Les auberges de Nexus étaient... Pittoresques. N'importe quelle personne ayant un peu de bon sens, se demanderait pourquoi un homme du rang de Lord Slaver irait trainer dans des débits de boisson aussi mal famés. En vérité il y avait deux bonnes raisons.
La première était la plus évidente: Même si tout le monde avait un jour entendu parler du seigneur esclavagiste, les gens du bas peuple ignoraient ce à quoi il ressemblait. Ainsi il pouvait boire tranquillement sans se faire emmerder par un noble cherchant à faire connaissance, ou un concurrent venant le dénigrer ou l'éliminer. En clair, on lui foutait la paix. Du moins à ce clone-ci.
La deuxième était la raison la plus concrète. Ce genre d'établissements était une mine d'informations pour qui tendait l'oreille aux conversations des voyageurs. Il y apprenait des choses sur les autres marchands, les grands évènements, les exigences de certains, les rumeurs, les ragots de voyageurs. La dernière fois qu'il avait mis les pieds dans cette auberge, il avait eu vent d'un village d'anciens esclaves réfugiés, et en écoutant sournoisement la conversation... Et bien disons qu'une armée de Théo investissait le village deux jours après. C'était pas de la qualité, mais il avait capturé une Ange.
Accoudé au comptoir, remuant un verre de whisky sec qu'il n'avait même pas touché, il demeurait les yeux baissés, écoutant deux voyageurs qui conversaient. Les glaçons de son verre avaient fondu depuis un moment déjà, mais il restait là, l'air pensif, mais attentif. Ils semblaient venir de loin. Et l'homme se mit à parler d'un certain "Sylvandell". Il n'en avait jamais entendu parler. Intéressant.
"Quelque chose ne va pas mec? T'as pas touché à ton verre."
Il releva la tête. C'était le patron qui lui parlait. L'homme était assez musclé, et il sentait la sueur. Il souriait de ses dents jaunies mais droites, en essuyant une chope avec un torchon sale. Il répondit avec un sourire qui signifiait clairement "occupe-toi de ton cul".
"Préoccupé. Rien de grave."
Il reposa son verre et le fit glisser sur le comptoir devant lui, alors que le tenancier s'en retourna à ses clients. Il reporta son écoute sur les deux voyageurs, constatant que l'homme discutait avec trois autres types. Il n'osait faire volte-face pour suivre la scène, mais se doutait que l'étrange odeur était sans doute liée aux nouveaux interlocuteurs. Il suivait de près la conversation, jetant un rapide coup d’œil vers la jeune femme en entendant les commentaires de Jaqen. Ou Morlwill. Ou "l'autre", enfin il s'en foutait.
Sous la cape, il aperçut une partie de la dague de l'inconnue. Noble. Et au vu de l'imposante stature de l'homme armé à ses côtés, il fallait être un vaurien édenté pour ne pas comprendre qu'il s'agissait de son garde du corps, ou quelque chose du genre.
Il continuait d'écouter. Et il finit par conclure que Sylvandell était un royaume, s'il avait l'influence de mettre des têtes à prix, et donc que la petite blonde au sang bleu y avait son importance. Entendant les provocations, il eut un mauvais pressentiment, de ceux qu'on a quand on sait que la taverne va bientôt devenir un gigantesque champ de bataille. Il tira son revolver de sous sa veste et vérifia si toutes les balles étaient dans le barillet, au cas où. Avec un calibre pareil, il pouvait bien aligner une trentaine de têtes en douze coups. Il gardait l'arme en main, mais la cachait à nouveau sous sa veste, au cas où ça dégénère. Et comme prévu, à cet instant, un combat éclata.
Feignant la surprise il se retourna vers cette bande d'idiots prévisibles et assista au pugilat. Un gros merdier provoqué par un paquet de rustres. De tout le combat, la jeune femme n'avait pas bougé. Pas de doutes, c'était bien une noble. Il regarda derrière lui pour savoir ce que l'aubergiste comptait faire, mais il avait disparu. Exaspéré, le Lord tira un coup de feu.
Le tir avait grondé comme si le tonnerre s'était abattu dans la salle. Tout le monde s'était arrêté, et il était au centre de l'attention. Schlingueur, toujours allongé sur la table, tirait une drôle de tête. Mais c'est sans doute parce qu'il n'avait plus de tête. Il y avait un grand trou dans la table, et sa cervelle en bouillie tout autour. Pour sûr, ça jetait un froid. Théo profita du silence pour parler.
"Messieurs dames, loin de moi l'envie d'interrompre vos festivités, mais je préférerais qu'elles se déroulent ailleurs. Voyez-vous, quand une foule se met à se cogner sur tout ce qui bouge et à agresser les jeunes et innocentes femmes, je m'en trouve si irrité que je ne résiste pas à l'envie de décaper quelques têtes, pour étaler un peu de sang sur les murs, you see? Enfin, s'il y a d'autres volontaires pour se faire bruler la cervelle, qu'ils se manifestent."
