras te confesser, cet après-midi, il faut que tu expies toutes ces pensées impies, que tu te flagelles, peut-être. Tu ne sais pas, tu ne sais plus, tu es perdue. Comte Dracula, vous la rendez folle, vous la torturez. Elle va exploser sous les sentiments si vous continuez. Camez le jeu.
Tu relève le visage pour fixer Ruloc qui paraît tellement intéressé par les dires de Vlad. Ah, il ne t'aide pas, ce pauvre vieux. Comment peux-tu penser ça ? Ca ne t'étais jamais arrivé auparavant. En même temps, cela fait des mois que tu n'es pas sortie de ce château, des mois qu'il ne ramène à ta demeure que d'autres croulants comme lui. Te voilà révoltée, Ophélia ? C'est du joli. Tu ne peux que soupirer de nouveau, plus fort, avec tant de lassitude que même Ruloc arrête de parler un instant. Ah .. Tout s'accélère d'un coup devant tes pupilles vagues. Hein ? Tu vois votre servante, tu entends qu'une insurrection se prépare et te voilà seule avec lui. Seule avec celui qui t'arrache des soupirs, qui te fait avoir des pensées coupable et qui excite la femme frustrée qui se cache sous ta douce robe. Jetant un coup d'œil à ton décolleté, tu te dis que tu dois pouvoir lui plaire. Mais comment peux-tu penser ça ? Tu es totalement à l'ouest, ma pauvre enfant. Tu en dois pas devenir la victime de ce jeu qui continue à s'accentuer entre vous deux. C'est lui contre toi, lui contre ta fierté, contre ta morale, contre ton mariage. Tu ne dois pas lui laisser ce plaisir. Il est un bourreau des cœur. Rien de plus qu'un charmeur.
Tu l'entends s'étirer, tu zieutes vers lui. Tu imagines les muscles, son corps, son torse, son membre. Tu l'imagines contre toi. Tu imagines ses doigts, si fins, contre ta peau, te caressant, contournant le galbe de tes seins, jouant avec tes nerfs, avec ton désir. Tu esquisses un sourire à son encontre avant de redevenir de marbre, fermant ton visage à tes émotions infames, ton sourire s'évanouissant alors que seul tes yeux paraissent vouloir exprimer toute l'envie qui te dévore, qui torture ton bas-ventre et accélère ton battement de cœur, te faisant légèrement haleter. Saleté de corps. Tu montes sur la chaise .. Il est loin de toi. Il est si loin de toi. Tu tombes .. Il ne pourra pas te rattraper ! Il est trop loin de toi, il est si loin, tu vas te fracasser la nuque ! Tu ne vas pas .. Tenir ! Tu tombes ! Ton cœur accélère encore, ton sang afflue à tes tempes et … tu sens que ta tête tape contre quelque chose de pas si dur que ça alors que des bras musclés te rattrapent. Il était temps. ! Comment-a-t-il fait ça ? Oh .. Il était si loin ! Tu ne comprends pas. Tu sens .. Tu le sens trembler, tu sens ses mains sur ta peau. Ta taille est ceinturé par son bras, une de ses mains te tient sous l'aisselle. Tu es écarlate. Ton cœur bat la chamade, tu as l'impression que ta vie a failli s'arrêter. Pour l'instant, tu ne veux pas bouger de ses bras. Tu veux rester là. Ta bouche est entrouverte, ta langue légèrement sortie, ton souffle si rapide que tu as du mal à respirer. Tu te blottie contre lui, recroquevillée comme une enfant prise en tort. Une de tes mèches blanches se déroule de ta coiffure si stricte et s'élance vers le sol, tu sens tes cheveux se défaire. Tu frémis. Ton corps frissonne. Sa main parcoure tes formes et tu ne peux réprimer un long soupir.
Enfin tu poses tes pieds sur le sol, enfin tu te recules un peu de lui et te laisse tourner par ses mains, comme une poupée de cire qu'il peut toucher, effleurer, aimer. Rah, ne te laisse pas faire, Ophélia ! Tu le fixes, soupirant de nouveau, mais cette fois, c'est plutôt de contentement. Tu es en vie. Tu ne peux pas lui sourire, même si lui ne fait que ça. Trop d'amabilité dans son sourire, tu ne tiendras pas longtemps. Tu fonds, littéralement. Tu veux l'embrasser. Mais malgré ta passion, ton désir toujours croissant, tu as encore une morale. Elle t'enchaîne et c'est tant mieux. Tu serais déjà à lui, autrement. Et cela ne doit pas se passer si simplement.
