Une succube... Qu'est-ce ? (Maelie)

Ma tête résonne comme si un millier de bombardes tirent en même temps ! Mes tempes, c'est à peine si je les sens, hormis par la douleur ; je n'ose même pas poser les mains dessus. L'un après l'autre, j'ouvre les yeux. Le droit d'abord, presque brûlé par une lumière qui aurait pu être celle du paradis, mais ça fait longtemps que je n'y crois plus. Le gauche ensuite, comme pour équilibrer, mais ça ne change rien à mon mal de tête. En tout cas, ma vue fonctionne, son côté sensoriel aussi, je distingue la lumière de l'ombre. Les bruits aussi, ou plutôt un brouhaha permanent, comme dans une ruche où le mouvement est perpétuel. Mes sens fonctionnent, la vue et l'ouïe déjà. Je continue, mes doigts bougent, mon corps semble sortir d'une longue torpeur, mes jambes répondent, mon cou aussi, j'essaie de me soulever pour quitter cette position allongée.
Peu à peu, je distingue mon environnement, d'abord le banc sur lequel j'étais allongé, du moins cela y ressemble-t-il malgré des couleurs vraiment criardes. Encore un effort et je m'assieds enfin ! Autour de moi, des constructions au loin dont une avec une enseigne « supermarket » - qu'est-ce donc ? -, une allée juste devant, et des gens, des gens, encore des gens, étrangement vêtus. Rien à voir avec la dernière image d'avant que je sombre, cette si élégante lady dans sa longue robe noire qui lui laissait les épaules nues. Je me rappelle même la vision de ses seins prisonniers, tandis qu'elle m'offrait ce nectar dans la coupe argentée. Et plus plus rien...
Réflexe de survie, je vérifie que mon fidèle Triskell est toujours contre mon torse, et que la dague est dans son étui, au long de ma cuisse. Je ne sais où je suis, autant éviter que quelqu'un ne se rende compte de sa présence. Maintenant que mon mal de tête s'est atténué, peut-être parce que ma lucidité revient, je parviens enfin à me lever. Que font autant de gens en cet endroit ? Que font toutes ces choses qui roulent à grand bruit, ou se mettent entre des lignes blanches au sol ? Pourquoi tant courent et crient, poussent des trucs en grillage sur roulettes, trimbalent des paquets de toutes formes et de toutes couleurs ? Je fais un pas, un deuxième, titubant un peu ; certains vont croire que j'ai trop forcé sur la gnôle, mais je n'ai aucun souvenir de quelque taverne. De toutes façons, l'au-delà m'a refusé et, si je suis ici, c'est que je n'ai pas le choix...

Aujourd'hui, c'était shopping. Il faut dire que lorsqu'on voyage sans cesse, et qu'on a la sale manie de semer ses vêtements derrière soi à chaque téléportation, la garde robe fonctionne en "flux-tendu". Et tout flux tendu méritant son dû, la jeune succube c'était mise en tête de renouveler ses stocks. Au programme : robes simples, dans plusieurs couleurs si possible ( noires, blanches et rouges si disponibles ), débardeurs, jeans, un manteau ( pour lequel elle n'avait pas encore d'idée particulière de  ce qui lui plairait ), ainsi que des sous vêtements. Une majorité de culottes simple et neutres, blanches ou noires, accompagnées de soutien-gorges sans fioritures : elle s'était déjà sentie gênée à l'idée d'avoir laissé derrière elle des sous-vêtements plus osés. Bien sûr des chaussures. Pleins de chaussures, parce qu'il en existe de nombreuses sortes et que chacune d'entre elles a son utilité, ainsi qu'un moment propice auquel il est de bon goût de les porter, ne vous en déplaise messieurs. Des chaussettes pour aller avec toutes ces paires de chaussures, des collants. Et pour finir des élastiques et une pince à cheveux.

Elle s'était fait un max de thune récemment, elle pouvait se le permettre. Et puis elle commençait à prendre l'habitude de laisser des vêtements aux points stratégiques vers lesquelles elle se téléportait le plus souvent. C'était toujours agréable de ne pas avoir à errer nue après chaque déplacement.