Il y eut un grand moment de flottement, et malheureusement, les volontaires se manifestèrent. Un bon nombre de clients de l'auberge, mécontent de ce trouble-fête, se rua vers lui. Et comme il jugea bon d'être une bonne dizaine pour les arrêter, il fut une bonne dizaine, et prit part au carnage qui avait débuté depuis environ une minute.
C'était un indescriptible bordel. Outre les ivrognes qui se battaient avec tout ce qui leur tombait sous la main, on avait aussi droit à une bande de mafiosi, ou quelque chose du genre, qui se mettaient à tirer sur tout le monde avec des armes automatiques. Toujours en train de garder sa position près du comptoir, Théo et les autres Théo avaient dû se résoudre au pugilat, même si ça ne lui plaisait guère. En tirant sur ses assaillants de trop près, il craignait que les balles traversent et ne blessent quelqu'un d'autre. Il aperçut dans la bataille qu'un type aussi éméché que lubrique, voulait s'en prendre à cette fille venant d'un royaume inconnu. Dans l'immédiat, ça aurait été bon pour lui, cette occasion de jouer les héros bienfaiteurs. Surtout qu'il n'aimait pas vraiment la violence quand il n'était pas question de business. Mais celui qui se faisait nommer Oberyn était venu à son secours. Garde du corps, il en était maintenant certain. Mais ce n'était pas vraiment le moment opportun pour parler affaires, surtout qu'il avait cru voir des gardes s'agiter autour de la bâtisse. Se débarrassant de ses propres opposants en les achevant de son arme peu conventionnelle mais très efficace, il comprit la manœuvre d'Oberyn et le couvrit en tirant à feu nourri, à l'aide de toutes ses copies. Tous les Théo avaient vidé leur barillet. Il y avait déjà du monde en moins. Voyant l'arrivée de la garde, il se jeta derrière le comptoir et se cacha dessous, réduisant son effectif au nombre de un. Le silence s'était abattu après que le sergent aie fait feu. Et Théo avait retrouvé le tenancier, caché sous le comptoir avec la recette de la soirée.
Bon, au travail, les gars, matez-moi toute cette merde!
Il n'aimait pas ça. Des gens se feraient interpeller, et cela comprenait Oberyn et lui. Il créa une copie juste devant lui, qui s'écria:
"Un instant messieurs!"
Il réajusta sa cravate et contourna le comptoir, enjambant les hommes qu'il avait tabassés une minute plus tôt. Il capta tout de suite toute l'attention, et s'adressa au chef de la brigade:
"Cette bataille a été provoquée par trois hommes: L'un d'entre eux est cet homme, allongé sur cette table, que j'ai abattu moi-même. Le second est ce gars qui essaye de filer en passant par la fenêtre brisée juste là, et le troisième est cachée sous cette table. Le combat a été aggravé par ces hommes et ces armes à feu, bien que j'avoue être surpris d'en voir autant en cette ville de Nexus."
Pendant qu'il avait porté toute l'attention sur Jaqen, Morlwill et les gangster, qui se firent interpeller directement, son double qui était resté sous le comptoir s'était faufilé vers les escaliers et les grimpait deux à deux. Ce n'était bien sûr pas par bonté de cœur qu'il n'avait pas dénoncé Oberyn, mais bien pour gagner les faveurs de la jeune femme qui l'accompagnait. Cependant le sergent, qui était un bon soldat, demanda des précisions à l'homme en costard.
"Qu'est ce qui me fait croire que tu dis la vérité? Non, pourquoi devrais-je t'écouter, et ne pas embarquer tout le monde?"
Théo s'avança avec un sourire confiant, et un regard menaçant qui le mettait au défi d'essayer. Le sourire décontracté de l'homme était aussi effrayant que ses yeux.
"Mon nom est Lord Slaver. Vu ton rang, tu ferais mieux de me vouvoyer, je suis après tout une connaissance de la Reine de Nexus. Tiens-tu vraiment à m'interpeller? J'en ris déjà, te voir devenir la cause d'un conflit entre mon empire et Nexus... Je ne fournis plus de marchandises de qualité, l'économie de votre Ville-Etat tombe en chute libre, les taxes augmentent, moi je suis libre, et toi tu es l'homme le plus haï du royaume. Mais je t'en prie, arrête-moi si tu l'oses."
L'un et l'autre se défiaient du regard comme deux fauves dans une arène, mais tous deux savaient que le seigneur des esclavagistes avait l'avantage. Au pire, une copie peut disparaître, et une centaine d'autres descendre l'escalier pour se débarrasser des gêneurs.
Plus haut, il tombait enfin sur un homme abattu dans le couloir, au dernier étage. Par mesure de précaution, il rechargea son arme avec les balles attachées autour de sa jambe, et s'annonça calmement:
"Excusez-moi... Mademoiselle Alice? Mon nom est Théo Penbar, je voudrais vous parler un moment."
Il replaça son pistolet sous sa veste et avança, puis présenta ses mains dans le cadre de la porte avant de se montrer totalement, les mains en l'air. Il souriait amicalement.
"Je pense qu'il nous serait possible de traiter ensemble."