En cette fin d'hiver, le bord de la mer était plutôt paisible. Quelques sièges résidaient, ça et là, en attente de l'été qui se profilerait bien tôt ou tard, et permettrait de couvrir chaque centimètre carré du sable fin, que ce soit de personnes, de serviettes, ou de détritus qui s'enterrerait probablement et s'oublieraient. Dés les premières lueurs persistantes, les plages de Seikusu devenaient LE lieu où il fallait se rendre, bien plus que les éventuels parcs ou magasins pourtant tout aussi disponibles et convivials.
Cette popularité était l'une des raisons pour laquelle Pam n'était pas fan de la mer - l'autre raison étant en partie que, pour pouvoir se montrer ici en été sans passer pour un idiot, il valait mieux accepter de découvrir quelques carrés de chair supplémentaires... et si les habits courts étaient souvent valorisés par la lycéenne, paradoxalement, elle n'appréciait pas de se dévoiler devant les trois quarts de la ville. Et de toutes façons, aucun maillot vendu dans cette ville ne semblait pouvoir supporter son envergure en ressemblant un minimum à quelque chose. Non, vraiment, en été, la mer était le dernier endroit où la blonde pouvait se trouver.
En hiver, en revanche, c'était un lieu où elle appréciait de se rendre. Après les cours, parfois, si elle en trouvait le courage et s'il ne faisait pas trop mauvais, Pam aimait aller s'asseoir sur le sable froid et regarder l'horizon un peu flouté par le brouillard, ou parfois découvert et dont le soleil touchait la surface d'une manière un peu plus timide qu'à l'ordinaire. Elle aimait ce silence, ce calme qui permettait d'apprécier pleinement le murmure des vagues et le cri des mouettes, sans le brouhaha des conversations environnantes ou les bruit des pieds éclaboussant le bord de l'eau. La mer, en soit, était un élément qu'elle appréciait et qui offrait à son imagination humaine le privilège de s'inventer des tas de scénarios plus ou moins fantasques, où les plus somptueuses chimères pouvaient se côtoyer et se faire plus vives, au son de la mélodie des vagues.
Les humains aux plus fertiles esprits n'avaient jamais manqué de lier cette immense étendue d'eau qu'était l'océan à l'existence de créatures terribles, affreuses, mais ils avaient également donné la vie à de magnifiques formes de vie qui ne manquaient jamais d'inspirer les enfants auquel on en touchait deux mots, au travers de contes populaires en général. Et malgré les tournants un peu mouvementés qu'avait eu son enfance, Pam n'avait pas été la dernière à entendre ces jolis histoires, au travers des lèvres des nourrices qui s'étaient succédées à son chevet le soir, tournant entre leurs doigts les pages noircies par les paroles d'Andersen ou des frères Grimm. A chaque fois qu'elle traversait l'étendue de sable fin, Pam ne pouvait s'empêcher de repenser à ces moments qui lui semblaient si lointains - et notamment au jour où, encore toute petite, on lui avait lu l'histoire de la Petite Sirène.
Elle avait probablement été l'une des rares enfants à entendre la véritable histoire avant de voir le film qui l'édulcorait de façon presque comique, et donc, pour elle, ça n'avait jamais été une histoire très amusante. Le sacrifice de la Petite Sirène, en particulier, l'avait cependant marquée d'une façon positive - elle se souvenait avoir trouvé, du haut de ses quatre ans à l'époque, que cette façon de mourir était l'une des plus belles que l'on puisse imaginer. Mais c'était aussi l'une des façons les plus incompréhensibles, à ses yeux. Elle ne comprenait pas, en effet, que l'on puisse vouloir côtoyer cette espèce mesquine et misérable qu'était l'humanité, au point de préférer se donner la mort, si la chance de les rejoindre n'était pas offerte. Cette soif d'aventure et d'amour ne lui était pas familière, elle lui semblait même un peu bizarre et la confortait dans l'idée que, décidément, tout cela ne pouvait être qu'un conte, après tout.