Elle en était au milieu de ses emplettes, les bras chargés de sacs, où se trouvaient déjà des sous vêtements et des pantalons, ainsi que de trois boîtes à chaussures. Son regard s'arrêta alors sur... un cosplayeur bourré ? Celui-ci, quelques mètres devant elle, paraissait avoir peine à se maintenir debout, et elle le regarda tituber avec un mélange d'amusement et de compassion. Ivre en plein après midi... c'était bien moins courant au Japon qu'en Russie, et le pauvre homme n'en était que plus pitoyable. Maelie lança un regard inquiet autour d'elle ; personne ne semblait s'inquiéter du sort de l'ivrogne, et ce spectacle lui fendait le cœur. Elle s'approcha, à environ un mètres de lui, avant de lancer :

"Monsieur ? Ça va ?"

L'homme ne semblait pas l'entendre. Elle le contourna pour se placer en face de lui.

"Monsieur ? Vous avez besoin d'aide ?"

Il va bien falloir que je passe à travers ce troupeau furieux qui avance sans se soucier de moi ! Je ne sais pas ce qui m'est arrivé, mais ma démarche est mal assurée. On doit croire que j'ai bu de la gnôle sans discontinuer ! Mes jambes me font mal, comme si le poison courait encore dedans. Un pas, un deuxième, je devine des ricanements, des commentaires. Pas un qui viendrait m'aider, encore moins un qui comprendrait ce qui m'est arrivé. Pas un, quoique...

"Monsieur ? Ça va ?"

Une voix là, presque contre mon oreille, un volume incroyable dans ce brouhaha, mais un joli tintement. Mais, dans cette indifférence générale, qui s'intéresserait à un homme comme moi, qui plus est presque inquiétant dans une tenue qui semble d'un autre âge.

"Monsieur ? Vous avez besoin d'aide ?"

Là, juste devant moi, presque à me toucher, la même voix... une apparition ! Mes esprits sont soudain plus prompts, et je fais même un pas en arrière. Je n'ai jamais vu ça... des cheveux rouges ! Dans quel monde suis-je ? Pourtant, d'autres de ces fous que j'avais vu semblaient plus « humains ». Mais là... et que dire de ce visage, lui si doux ? De ces yeux qui me regardent, vraiment incrédules, pas moqueurs ? De tous ces sacs et boîtes multicolores à ses bras ?

« Merci, je crois que oui, je ne sais pas où je suis »

Disant cela, je réalise qu'elle va penser que j'ai pris une de ces cuites ! D'ailleurs, ses yeux semblent partagés entre une sincère compassion et une légitime stupéfaction.

« Enfin, je voulais dire que... Euh, je suis là... Mais je ne sais pas comment... Et ce n'est pas ce que vous croyez... »

Non seulement je ne comprends pas ce monde, mais en plus je bafouille devant la seule qui se soit arrêtée ! Sans compter que, si elle prête attention à ma tenue, le pantalon de toile ample et la chemise de lin entrouverte sur ma poitrine, elle va me prendre pour un illuminé. Tiens, justement, en parlant de poitrine, je suis assez lucide pour avoir laissé mes yeux s'égarer dessus... Hum, la nature sait être généreuse, et je me sens soudain bien mieux dans cet univers-là !

Il n'avait pas l'air bien méchant, c'était déjà ça. Si elle était plutôt prompte à aider les gens, Maelie ne voulait rien avoir à faire avec un alcoolique violent. Le pauvre semblait être en proie à une migraine assez violente ; cuite au vin ?

« Merci, je crois que oui, je ne sais pas où je suis »

Quand même. Comment était-il possible de se retrouver en plein milieu du centre comercial et de ne pas reconnaitre le lieu ? Il n'y avait pas 36 endroits à Seikusu qui ressemblaient à ça.

