(http://nsa34.casimages.com/img/2014/04/29/mini_14042907233279805.jpg) (http://nsa34.casimages.com/img/2014/04/29/14042907233279805.jpg)
Cromwell
La pièce de monnaie s’envolait dans les airs, avant de redescendre, happée par la gravité. Elle atterrissait entre les doigts noirs du métèque, qui la relançait ensuite en l’air. Il était adossé contre un mur, dans une ruelle, et jouait avec la pièce de monnaie. Une élégante pièce de bronze, qu’il s’amusait à remuer, avant d’entendre les bruits de pas précipités de son contact. Cette grosse limace était paniquée, et Cromwell ne l’avait sans doute jamais vu courir aussi vite. Il s’arrêta juste devant lui.
« Il... Il est là... Baritello...
- Seul ? »
L’homme reprit son soufflé, tandis que la pièce de monnaie était dans la main de Cromwell, qui la rangea dans sa bourse en se décollant du mur.
« Non...Y a... Une Terranide avec lui… »
Cromwell le frappa alors. Comme toujours, la bêtise des humains l’agaçait profondément. L’homme s’affala lamentablement sur le sol en gémissant. Il avait mal à la joue, pleurnichant, donnant envie à Cromwell de le tuer. Il haïssait les hommes, en réalité. Toute sa faiblesse venait de son côté humanoïde, qui lui avait valu d’être banni de la cité drow où il vivait avec sa mère. Elle avait été violée par un humain, et s’était refusée à avorter. Cependant, son enfant était difforme, ayant un corps de Drow, mais des oreilles d’humain, plus petites que les oreilles des elfes. Sa mère avait fini par le répudier, et il avait été banni de la cité, contraint à vivre parmi les hommes... Mais jamais il n’était devenu comme eux. Jamais.
« Je sais que la Terranide est avec lui, abruti, c’est pour ça que je me suis débrouillé pour qu’elle soit capturée !
- Il... Vous ne comprenez pas... Ils sont ensemble, dans la cage... »
Cromwell pencha la tête sur le côté.
« Ensemble ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
- Il... Il est entré dans la cage... »
Cromwell releva la tête, surpris. Il ne comprenait jamais les « dh’oines » et leur sens particulier. Mais ce n’était pas important. Il avait deux cibles dans ce chariot : Marcus, pour faire plaisir aux « dh’oines » qui l’embauchaient, et Koya, pour faire plaisir à son réel employeur. Deux cibles dans la même cage, c’était presque trop facile. Il sortit de sous ses affaires, non son épée, mais une petite arbalète de poing. Son contact avait accompli sa part du marché en amenant le chariot ici, il était donc temps de le récompenser comme il se doit. Cromwell s’éloignait lentement vers la sortie, tout en remisant sur sa tête un capuchon, afin qu’on ne discerne pas facilement ses origines.
« Mais... Mais mon or, j’ai fait ce que vous aviez dit, je... »
*SCHTAC !!*
Sans même le regarder, Cromwell pointa son arbalète vers l’homme, et tira. Le carreau d’arbalète fusa dans sa bouche, transperça sa langue, puis sa gorge, et le souffla en arrière, plaquant l’homme contre le mur. Il émit de silencieux gargouillements en se vidant de son sang. Cromwell avait deux raisons de le tuer. La première, c’est qu’il n’aimait pas les « dh’oines ». La deuxième, c’était qu’il ne voulait pas que la milice puisse cuisiner cet abruti pour remonter jusqu’à lui.
Dans les bas-fonds de Nexus, Cromwell était un criminel recherché par les gardes. Il était considéré comme un révolutionnaire, un violeur, et un meurtrier... Et ce n’était que les meilleures de ses qualités. Sa tête était mise à prix, mais il avait un petit réseau.
Dans la rue, Koya et Marcus remarqueraient sans doute que le chariot était encerclé. Des hommes à la mine patibulaire se trouvaient devant, et d’autres derrière. Certains avaient des capes, d’autres des capuchons, et étaient en train de dégainer leurs armes. Avec son capuchon noir sur la tête, et une cape du même acabit qui glissait sur le sol, Cromwell sortit de l’ombre, et vit rapidement l’esclavagiste, affalé près du cocher. C’était le fils de la crevure qu’il venait de tuer, et il savait que le morbac le ferait chier. Un dh’oine, par principe, ça emmerdait toujours son monde.
Et Cromwell n’aimait pas les emmerdes.
*SCHTAC !!*
Le carreau transperça l’œil droit de cette petite crevure, puis creva sa cervelle, ressortant de l’autre côté. Des gouttes de sang heurtèrent le nez de l’esclavagiste qui s’était rapproché, et le carreau, ayant une pointe havekar, s’ouvrit alors. Les pointes havekar étaient des spécialités elfiques qu’on trouvait, soit sur certaines flèches, soit sur des carreaux d’arbalète. La pointe havekar était une pointe en fer forgée, où la pointe se découpait en quatre, aggravant la blessure. C’est ce qui arriva dans la tête de la crevure de dh’oine, et des morceaux de cervelle éclaboussèrent également le visage de l’homme.
On pouvait entendre les bandits ricaner. Un fléau vint taper contre les grilles de la cage, résonnant à l’intérieur.
« Haha ! Regardez-les, les tourtereaux !