C'est sur ces pensées que, assise dans le sable, Pam fixait l'horizon bleuté et son soleil couchant aux teintes roses et violettes, son sac à dos en forme d'éléphant tout prés de ses pieds. La paille d'une briquette de jus de pomme glissée entre ses lèvres, le regard doré de l'adolescente se faisait songeur, ses sourcils un peu arqués dans une expression de concentration. Un crabe qui passait par là lui sauta aux yeux, et fit virer ses pensées dubitatives vers son existence, petite créature dont la carapace devait tenir bien au chaud son propriétaire. L'idée lui fit resserrer sa propre écharpe jaune autour de son cou, tout en continuant à fixer le crabe qui semblait avoir repéré de la nourriture et commençait à creuser le sol d'un coup de pince déterminé.
L'animal, cependant, ne sembla pas assez déterminé pour résister à la peur qui le prit soudain, alors qu'un bruit sourd résonnait sur la plage. Pam elle-même poussa un cri, et se releva d'un bond, fixant le point d'où provenait ce vacarme pendant que le crabe prenait ses pinces à son cou.
"... ?"
Le bruit s'accentua de plus en plus, et les oreilles de la lycéenne l'identifièrent, finalement. En provenance du bord de la baie, là où était posé d'énormes rocher qui formaient une épaisse barrière et délimitait une partie de la plage. En sa partie la plus proche de la mer, il y avait des grottes qui s'étaient formées au fur et à mesure des éboulements, la pierre s’érodant avec le temps et les coups des vagues. Ce bruit sourd, c'était le bruit de rochers qui s'écrasaient au sol et dans l'eau. Un énième de ces éboulements, qui augmentait encore un peu plus la taille de la grotte.
La première pensée de Pam, fut bien sûr de partir. Avec le temps, il fallait savoir que peu de téméraires se risquaient à aller étendre leurs serviettes prés de ce bord-là, et il y en avait encore moins qui tentaient l'exploration de la grotte - peut-être un peu plus qu'elle ne pensait, si l'on en croyait certains élèves de Seikusu qui aiment raconter leurs petites escapades quand venait l'été. Alors, bien sûr, peureuse comme elle était, ce n'était pas à elle que l'on allait proposer une aventure pareille.
Néanmoins, quelque chose la chiffonnait, et fit ralentir ses pas en arrière, avant de les stopper complètement.
Ce genre d'éboulement arrivait souvent l'été, on fermait même parfois ce côté de la plage à cause de cela. Mais à chaque fois, l'accident survenait à cause d'une mer un peu trop agitée, qui donnait de la force aux vagues et malmenait bien plus les murs de pierres que d'habitude. Mais aujourd'hui, la mer était calme, il n'y avait pratiquement pas de vent, et pas du tout de pluie. Alors... quelle était la cause de cet éboulement ?
La blonde jeta un coup d’œil autour d'elle, essayant de voir si d'autres personnes se trouvaient sur la plage. Elle repensa aux vantards qui contaient leurs exploits dans ces grottes, et un mauvais pressentiment commença à lui nouer les entrailles.
Si un éboulement était survenu, c'est qu'il y avait eu du mouvement dans cet endroit, d'une manière ou d'une autre. Et il se pouvait très bien que ces mouvements aient été causés par des personnes un peu trop téméraires. Pam, n'avait pas entendu de cri, mais... dans tous les cas, elle n'était pas sûre de vouloir prendre le risque de laisser quelqu'un mourir étouffé par des rochers.
Son premier réflexe fut de saisir son portable, dans l'idée d'appeler la police ou les pompiers. Mais, alors qu'elle commenait déjà à composer le numéro, quelque chose cessa le mouvement de ses doigts sur son écran. Si jamais elle prévenait qui que ce soit et que finalement, il n'y avait rien... elle passerait pour une idiote, non ? Et c'était quelque chose qui la terrifiait au plus haut point.