« Enfin, je voulais dire que... Euh, je suis là... Mais je ne sais pas comment... Et ce n'est pas ce que vous croyez... »

Maelie roula des yeux d'un air blasé. Ben tiens. Si ça n'était pas ce qu'elle croyait, ça devait être un homme venu du passé par magie, bien sûr ! Pourquoi pas un homme venu d'un monde parallèle tant qu'on y est, du genre... un homme de Terra. Et merde, il pouvait effectivement s'agir d'un habitant de Nexus ayant traversé un portail par accident, par exemple. Elle ne pouvait pas s'en assurer dans l'immédiat, mais c'était plus que probable reflexion faite. D'autant qu'il ne sentait pas l'alcool. Elle s'approcha un peu plus pour s'en assurer, tandis qu'elle lui répondait, tâtant le terrain avec des question à priori anodine :

« Vous êtes au centre commercial de Seikusu... dites moi où vous habitez, je peux vous aider si vous voulez. »

Elle jeta à oeil à la tenue de l'inconnu ; tous ses vêtements semblaient d'époque, criants de réalisme. Soit il venait réellement de Terra, soit son costume était vraiment réussi.

J'avais dû dire des bêtises si grosse que la seule passante qui se fut intéressée à moi prend un regard qui en dit long. Elle doit au moins me prendre pour un ivrogne, voire pour un dangereux taré ! Et ce n'est pas en me parlant de la ville où nous sommes qu'elle éclaire ma lanterne...

« Seikouchou, c'est la capitale de la nouvelle ile découverte par les troupes du roi Louis XIII ? Comment se fait-il que vous soyez tous comme ça, habillés comme ça, avec des visages si différents ? »

A propos de visage, le sien est délicieux. Certes, des cheveux rouges, je n'en vis guère, hormis quand le sang de mes victimes coulait sur leur chevelure. Mais là, point de tout ça. En plus, le soleil qui passe par les vitres au dessus de nous lui dessine une jolie silhouette. Autrement plus élégante que la mienne, tant je me sens comme dépareillé. Peut-être qu'elle croit que je viens d'un autre monde, d'une autre planète ? Il faut que je la rassure :

« Soyez sans crainte, je viens aussi de la Terre, je suis né au XVème siècle, mais je ne parviens pas à passer dans l'au-delà. »

Voilà, ça y est, c'est dit ; soit ça la convainc que je suis fou à lier, soit elle va enfin me donner quelques explications sur leurs mœurs étranges. Et, comme je ne suis pas tombé sur la moins belle, bien au contraire même, je veux bien rester des heures à l'écouter. Je sens même d'autres pensées poindre dans mon esprit désormais tout à fait éveillé...

« Seikouchou, c'est la capitale de la nouvelle ile découverte par les troupes du roi Louis XIII ? Comment se fait-il que vous soyez tous comme ça, habillés comme ça, avec des visages si différents ? »

Il n'allait quand même pas lui faire le coup du voyageur temporel, surtout pas de manière si grossière ? Aux dernières nouvelles, il n'y avait de Louis XIII sur Terra : l'homme faisait donc bien référence à un roi français d'une époque reculée. Le type était soit un farceur, soit juste fou à lier. Parce que les mondes parallèles pourquoi pas, sa logique pouvait le concevoir ; mais les voyages dans le temps, un peu de bon sens suffisait à savoir que cela était impossible, pour de simples raisons de paradoxes.

« Soyez sans crainte, je viens aussi de la Terre, je suis né au XVème siècle, mais je ne parviens pas à passer dans l'au-delà. »

Tout ceci n'avait toujours aucun sens, cependant elle avait relevé une chose : "Je viens aussi de la Terre". Pourquoi se sentait-il obligé de préciser ceci ? Ses soupçons commençaient à s'affiner. Mais dans ce cas pourquoi prétendre venir du passé ? C'était ridicule ! Elle avait du mal à réfléchir, debout, les bras chargés, au milieu de ce brouhaha. Elle le regardait sans rien dire depuis quelques secondes déjà, et il faudrait bien qu'elle finisse par répondre quelque chose.

« Hm... d'accord... et vous avez besoin d'aide ? »

Non, elle n'avait pas l'intention de le laisser filer comme ça. C'était peut être stupide, mais elle ressentait le besoin d'éclaircir le mystère des origines de cet inconnu.

Même si mes vies furent variées, je n'avais jamais été confronté à une telle impression d'être perdu. Mais, plus fort encore, je n'ai jamais eu un sentiment aussi trouble face au visage d'une femme. Peu importent ses cheveux rouges, elle paraît si angélique, elle semble avoir tant de volonté de m'aider.

