L'eau est belle. Elle coule douce et limpide, sans un bruit, en un murmure rapide et léger qui chatouille l'oreille. L'eau transparente est magnifique. Elle lèche l'orteil de celui qui se repose, embrasse la peau de la femme nue qui se baigne à l'abri des buissons qui entourent son coin de calme. L'eau fraiche est superbe. Elle enlace les mouvements en apesanteur des amants qui goutent leur lèvres aux parfums licencieux. L'eau est si calme, prête à noyer les sentiments trop tristes des larmes qui s'engouffrent dans son courant froid. L'eau est dangereuse, si fourbe quand un reflet du soleil vient perdre sa course sur ses vagues pures. Elle attrape, noie, empêche de respirer, trahit ceux qui l'aime. L'eau est comme n'importe quel homme. Elle trahit sans même sentir un frisson de pitié parcourir sa colonne aqueuse. Elle trahit sans un bruit, vous enfonçant un long couteau de cordes entre vos doigts, contre votre queue de poisson qui bat sans comprendre ce qui l'entrave. L'eau vous fait rêver et vous envoie à l'autre bout du monde en un courant qui vous laisse tomber. Elle vous laisse tomber comme les autres, trahit votre confiance et votre amour pour vous enlever de votre monde. L'eau est si folle, elle vous rend cinglé, elle vous demande en petit crépitement sous-marin d'sortir de son univers pour vous faire embrocher sur la terre ferme. L'eau est si bête, elle croit pouvoir vous amener à faire ce qu'elle veut, elle veut étrangler votre honneur, étrangler votre fierté pour la faire taire, faire taire votre silence bourgeois. L'eau cache le mystère qu'elle prépare pour vous faire haïr jusqu'à la petite goutte de liquide. L'eau vous conserve comme dans du formol pour vous faire décéder comme un rien.
L'eau ne dort jamais.
Jamais elle n'arrête de te faire hurler de pleurs, jamais elle n'arrête de te torturer, jamais elle n'arrête de te faire fuir toujours plus loin, jamais elle n'arrête de te faire des serments qu'elle ne tient pas, jamais elle ne te lâche, jamais elle ne te laisse en paix. Et dans ta poitrine, à côté de ton cœur qui bat tu sens l'eau qui coule dans ton corps comme la sève qui épanche ta soif. Tu la sens comme un voile derrière lequel tes yeux se cachent pour ne plus voir la peur et la honte qui luisent sur ton visage. Elle t'as tué à p'tit feu. Elle te noie toujours dans ta tristesse. L'eau c'est ton ennemi, c'est elle qui t'as rendu comme ça. T'es plus qu'une princesse déchue qui ne sert plus à rien, plus qu'une attraction qui fait frémir.
T'as beau te casser. Tu pars où, Milande ? Tu pars où sur tes béquilles, ta longues queue de tissu trainant derrière toi, ton corsé et tes jambes-corsetée qui saigne des blessures de rancœur. Tu pars où ? Tu t'éloignes, tu vas loin, tu t'échappes du Cirque comme si ta vie en dépendait. Elle te fait peur, l'eau, maintenant.
Elle s'échappe. Oui, elle essaie de partir vite, elle essaie de fuir rapidement. Le Cirque dort, l'aube rosée se lève doucement, lentement, lâchant quelques volutes de nuages blanchâtre. L'air est frais, Milande frissonne. Ses cheveux bleutés flottent derrière elle aidés du vent. Elle trébuche, elle sursaute. Ce n'est pas simple pour elle, elle avance avec tant de difficulté. Elle s'éloigne encore de la ville, mais elle ne va pas trop loin. Elle a vu l'eau qui coule. Elle l'entend, le bruissement de l'eau qui s'couche sur les galets. Une rivière, un cours d'eau, elle ne sait pas. Elle ne veut plus savoir, mais l'eau écarte ses courants pour lui dire de venir, tendre comme une mère qui veut revoir sa progéniture. Elle ne peut pas dire non.
Milande approche du cours d'eau. La ville n'est pas loin derrière elle, l'agitation s'entend encore de ce petit coin abandonné où une petite rivière court en perdant son souffle. Milande approche encore. Si elle tombe, personne ne pourra l'entendre. Mais c'est une sirène après tout. Elle devrait savoir nager. Qui viendrait l'aider si elle tombe ? L'aube a juste quelques spasmes pour se lever.Qui viendrait ? Elle s'approche toujours, toujours plus près de l'eau qui lui tend ses bras mouillé. Sa béquilles glisse. C'était sûr. C'était obligé. Un hurlement lui échappe, comme un filet d'eau qui sort de son corps, elle tombe. Ses béquilles disparaissent dans le courant, l'eau entre dans sa bouche, s'infiltre dans son nez, sa queue de tissu s'agite sans arriver à l'aider. Elle ne retrouve plus l'équilibre de sa jeunesse, ses bras ne savent plus faire les bons mouvements, elle sombre dans la rivière. Elle est profonde, cette eau dangereuse. Ses bras clapotent contre la surface transparente, de sa bouche des cris sortent pour crier à l'aide. Elle va s'noyer.