Non mais oh [PV]

Un mèche au centre. Deux autour. Mmph. Eyia venait d'extraire des cheveux d'un de ses bocaux, les tressant avant de les caler dans une feuille de papier à rouler. C'était encore une chose laborieuse pour elle. Tresser lui demandait de la patience. Et n'en avait que peu, dés que ça ne concernait plus ses gemmes. Une de ses ombres, vêtue de rien, lui proposa silencieusement son aide, et la reine la laissa faire. Elle était un brin claquée. Retourner sur Terre n'était pas toujours drôle pour elle. Mais elle s'efforçait de s'habituer à cette vie. Nue, elle s'engouffra dans un drap de satin blanc, regardant son ombre faire. Et elle ça faisait bien. En un instant, l'affaire était dans le sac. Enfin, les cheveux étaient dans le papier. Elle récupéra son bien, l'allumant prestement. Une charmante odeur emplit les lieux, et son ombre frissonna. Une autre ombre entra, déposant du thé sur la table de chevet de la souveraine. Sa cour l'accompagnait partout. Surtout sur Terre, où l'idée même de se comporter comme une humaine la rebutait. Non, elle ne s'abaisserait pas à cela. Tant que son ombre se dessinerait, elle se multiplierait en compagnes charmante, prêtes à assouvir tout les caprices de la reine éternelle. Non mais oh. Faut pas déconner non plus.

Son ombre lui adressa un sourire, avant de quitter la pièce, la laissant seule dans cette vaste chambre. Quelle heure était-il ? Elle s'en moquait. Le temps, l'espace n'étaient que des inventions humaines qui ne l'effleurait guère. Eyia faisait fi de ce genre de choses. Dans son royaume, elle régulait à sa guise les lumières de ses gemmes, qui étaient une sorte d'équivalent des astres qui bordaient la Terre. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'un soleil tiède caressait son dos, passant outre la large fenêtre de sa chambre. Elle s'installa en tailleur, savourant cette cigarette atypique. C'était si bon. Ce silence. Cette lumière. L'immortelle s'étira longuement, faisant grincer ses os. Ses doigts attrapèrent prestement la tasse chaude, qu'elle porta à ses lèvres écarlates. Une opale infusait dans la théière, donnant à cette boisson un goût frais et pailleté. Ses papilles apprécièrent. Ses papilles n'appréciaient que ça, d'ailleurs. Les gemmes.

"Divin."

Dit-elle simplement, à l'intention de l'ombre qui passait à nouveau devant la porte de sa chambre. Celle-ci la remercia d'un hochement de tête, murmurant un "à votre service" d'une voix fine et spectrale, avant de disparaître. Ses ombres gambadaient comme bon leur semblait, ici. Tant qu'elles rappliquaient quand elle les sonnait, tout leur était permis. Certains baisaient ensemble, parfois. C'était très beau, des ombres qui se perdaient les unes dans les autres. Très beau. Eyia s'apprêtait à s'allonger, quand elle sentit une présence. Chez elle. Ni une, ni deux, elle se leva, jetant un oeil par la fenêtre. On venait. On venait chez elle. Où qu'elle soit, il ne fallait pas empiéter sur son territoire. La souveraine piocha un peignoir dans son armoire, le nouant autour de sa taille. Se présenter nue à un inconnu était peu recommandable. Elle descendit les escaliers, doucement, croisant une de ses ombres, qu'elle somma de la suivre.

Avant même qu'il ne sonne, elle ouvrit la porte. Enfin, non, pas elle. Une ombre, évidemment. Elle n'ouvrirait jamais une porte. Et Eyia apparut. Enveloppé dans un peignoir pâle, d'une blancheur divine, d'une douceur enviable. Elle ne pipa mot, seul son regard interrogeait ce visiteur.

Les gemmes, que de beautés, que d’intérêt pour elles, qu’elles sont belles, qu’elles brillent. Elles étaient les plus belles pièces d’apparat. Et il était sur d’une chose, obtenir des gemmes ne ferait que grandir son apparat. Pour la peine, il, Rahemar se dit que cela pouvait être intéressant…

Mais une question, comment y aller en fait ? En se déguisant ? En se montrant ? Tant de sacrées questions ! Il ne savait pas trop et finalement s’était dit qu’y aller en y étant comme qui dirait au naturel… oui, en se montrant tel qu’il était, noir, masqué et casqué, ah il était impressionnant. Il était allé là bas comme une fleur, rien dans les poches. Et sans se faire annoncer qui plus est !

