Qu’est-ce qui était la source du pouvoir ? L’autorité ? La légitimité naturelle ? Qu’est-ce que les gens respectaient ? Dans quelles circonstances évitait-on les rébellions ? N’en déplaisent à tous les idéalistes, les grandes vagues de soulèvement populaire avaient toutes un point commun : l’or. Quand il y avait une crise économique ou alimentaire, quand l’État n’était plus en mesure d’offrir à ses sujets nourriture, protection, et fortune, alors les privilèges des uns devenaient abusifs. Les défauts normalement acceptés ne le devenaient plus, et, peu à peu, le royaume s’enlisait dans une situation redoutable, un cercle vicieux dont les conséquences pouvaient être très fâcheuses, et même dramatiques.
Bazzheï Bazhal (https://i.pinimg.com/564x/6e/02/24/6e0224b7e001792e84d6fb36c6c8a463.jpg) avait beau porter des vêtements modestes, sans bijoux ostentatoires, il n’en était pas moins un homme extrêmement influent, sans aucun doute l’homme le plus redoutable du monde. Bazzheï Bazhal était en effet le Grand-Commerçant de la redoutable Compagnie Dorée, un conglomérat commercial regroupant l’ensemble des cités-nations de la Côte d’Or. Des cités indépendantes, libres, et extrêmement riches, grâce à leurs multiples mines d’or. La Compagnie Dorée disposait de bandes de mercenaires, des milliers de guerriers entraînés et bien armés, que la Compagnie monnayait, et était surtout utilisée par son bras armé, la Banque Dorée. La Banque Dorée était un redoutable organisme bancaire, qui, d’une manière ou d’une autre, se faisait toujours payer ses dettes. Et les principaux débiteurs de la Banque étaient des États.
Quand un État refusait de payer, ou était en état de cessation des paiements, la Banque avait une solution. Soit elle cessait d’emprunter, soit elle envoyait ses troupes. Pour l’heure, tous les États ayant tenté le bras de fer avec la Compagnie avaient échoué. La famille royale en place était déchue de ses titres, et tous ses biens saisis pour honorer les dettes de l’État, et la nouvelle dynastie royale augmentait ensuite considérablement les taux d’impositions pour tenter de rembourser la Compagnie... Sinon, la Compagnie se servait sur place, en acquérant des propriétés, ou généralement en prenant des esclaves.
Aujourd’hui, Bazzheï Bazal faisait route vers le château royal d’un royaume qui venait de perdre son Roi. Le Dauphin étant trop jeune pour gouverner, c’était sa mère, la Reine Célène (http://img110.xooimage.com/files/4/0/4/d2efdad4152157f59...c2a63f9f-5312a47.jpg), qui assurait la régence... Et, quand elle avait pu poser ses fesses sur le trône, elle avait constaté que feu son mari avait laissé le royaume dans un état catastrophique. En fait, « catastrophique » était un euphémisme, vu l’état dramatique des finances publiques. Le trésor royal était tout simplement asséché, vide comme un puits sans fond. Dans ces conditions dramatiques, la Reine anticipait très certainement l’arrivée de Bazzheï Bazal, qui venait pour s’assurer que la Reine offre de solides garanties à la Compagnie Dorée.
*Car, d’une manière ou d’une autre, la Compagnie récupère toujours son investissement... Mais ça, la Reine le sait bien...*
On la disait aussi belle qu’intelligente, et c’était une qualité que Bazzheï Bazal appréciait. La Compagnie était rigide, mais savait aussi faire des concessions, et faire preuve de souplesse, surtout quand elle savait que l’interlocuteur qu’elle avait en face d’elle était un individu ayant la tête sur les épaules. Autrement dit, Bazzheï était prêt à faire preuve de compréhension avec la Reine... Si, en retour, elle savait susciter son intérêt.
D’où la nécessité d’une rencontre, et c’était pour ça que son bateau s’amarrait dans le port de la capitale...
Angarad était un grand royaume, un client de longue date de la Compagnie Dorée. Ce n’était donc pas pour rien si la Banque avait envoyé l’un de ses meilleurs éléments. Bazzheï Bazhal était particulièrement laid. Il le savait très bien. Il avait toujours eu un grave problème de surpoids, et n’avait jamais vraiment pu lutter contre ça. Alors, comme il n’était pas très sportif, il avait compensé sa laideur et sa disgrâce physionomique par un esprit méthodique et très calculateur. Très bon avec les chiffres, il connaissait du bout des doigts la situation économique du royaume. Ce dernier s’était profondément endetté pour deux raisons principales : d’une part, les guerres dans les montagnes contre les Orcs et les Trolls, et, d’autre part, des banquets dispendieux et des fêtes luxueuses. Pendant des années, le Roi d’Angarad, pour impressionner ses bannerets et les autres royaumes, avait vécu totalement au-dessus de ses moyens, finançant à grande pompe des fêtes luxueuses, la construction d’immenses châteaux, en finançant tout cela par les prêts que la Banque fournissait. C’est simple, et ça faisait partie des statuts de la Banque Dorée ; elle ne refusait jamais un emprunt étatique. En effet, il était un principe millénaire applicable à n’importe quel État : pacta sunt servanda. Lié par sa propre parole, un État s’engageait toujours à honorer ses engagements, ce qui, en l’occurrence, impliquait de devoir rembourser ses prêts.
Un État paie toujours ses dettes, d’une manière ou d’une autre, et, dans tous les cas, la Compagnie était gagnante, car, ce qu’un royaume ne pouvait pas rembourser, la Banque Dorée se servait elle-même. Mais Angarad était un cas particulier. Ce qui avait surtout étonné les comptables, c’était que, pour parvenir à rembourser la dette, la Reine Célène avait fait une proposition insolite, tenant principalement en deux points : d’une part, obtenir un rééchelonnement des échéances, avec un moratoire de plusieurs années avec suspension du cours des intérêts, et, d’autre part... Un prêt supplémentaire ! La requête de la Reine détaillait longuement l’objet de ce prêt, qui visait à investir dans de nouveaux terrains, situés précisément dans les régions limitrophes que le Roi d’Angarad avait réussi à récupérer, et qui abritaient des terres fertiles, des carrières, des gisements... En exploitant ces zones, Angarad se faisait fort de rembourser sa dette abyssale.
Alors, Bazzheï était venu, pour apprécier le bienfondé de cette requête, et l’appuyer... Ou non. Et, si la Banque rejetait la requête de la Reine, la Compagnie ferai tune lourde proposition, qui consisterait en une saisie de nombreux biens immobiliers. Car la proposition initiale de la Banque portait sur un abandon de souveraineté de plusieurs grandes villes, la fourniture de nombreux esclaves, et la confiscation d’une grande partie du patrimoine royal... Des conditions extrêmement rudes, mais qui servaient de base à des contrepropositions.
*Et c’est à mon avis que la Commission se rangera...*
Ce que la Reine savait sûrement. Bazzheï fut ainsi rapidement conduit dans le Palais royal, et on le guida vers la salle du trône, où la Reine lui avait autorisé une audience.
Bazzheï rentra donc dans l’impressionnante salle du trône.
« Reine Célène... C’est un immense honneur de vous voir enfin ! »
Bazzheï Bazhal fit une élégante courbette, avant de relever le visage, et de sourire généreusement.
« Les bardes qui vantaient votre beauté ne m’ont décidément pas menti... Vous êtes particulièrement belle ! »
En tant que négociant, fidèle à lui-même, Bazzheï se montra chaleureux et respectueux, toujours avec le sourire aux lèvres... Mais tout le monde savait que le sourire d'un marchand était trompeur, n'est-ce pas ?