« Hm... d'accord... et vous avez besoin d'aide ? »

C'est une phrase d'une telle sincérité, et c'est une femme jeune et angélique, presque fragile, qui se propose à venir au secours d'un gaillard prétendant avoir combattu des armées, mais là réduit à un vagabond au milieu d'un monde qu'il ne maîtrise pas. Il faut réagir !

« Oui, dites-moi où nous sommes, dites-moi comment en sortir ! »

Comme si ces mots m'avaient soudain libéré un influx nouveau, je me redresse, droit sur mes jambes bombant le torse même :

« Et puis, j'ai besoin de me laver, de manger ! »

S je ne sais toujours pas comment je suis arrivé là, je dois aller de l'avant...

« Euh, dites-moi, j'ai l'air si bizarre que ça ? »

C'est vrai que, dans ses yeux, j'ai cru déceler l'alternance de l'étonnement et de l'inquiétude. Ses yeux, mais s'il n'y avait que ses yeux... Car, au milieu de toutes ces boîtes et autres sacs multicolores dont elle semble encombrée, elle paraît si douce, si féminine, si... troublante. Hum, ça y est, je récupère mes esprits tout à fait !

« Oui, dites-moi où nous sommes, dites-moi comment en sortir ! Et puis, j'ai besoin de me laver, de manger ! »

Le voilà semblait s'animer soudain ! Maelie pouvait donc déjà tirer un trait définitif sur l'hypothèse de l'ivrogne ; cet homme semblait en pleine forme. Ses manières exubérantes et ce soudain changement de posture n'étaient pas sans rappeler un jeu d'acteur de théâtre. C'était peut être bien tout simplement de ça qu'il s'agissait : un acteur débutant travaillant son personnage. Elle savait que les théâtreux avaient pour habitude de se lancer ce genre de défis, pour travailler leur improvisation et dépasser leur timidité. Pour sûr, cet acteur était plutôt doué. Elle se mit à rire et détourna le regard, gênée de s'être faite piéger aussi facilement. Il faut dire que connaitre l'existence d'une monde médiéval parallèle tendait à lui faire penser que peu de chose étaient impossibles, et il en découlait chez elle une certaine crédulité.

« Euh, dites-moi, j'ai l'air si bizarre que ça ? »

Maelie se retint de rire à gorge déployée ; autant faire comme si elle mordait toujorus à l'ameçon, maintenant qu'elle y était. Elle contait bien s'amuser un peu avec ce plaisantin et tester ses capacités d'adaptations.

« Comme je vous ai dit, nous sommes dans un centre commercial. C'est une sorte de grand bâtiment qui regroupe diverses boutiques. Suivez moi, je vous montre la sortie ! »

Elle se mit à marcher en direction de la sortie qui la mènerait du côté de son appartement : après tout, elle aurait à marcher et à prendre le bus pour rentrer chez elle, alors comptait bien faire porter ses boîtes à chaussures peu commodes à l'inconnu. Rira bien qui rira le dernier.

« Ne vous inquiétez pas pour tout ça, je vais vous aider, et puis vous n'êtes pas plus bizarre qu'un travesti ou un cosplayeur pokémon. »

Il débouchèrent bientôt dans la rue. La jeune fille continua à jouer les naïves, tenant d'expliquer ce qu'il voyait au visiteur du passé.

« Attention, ne marchez pas sur la route, restez sur le trottoir, là où sont les gens... ça ce sont des voitures. Même principe qu'une charrette, mais un... truc, à l'intérieur, fait tourner les roues. Donc plus besoin de chevaux. C'est ça qui fait tout ce bruit d'ailleurs. Nous, on va prendre le bus : même principe, mais en plus gros. Ils passent régulièrement à des points déterminés pour acheminer les voyageurs d'un point à un autre de la ville, et j'aurais besoin de passer chez moi pour déposer tout ça. Or chez moi c'est loin. D'ailleurs, est-ce que vous pourriez porter ces boites pour moi ? »

Elle lui sourit, guettant sa réaction. L'acteur allait-il se lasser du jeu, ou allait-il persister ?

Oh, un sourire, et même un beau sourire. Contrairement aux autres qui courent ou crient, je serais donc tombé sur la seule personne aimable en ces lieux.