Et en même temps on annonçait un monarque, un pécore, mais un dieu ? Pourquoi devrait se comporter comme un misérable et inutile mortel ? Non mais oh ! Il ne fallait pas déconner ! il était le dieu même de l’apparence, en un sens le dieu de la beauté et par extension des gemmes qui étaient une incarnation de la beauté, non ?

Donc voilà, il allait y aller, se faire vénérer, prendre une bonne dose d’adoration et de prière et hop, il repartirait comme ça, laissa une fidèle éplorée par son départ ! Il s’approcha de l’entrée et s’apprêtait à sonner avant d’ouvrir la porte théâtralement ! Il allait faire forte impression avec son apparence !

Mais voilà qu’on tentait de lui saper son entrée :  on venait de lui ouvrir avant qu’il n’enfonce la porte ! S’il n’aimait pas quelque chose, c’était qu’on lui bousille ses entrées, l’entrée, c’est le moment le plus important !  On venait et trente secondes après, l’autre avait son avis sur sa personne ! Mais au moment où l’on ouvre quelqu’un vient vous ouvrir et que vous vous retrouvez sur le seuil comme un con…

Il entra, ne portant regard à rien comme s’il était supérieur à tout autre chose ici présente, même la maitresse de maison ! Il la détailla à peine, elle était bien pâlichonne… puis il capta son regard, pas de mot, pas d’interrogation. Il ne pipa mot. Il espérait bein quelque chose. Et comme pour briser la glace, il lança, sur un ton amusé et joueur plus qu’autre chose alors que sa morpholoigie changeait pour devenir similaire en tout point à celle de son interlocutrice.

« Qui est cette personne entrée ici ? Que veux-t-elle à sa ma majesté ? »

Il inclina la tête sur le côté avant de dire, sur un ton toujours amusé, même si l’on sentait poindre derrière une forme d’agacement, agacement compréhensible quand on voulait être théâtral.

« Peut être veut-il savoir ce que je suis ? Peut être veut-il parler des pierres ? Peut-être est-il quelqu’un qui en comprend l’intérêt ? Le double intérêt… »

Lorsqu'il prit son apparence, elle crut s'étouffer. Quoi ? Il lui chippait son apparence, cet inconnu. Quel outrage infâme. On imite pas une reine, car on ne sera jamais une reine. L'ego d'Eyia venait d'en prendre un coup, si bien que son visage se ferma en une petite moue. Celle de la princesse mécontente, qui s'apprête à bouder et/ou faire un scandale. Mais l'allusion qu'il fit aux pierres eut le mérite d'intriguer la souveraine. La colère ? Oubliée. Enfin, en partie gommée. Elle trouverait assurément le moyen de se venger. Il avait fait mention du "double-intérêt" des pierres. Mis à part elle-même et ses ombres, personne ne connaissait les vertus culinaires des gemmes. C'est quand elle commença à se demander qui il était qu'elle eut une illumination. Un dieu. Il ne pouvait être qu'un dieu. Raison de plus de lui claquer la porte au nez.

Car, oui, l'immortelle n'aimait guère les dieux. Trop pompeux. Trop consanguins. Trop ... Tout.

- Que voulez-vous ?

Non, elle ne le laissait toujours pas entrer. Méfiante, la reine le dévisageait, lui qui venait de prendre ses traits. Eh, elle était plutôt canon. Eyia appréciait beaucoup son propre physique, se trouvant vraiment bien conservée, depuis le temps qu'elle était en vie.

- Dites-moi qui vous êtes et je vous laisse entrer.

Souffla t'elle finalement, sans baisser le regard.

