«
Trouve la fille, et j’effacerais ta dette. »
Les paroles de l’homme résonnaient dans les oreilles de l’apatride, alors que ce dernier traversait des sentiers brumeux, se fiant à sa boussole plus qu’à sa vision. L’endroit était tout simplement sinistre, comme s’il était sorti d’un cauchemar. Son cheval avait beau être un fier destrier de guerre, une bête de somme habituée à voir la mort déferler tout autour d’elle, cette atmosphère sinistre qui les accueillait depuis qu’ils avaient rejoint l’extrémité de la profonde forêt n’était guère rassurante. Le Magicien lui avait dit que l’endroit recèlerait de spectres, qu’il était maudit, «
hanté par une force qui dépasse les âges ». Il lui avait donné un talisman magique, une protection qui empêcherait les spectres de se rapprocher. Et Cahir avait le sentiment que cette mission-suicide avait l’air de marcher. Au moins en ce qui concernait le fait de traverser cette frontière brumeuse pour rejoindre le Territoire des Marcheurs.
De mémoire, il se rappelait avoir entendu parler, à l’époque où il travaillait au sein d’Ashnard, où il était encore un guerrier d’élite, de cette région isolée, au sud du continent. Le Magicien lui avait expliqué que l’Empire avait envoyé une colonie de soldats pour essayer de prendre ce territoire, mais qu’ils n’avaient pas réussi à traverser le corridor des spectres et des fantômes qui l’encerclaient. Il lui avait indiqué que les Marcheurs étaient déjà convoités par une puissance, et que ladite puissance n’aimait guère la concurrence. Le long du sentier, Cahir avait pu voir des chariots abandonnés, des cadavres poussiéreux, squelettiques, empêtrés dans leurs armures. Les traces des Ashnardiens. Cahir s’avançait lentement.
«
Elle est une souveraine sans royaume, une femme sans époux, avait poursuivi le Magicien dans sa tour.
Elle est à ton image : un être vivant sans enveloppe, guère différent, à bien y réfléchir, des fantômes qui essaient de la détruire. »
Le Magicien, quel que soit le nom de cet être, était un individu que Cahir avait côtoyé depuis plusieurs mois, depuis qu’il avait rejoint les troupes d’un légendaire guerrier nexusien, Rhadamanthe, et avait travaillé avec ce dernier, sous les ordres du Paladin Zolder, à retrouver une Déesse païenne, Morrigan, afin de l’appréhender
1. Après cette mission, douloureuse, Cahir avait encore travaillé pour le compte du Magicien, et s’était retrouvé dans les profondeurs de l’Enfer
2. C’était à cette occasion qu’il avait contracté une dette... Et, alors qu’il pensait échapper au Magicien, ce dernier l’avait retrouvé dans un paisible village forestier, où Cahir montait la garde. Il faisait nuit, la neige tombait, et l’homme était là, marchant tranquillement, surgissant de nulle part. Il lui avait parlé d’Adelyn. Cahir s’était énervé, et s’était rué vers lui, cherchant inutilement à le menacer.
«
Je ne suis pas ton ennemi, apatride, mais c’est une question de bon sens. Quand on a une dette, il est naturel de devoir l’honorer. C’est le fondement de la civilisation, après tout. Un créancier exige paiement de sa dette, et, si le débiteur est dans l’incapacité de la remplir, alors il se tourne vers les sûretés consenties à l’égard de la dette. »
Cahir ignorait comment le Magicien pouvait être au courant de sa relation avec Adelyn, du fait qu’il l’avait sauvé des griffes de son époux, et qu’il était plus ou moins amoureux d’elle
3, mais il le savait. Cahir avait compris que la force physique était inutile, et il avait donc écouté le récit de l’homme, qui réchauffait ses longs doigts devant les craquelures du feu de camp.
«
Je vais te parler de cette femme... Elle devrait te plaire, toi qui aimes tant les belles courbes de la Nature... Ce en quoi, note bien, je ne peux pas vraiment te le reprocher. Mes intentions, entends-le bien, étaient les plus charitables possibles : je savais que cette femme allait mourir dans sa quête futile... »
«
C’était un endroit très inhospitalier. Crois-moi, j’ai vu beaucoup d’endroits sinistres dans le monde, et, si celui-là n’était pas le pire qui soit, il m’attriste encore d’y penser. Tout semblait mort, vide, un long désert aride où rien ne poussait, et où les quelques arbres qui avaient survécu au temps étaient morts. »
L’homme portait une longue robe verte, et marchait à côté d’un cheval, qui transportait ses affaires. La bête suivait son maître sans se poser de questions, même si on pouvait discerner son inquiétude dans ses yeux. L’homme marchait tranquillement, sans se presser.
«
Elle était belle comme une nymphe, malgré la crasse et la fatigue palpables sur son corps. Je l’ai trouvé étalée sur la route, avec un vif pouvoir magique qui brûlait en elle. Elle serait morte, sans moi. »
L’homme s’était penché vers elle.
La femme s’était réveillée près d’un feu-de-camp qu’il avait allumé, sur la plaine. Les flammes brûlaient joyeusement, et la femme était couchée dans une couverture sommaire, lorsqu’il l’avait senti émerger.
«
Je me suis permis de vous recueillir, noble dame, avait-il dit d’une voix calme et posée.
Vous m’aviez l’air d’avoir besoin d’une quelconque assistance. »
L’homme se frictionna les mains, laissant passer quelques secondes.
«
Je m’appelle Randall Flagg, et je suis honoré de partager mon modeste foyer avec vous. »
1 : Cf. RP «
Quête – Première partie » ;
2 : Cf. RP «
Voyage au bout de l’enfer » ;
3 : Cf. RP «
Vivre une nouvelle vie n’est jamais simple... ».