« Au risque de me répéter, rien ne vous oblige à le faire, Majesté... »
La Princesse se mordilla les lèvres, et secoua la tête. Zyra (http://fc03.deviantart.net/fs71/f/2013/214/0/9/basic_by_alexnegrea-d6gawy6.jpg) avait raison, bien évidemment, mais Alice ne pouvait pas se dérober. Cette rencontre était importante, et était surtout une bonne manière, pour elle, de bien se faire voir auprès des Ashnardiens, et, ce faisant, de renforcer l’influence de Sylvandell auprès des Impériaux.
L’Empire d’Ashnard était actuellement en guerre contre un royaume assez puissant. Le royaume disposait de nombreux magiciens, et d’animaux redoutables, que les locaux avaient domestiqué, et qu’ils utilisaient contre les Ashnardiens, dans des combats dantesques et sanglants. Les Ashnardiens avaient essuyé plusieurs défaites, et, en inspectant une carte de la région, ils avaient remarqué l’existence d’un col dans la montagne, une vallée qui permettrait aux renforts d’éviter de devoir contourner le massif montagneux sur des centaines et des centaines de kilomètres, et de se heurter aux forces principales de cet ennemi. Malheureusement, une étude de la région avait permis de montrer que la vallée était occupée, et qu’un pouvoir magique assez fort y résidait. Rien qui ne soit, en temps normal, susceptible de retenir très longtemps un État aussi puissant que l’Empire d’Ashnard, mais ces derniers voulaient éviter un conflit secondaire, parallèlement au siège du royaume. Ils ne voulaient pas s’enliser là-dedans, et c’est dans ce b ut qu’Alice avait opté pour la voie diplomatique. Les Ashnardiens ne savaient pas grand-chose sur cette forêt, et le risque était grand. Dans l’absolu, les dragons dorés de Sylvandell pouvaient toujours l’incendier, mais c’était une solution qu’Alice souhaitait éviter. De sa belle plume, elle avait donc écrit une missive à l’intention du seigneur de la forteresse dans cette étrange forêt.
Alice se trouvait alors dans un campement militaire en retrait, le camp principal, le royaume ennemi se trouvant de l’autre côté du massif montagneux. La Princesse se présenta comme une « représentante de l’Empire d’Ashnard », ce qui, en soi, n’était pas faux, et demanda une entrevue diplomatique. La réponse ne tarda pas à arriver, et Alice l’avait lu avec joie et satisfaction. Elle pourrait venir avec un Commandeur, et choisit Zyra, qu’elle avait toujours considéré comme un Commandeur de confiance, quelqu’un en qui elle pouvait avoir confiance. La mystérieuse femme, Sarrah Rakhan, accepta donc, et, chose curieuse, Alice ne vit aucun titre de noblesse.
« Nous ne savons pratiquement rien sur cette région... Elle est très isolée, et il n’y a pas de gisements suffisamment importants pour justifier la venue de marchands. »
Cette vallée n’était même pas mentionnée sur la plupart des cartes, ce qui expliquait pourquoi il avait fallu aux Ashnardiens un certain temps avant de la trouver. Les Impériaux voyaient maintenant par cette vallée escarpée un bon moyen d’attaquer l’ennemi depuis l’angle, en soupçonnant la présence de grottes au fond de la vallée permettant de rejoindre le royaume. Tout ce qu’il fallait espérer, c’était que cette forêt ne soit pas l’alliée du royaume ennemi. Alice réfléchit pendant les deux jours qui passèrent. Elle savait qu’elle n’avait rien à prouver, et qu’il était toujours possible de passer en force... Mais ce n’était pas comme ça qu’Alice voulait diriger. Elle ne voulait pas que la peur domine ses actions. Contrairement à son père, elle militait pour une certaine forme de diplomatie dans les relations internationales. Zyra comprenait ce point de vue, mais la plupart des militaires étaient plutôt favorables à l’idée de raser cette forêt aux pouvoirs magiques sans se poser de questions... Alice était sidérée par une telle imbécillité, une imbécillité qui, selon elle, expliquait pourquoi l’Empire devait faire face à tant de révoltes et à tant de guerres civiles. Les militaires étaient souvent des brutes épaisses incapables de réfléchir très longtemps, et qui ne cherchaient qu’à démolir tout sur leur passage.
Et, finalement, la Princesse avançait le long de la forêt, sur un cheval, accompagnée de Zyra. Elle portait ses gants blancs, des bottes en cuir blanches, et une robe blanche avec un corset sous un manteau marron à capuches. Elle avait refusé de porter une armure, afin de clairement justifier son statut diplomatique. Tywill avait cherché à l’en empêcher, mais Zyra avait juré de la protéger. Elle avait réussi à protéger la Princesse à Herzeleid, elle y arriverait aussi ici.
Les deux femmes arrivèrent ainsi devant la forteresse, traversant cette mystérieuse et sombre forêt. Une femme se tenait là, à l’entrée du fort. Elle était d’une grande beauté, et elle semblait les attendre. Lentement, les deux cavaliers s’approchèrent, et Alice descendit de son cheval à quelques mètres de la femme, puis abaissa sa capuche, révélant ainsi sa belle tête blonde avec sa longue chevelure.
« Madame Rakhan ? Je suis la Princesse Alice Korvander, et je suis sincèrement ravie que vous ayez accepté cette entrevue avec moi. Je vous présente Zyra, qui est chargée de m’assister. »
La présenter comme assistante était un terme diplomatique, un bel euphémisme pour ne pas dire qu’elle était sa garde du corps. Il suffisait néanmoins de voir l’armure de Zyra pour s’en rendre compte. Elle descendit sur le sol, restant en retrait, saluant la femme brièvement, tout en laissant à Alice le soin de discuter.