« Comme je vous ai dit, nous sommes dans un centre commercial. C'est une sorte de grand bâtiment qui regroupe diverses boutiques. Suivez moi, je vous montre la sortie ! »

Un centre commercial ? Je viens d’apprendre une nouvelle expression. Et si les boutiques dont elle parle, ce sont tous ces endroits illuminés et grouillants, je n’ai nulle envie de l’y suivre. Heureusement qu’elle m’a parlé de sortir d’ici. Ce mot-là, je l’ai compris, au contraire de certains tels « travesti » ou « cosplateur pokemon » ; ce doit sans doute être des personnes aussi issues d’autres mondes.
La rue, enfin ! Mais il y a autant de bruit qu’au-dedans. Ma guide semble autant à l’aise que je suis à la fois perdu et inquiet.

« Attention, ne marchez pas sur la route, restez sur le trottoir, là où sont les gens... ça ce sont des voitures. Même principe qu'une charrette, mais un... truc, à l'intérieur, fait tourner les roues. Donc plus besoin de chevaux. C'est ça qui fait tout ce bruit d'ailleurs. Nous, on va prendre le bus : même principe, mais en plus gros. Ils passent régulièrement à des points déterminés pour acheminer les voyageurs d'un point à un autre de la ville, et j'aurais besoin de passer chez moi pour déposer tout ça. Or chez moi c'est loin. D'ailleurs, est-ce que vous pourriez porter ces boites pour moi ? »

Elle m’explique tout et je bois ses paroles, elle me sourit et je fonds devant son visage, elle ondule devant moi et mon esprit s’égare sur sa silhouette. Je m’accroche à ma sauveuse, mais je suis si étonné de sa gentillesse, de sn attention. Enfin, peut-être pas si désintéressée ! Elle a trouvé le pigeon pour porter tout ce qui l’encombre, ces boîtes multicolores dont je ne comprends pas l’utilité, et tout ça en essayant d’éviter ce qu’elle appelle des « voitures ».

« Mais voyons, avec plaisir, c’est un devoir et un plaisir que de vous aider, même si je me demande ce que peuvent contenir tant de boîtes. Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Mais pourquoi donc êtes-vous si chargée, et à quoi vous serviront les choses qu’il y a dans ces boîtes ou dans les sacs ? »

C’est vraiment un étrange monde où la vie vient de me mener, mais il est peuplé de délicieuses créatures, de femmes pourrai-je dire. Celle-ci m’a même proposé de venir chez elle ! Autrefois, une telle proposition ne supposait nulle équivoque, et j’espère que les règles n’ont pas changé.

« Mais dites-moi pourquoi vous faites tout ça pour moi ? Je ne suis pas d’ici, vous ne me connaissez pas, je sens mauvais et je suis habillé comme nul d’entre vous. Sans compter que vous faites comme si vous vous adressiez à un enfant. Savez-vous que j’ai plus de 5 siècles ? »

« Mais voyons, avec plaisir, c’est un devoir et un plaisir que de vous aider, même si je me demande ce que peuvent contenir tant de boîtes. Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? mis pourquoi donc êtes-vous si chargée, et à quoi vous serviront les choses qu’il y a dans ces boîtes ou dans les sacs ? »

La jeune fille posa donc ses trois boîtes entre les mains du clown et garda les sacs sur elle.

« Mais dites-moi pourquoi vous faites tout ça pour moi ? Je ne suis pas d’ici, vous ne me connaissez pas, je sens mauvais et je suis habillé comme nul d’entre vous. Sans compter que vous faites comme si vous vous adressiez à un enfant. Savez-vous que j’ai plus de 5 siècles ? »


Donc le jeu continuait ( et elle avait trouvé un porteur pour ses boîtes à chaussures. Bien joué, ça. ). Elle répondit sur le ton de la plaisanterie :

