_She loves him, wooooh ! She loves him ! A-all the way ! Les paroles étaient plutôt approximatives, elle n'avait jamais vraiment cherché à les apprendre ni même à les écouter, et cela l'amusait de sortir de parfaites inepties : qui n'a jamais crié « ce soooir, j'ai les pieds qui puuuuent ! » sur I still loving you de Scorpion ou « j'ai perdu mon opinel » sur Message in a bottle de The Police... ? Eh bien, voilà, ces petits plaisirs simples satisfaisaient Mona et elle entretenait pour ceux-là une vive passion.
Se déhanchant comme une forcenée sur cette chanson de la Queen du Rockabilly, elle faisait voler autour d'elle le peignoir de soie dans lequel elle s'était enveloppée. Il devait être quatorze heures ou quinze heures et elle s'était réveillée à peine une heure avant. Une fête prolongée la nuit dernière l'avait en effet contrainte à un sommeil long et lourd. En dépit de l'engourdissement de son corps encore soumis aux effets de l'alcool (gueule de bois, disons le clairement) et de son esprit un peu embrumé par le sommeil, elle était déjà en pleine forme, faisant fi de sa fatigue extrême. Mona, une pile, qui ne s'arrêtait jamais.
Une tasse de café à la main, elle sauta sur son canapé de cuir qui donnait sur les grandes baies vitrées surplombant le quartier et donnant une magnifique vue de la ville. Ses jambes s'agitaient comme un Elvis Presley et son buste se tordait comme une Madonna dans ses jeunes années, Mona était déchaînée.
Il n'y avait pas vraiment de raisons à cette brusque euphorie au saut du lit, si ce n'est qu'elle était de bonne humeur et heureuse de ce que sa vie était. En effet, qui aurait à se plaindre d'être mannequin pour le grand public comme pour la sphère plus restreinte des modifications corporelles, présentatrice télé et maintenant aussi professeur des arts vivants ?! Non, vraiment, sa vie était d'un confort sans pareil. Elle tournait à plus de cinquante heures de travail dans la semaine, en comptant bien sûr les week-ends, mais finalement ce n'était pas si énorme qu'on pouvait le croire et les trois salaires qu'elle combinait ainsi lui permettait de vivre plus que confortablement, et d'avoir ainsi acheté ce superbe appartement de plus de 100m². Pour elle seule. Non, vraiment, le bonheur total. Mais un bonheur qu'elle avait fait en sorte de rencontrer, qu'elle faisait en sorte d'entretenir.
Avalant par petites gorgées son café, elle finit par se laisser retomber dans l'assise du sofa. La boisson tanguait dangereusement dans cette tasse, secouée comme elle l'était.
En vraie pin-up, Carmen dormait en sous-vêtements, voire nue, et n'enfilait que le premier peignoir lui tombant sous la main. Donc, hormis un petit boxer noir et un soutien-gorge à balconnet, elle était pour ainsi dire nue. Ce devaient être ses voisins qui étaient contents, profitant du superbe vis-à-vis des immeubles.
Poussant du pied son chat qui prenait une grande place dans le canapé, elle s'étala à son tour de tout son long en soupirant d'aise. Elle devait donner une interview à vingt heures en direct pour l'émission Miami Ink (allez savoir pourquoi ces américains allaient chercher une espagnole-japonaise pour leur émission typiquement américaine...!) et il aurait mieux valu qu'elle commence à se préparer et à se pomponner, l'équipe arriverait sans doute vers dix-huit heures trente mais... oh, elle avait le temps, voilà tout !
Fermant les yeux, elle faisait la moue en fonction de la musique, étirant tout son faciès dans différentes mimiques, ressentant le plaisir de ces quelques notes jusque dans son corps.
Des coups frappés à sa porte la tirèrent de son petit plaisir matinal. Sacrilège. Maugréant, elle prit le temps d'enfiler rapidement une robe sur elle, assez simple, aux motifs d'hirondelles, taille resserrée et manches légèrement bouffantes. Secouant ses cheveux d'une main elle vint ouvrir.
Elle resta un moment interdite. Devant elle se dressait (enfin, façon de parler) un jeune homme assit sur un fauteuil.
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Oui... ? Demanda-t-elle dans un charmant sourire.
Le visage du jeune homme s'était peu à peu décomposé alors qu'il cherchait des yeux, derrière Mona, s'il n'y avait pas quelqu'un d'autre dans l'appartement.
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Euh... Je vis seule ici, vous cherchiez quelqu'un peut-être... ? Mais le jeune homme ne pipait mot, semblant très attristé. Se mordillant la lèvre, ne sachant que faire alors qu'elle voyait l'inconnu sombrer peu à peu dans un océan de morosité, elle eut un brusque sursaut :
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Eh, excusez-moi, mais ne seriez-vous pas ce jeune homme adepte des sports extrêmes... ? Ses yeux tombèrent sur le fauteuil,
oui, c'est cela n'est-ce pas ? Drake... ? Drake Noventa, si je ne fais pas erreur ? Vous avez fait la une d'un magazine un mois avant que je ne la fasse, c'était pour Doomo, si je ne me trompe pas... elle lui tendit une main amicale,
Mona, peut-être ne m'avez-vous jamais vu... ?Elle esquissa un nouveau sourire avant de s'enquérir de nouveau sur la raison de sa présence chez elle.