Au moins, il notait qu’elle n’avait apparemment pas la moindre disposition à la plaisanterie, loin de là. Non, ou alors c’était qu’il n’était pas le bienvenu… l’un des deux…. Ou non, les deux en fait… il sourit, ça allait être amusant…. Il regarda la jeune femme, la reine, même si il n’y avait pas de monarques, seulement une flopée de personnes qui se croyaient meilleures que ce qu’elles étaient réellement.

La copie qu’il incarnait eut un rictus méprisant avant de lancer, sur un ton qui était à mi chemin entre le hautain et le moqueur, quelques propos qui n’étaient pas dépourvus d’une certaine forme de vérité tout en faisant un pas en avant, un pas nio trop grand, ni trop court, juste assez pour bien marteler ses propos.

« Je suis déjà entré…. C’est trop tard… »

Puis, il écarta les pans du peignoir pour révéler un corps parfaitement flétri par les ans, la réplique de la personne qui se trouvait en face de lui, en simplement plus vieille, comme si elle avait vieilli de manière normale, ou presque, une apparence qui devait rappeler largement, celle qu’elle aurait du avoir il quand elle avait quatre-vingt-dix ans !

« Tu veux vraiment savoir qui je suis ? Très bien ! »

Il reprit son apparence aussi sombre que les ténèbres, comme s’il aspirait la lumière qui l’entourait, ressemblant plus à un nuage ténébreux surmonté du casque habituel. Il sourit sous cemui ci avant de rajouter les explications.

« Je suis Rahemar, le dieu des apparences, et toi, tu es quoi pour imaginer pouvoir refuser le passage à un supérieur ? Toi qui n’est rien de plus qu’une goutte dans l’océan ? Juste une marchande de gemmes…. Juste Eiya…. Rien de plus… mais… ; il y a un point positif…. Je trouve ton apparence très confortable… »

Il reprit forme humaine, imitant à la perfection à nouveau le corps d’Eiya, avec un sourire sur les lèvres.

« J’ai cru comprendre que tes gemmes étaient un délice… »

Oui il avait compris l’utilité culinaire quand il l’avait imitée, s’appropriant certaines pensées, une certaine forme de savoir…

Le tour de magie la fit grimacer de dégoût. Comment osait-il attenter ainsi à la fraîcheur éternelle de son corps ? Voulait-il l'agacer ? Elle pouvait entrer dans une colère, si tel était son choix ! Manquer de respect à la souveraine respectable qu'elle était, à son royaume, sa puissance, sa beauté était un outrage. Les quelques ombres qui, curieuses, étaient restées derrière leur reine, sifflèrent entre leurs dents. Eyia les dispersa d'un mouvement de la main. Paix. Sur ses terres, elle pouvait égorger à souhait. Ici, elle devait faire preuve de patience. Les êtres vivants sur cette planète, certes, l'emmerdaient, mais se révélaient parfois utiles. Parfois. Et cet inconnu, face à elle, elle n'en voyait pas l'utilité.

Jusqu'à ce qu'il décline son identité. Rahemar. Un dieu. Putain, un dieu. Une de ces créatures foutrement hautaines et consanguines. Créatures qui méprisaient hautement toute forme de vie non-divine, et surtout celles qui cherchaient à s'approcher de cet état d'immortalité. Eyia, donc. Immortelle, reine, mais sans pouvoirs. Le discours qu'il tint eut le mérite de faire grincer des dents à la souveraine. Une marchande de gemmes. Elle se mordit sauvagement la lèvre inférieure. Et mon poing dans ta gueule, c'est une marchande de gemmes ? Comment osait-il se rendre chez elle pour l'insulter ? Elle donna un coup de poing rageur contre un des murs.

- Si tu me connais si bien, tu sais donc à quel point je hais les immondices comme toi. Vous n'êtes que des voleurs de prières, vous, les ...

Elle fit cesser sa phrase, mais la grimace de dégoût qui s'affichait sur ses traits en disait long. Eyia secoua la tête. Elle n'avait pas d'autre choix que de le faire entrer. Quelque chose lui disait que si elle le laissait dehors, elle allait en chier.

-Quitte ce corps. Et entre.

La curiosité prenait le pas. Elle le fit entrer, veillant à ce qu'une ombre ferme la porte derrière eux. S'allumant une cigarette, elle s'installa sur un des fauteuils de son salon.