« Si je porte toutes ces boîtes c'est qu'aujourd'hui javais besoin d'acheter des vêtements. Voyez vous je suis un peu distraite et j'ai tendance à en égarer un peu partout... Ces sacs en plastiques contiennent des vêtements. Le plastique est une matière que l'on obtient en traitant du pétrole... qui est lui même une substance noire et gluante que l'on trouve enfouie sous terre, résultat de la décomposition de vieux êtres vivants tels qui les dinosaures, qui sont des sortes de dragons. Des reptiles de toutes les tailles et de toutes les sortes, parfois de plusieurs dizaines de mètres ! Ils ont vécu bien avant l'humanité, jusqu'à ce qu'une météorite - un gros cailloux qui vole dans l'espace - ne tombe sur la Terre, soulevant des nuages de poussière  empêchant la photosynthèse qui... attention... quand le bonhomme rouge est allumé, il ne faut pas marcher sur les bandes blanches. On va attendre que le petit personnage vert s'allume... voilà... pour marcher, venez ! De leur côté les voitures voient une lumière rouge qui leur indique de s'arrêter. Ah oui je disais donc : les sacs en plastique contiennent des vêtements, et les boîtes en carton que vous portez contiennent des chaussures. On ne croirait pas comme ça, mais le carton est fait à partir de bois. Si si.»

Pour raconter des conneries, elle avait une certaine endurance. Son moulin à parole tournait tout seul, tandis qu'elle se concentrait sur le chemin à prendre pour rejoindre l'arrêt de bus le plus proche.


Donc le jeu continuait ( et elle avait trouvé un porteur pour ses boîtes à chaussures. Elle répondit du tac au tac, sur le ton de la plaisanterie :

« Pourquoi je vous aide hein ? Il parait que je suis trop gentille, héhé. Mon côté maternel. Vous ressemblez à un enfant perdu. Ah nous sommes arrivés à l'arrêt. C'est ici que les bus s'arrêtent pour prendre des passagers. »

Cela dit; il avait totalement raison sur un point : il sentait fort, comme quelqu'un qui ne s'est pas lavé ni changé depuis un moment Voilà un comédien qui avait le sens du détail.

Et me voilà avec trois boites multicolores sur les bras ; c'est d'un ridicule d'avoir des aïeux chevaliers, une dague au côté, et de telle choses sur les bras. Que ferai-je si le Duc des Férenties m'attaque ? Je serais bien empêtré...
En attendant, je suis tombée sur une guide qui m'apprend plein de choses ! Si j'ai bien compris, il y avait de grands reptiles qui ont pris un caillou sur la tête, et se sont transformés en sacs gluants. Ca paraît invraisemblable, je me demande si elle ne se moque pas de moi. Tout comme avec ses bonhommes rouges et verts, je n'en ai pas vu un seul ; les gens ont l'air à peu près comme moi ici. Elle est gentille, mais un peu bizarre.

« Mais pourquoi égarez-vous vos vêtements un peu partout ? C'est si grand que ça, chez vous ? »

Finalement, avec tout ce qu'elle me dit, je vais finir par être plus perdu encore ! Et là, il faut attendre un trc qui s'appelle bus ; elle m'en a déjà parlé, mais je ne sais plus à quoi ça sert. En tout cas, les autres sont très polis ; ils s'écartent tous en se pinçant le nez, ça doit être une coutume locale. Au moins suis-je seul avec elle. Oh, pas contre elle ; on dirait que quelque chose la gêne, quand elle s'approche de moi. C'est peut-être de la timidité. En tout cas, trouver une guide qui me mène chez elle, c'est une chance fabuleuse. Enfin, j'espère que ce n'est pas un traquenard, et qu'il n'y a pas quatre ou cinq bandits qui m'attendent. Etre avec elle seulement me suffit amplement. Après tout, je veux bien être rendant de service, mais une juste contrepartie...

( HRP : Disons que les bus au japon fonctionnent un peu comme en

« Mais pourquoi égarez-vous vos vêtements un peu partout ? C'est si grand que ça, chez vous ? »

Cette pointe d'humour teintée de fausse naïveté la fit rire.

« Non, bien au contraire, mon appartement est minuscule... arh, flûte. »

Alors que le bus s'approchait, elle venait de réaliser qu'elle allait devoir payer le trajet de son porteur. Ca n'était pas hors de ses moyens, mais elle avait l'impression de s'être faite avoir, quelque part. Le véhicule s'arrêta et le bus vomit des passagers par la porte arrière, engloutissant les nouveau arrivant par l'avant. Maelie attendit que tout le monde soit monté pour entrer à son tour. Elle se retourna vers l'anachronisme sur pattes qui la suivait. Celui-ci regardait autour de lui d'un air presque craintif, comme si c'était la première fois qu'il montait dans un car. Les regards se tournaient de plus en plus vers lui, et la jeune fille commença à se sentir gênée d'être associée à cet énergumène...