L'autre idée qui lui vint, fut donc la dernière disponible : aller vérifier par elle-même. Rien que d'y penser, le nœud dans son estomac s'intensifia. Mais un autre rapide coup d’œil lui confirma qu'il n'y avait personne, et que c'était soit ça, soit rentrer chez elle et ne pas dormir de la nuit, à l'idée d'avoir laissé une pauvre âme mourir sous des rochers et de l'eau glacée.
Prudemment, la lycéenne remit donc son sac sur ses épaules, jeta son goûter à la poubelle, et commença son expédition.
(http://img15.hostingpics.net/pics/971153PaysagesCrozonaquarellegrotteenmeramareeMAubinetreference.jpg)
La grotte était étonnement facile d’accès - pas de barrières de fer, de mousses glissantes sous les pieds ou panneaux dissuasifs ; même la personne peu sportive qu'était Pam n'eut pas trop de mal à se glisser entre les rochers pour accéder au cœur de l'endroit, là où un banc de sable côtoyait de petites mares d'eau croupies. Elle observait le plafond de pierres avec un regard inquiet, et pour cause, vu ce qu'il venait de se passer... mais la beauté du lieu lui sauta tout de même aux yeux. Elle finit par comprendre ce qui emmenait certaines personnes à vouloir venir ici. Tout comme la plage, les fonds de cette grotte étaient comblés par un silence reposant, seulement brisé par le bruit des clapotis des vagues heurtant le bas des parois, et par les éventuels sons provenant du dehors, et qui se transformaient en murmures étouffés au contact des rochers. Un écho persistait à chaque son que produisait les pas de la blonde, emplissant le vide de la caverne de haut en bas.[/i]
"Heu... il y a quelqu'un ?"
Sa voix sonna contre la pierre, et le reflet de l'eau lui renvoya un visage dubitatif. Mais également quelque chose d'autre, dans son dos. Pam se retourna brusquement.
Prés des rochers qui semblaient s'être fraîchement écrasés au sol, la silhouette d'un torse de femme se laissait entrevoir, le reste de son corps immergé dans l'eau. Ses bras retenaient la paroi glissante d'un gros morceau de roche avec difficulté. Un filet de sang coulait le long de son front, et ses cheveux cachaient le reste de son visage. Elle avait la tête baissée, et ses épaules se secouaient au rythme d'une respiration difficile.
Pam étouffa un gémissement, avant de se précipiter vers cette silhouette aussi vite que ses jambes dodues pouvaient le lui permettre. Laissant son sac par terre tout prés d'elle, elle s'agenouilla prés de l'eau, sa bouille ronde tordue en une expression terrifiée.
"V-vous allez bien ?! Vous saignez de la tête ! Vous m'entendez, au moins ?!"
Ses mains gesticulant dans l'air, Pam n'osait pas toucher cette étrange femme, qui ne réagissait que très peu à ses paroles. Son portable passa dans ses mains pour la deuxième fois de la journée, et elle continuait à bafouiller, appuyant fébrilement sur le large écran encadré d'oreilles de lapins roses et de petits charmes divers.
"Ne vous inquiétez pas, je vais appeler les..."
L'intention se coupa, soudainement, lorsque Pam aperçut la petite icône de la tonalité. Les quatre barres étaient en effet parties se promener, et cette simple vision lui donna presque les larmes aux yeux. Elle essaya malgré tout, consciente que les numéros d'urgence fonctionnaient tout de même parfois sans réseau - heureusement, d'ailleurs - mais cette fois-ci, il semblait que le plafond de pierres ait vraiment eu raison de la technologie humaine. Baissant les bras, vaincue, l'adolescente observa la blessée, sans savoir vraiment quoi faire. Et quelques morceaux de pierres continuaient de tomber du plafond, comme de multiples avertissements.