Il ne restait qu’à espérer que les intentions de cette belle blonde à la peau cuivrée soient sincères.
Les terres de Rakhan ne portaient aucun nom officiel. Alice savait qu’elle prenait des risques en rejoignant cette région. Qui sait quelles pouvaient être les intentions de cette femme ? Mais, en cas de problème, elle pouvait toujours bénéficier du soutien du camp militaire. Si elle ne revenait pas à temps, les soldats viendront, et Alice avait toute confiance en eux. Alors, certes, elle aurait pu opter pour une approche plus sûre, mais elle tenait aussi à faire taire les rumeurs la décrivant comme une couarde, une Korvander chétive, qui préférait vivre dans de beaux appartements, et ne prenait jamais de risques en se mettant en avant, comme les Korvander aimaient si bien le faire. Alice n’était sans aucun doute pas douée pour la chose militaire, mais, en ce qui concernait l’action diplomatique, elle était unanimement reconnue comme nettement plus douée que son père... Ce qui n’était pas difficile.
Sarrah était une belle femme, mais Alice était étonnée de ne voir aucun garde, ni aucune escorte. Qu’est-ce que tout cela voulait dire ? La jeune femme leur demanda de la suivre, et Alice et Zyra rejoignirent le château, où, là encore, Alice se fit le même constat. Où était la cour ? Les gardes ? Les nobles ?
*Tout ça n’est pas normal... On dirait un château hanté !*
Peut-être était-ce la raison pour laquelle il n’y avait aucun nom sur cette province, et pourquoi elle était évitée ? Alice n’était vraiment pas rassurée. Elle avait le sentiment que quelque chose lui échappait, que cette mystérieuse femme au beau corps leur dissimulait des informations. Et, tandis qu’Alice rejoignait la salle du trône, elle pouvait entendre de délicats murmures, des soupirs, qui semblaient suinter des profondeurs du château. Sarrah avait installé deux chaises en bois rustiques devant son fauteuil, afin de symboliser sa supériorité sur elles.
Alice regarda brièvement Zyra. Le Commandeur n’était pas non plus rassuré. Zyra avait participé à bon nombre de quêtes, et elle savait qu’il existait, à travers Terra, beaucoup de châteaux et de manoirs abandonnés, qui étaient progressivement devenus les refuges de sorcières, de fantômes, de monstres, ou de bandits. Alors, ici, elle devait s’attendre au pire. Après quelques hésitations, Alice finit par se racler la gorge, et s’assit sur la chaise.
« Je... Je vous remercie pour votre hospitalité, Madame. Hum... Nous... Nous souhaiterions nous rapprocher de vos terres, et envisager l’ouverture d’un marché commun. Nous nous interrogeons en effet sur les gisements situés dans votre province, et pensons qu’il serait d’un intérêt mutuel que... »
Un nouveau gémissement, plus fort que les autres, remonta d’un couloir, et Alice, pour le coup, se retourna sur place en fronçant les sourcils.
« Mais... Qu’est-ce que c’est que ce bruit... ? »
Un bruit qui n’inspirait guère confiance, en tout cas...
Cet endroit la mettait mal à l’aise. Que faisait cette mystérieuse femme, seule, sans aucun garde ? Où était sa cour ? Sa suite ? Ses serfs ? S’il n’y avait pas eu une femme, Alice aurait vraiment eu l’impression d’être dans un château abandonné, hanté... Et les cris qu’elle avait entendu ne l’aidèrent guère à se rassurer. Leur hôte indiqua dans un premier temps que ces cris étaient sans importance, avant de préciser qu’il s’agissait de ses prisonniers.
*Ce qui signifie qu’elle a sûrement un moyen de se défendre...*
Une magicienne, peut-être ? Ou alors, ses hommes étaient des spécialistes de l’infiltration et du camouflage. L’étonnante blonde se releva alors, leur demandant ce que les deux femmes pouvaient bien lui apporter. Distraitement, Alice vit le châle qui tombait le long du corps de la femme s’écarter quand elle se releva, dévoilant de longues jambes cuivrées et fuselées. Elle était plutôt belle, cette femme, et cet élément n’était pas anodin, amenant de nouveau Alice à se demander qui elle était, ce qu’elle faisait là... Et pourquoi une femme si belle restait seule.
Elle décréta finalement qu’elle voyait dans les deux femmes un « certain intérêt », réflexion étrange qui surprit Alice, mais qui choisit de ne pas en faire la remarque sur le coup. Samara intervint alors :
« Nous pouvons vous fournir des ressources en tout genre, mais nous pouvons aussi rester fidèle à la ligne traditionnelle de la politique impériale, et opter pour une prise de contrôle. Ce que je veux dire, ajouta-elle rapidement, c’est que nous venons en amis, et qu’il est préférable de nous avoir ainsi. Vos techniques d’intimidation ne nous impressionnent guère. »
Et ce d’autant plus que Sarrah avait bien dû voir le camp impérial posté à la lisière de son domaine. L’Empire n’avait en effet pas pour habitude de négocier, et avait plutôt tendance à régler les problèmes à coups d’invasions et de batailles sanglantes et meurtrières.
« Il serait mutuellement bénéfique de trouver un terrain d’entente, Madame, précisa Alice. Et, par ailleurs, je ne vois pas ce que nos personnes peuvent vous apporter. »
Elle était encore troublée par les cris qu’elle avait entendu. Que se passait-il donc dans ce château ? Plus le temps passait, et plus elle avait un mauvais pressentiment...