« Un trajet pour moi et pour lui s'il vous plait... »

Le conducteur fit l'échange de la monnaie contre deux tickets, et la succube fit signe au comédien de la suivre, alors qu'elle se faufilait entre les passagers pour trouver un coin où ils pourraient se tenir côté à côté sans être écrasés.

« Hmfff... j'aime pas trop les transports en commun. »

Elle jeta un coup d’œil autour d'elle. Les gens les fixaient, tous les deux, et détournaient le regard dès qu'ils croisaient le sien. Elle sentit le rouge li monter aux joues, carrément mal à l'aise. Elle était tellement près de l'homme que son odeur l'enveloppait. Une odeur de mâle et de sueur. Le genre d'odeur qui la mettait en équilibre entre le délice et le dégoût. Elle reprit à voix basse, évitant de fixer le visage de l'acteur, dont la capacité à maintenir son jeu impéccable l'impressionnait :

« Je m'appelle Anastasia... »

Et voilà que, alors que je parle de sa maison, elle me répond appartement. C'est quoi, ça ? Ce doit être les nouvelles habitations dans ce monde !

« Non, bien au contraire, mon appartement est minuscule... arh, flûte. »

Tiens, pourquoi a-t-elle dit « flûte ? Ce monde et ses réactions me semble bien compliqué, j'ai même du mal à comprendre ma guide ! Je lui fais confiance (ai-je vraiment le choix, car c'est la seule qui m'a témoigné quelque commisération?), mais elle m'entraîne dans des choses bizarres. Comme cette boîte sur roues, avec plein de gens qui sortent, avec plein de gens qui rentrent... dont nous. Elle a l'air d'échanger des morceaux de papier avec le cocher, mieux vaut ne pas s'en mêler car je n'y comprendrais fifre. Je vais me contenter de faire comme elle. Mais, là aussi, ce qui est poli, c'est que les gens nous laissent la place !

« Je m'appelle Anastasia... »

Je ne fais même pas attention à sa phrase ; je n'aime pas le regard de l'homme brun là-bas, il la dévisage de manière lubrique. Je porte la main à ma dague.

« Restez là, je vais aller régler le sort de ce manant. Je n'admets pas qu'on regarde comme ça la femme qui est avec moi ! »

En une fraction de seconde, je pose les boîtes au sol et je bondis vers l'individu, sans que personne ne s'en inquiète. Il n'a pas eu de temps de réaction, que je le plaque contre la fenêtre de la boite sur roues. Juste quelques mots, le froid de la lame sur son ventre, et je reviens vers ma guide avec le sourire.

« Voilà, je suis allé lui dire ma façon de penser. Je n'admets pas qu'on regarde ma femme comme ça ! Ne vous en faites pas, il n'osera plus vous regarder comme ça. »

Puis, réfléchissant un peu :

« Oh, j'ai fait une bêtise ; j'ai dit que vous êtes ma femme. Ca ne vous dérange pas ? »

Et, ma mémoire revenant :

« Anastasia... C'est un joli prénom... C'est un prénom de ce monde ? »

J'adore ses yeux ! Même si je ne comprends pas tout à ce monde, j'y ai ma lumière. J'ai même hâte d'être dans ce qu'elle appelle appartement.

« Restez là, je vais aller régler le sort de ce manant. Je n'admets pas qu'on regarde comme ça la femme qui est avec moi ! »

Maelie se mit à pouffer à nouveau. C'était très drôle, très décalé, très... QUOI ?! Qu'est-ce que ce cinglé était en train de faire ? Est-ce qu'il allait agresser un homme pour un regard baladeur. Est-ce qu'il venait de sortir une dague ?! Elle poussa un cri et essaya de le retenir par le bras ; peine perdu. Elle le vit plaquer l'individu contre la vitre, et revenir vers elle quelques secondes plus tard, une expression de quasi-fièreté sur le visage.