- Une salope qui couche avec son salopard d’esclavagiste ! »
Cromwell se rapprocha lentement, tout en rangeant son arbalète, puis ouvrit la cage, et attrapa Marcus par le col de la chemise, le balançant au sol. Sa tête heurta la boue qui se trouvait par terre. Dans ce quartier, les dalles étaient décollées par endroit. Cromwell observa ensuite la Terranide, tandis que Marcus était roué de coups par ses hommes.
« Enfoiré d’esclavagiste !!
- Crève, crevure de merde !! »
L’homme s’avança dans la cage, tandis que ses yeux verts se mirent à luire sous sa capuche.
« Tu as forniqué avec un certain démon, Terranide... Certains de mes employeurs sont intéressés par toi, et te veulent en vie... Mais je pense que je vais tout de même me soulager en toi. »
Dehors, pour Marcus, la situation se compliquait davantage. Armé d’une épaisse hache, un homme s’approchait, tandis que deux forbans tenaient Marcus par chaque bras, l’immobilisant. L’homme s’approcha avec la hache, bien décidé à le décapiter. Il leva haut sa hache, si haut que le soleil se mit à luire...
...Mais le coup fatiditque ne s’abattit pas sur la tête de Marcus.
« Pour la Reine ! entendit-on alors, émanant des toits.
- Capturez Cromwell ! Tuez ces rascals !! »
Des gardes nexusiens, comme par enchantement, venaient de surgir depuis les toits, faisant pleuvoir une pluie de flèches sur les forbans. C’étaient eux qui venaient de sauver Marcus d’une mort certaine.
Elena s’était donc trompée… Kõya n’était pas la propriété de Kõya, mais une Terranide libre… Ou, plutôt, qui cherchait à être libre. Évidemment, une telle chose n’était pas facile. Juridiquement, les États du monde entier considéraient que les Terranides n’étaient pas des êtres humains dotés de la personnalité juridique, mais ressemblaient davantage à des animaux. En fait, au niveau du droit nexusien, il n’y avait que deux grandes catégories juridiques pour désigner quelque chose : on était, soit une personne, soit une chose. Un animal comme un chat, par exemple, était, juridiquement parlant, une « chose ». Et, pour l’heure, les Terranides étaient considérés comme plus proches des animaux que des humains, et, à ce titre, rentraient dans la catégorie des choses. Concrètement, ce prétexte juridique, hypocrite et fallacieux, mais maintenu essentiellement pour des raisons économiques, faisait automatiquement des Terranides des esclaves. Face à un Terranide libre, les autorités agissaient comme face à un meuble qui serait retrouvé sans propriétaire. On parlait alors d’un res nullius, c’est-à-dire d’une chose sans maître, donnant lieu à appropriation par vente aux enchères publiques. En d’autres termes, si Elena était fortement scrupuleuse et esclavagiste, elle mettrait Kõya aux fers, afin de la vendre comme esclave aux prochaines adjudications publiques.
Voilà comment les choses se passaient officiellement. Mais Elena fonctionnait différemment, fort heureusement. Elle était la fille de Liam et Nöly Ivory, et elle savait que ses parents avaient voulu changer ce système. L’abolition de l’esclavage avait été leur grand projet avorté, et l’une des conditions de l’abolition, c’était la reconnaissance, pour les Terranides, d’une personnalité juridique, ce qui leur permettrait, non seulement d’être vus comme des personnes, mais aussi d’avoir un droit de propriété, de pouvoir acheter des biens, devenir propriétaire… C’était l’un des grands axes de leur réforme, qu’Elena conservait toujours dans un coin de sa tête. Son plus grand rêve était en effet de reprendre les projets de ses parents, et d’offrir aux femmes comme Kõya asile et protection, afin de faire de Nexus le phare juridique qu’elle avait toujours été.
Kõya revint alors sur les raisons ayant amené Cromwell à l’attaquer, tout en mangeant généreusement les viennoiseries et autres gourmandises qu’Elena avait amené. La jeune Reine fronça lentement les sourcils en entendant parler d’un « démon ». Elle n’aimait pas spécialement l’idée que des démons circulent librement à Nexus.
« Je vois… »
Adamante, restée silencieuse, caressa alors les cheveux de la Terranide.
« Ma pauvre… Ce type est un vrai salaud. Mais je te promets que Cromwell ne te touchera pas. »
La Reine ne pouvait qu’acquiescer.
« Il est dangereux pour toi de sortir, alors… Je suppose que tu connais la législation nexusienne. Mes parents ont voulu la changer, mais ils n’ont pas pu. Et, même si je compte reprendre leur réforme, il faudra encore des années pour que la réforme se mette en place. Si Cromwell te met la main dessus, il pourra t’asservir, et, légalement, sera malheureusement dans son droit… »
Une injustice criante, bien sûr, qui révoltait Elena… Ce qui expliqua pourquoi Adamante rajouta alors :
« Alors, nous allons te conserver près de nous, Kõya. Ici, au Palais, tu ne risques rien, et nous ne te ferons officiellement passer pour une servante personnelle d’Elena.
- Bien sûr, il y aura quelques formulaires à remplir, et il faudra que ta candidature recueille l’approbation du Commandant de la Garde, mais… Tout ça ne sont que des formalités. Tu resteras ici aussi longtemps qu’il le faut, et aussi longtemps que tu le souhaites. »
Elena rajouta alors, pour conclure et pour préciser sa proposition :
« Tu es entièrement libre d’accepter ou de refuser. »
En cas de refus, Elena comprendrait, bien évidemment, même si elle estimait dangereux que Kõya retourne dehors après tout ce qu’elle avait vécu dernièrement…