<< - Vous .. Non, bien sûr que non. Ne soyez pas bête, Comte. >> C'est sec, cinglant. Tes yeux le fusille du regard. << Vous m'avez sauvé la vie, je ne vais pas en plus vous dire que vous êtes brutal. >> Tu ne le remercies pas. Tu vas pour te retourner et t'éloigner mais ..
Mais il t'arrête. Tu sens ses doigts sur ton menton. Tu hausses légèrement un sourcil, ton regard se faisant froid, le fixant seulement d'un air hautain. Pas d'emprise sur toi. Pourtant, tu te laisses faire sous le mouvement de ses doigts, cette caresse te tirant un soupir. Tu le fixes. Tu inspires rapidement, tu sens ton corps se raidir. Tes yeux viennent ensuite regarder la main gelée qu'il pose sur ta joue. Tu rougis, tu prends encore quelques teintes de rouge et enfin tu vas pour prononcer un mot. Tu es trop proche de lui ! Il dessine ton visage, il te tire un léger gémissement que tu ne peux étouffer. Le contact est pourtant si léger. Tes yeux se ferment à demi alors que tu le sens avancer vers toi. Tu fais un pas en arrière mais sa main te bloque. Tu ne peux que le sentir avancer, inexorablement. C'est ta chute, Marquise, qui avance. Tu vas pourtant pour parler. Mais son doigt. Son doigt que ta langue ne peut s'empêcher de caresser, d'un très léger mouvement. Comme un défi .. Tu lui lèches le doigt. Non. Ophelia !
<< Tsss tss tss... >> chuchotte-t-il << Ne faites pas de bruit, je ne voudrais pas qu'on nous voit ainsi. >>
Et te voilà en train de profiter du baiser qu'il t'offre. La langue qui a rapidement donner un coup à son index vient jouer timidement avec sa jumelle alors que tu ne fais rien pour te défendre. Tu sens ses lèvres si glaciales contre les tiennes, tu en profites, tu as honte, tu ne sais plus quoi faire. Mais tu ne dois pas faire ça ! Tu arrêtes de l'embrasser aussi rapidement que tu as commencé et tu te recules au moment où il te rend ta mobilité. Fier de son coup. Heureux. Si désintéressé, si calme que tu le regardes monter sur la chaise et aller chercher le livre sans même réagir. Tu te laisses doucement aller sur le divan, tu t'assois, tu passes le dos de ta main sur ton front qui luit de sueur. Trop d'émotion. Tu sens tes joues si brûlantes que ça en est indécent. Tu le fixes. Tu ne bouges plus. Mais les plis de ta bouche prennent une forme de plus en plus brutale. Furibonde.
<< Souhaitez vous que je vous laisse à vos occupations ? Je ne voudrais pas m'imposer, j'aurais bien peur de vous ennuyez. >>
Tu le fixes. Tu te relèves et une gifle, cinglante claque sur la joue du jeune homme. Elle est suivit d'une deuxième. Puis d'une troisième, encore plus violente. Tu ne prononces rien, montrant la porte du doigt, t'empêchant de pleurer. Tu as juste envie de pleurer. Tes nerfs contredisent ton esprit, ta passion, ton désir contredisent tes gestes. Tu retombes juste sur le canapé, en arrière, le dos sur le canapé, les jambes par terre, ta robe s'étalant autour de toi.
<< - Sachez que je vous exècre, Comte. Et maintenant, déguerpissez de ma vue. Vous m'insupportez. >>
Tu es plus qu'horripilante, tu es tout simplement détestable. Tu veux qu'il te déteste. Tu lui parles de haut, comme à un valet qu'on renvoie. Regardant le plafond sans même prendre la peine de te relever pour le fixer, tu restes allongée, ton ventre s'élevant avec ton souffle rapidement. Tu veux qu'il parte. Et qu'il ne revienne jamais. Et pourtant, tu as juste envie de lui sauter dessus et de l'embrasser, qu'il te prenne contre un mur, qu'enfin, toute l'excitation qu'il y a en toi se déverse sur ce jeune homme vaillant. Mais tu ne dois pas.
La morale.
Dieu.
Tout t'en empêche.