Le jeu prenait une tournure des plus déplaisantes. Ce mec n'était pas un acteur : soit il venait de Terra et c'était un homme agressif et prompt à jouer de l'arme blanche, comme il y en avait tant dans ce monde, soit il était juste fou à lier et encore plus dangereux. Enfin, pas dangereux pour elle bien sûr. Elle pouvait disparaitre quand elle le voulait, et surement même lui mettre une raclée en utilisant son pouvoir de téléportation ( elle l'avait déjà fait une fois sur Terra, sur un voleur qui n'était certes pas de la même carrure, mais tout de même ). En tout cas il était dangereux pour les autres. Il fallait descendre de ce bus le plus vite possible.

« Voilà, je suis allé lui dire ma façon de penser. Je n'admets pas qu'on regarde ma femme comme ça ! Ne vous en faites pas, il n'osera plus vous regarder comme ça. Oh, j'ai fait une bêtise ; j'ai dit que vous êtes ma femme. Ca ne vous dérange pas ? Anastasia... C'est un joli prénom... C'est un prénom de ce monde ? »

Elle resta bouche bée alors qu'il déblatérait d'un air satisfait : sa femme ?! Et puis quoi encore ?! Il ne pensait quand même pas la séduire en agressant n'importe qui comme un adolescent des bas quartiers de Moscou ? Alors qu'il achevait de parler, le bus fit un nouvel arrêt. Elle ramassa ses boîtes d'une main, les plaquant contre son torse, tandis qu'elle agrippait l'homme par la manche et l'entrainait dehors, le visage écarlate.

De retour à la case trottoir, elle lui fit face à nouveau, une telle colère si le visage qu'elle en aurait été effrayante, si seulement la jeune fille avait pesé plus de 45kg. Sous le coup de l'émotion elle avait laissé tomber ses boîtes à chaussures aux sol, et faisait de grand gestes fébriles avec les mains, balançant ses sacs au rythme de ses brassements d'air.

« Mais vous êtes ... complètement taré ?! Espèce de ... pourquoi vous avez fait ça ?! Je me fous que vous admettez, que vous admettez pas, et si vous croyez, avec vos... que vous allez me faire...  vous mériteriez que je... que je..  »

En réalité elle n'avait aucune idée de ce qu'elle allait faire de lui. Elle se sentait prête à le castagner si jamais sa réponse lui déplaisait encore plus que ses paroles précédentes.

Oh, ce qu’elle est jolie quand elle arrondit ainsi sa bouche ; ça lui donne même un air espiègle, qui fait naître de bien douces pensées en moi. Mais je n’ai pas le temps d’apprécier le spectacle, qu’elle saisit ma manche et m’éjecte de cette boîte sur roues. Eh ben, ça alors, si je pensais qu’un si petit bout de femme eut une telle vivacité, une telle force même…

« Mais vous êtes ... complètement taré ?! Espèce de ... pourquoi vous avez fait ça ?! Je me fous que vous admettez, que vous admettez pas, et si vous croyez, avec vos... que vous allez me faire...  vous mériteriez que je... que je..  »

Je n’ai jamais vu une femme s’agiter ainsi, même pour me remercier. Mais j’avoue que, là, je ne crois pas qu’elle me remercie d’avoir défendu son honneur. Et c’est dommage qu’elle ait jeté ses boîtes multicolores à terre. D’ailleurs, un chevalier digne de ce nom sait ce qu’il a à faire… Et je me baisse pour ramasser ces boîtes et y remettre les chaussures. Etranges ces chaussures, ça ne doit pas être facile de marcher avec ça d’ailleurs.

« Je voudrais bien vous répondre, car je ne suis pas sûr que vous soyez contente. Mais vous ne finissez pas vos phrases, alors je ne sais même pas ce que je dois vous dire. »

Ca y est ; j’ai juste fini de ranger les chaussures comme elles devaient être dans leurs boîtes.

« Vous voyez, j’ai tout remis en ordre ; il ne fallait pas désespérer pour si peu. »

C’est étrange, mais je me demande si, réellement, elle comprend, ou si ses yeux trahissent vraiment une colère sourde qui monte. Mais bon, il ne faudrait pas exagérer ! Je ne vais quand même pas me laisser rabaisser par ce petit bout de femme ; moi qui ai affronté des légions sans sourciller, ce n’est pas elle qui va me mener à sa guise…